Un traité manuscrit d’astronomie populaire en arabe, xvie siècle
- Traduction(s) :
- مقالة مخطوطة في علم الفلك الشعبي باللغة العربية من القرن السادس عشر ميلادي [ar]
Notes de la rédaction
Traduit de l’anglais par Jaques Lorioz
Texte intégral
1Une copie réalisée au xxe siècle d’un traité d’astronomie attribué à un certain ‘Abd Allâh b. ‘Umar Bâ Makhrama (m. en1565), a pu être obtenue dans la ville de Ghayl Bâ Wazîr, dans le Sud du Yémen. Il est consacré à la mesure du temps durant la journée, selon la longueur des ombres portées.
- 1 R. B. Serjeant, P. Costa et R. Lewcock, « The Ghayls of San‘â’« , dans R. B. Serjeant et R. Lewcock (...)
2La ville de Ghayl Bâ Wazîr se situe à l’intérieur des terres, entre al-Mukallâ, capitale de la province du Hadramawt, et le port d’al-Shihr. Le terme « ghayl », apparaissant dans le nom de la ville, souligne que son existence est intimement liée à la présence d’eau souterraine. En dialectal yéménite et dans un contexte urbain, ghayl (pl. ghuyûl) signifie en effet « voie d’eau artificielle, souvent partiellement souterraine »1. Le flux souterrain a donné naissance à une activité prospère, fondée sur l’agriculture par irrigation.
- 2 Pour une étude technique des réseaux d’eau souterrains à Ghayl Bâ Wazîr, voir I. Hehmeyer, E. J. Ke (...)
3La source repose sous un bouclier stérile de gypse, situé derrière la ville. Des dolines ponctuent un paysage par ailleurs totalement sec et rocailleux. Elles constituaient une source d’eau potentielle dans un environnement aride et austère, ressource d’une valeur inestimable. La solution technique trouvée à Ghayl Bâ Wazîr pour acheminer l’eau de ces bassins naturels, tant vers l’habitat que vers les jardins maraîchers situés à sa périphérie, a consisté à construire un tunnel à travers le substratum, créant des canaux souterrains qui permettaient de diriger l’eau là où on en avait besoin, grâce à un écoulement par gravité. Localement, le terme employé pour désigner ces tunnels est ma‘yân (pl. ma‘âyîn). Après s’être écoulée sous terre sur une distance considérable, l’eau débouchait sur des canaux à ciel ouvert et se déversait ensuite dans le système irriguant les champs2.
4L’eau s’écoulait sans arrêt à travers le réseau de tunnels. Il fallait donc absolument trouver un moyen de la répartir équitablement entre les différents utilisateurs. Ce qui fut fait en subdivisant le jour et la nuit en périodes fixes, sans utiliser d’horloge. La nuit, la répartition de l’eau était calculée à l’aide d’un calendrier stellaire, fondé sur l’observation de l’orbite lunaire : au cours du mois lunaire, la lune occupe chaque nuit un groupe d’étoiles différent ; ces stations, appelées mentions lunaires, manâzil al-qamar, sont au nombre de 28. Le jour, on se servait d’un cadran solaire : l’ombre projetée par le soleil sur un piquet vertical donnait une indication du temps écoulé. Dans la région de Ghayl Bâ Wazîr, c’est le muqaddim al-ma‘yân, ou responsable d’un tunnel spécifique, qui était chargé de répartir l’eau. Lui-même agriculteur et propriétaire de terres irriguées par le ma‘yân, il était élu par ses pairs pour son sens des responsabilités et son honnêteté, ainsi que pour son expérience et ses connaissances en astronomie.
- 3 O. Löfgren, « Makhrama, Bâ or Abû », The Encyclopaedia of Islam [nouvelle édition], vi, Leiden, Bri (...)
5Le muqaddim devait maîtriser la longueur des ombres projetées à un endroit donné, sachant qu’elle varie au cours de l’année en fonction du changement de la hauteur du soleil dans le ciel. C’est pourquoi les renseignements détaillés en étaient consignés par écrit. La copie obtenue à Ghayl Bâ Wazîr attribue la paternité du texte à un certain Shaykh al-Islâm ‘Afîf al-Dîn ‘Abd Allâh b. ‘Umar b. ‘Abd Allâh b. Ahmad Bâ Makhrama. Cet homme, né en 1501 à al-Shihr, port très proche de Ghayl Bâ Wazîr, y exerçait le métier de juge. Il semble avoir fait autorité en matière de casuistique musulmane (fiqh), mais s’intéressait de très près à l’astronomie3. Parmi ses œuvres figurent des traités sur l’astronomie populaire yéménite portant, par exemple, sur la longueur des ombres projetées à midi. Il est mort en 1565 à Aden.
- 4 Le texte de Bâ Makhrama a été analysé dans I. Hehmeyer, « Diurnal time measurement for water alloca (...)
6Notre texte recense systématiquement les longueurs d’ombre (mesurées en pieds) pour le premier jour et la mi-chemin entre chaque position de la lune, à savoir tous les 6 à 7 jours de l’année à midi et au premier quart du jour, qui a la même valeur pour la matinée et l’après-midi. Les données utiles étaient en principe mémorisées par le muqaddim. Cependant les renseignements consignés par écrits pouvaient servir de manuel de référence ultime4. On notera que Bâ Makhrama utilise des termes et des expressions du langage courant et ne se conforme pas strictement aux règles de l’arabe classique.
7La contribution de Bâ Makhrama sur la longueur des ombres constitue la première partie (p. 1 à 9, l. 1) d’un texte plus long, comptant au total 19 p., de 12 à 17 l. chacune. La deuxième partie du manuscrit (p. 9, l. 2, à la fin), est attribuée à un auteur différent ; elle traite de l’orientation astronomique de la Kaaba, donne une description des 28 positions de la lune ainsi que les longueurs des ombres pour les prières de midi et de l’après-midi, tout au long de l’année.
8La copie du manuscrit a été réalisée au mois de Rajab 1363 A.H. / 1944 A.D. par un certain Sa‘d b. ‘Abd Allâh b. Sa‘îd b. ‘Abûd b. ‘Awad Bâ Dabbâh, dont le fils nous a gracieusement permis la photocopie.
Notes
1 R. B. Serjeant, P. Costa et R. Lewcock, « The Ghayls of San‘â’« , dans R. B. Serjeant et R. Lewcock (eds), San‘â’: An Arabian Islamic City, Londres, World of Islam Festival Trust, 1983, p. 19-31, p. 19.
2 Pour une étude technique des réseaux d’eau souterrains à Ghayl Bâ Wazîr, voir I. Hehmeyer, E. J. Keall et D. Rahimi, « Ghayl Bâ Wazîr: applied qanât technology in the fissured karst landscape of southern Yemen », Proceedings of the Seminar for Arabian Studies, n° 32, 2002, p. 83-97.
3 O. Löfgren, « Makhrama, Bâ or Abû », The Encyclopaedia of Islam [nouvelle édition], vi, Leiden, Brill, 1991, p. 132-133. ‘A.M. al-ibshî, Masâdir al-fikr al-‘arabî ’l-islâmî fî ’l-yaman. San‘â’, Markaz al-dirâsât al-yamaniyya, n.d., p. 484-485. Al-Mawsû‘a ’l-yamaniyya, San‘â’, Mu’assasat al-‘afîf al-thaqâfiyya, vol. 2, 1992, p. 622 [1re éd.], reproduit la biographie donnée par Kh. al-Dîn al-Ziriklî, al-A‘lâm, Beyrouth, Dâr al-‘ilm li-’l-malâyîn, vol. 4, 1979, p. 110 [4e 2d.].
4 Le texte de Bâ Makhrama a été analysé dans I. Hehmeyer, « Diurnal time measurement for water allocation in southern Yemen », Proceedings of the Seminar for Arabian Studies, n° 35, 2005, p. 87-96. L’auteur prépare une étude détaillée de la deuxième partie du manuscrit.
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Référence électronique
Ingrid Hehmeyer, « Un traité manuscrit d’astronomie populaire en arabe, xvie siècle », Chroniques du manuscrit au Yémen [En ligne], 2 | 2006, mis en ligne le 01 juin 2006, consulté le 09 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cmy/199 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cmy.199
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