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Textes

La réglure à Zabid

Fabrication d’une tablette à régler (mistara)
‘Abd al‑Rahman al‑Ahdal
Traduction(s) :
طريقة تسطير الوراق في زبيد [fr]

Notes de la rédaction

‘Abd al‑Rahman al‑Ahdal est membre de l’équipe de catalogueurs, co‑auteurs du Catalogue cumulé des bibliothèques privées de manuscrits de Zabid, dont le vol. I, fasc. 1, est paru en juin 2006, cf. http://www.cefas.com.ye, sous publications.

Adaptation de l’arabe, Anne Regourd (Musée du Louvre)

Texte intégral

  • 1 Il a travaillé auparavant à la fabrication de tuyaux de pipes à eau.

1Nous nous proposons de rapporter ici une méthode utilisée à Zabid jusqu’au milieu du xxe siècle, pour réaliser des réglures sur un bifeuillet, en préparation d’un écrit manuscrit. Elle a été observée par ‘Abd Allâh al‑Usâbî, qui fut dans les dernières années de sa vie, gardien à la Mosquée al‑Ashâ‘îr, située au centre de la ville1. Sa maison se trouve dans le rub’ al‑’iliyy, l’un des quatre quartiers, où habitent des familles possédant des manuscrits, telles que bayt al‑Ahdal avec son ribât et sa mosquée, bayt al‑Inbârî, ou bayt al‑Sâlimî. ‘Abd Allâh al‑Usâbî est mort au début de l’été 2007, à un âge avancé, autour de quatre‑vingts ans. Il a néanmoins pu transmettre oralement à l’auteur de ce texte la manière de fabriquer des réglures, telle qu’il l’a observée.

  • 2 Cf. dans le fasc. 1 du Catalogue cumulé des bibliothèques privées de manuscrits de Zabid, vol. I, B (...)
  • 3 Cf. François Déroche et alii, Manuel de codicologie des manuscrits en écriture arabe, Paris, BNF, 2 (...)

2Cela signifie que l’on est passé d’une pratique observée à sa relation, fondée sur la mémoire. Il serait faux de le prendre comme l’indice de la disparition de toute pratique manuscrite, mais plus juste d’y voir l’influence de l’utilisation par les scribes de papiers pré‑réglés, tels les cahiers d’écolier2. Ce passage d’une pratique observée à sa trace mémorielle est en tous les cas le moment juste et propice du relevé. La mort de l’informateur en démontre l’urgence. Il n’existe que peu de descriptions des pratiques de réglure, en ce qui concerne les manuscrits en écriture arabe, toutes périodes considérées, et peu d’exemples de mistara nous sont parvenus, encore moins d’exemples identifiables dans l’espace et le temps. Mais d’un autre côté, après observation des manuscrits, l’existence de différentes méthodes de réglure a pu être constatée, pratiquées concurremment ou de manière mixte3. Il est à espérer que ce relevé sera suivi d’autres, au Yémen et ailleurs.

3Il faut d’abord fabriquer une « tablette à régler » (lûh al‑tastîr). Pour cela, on prend un morceau de bois ou de carton de la dimension des bifeuillets sur lesquels on compte écrire. Puis des lignes horizontales sont tracées, ici au stylo, sur toute la largeur de ce que l’on conviendra d’appeler le recto de la tablette à régler, mais en laissant une surface dégagée, en haut et en bas, pour les marges. Les marges de droite et de gauche sont, elles, délimitées par deux lignes verticales. La détermination du nombre de ligne par bifeuillet reste sujette à conjecture : pour notre part, nous pensons qu’il est moins lié à la surface du bifeuillet qu’au type de calame employé par le scribe. Des trous sont ensuite pratiqués à l’intersection de chaque ligne horizontale avec les deux lignes verticales, à droite et à gauche, de façon à y glisser un fil. Le diamètre du fil a son importance, il faut qu’il puisse laisser sa marque, lors de l’opération finale. On commence par le dernier trou en bas à droite, sur le verso de la tablette, i. e. la face dépourvue de lignes pré‑tracées. Le fil, une fois passé par le trou, apparaît sur la recto de la tablette à gauche : on le tire alors le long de la première ligne du bas, tout en assurant autant que faire se peut sa fixité – puisqu’il n’est ni attaché, ni noué –, de façon à lui conserver une tension. Une fois passé par le trou de droite, on demeure à droite, au verso, pour entreprendre de doubler la ligne immédiatement supérieure. Le fil réapparaît alors au recto par le trou de droite de la deuxième ligne en partant du bas et est tiré sur toute sa longueur jusqu’au trou de gauche. Le fil y est glissé et bien tiré, puis il est passé par le trou de gauche de la ligne du dessus et tendu jusqu’au trou de droite, etc. La dernière ligne en haut de la tablette une fois doublée, le fil se retrouve au verso. Il est alors amené à l’horizontale et repassé au recto, sur le coin droit ou gauche selon le nombre de lignes que l’on a décidé. Il est maintenant possible de doubler les deux verticales délimitant les marges de gauche et de droite, l’opération étant répétée de la même manière en haut et en bas de la tablette. Au final, on joint les deux bouts du fil, qui forment une diagonale au verso de la tablette, puis on les fixe ensemble de manière à conserver la tension générale. Cette tablette fonctionne à présent tel un sceau, sur lequel est déposé le bifeuillet. Puis on en frotte délicatement la surface avec un morceau de chiffon de telle sorte que les fils fassent impression sur le bifeuillet, y laissant leur marque sous la forme de lignes, ou rectrices, que l’on peut sentir tactilement ou deviner à l’oeil nu. Un premier bifeuillet entièrement couvert de lignes une fois obtenu, l’opération peut être répétée autant de fois que nécessaire. Au total, une série de bifeuillets est obtenue, aux dimensions égales et comportant le même nombre de lignes.

4Certains ajoutent deux lignes rapprochées, tout autour du schéma de réglure primitivement tracé. Des trous sont pratiqués aux quatre coins et le fil y est conduit de la même manière que pour la première série de lignes. Une fois leur tracé matérialisé à l’encre, le texte se trouve alors encadré. Le scribe peut jouer sur les contrastes de couleurs en faisant usage, pour ce cadre, d’une couleur différente de celle qu’il a employée dans le corps du texte.

  • 4 Cf. Manuel de codicologie…, pp. 177‑178.

5Ce relevé a le mérite de détailler la fabrication de la tablette à régler, réalisée pour régler un bifeuillet à la fois. Cependant, la question de savoir comment on traitait les feuillets, à savoir hors cahier ou en cahier, opération qui conditionne l’implantation des réglures, ne trouve pas, ici, de réponse4. Il faudra donc revenir à l’observation des manuscrits copiés à Zabid afin d’en savoir plus.

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Notes

1 Il a travaillé auparavant à la fabrication de tuyaux de pipes à eau.

2 Cf. dans le fasc. 1 du Catalogue cumulé des bibliothèques privées de manuscrits de Zabid, vol. I, Bibliothèque ’Abd al‑Rahman al‑Hadhrami, fasc. 1, Sanaa, CEFAS, Fonds social de développement, 2006, le ms. 5, et dans le fasc. 2, à paraître en 2008, les mss 51 à 57, 62 et 63, copies datées de 1392 à 1405 H, soit des années 70 et du début des années 80. En outre, la circulation d’ouvrages imprimés, de même que la photocopie, n’ont pas éteint la copie manuscrite, on connaît même le cas d’ouvrages imprimés qui ont été intégralement recopié à la main.

3 Cf. François Déroche et alii, Manuel de codicologie des manuscrits en écriture arabe, Paris, BNF, 2000, pp. 175sq., qui donnent les références de deux reproductions de mistara, dans leur note 18, p. 176 : l’une, datant du xviiexviiie s., et appartenant aux collections du Metropolitan Museum of Art, New York, Islamic art, acc.no.1973.1, apparaît dans l’ouvrage de Th. F. Mathews et R. S. Wieck, Treasures in heaven : Armenian illuminated manuscripts, New York / Princeton, Pierpont Morgan library / Princeton University Press, 1994, p. 127, fig. 88 (ruling frame) ; l’autre, pour le monde ottoman, est publiée dans : U. Derman, The Sabanci collection, « Calligraphy », Istanbul, 1995, « Mistar », p. 23, A. Quelques autres exemples sont connus, mais difficiles à dater, ou de provenance imprécise.

4 Cf. Manuel de codicologie…, pp. 177‑178.

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Pour citer cet article

Référence électronique

‘Abd al‑Rahman al‑Ahdal, « La réglure à Zabid »Chroniques du manuscrit au Yémen [En ligne], 5 | 2008, mis en ligne le 19 novembre 2012, consulté le 08 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cmy/1867 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cmy.1867

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