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La ferme-école juive de La Ramée durant l’occupation (avril 1941 – août 1942)

Barbara Dickschen
p. 79-133

Texte intégral

1À l’aube de l’année 1941, moins d’un an après l’invasion de la Belgique par l’Allemagne nazie, à un moment où la politique antijuive de l’occupant se dessine de plus en plus nettement et qu’a priori les circonstances ne semblent pas s’y prêter, la Communauté israélite de Bruxelles se prépare à fonder une ferme-école destinée à accueillir la jeunesse juive de la capitale. Une initiative qui s’inspire largement des harcharot, ces fermes-écoles créées sous l’impulsion du mouvement sioniste un peu partout dans la diaspora européenne et qui ont pour objectif de former des jeunes gens et des jeunes filles au travail agricole, en vue d’une possible émigration vers la Palestine-Eretz Israël.

2En ces sombres années, l’intérêt pour l’apprentissage agricole va croissant dans les pays occupés. Menacée de toutes parts, la jeunesse juive voit dans la réadaptation professionnelle une éventuelle échappatoire au piège qui la guette. L’école horticole et agricole que la Communauté israélite de Bruxelles fonde à La Ramée, dans le Brabant wallon, rencontre l’espoir que met cette jeunesse en un avenir meilleur. Nous tenterons dans cette étude de suivre pas à pas la création de l’école et d’évoquer les nombreuses difficultés auxquelles elle dut faire face.

À l’origine de la création

  • 1 Concernant la reconstruction de la Communauté israélite de Bruxelles au début de la guerre, lire Je (...)
  • 2 Le Consistoire central israélite de Belgique, créé en 1832, est l’organe de représentation des comm (...)
  • 3 Ceges, Archives de guerre du Dr Salomon Ullmann, président de l’AJB, mic 41.
  • 4 J.-Ph. Schreiber, op. cit., pp. 104-105.
  • 5 Ibid.

3En ce premier hiver de la guerre, la Communauté israélite de Bruxelles, initiatrice du projet, n’est plus tout à fait comparable à ce qu’elle était avant l’invasion allemande1. En l’absence de nombre de ses mandataires, qui ont fui la Belgique, diverses personnalités connues de la vie juive bruxelloise d’avant-guerre la reprennent en main, tentant de maintenir ses objectifs en dépit des circonstances. Parallèlement, le Consistoire central israélite de Belgique, orphelin de plusieurs de ses dirigeants, dont le grand rabbin Joseph Wiener, est également recomposé2. Selon les propos d’après-guerre de Salomon Ullmann, la police politique nazie lui enjoint dès sa nomination au poste de grand rabbin en novembre 1940, d’organiser la vie juive en Belgique, notamment « l’aide aux chômeurs, nécessiteux, malades, service social et centre de réadaptation pour préparer la jeunesse en vue d’une émigration »3. Ainsi que le remarque Jean-Philippe Schreiber, il n’est pas pour autant évident que les dispositions prises peu après par la Communauté israélite de Bruxelles répondent directement aux exigences allemandes4. Toutefois, si l’OCIS (Œuvre centrale israélite de Secours), l’organisme caritatif géré par la Communauté israélite de Bruxelles, poursuit comme à l’habitude son travail de bienfaisance, le grand rabbin signale qu’en ce qui concerne le « centre de réadaptation, un essai insignifiant fut entrepris pour la forme »5.

  • 6 Consistoire central israélite de Belgique (CCIB), boîte 231, dossier 2.312, « Le Service d’Adaptati (...)

4En effet, peu après est créé au sein de la Communauté israélite de Bruxelles un « Service d’adaptation professionnelle », dont le but est « la sélection, l’orientation, la spécialisation et l’adaptation professionnelle de la population juive de Belgique appelée à trouver de nouveaux moyens d’existence, soit dans le pays, soit après émigration ultérieure – et d’aider surtout les jeunes gens juifs à apprendre des métiers qui leur permettront de gagner leur vie dans l’honnêteté et le labeur ». Ce service se propose dès lors « de créer et d’organiser des cours théoriques et pratiques d’ordre professionnel, ainsi que des centres d’apprentissage agricoles et techniques. Il s’efforce également dans la mesure du possible, de placer les jeunes gens en apprentissage dans les entreprises et écoles existantes »6.

  • 7 CCIB, boîte 231, dossier 2.312, Ibid.

5C’est là un ambitieux programme dans lequel s’inscrit le projet de créer de multiples centres agricoles, ateliers « de menuiserie et [...] travail des métaux », et même des cours de photographie7. L’« essai » est d’ailleurs bien moins « insignifiant » que ne semble le prétendre Salomon Ullman dans sa déposition d’après-guerre. Ainsi, de réels efforts seront entrepris pour mener à bien ce projet, dévoilant les visées véritables des responsables communautaires.

  • 8 CCIB, boîte 231, dossier 2.312, « Règlement de la communauté israélite de Bruxelles », 22.4.1941.

6Les nécessités de l’heure paraissent en effet leur dicter une conception renouvelée de la nature même de leurs fonctions. La tâche que s’assigne à présent la Communauté israélite de Bruxelles dépasse largement le cadre des activités qu’elle assumait auparavant. Au-delà des préoccupations strictement cultuelles qui étaient traditionnellement de son ressort, elle ambitionne maintenant de se positionner comme le représentant unique du judaïsme bruxellois, dont l’action couvrirait tous les aspects de la vie juive dans la capitale. Témoin de cette réorientation de la Communauté, un projet de règlement établi en avril 1941 exprimant la volonté de ses responsables de « contrôler, diriger et coordonner toutes les synagogues, œuvres et activités existantes, et en créer d’autres si cela était nécessaire ». Ce même document nous apprend leur profond désir de soutenir une jeunesse qui « a besoin d’une éducation religieuse et morale pour pouvoir conserver son équilibre et sa dignité humaine, et d’une éducation professionnelle, pour être en état de gagner son pain toujours et dans n’importe quelle circonstance, par le labeur »8. Et c’est probablement de cette volonté que procède en grande partie la création du service d’adaptation professionnelle de la Communauté qui, en ces premiers jours du printemps 1941, se félicite d’ailleurs d’avoir déjà recruté un certain nombre de personnes censées entrer en apprentissage chez des cordonniers, des horlogers, des fermiers, des soudeurs et des menuisiers.

  • 9 J.-Ph. Schreiber, « L’accueil des réfugiés du Reich en Belgique, mars 1933 – septembre 1939 : le Co (...)

7En réalité, par le biais de ce service, la Communauté poursuit d’une certaine façon la politique d’assistance adoptée par la plupart des comités d’aide aux réfugiés juifs d’avant-guerre, des organisations que les événements de mai 1940 ont balayées de la scène. En effet, dès l’arrivée au pouvoir d’Adolf Hitler en 1933, des milliers de Juifs quittent l’Allemagne pour gagner notre pays. Marqué par plusieurs vagues, suscitées notamment par la promulgation des lois de Nuremberg en 1935, par l’Anschluss en mars 1938 et par la Nuit de Cristal en novembre de la même année, ce flux migratoire en provenance du Reich vers la Belgique s’amplifie sans cesse jusqu’au seuil de la guerre. Le nombre total de Juifs ayant fui l’Allemagne, l’Autriche et la Tchécoslovaquie pour gagner le territoire belge est estimé à près de 25.000 personnes9. Parmi celles-ci, de nombreux enfants et adolescents non accompagnés. Ces jeunes Juifs, qui ont dû quitter leur pays, leur famille, interrompre leur scolarité, se retrouvent en Belgique dans le dénuement le plus complet, dépendant essentiellement de la bienfaisance juive.

  • 10 Sur Max Gottschalk, voir la notice qui lui est consacrée dans J.-Ph. Schreiber, Dictionnaire biogra (...)
  • 11 J.-Ph. Schreiber, « L’accueil des réfugiés… », p. 27.

8Devant ce flot d’immigrés, la philanthropie juive - belge et étrangère - tente de s’organiser : des organismes de soutien aux réfugiés voient le jour, avec pour fer de lance le Comité d’Aide et d’Assistance aux Victimes de l’Antisémitisme en Allemagne (CAAVAA), sous la présidence de l’avocat et haut-fonctionnaire Max Gottschalk (1889-1976)10. L’aide fournie aux réfugiés par le CAAVAA comporte différents aspects, allant de l’assistance pratique comme l’assistance au logement, le secours alimentaire, médical et financier, à l’aide juridique, comme la régularisation des documents et l’établissement définitif des réfugiés. En outre, des cours de réorientation professionnelle sont organisés, essentiellement en vue de préparer les assistés à une éventuelle émigration11. Ainsi, de nombreux jeunes Juifs allemands et autrichiens se retrouvent-ils dans les ateliers de l’AREPROR (Association pour la Réadaptation professionnelle des Réfugiés), organisme créé en 1937, où ils apprennent des métiers aussi divers que la plomberie, la menuiserie, la comptabilité et où il leur est donné la possibilité de suivre des cours de langue. En effet, à l’instar des pouvoirs publics du pays, les comités d’aide ne souhaitaient pas voir ces réfugiés émarger indéfiniment à l’assistance communautaire, ce qui à leurs yeux ne manquerait pas de s’avérer à terme néfaste pour la collectivité toute entière. Dès lors, ils s’engagent à les préparer au départ dans des pays d’immigration d’outre-mer, une perspective qui facilite d’ailleurs les prorogations – toujours provisoires – d’autorisations de séjour sur le territoire belge. Au sein même de la communauté des Juifs allemands réfugiés en Belgique naissent des initiatives tel le HIDAG (Hilfswerk der Deutschen Arbeitsgemeinschaft), une association qui voit le jour en 1937 et poursuit un objectif comparable à celui des comités de soutien belges, veillant au “bien-être” matériel des réfugiés et à leur préparation à une nouvelle émigration.

  • 12 Fondé en 1937, le Conseil des Associations juives de Bruxelles ambitionnait d’être l’organe de repr (...)

9Notons au passage que parmi les membres du nouveau service d’adaptation professionnelle de la Communauté israélite de Bruxelles se trouvent des personnalités qui s’impliquaient déjà avant-guerre dans des activités similaires. Ainsi y retrouve-t-on par exemple Alexandre Brodsky (1889-1968), un membre actif du Comité d’Aide et d’Assistance aux Victimes de l’Antisémitisme en Allemagne (CAAVAA) et de la commission d’aide aux réfugiés créée au sein du Conseil des Associations juives de Bruxelles12.

10Depuis bien des années, les organisations caritatives juives sont constamment sollicitées et la guerre ne permet pas d’espérer un quelconque allègement, bien au contraire. La création du service d’adaptation professionnelle de la Communauté israélite de Bruxelles a pour toile de fond l’hostilité sans cesse croissante manifestée à l’égard des Juifs. Au moment où ce service voit le jour fin 1940 – début 1941, plusieurs ordonnances visant spécifiquement la population juive du pays ont déjà été publiées, ne présageant rien de positif pour l’avenir immédiat. Confrontés à des mesures de ségrégation, les responsables de la Communauté israélite de Bruxelles choisissent la voie de l’autodétermination : les circonstances imposent aux Juifs de prendre leur destin en main plutôt que de le subir. En procurant aux jeunes gens un métier leur permettant de subvenir à leurs propres besoins partout et en toute circonstance, on entend les armer contre les vicissitudes auxquelles ils risquent de devoir faire face. L’avenir de la jeune génération est de plus en plus compromis et les cours de rééducation professionnelle se doivent en quelque sorte de lui redonner espoir – et, à travers elle, au judaïsme tout entier.

11Au regard d’un environnement de plus en plus hostile, la création d’une école agricole participe du désir d’auto-émancipation des responsables juifs. Le spectacle d’une jeunesse en détresse, livrée à une dangereuse improductivité, correspond à une image du judaïsme que ces responsables communautaires combattent de toutes leurs forces. À leurs yeux, elle nourrit inévitablement l’antisémitisme latent. La motivation sous-jacente au projet est donc principalement d’ordre social. Il importe essentiellement de procurer à une jeunesse juive désœuvrée la possibilité de s’occuper utilement, d’apprendre un métier et donc de subvenir à ses propres besoins. Le centre agricole doit être un rempart contre l’oisiveté néfaste à laquelle les circonstances condamnent de nombreux jeunes Juifs. Il est fondamental d’occuper utilement ces jeunes, de les reconvertir au niveau professionnel, et ce dans un esprit de valorisation de leur identité. Le projet se veut donc salutaire tant individuellement qu’à titre “national”.

Une école s’inspirant des harcharot ?

12Un vent favorable au sionisme souffle à présent sur la Communauté israélite de Bruxelles, animée par des personnalités qui y sont pour le moins sensibles. La formation agricole, plus encore que la réadaptation industrielle, jouit traditionnellement dans les milieux sionistes d’une attention particulière. En effet, l’apprentissage du travail de la terre prépare les candidats à l’émigration à la vie rurale qu’ils devront mener en Eretz Israël, où tout est à créer dans des conditions de vie particulièrement difficiles. Mais, au-delà des impératifs pratiques, ce travail de la terre est d’une portée des plus symboliques, puisqu’il équivaut à une rupture avec l’existence “déracinée” des Juifs de diaspora et contribue puissamment à créer l’“homme juif nouveau”. Il présente également une dimension biblique, en raison de l’importance accordée par la Torah à la vie agricole. Un parallèle qui peut aisément être prolongé : ce dur labeur, et tous les sacrifices qui l’accompagnent, a une valeur rédemptrice pour le peuple juif tout entier.

  • 13 Archives générales du Royaume (AGR), fonds Nyns, dossier 91, dépliant de l’école horticole et agric (...)

13Il est dès lors probable que l’objectif non avoué de cette initiation agricole soit la préparation à une émigration ultérieure vers la Palestine, bien souvent considérée comme le refuge ultime. Toutefois, les documents internes et officiels de la Communauté relatifs à la création de l’école n’évoquent jamais cette visée. Si les cours de réadaptation professionnelle ont pour objectif l’émigration, la destination finale n’est jamais définie. En ces années de guerre, les possibilités de s’installer en Eretz Israël sont pour le moins hypothétiques. En revanche, est sans cesse rappelé l’objet social du projet – celui de tirer « définitivement d’embarras » une jeunesse « sans moyens d’existence »13.

  • 14 Contrairement à d’autres organisations de jeunesse sionistes, HeHaloutz se voulait apolitique, se f (...)

14C’est donc avant tout à destination d’un public spécifique que la Communauté crée une école horticole et agricole. Un rapport relatif à l’école nous apprend qu’ « aucune propagande à caractère systématique destinée à faire connaître aux membres de la Communauté l’existence du Centre [...] et les buts qui y sont poursuivis, n’a été fait [sic] ». Les pensionnaires recrutés pour l’école sont outre quelques membres de l’ancienne harchara de Villers-la-Ville (Brabant wallon), créée avant-guerre à l’initiative du mouvement de jeunesse sioniste HeHaloutz (« Le pionnier »), des réfugiés allemands et autrichiens « protégés » de l’OCIS et des « candidats isolés […] envoyés par des élèves déjà admis ». En revanche, le rapport signale que des « sondages dans les milieux estudiantins juifs » révèlent un manque d’intérêt pour l’enseignement agricole14.

  • 15 Au sujet des mouvements de jeunesse sionistes, G. Bensoussan, op. cit.

15Comment expliquer le peu d’intérêt que suscite cette initiative de la Communauté auprès des étudiants juifs ? Si, en ce début d’année 1941, la politique de ségrégation à l’endroit des Juifs se met progressivement en place, nous sommes encore relativement éloignés des mesures de mise au travail obligatoire et des ordonnances d’exclusion contraignant à une dangereuse inaction les élèves et étudiants juifs. Bien que son horizon s’assombrisse graduellement, la jeunesse juive, scolarisée en Belgique et imprégnée de culture occidentale, ne désire pas, dans sa grande majorité, une émigration à bien des égards périlleuse. Leur vie, les jeunes Juifs l’imaginent, pour la plupart, dans le pays hôte de leurs parents, devenu leur pays. L’antisémitisme organisé auquel ils sont confrontés à présent est un fait relativement inédit pour eux et est d’ailleurs généralement considéré comme découlant directement de l’occupation nazie du pays. L’attrait qu’exercent depuis de nombreuses années sur la jeunesse émancipée de Belgique les mouvements de jeunesse sionistes, qu’ils soient de gauche ou de droite, religieux ou non, s’explique en partie par le caractère profondément romantique et révolutionnaire de l’idéologie auquel ils se rattachent. Révolutionnaire, car le sionisme marque une rupture nette avec le judaïsme européen de leurs parents, lui donnant un nouveau visage : plus positif, plus affirmé, plus fier. Glorifiant une jeunesse d’où sortirait l’“homme juif nouveau”, tous ces mouvements ont, par-delà leurs divergences, de quoi séduire les adolescents et adolescentes juifs. Ces organisations sont en outre l’occasion pour ces jeunes de se retrouver dans des activités culturelles et sportives en tout genre. De grandes amitiés entre des jeunes gens et des jeunes filles, qui revendiquent une judéité souvent si difficilement vécue par leurs parents, voient ainsi le jour. Les organisations de jeunesse sionistes ont d’une certaine façon un pouvoir libérateur, affranchissant leurs membres d’un judaïsme douloureux en même temps que de la tutelle parentale. Si leur objectif principal est de former une élite, une nouvelle génération susceptible de participer activement à la création d’un foyer national juif, cet idéal n’est pas nécessairement mis en pratique par leurs adhérents. Ces organisations fournissent avant tout des lieux de socialisation intense, où l’on vit sa judéité sans complexe15.

16Les premiers élèves de l’école sont donc en grande partie des jeunes “protégés” de l’OCIS, des réfugiés du Reich déracinés, vivant essentiellement de la bienfaisance. Ne maîtrisant aucune des langues nationales, ayant parfois dû interrompre leur scolarité, sans formation professionnelle, se voyant interdire toute occupation rémunératrice et n’ayant bien souvent personne pour les encadrer, ces jeunes gens et ces jeunes filles se trouvent généralement rejetés dans un statut de paria. En d’autres termes, le centre agricole que projette de créer la Communauté peut leur offrir la possibilité de sortir de l’indigence, de se valoriser, de retrouver une dignité tranchant avec l’image extrêmement négative projetée par un environnement de plus en plus hostile à leur égard. Le travail de la terre a donc également valeur régénératrice à titre individuel. En recrutant comme pensionnaires ces jeunes livrés à eux-mêmes, marginalisés à plus d’un égard – en tant que Juifs, en tant que réfugiés et en tant que citoyens d’une nation ennemie –, la Communauté fait œuvre de bienfaisance, tout en libérant à terme les organisations caritatives juives du pays d’une charge particulièrement lourde.

  • 16 J.-Ph. Schreiber, op. cit.

17Un travail qui présente de nombreux points communs avec celui fourni avant-guerre par les comités d’aide aux réfugiés du Reich qui, en marge des activités de bienfaisance traditionnelles, mettent sur pied des cours de réadaptation professionnelle dans la perspective d’une réémigration – d’ailleurs plus qu’aléatoire – des personnes qu’ils secourent. Certains, rassemblés dans des centres fermés créés à leur intention un peu partout dans le pays, étaient à cet effet occupés à des travaux agricoles. Si le but avoué est l’apprentissage d’un métier, il s’agissait également – en fait essentiellement – pour les comités d’aide d’occuper de façon utile ces personnes totalement démunies et interdites d’activités lucratives et, par crainte de remous antisémites, de les soustraire à la vue de la population belge. Dans un contexte de crise socio-économique, il importait en outre que ces immigrés ne pèsent d’aucune façon sur l’économie nationale16.

Des débuts difficiles

18Les préparatifs de l’ouverture effective de l’école en avril 1941 battent leur plein. Le premier souci de la Communauté est de trouver un endroit qui se prête aux activités d’une école agricole. Deux possibilités s’offrent à elle : une ferme se situant dans le pittoresque village de Cambron-Casteau, dans le Hainaut, et une propriété attenante au magnifique domaine de La Ramée, à Bomal, dans la Hesbaye brabançonne. Pour des raisons que nous ignorons, le comité choisit finalement d’installer son centre agricole dans la propriété de La Ramée.

  • 17 J. Tordoir, « Les propriétaires de l’ancienne abbaye de La Ramée : de l’époque française à la Premi (...)

19C’est près de la petite ville de Jodoigne, dans un paysage vallonné garni d’épais bosquets et arrosé par un ruisseau, La Grande Gette, que s’étend le vaste domaine de La Ramée. Au cœur du domaine s’élève un imposant ensemble de bâtiments agricoles datant principalement du XVIIIe siècle, reliquat de l’abbaye cistercienne établie en ces lieux depuis le XIIIe siècle. Un couvent de la Congrégation des Dames du Sacré-Cœur, installé là depuis 1903, et le moulin abbatial jouxtent la ferme en carré. Un peu en retrait des bâtiments principaux, à la croisée des routes des hameaux de Bomal et de Jauchelette, au bout d’un long chemin de terre bordé d’arbres, une grande villa surplombe un terrain en légère pente, idéalement orienté vers le sud. C’est dans ce « bâtiment d’agrément », qui porte pompeusement le nom de « Château de La Ramée », que l’école agricole et horticole installera ses quartiers. La villa fut construite vers 1912 à l’initiative d’Ernest Favart, au beau milieu d’un bois dont il hérita et qui faisait précédemment partie intégrale du domaine abbatial de La Ramée. En 1920, Ernest Favart vend la villa et les 28 hectares qui forment « la propriété de La Ramée » à l’ingénieur Paul Becquevort, qui habite Bruxelles17. Quelque peu défraîchi, le « Château Becquevort » peut, selon les calculs de la Communauté, accueillir de 35 à 40 pensionnaires.

  • 18 CCIB, boîte 231, dossier 2.312, note pour l’agronome de l’État, document non daté, signé Van Der Bo (...)
  • 19 Musée juif de la Déportation et de la Résistance (MJDR), fonds CNHEJ, farde 10 M, La Ramée, documen (...)

20Des 10 hectares boisés attachés à la villa, 4 peuvent être défrichés afin de servir de champ d’exercices pour les élèves en formation. Un étang, un potager mal entretenu « envahi de mauvaises herbes et de chiendent », une petite serre et un verger d’« arbres fruitiers qui ont fort besoin d’être élagués » de plus de 40 ares sont également mis à la disposition de l’école et séparent les terres à défricher des prairies avoisinantes. Un décor exceptionnel, qui « présente pour l’enseignement agricole des possibilités illimitées »18. Un contrat de location est signé entre la Communauté israélite de Bruxelles et le propriétaire, Paul Becquevort. Ce dernier s’engage à faire les travaux d’aménagement nécessaires pour rendre la villa tout à fait habitable : le placement d’une pompe à eau potable, la réfection de la toiture, le remplacement des carreaux cassés, la peinture des murs et la réparation de la serre. La Communauté décide quant à elle d’installer à ses frais des douches et l’éclairage électrique. D’autre part, la Communauté et le propriétaire conviennent de ce que ce dernier, ingénieur de formation, prêtera – contre payement – une assistance technique pour l’administration et l’exploitation de la propriété. Cette convention, qui lie les deux parties pour une durée de trois ans, se verra résiliée si la Communauté, représentée par son secrétaire général Édouard Rotkel, par son représentant juridique Saül Pinkous et par Alexandre Brodsky, est « soit par un événement de force majeure, soit par le fait du prince, soit par le fait de l’Autorité occupante, dans l’impossibilité complète de jouir de la propriété susmentionnée, aux fins où ils [les locataires] l’auront prise en location »19. Une prudence évidemment dictée par la conjoncture.

21Au sein du service d’adaptation de la Communauté est créé un comité de direction, composé du Dr Joseph Brandes, d’Alexandre Brodsky, de Max Frank, de B. Goloubkine et, à partir de juin 1941, de Salomon Vanden Berg. Le comité directeur est essentiellement chargé de veiller au bon fonctionnement de l’établissement. C’est lui qui décide de l’admission et de la révocation éventuelle des élèves, qui gère l’école aux niveaux administratif et financier et qui veille au bien-être physique et moral des pensionnaires.

  • 20  CCIB, boîte 231, dossier 2.312, « Communauté israélite de Bruxelles. Commission pour l’adaptation (...)

22Pareil projet nécessite des fonds importants. Le coût engendré par le centre agricole s’inscrit dans un budget total alloué par la Communauté israélite de Bruxelles à son service d’adaptation professionnelle. Toutefois, une somme importante a été rassemblée par Alexandre Brodsky, membre du comité, « auprès des personnes qui pour des raisons personnelles ne désirent pas verser leur cotisation au fonds général de la Communauté »20. Celle-ci permet aux initiateurs de faire face aux premiers frais.

  • 21 CCIB, boîte 231, dossier 2.312, « Rapport sur la situation à la Ramée au 22 juin 1941 », non signé.

23Dans un rapport du service d’adaptation en date du 24 juin 1941 se trouve souligné le but essentiellement social de l’école agricole. Ainsi, il s’agit avant tout d’enseigner aux élèves le « métier d’agriculteur dans les conditions se rapprochant le plus possible de celles de l’existence réelle », de leur apprendre « la vie en commun par le développement de l’esprit de solidarité et de celui de la conscience du devoir social » et, enfin, de promouvoir « l’élévation du niveau culturel dans le sens dicté par l’éthique juive »21.

24La Communauté poursuit en outre l’ambition de donner « au centre de la Ramée le caractère bien net d’une école élémentaire d’agriculture (ou d’horticulture) offrant aux élèves les mêmes garanties que celle qui sont assurées par des établissements similaires en Belgique ». Ces objectifs nécessitent, outre un cadre adéquat, la présence d’un professeur porteur d’un diplôme de l’enseignement agricole reconnu et l’établissement d’un programme d’études bien défini. Une fois réunies, ces conditions permettraient éventuellement la reconnaissance de l’école par l’État et, par ricochet, l’obtention d’une aide financière jugée indispensable.

  • 22 CCIB, boîte 231, dossier 2.312, lettre du 3.4.1941 à Alexandre Brodsky, signée Hermann Frank.

25Que l’État accepte d’agréer un établissement peuplé essentiellement d’élèves étrangers, qui y sont plus ou moins ouvertement préparés à émigrer, est à première vue étonnant. Toutefois, pareil projet ne peut que profiter à l’État belge, qu’embarrasse cette importante population immigrée. Les responsables communautaires couvent donc le désir de faire de La Ramée une école en tout point comparable aux autres établissements agricoles, tout en souhaitant souligner ce qui la distinguera des autres. Il s’agit bien de procurer une instruction techniquement irréprochable dans un esprit de valorisation de l’identité juive. La Communauté s’attache donc à trouver une personne possédant non seulement les connaissances agronomiques nécessaires à l’enseignement théorique et pratique des matières agricoles, mais capable également de diriger l’établissement, de le gérer au quotidien, et ce dans les circonstances pénibles de la guerre. Le domaine de La Ramée est situé à plus de 40 kilomètres de Bruxelles, une distance qui nécessite en ces années difficiles un voyage long et fatigant, ce qui exclut un contrôle permanent de la part des promoteurs de l’école. Pour trouver un moniteur-directeur répondant à ces exigences, la Communauté s’adresse par courrier aux différentes écoles d’horticulture du pays. Elle reçoit également quelques candidatures spontanées, telle celle d’un réfugié allemand du nom de Hermann Frank, qui a eu vent du projet et explique qu’il est « issu d’une famille religieuse d’obédience stricte » et est « depuis 1912 activement sioniste »22.

26Le choix de la Communauté se porte finalement sur Maurice Vanderborght, ingénieur agronome, qui « après examen, a été reconnu comme un excellent pédagogue et possesseur de connaissances agricoles pratiques suffisantes ». Le fait que le service d’adaptation de la Communauté décide de mettre à la tête de son école un non-Juif est assez révélateur de ce qu’il tient pour prioritaire. Quant aux matières dites juives, que Vanderborght ne maîtrise pas, comme l’hébreu, la littérature et l’histoire juives, le comité directeur imagine la possibilité de désigner parmi les pensionnaires un élève comme responsable de ces cours avant, à terme, l’engagement éventuel d’un enseignant à cet effet. Maurice Vanderborght est dès lors embauché pour une période probatoire de trois mois.

27La villa qui doit abriter les élèves ne dispose d’aucune installation sanitaire et mobilière de base. La Communauté se charge donc de la meubler de lits, de chaises – pour partie prêtées par le négoce du responsable communautaire Salomon Vanden Berg –, de tables, de mobiliers de toilette, d’ustensiles de cuisine, de matériel de nettoyage, de lampes, d’un poêle à charbon, etc. Sur le conseil du moniteur, elle achète les instruments agricoles indispensables, notamment des pioches, des râteaux, des pelles, des fourches, des scies, des sécateurs, des faux et des faucilles, des ratissoires et des brouettes.

Recruter les élèves

28Entre-temps, le comité directeur de la Communauté recrute les élèves. Il décide d’opérer une sélection sévère parmi les candidats. Ceux-ci doivent tout d’abord motiver leur candidature par le biais d’un questionnaire. Ensuite, un examen médical doit déterminer s’ils sont physiquement aptes au travail harassant de la terre. Puis, un test psychologique doit mesurer « l’attitude mentale des élèves vis-à-vis du travail agricole ». Enfin, des « enquêtes à domicile », effectuées par des assistantes sociales, doivent permettre « de découvrir les antécédents et le véritable caractère » des intéressés que les collaborateurs du service ne connaissent pas personnellement. Une sévérité qui s’explique en partie par le désir de la Communauté de voir son école recevoir l’agrément de l’État et surtout par l’investissement financier relativement lourd qu’implique la création de La Ramée. Elle souhaite de ce fait ne rien laisser au hasard.

  • 23 CCIB, boîte 231, dossier 2.312, « Rapport sur l’activité du service depuis sa création jusqu’au 26 (...)

29Le rapport établi à l’issue de ces sélections témoigne de la rigueur de la procédure. Sur les 30 personnes qui se porteront candidates auprès du service d’adaptation professionnelle pour le travail agricole, « 5 ont été reconnues particulièrement aptes au travail de force, 13 ont été reconnues particulièrement aptes au travail de la terre, 7 ont été reconnues pouvant s’adapter au travail de la terre, progressivement. 5 ont été reconnues inaptes ». Sur les 25 personnes soumises à une enquête domiciliaire, « 3 rapports sont très favorables aux candidats, 13 rapports sont favorables, 6 rapports sont assez peu favorables, 3 rapports sont défavorables »23. À l’ouverture de l’école, fin avril 1941, 5 élèves à peine seront effectivement présents sur place.

  • 24 Österreicher im Exil – Belgien 1938-1945. Eine Dokumentation, Vienne, 1987 : témoignage de Jacobo ( (...)
  • 25 À la Cuisine populaire, au sein des différents comités d’aide juifs, dans les ateliers de l’AREPROR (...)

30Bien que particulièrement rigoureuse dans son recrutement, la Communauté israélite ignore que parmi les premiers élèves à être admis à La Ramée figurent trois “sous-marins” communistes ! D’après leurs témoignages d’après-guerre, ces jeunes militants communistes autrichiens sont délégués sur place par le KPÖ (Kommunistische Partei Österreich), le parti communiste autrichien, afin « d’y déployer une activité politique au sein de la jeunesse juive » (« um dort unter der jüdischen Jugend eine politische Tätigkeit zu entfalten »)24. Ils poursuivent de la sorte le travail de propagande traditionnel effectué par les militants communistes dans des lieux fréquentés par des réfugiés du Reich25.

31La trajectoire des trois “sous-marins” est passablement identique : tous trois sont Juifs, issus d’un milieu bourgeois et ont fui le régime nazi (deux d’entre eux proviennent d’Autriche, le troisième de Berlin). Établis en Belgique peu avant le début de la guerre, ils s’affilient au KJVÖ (Kommunistische Jugendverband Österreich), les Jeunesses communistes d’Autriche, avant de devenir membres du KPÖ.

  • 26 Office des Étrangers (OE), fonds Police des Étrangers, dossier Herbert Kandel (n°A396410).
  • 27 OE, fonds Police des Étrangers, dossier Jacobo Zanger (n°A346721).
  • 28 Fondation de la Mémoire contemporaine (FMC), témoignage d’Alex Fürst, recueilli par Maya Klein, le (...)
  • 29 OE, Police des Étrangers, dossier Alexander Fürst (n°A316704).

32Né le 9 janvier 1926 à Gratz, en Autriche, dans une famille juive bourgeoise (son père est avocat) d’origine galicienne, Herbert Kandel doit interrompre ses études à l’école moyenne de sa ville natale en raison des lois antijuives. Arrivé en Belgique en mars 1939, il est successivement membre des Jeunesses communistes autrichiennes et du KPÖ26. Jacobo Zanger est, quant à lui, né le 7 juillet 1923 à Buenos Aires, en Argentine, d’un père argentin et d’une mère autrichienne. En 1925, la famille Zanger émigre en Allemagne et s’installe à Berlin. Peu avant l’invasion allemande de la Pologne, en 1939, Jacobo, de nationalité argentine, arrive seul en Belgique, où vivent déjà sa jeune sœur et son oncle27. Le troisième militant communiste est Sandor, dit Alex, Fürst. Il est né à Vienne, le 7 septembre 1922 dans un milieu qu’il qualifie de bourgeois28. C’est en Autriche, par sa sœur aînée, Judith, dite Yuci, qu’il entre en contact avec les Jeunesses communistes. Avec sa mère et sa sœur, il fuit Vienne et arrive en Belgique en septembre 1938. Après un séjour de six mois au camp de Merksplas, dans la Campine anversoise, il devient apprenti dans un atelier de serrurerie de l’AREPROR, où il fait de la propagande active auprès d’autres jeunes Autrichiens29.

33Il est à signaler dès à présent que, convertis en chaloutzim (pionniers) pour l’occasion, ces trois (très) jeunes gens – Herbert Kandel, Jacobo Zanger et Sandor Fürst – seront ultérieurement au cœur de la création d’une cellule autrichienne des Partisans armés en Belgique. Par le biais de ces trois élèves “factices”, membres du KPÖ, le parti communiste réussit à noyauter l’école de la Communauté israélite, s’infiltrant ainsi dans son espace social et minant son travail à la source. L’école agricole de la Communauté devient en quelque sorte un lieu d’ensemencement idéologique du parti communiste et le champ d’“affrontement” de deux engagements opposés. La population de l’école étant essentiellement formée des laissés-pour-compte de la Communauté, de jeunes confrontés depuis longtemps à l’exclusion, à la haine et à la terreur nazie, il y a en effet toute raison de croire que le terrain était propice à une propagande efficace.

L’ouverture

34Quoique fort peu peuplée, l’école horticole et agricole de la Ramée ouvre en fin de compte officiellement ses portes le 21 avril 1941. L’ensemble des élèves n’est pourtant pas encore présent, certains n’arrivant que les jours suivants. Un va-et-vient continu d’élèves marque d’ailleurs les premiers mois de fonctionnement, le nombre de pensionnaires variant de semaine en semaine. En mai et juin, la population totale ne dépassera jamais les 14 unités, un chiffre bien en dessous des 40 élèves espérés.

  • 30 CCIB, boîte 231, dossier 2.312, rapport « Mon déplacement à la Ramée les 26 et 27 mai 1941 », non d (...)

35Le nombre particulièrement réduit d’élèves a pour conséquence de rendre d’autant plus lourd le travail à effectuer. Celui-ci se résume surtout dans un premier temps au défrichage des 4 hectares de terres densément boisées devant servir à la culture maraîchère, la superficie prête à l’exploitation étant bien trop limitée. La première phase du travail consiste à dessoucher, un travail « extrêmement dur et pénible, puisqu’il faut enlever des souches d’arbres profondément enracinées dans la terre »30. Les élèves ne possèdent d’ailleurs pas toujours le matériel nécessaire à ce labeur lourd et ingrat. Un hectare d’anciennes pelouses peut par ailleurs déjà être soumis au défonçage et au labourage et le potager existant doit être nettoyé avant l’ensemencement. Ce travail physique contraignant est indispensable et urgent, le rythme des saisons décidant de la réussite ou non de l’entreprise. Le printemps est déjà entamé quand commencent les travaux de base et l’objectif est que l’école soit le plus rapidement autosuffisante. Dans un premier temps, le potager doit contribuer à l’autogestion de la colonie. Une première récolte est prévue pour l’automne. Parallèlement, on fait l’acquisition d’animaux d’élevage. Dans la phase encore initiale de l’entreprise, les dépenses relatives au ravitaillement s’avèrent les plus lourdes.

36En complément de ce travail physique, les élèves sont donc supposés recevoir des cours théoriques d’agriculture. Cet aspect de la formation se limite en fait à la lecture d’ouvrages élémentaires y relatifs le soir, après le travail pratique. L’intendance revient entièrement aux pensionnaires, qui s’en chargent à tour de rôle. Les repas sont préparés par un des élèves, cuisinier de formation. Une petite pharmacie de secours est constituée ; deux pensionnaires sont capables de donner les premiers soins en cas de besoin. Ce qui n’empêche pas que, dans les premières semaines, l’un des pensionnaires se blesse au doigt à tel point qu’une intervention chirurgicale se révèle nécessaire.

37L’école, établie au cœur de la Hesbaye, est isolée. Une distance considérable la sépare de Bruxelles, où a son siège le service d’adaptation professionnelle de la Communauté, dont elle dépend. Hormis quelques bicyclettes, elle ne dispose d’aucun moyen de transport et n’est pas raccordée au téléphone. Les rapports détaillés qu’établit régulièrement le moniteur-directeur du centre, Maurice Vanderborght, doivent permettre aux responsables communautaires de suivre tant bien que mal l’école au quotidien. C’est le service adaptation de la Communauté qui, de loin, gère la comptabilité de l’école, qui ne dispose pas sur place d’une caisse pour les frais de fonctionnement.

Problèmes de discipline

  • 31  CCIB, boîte 231, dossier 2.31, « Communauté israélite de Bruxelles. Commission pour l’adaptation a (...)

38Début mai, à peine deux semaines après son ouverture, la Communauté tente un premier bilan de son centre agricole. Un mois d’activité a révélé les nombreuses qualités, mais également les lacunes du directeur Maurice Vanderborght. Si ses compétences techniques et son honnêteté sont appréciées, le comité directeur lui reproche essentiellement « un manque d’esprit d’organisation et l’absence de fermeté vis-à-vis des pensionnaires ». Il y a à présent 12 élèves à La Ramée, très majoritairement des réfugiés allemands et autrichiens, et des problèmes de discipline plus ou moins graves se posent. La moitié des pensionnaires sont considérés par le comité directeur comme bons à excellents « au point de vue de leur attitude et du courage au travail », c’est-à-dire qu’ils rassemblent les qualités requises du bon pionnier : la capacité de travailler durement, de vivre en collectivité, de faire abstraction de leurs aspirations propres au bénéfice d’un idéal collectif. Parmi les éléments jugés « excellents », nos trois militants communistes, particulièrement estimés car « pleins d’entrain » ! Trois autres cas sont considérés comme « douteux », montrant peu d’empressement à accomplir des travaux agricoles ! L’un d’eux semble voir dans la Communauté « un patron dont il ne désire par devenir l’exploité ». Deux pensionnaires sont jugés « mauvais », d’une « paresse incorrigible ». L’un deux incitant notamment « les jeunes à la désobéissance ». Pour nuancer ce tableau exclusivement masculin est venue s’y ajouter l’épouse d’un des pensionnaires, qui s’est installée à La Ramée sans même y avoir été préalablement autorisée par la Communauté. Toutefois, les nombreux services qu’elle rend à la collectivité ont suscité la bienveillance du comité directeur31.

39À l’exception du jeune couple et d’un pensionnaire d’origine polonaise, les premiers élèves de l’école sont tous des réfugiés du Reich. La moyenne d’âge des élèves est de 20 ans. Il s’agit donc d’un groupe assez homogène de jeunes adultes allemands ou autrichiens, réfugiés en Belgique. Tout porte à croire qu’en dehors des militants communistes, la majorité de ces jeunes se retrouvent à La Ramée moins par idéalisme que contraints par les circonstances. Leur préparation à une éventuelle, quoique fort improbable, émigration est moins idéologique que conjoncturelle. L’âpreté de la vie à l’école exige cependant d’autres motivations : les carences alimentaires, les lourdes corvées, la rudesse du travail, le manque de confort et la vie en collectivité ne sont pas ici contrebalancés par la force de la conviction. Ces jeunes gens ne sont pas rompus à la dure vie rurale et semblent loin d’être galvanisés par le travail de la terre, qui se révèle d’ailleurs toujours infructueux. Il se peut en outre que le travail de sape des trois “sous-marins” sème le trouble au sein de l’école.

40Les conditions de vie au sein de l’harchara sont relativement pénibles, surtout du fait d’un travail harassant et ininterrompu et des difficultés aiguës de ravitaillement. De nombreux aliments précieux par leur apport calorique, tels la viande, les féculents, le pain et les graisses, sont devenus rares. La Communauté israélite entreprend des démarches afin d’obtenir du ministère de l’Agriculture des rations doubles pour les pensionnaires. Ces insuffisances alimentaires, conjuguées à une hygiène défaillante due essentiellement à une installation sanitaire défectueuse, font que plusieurs d’entre eux sont dès ce début du mois de mai dans un certain état de faiblesse. La situation pousse Maurice Vanderborght à raccourcir drastiquement le nombre d’heures de travaux pratiques. Les journées de travail à La Ramée sont dès lors organisées en plus ou moins 5 heures de travaux pratiques et 2 à 3 heures d’études agricoles théoriques.

41Malgré l’apparente bonne volonté du directeur et d’un certain nombre de pensionnaires, des problèmes graves continuent à se poser, ce qui incite le comité directeur à aller s’enquérir sur le terrain de « l’état d’esprit qui règne là-bas ». Tout juste un mois après la mise en activité de l’école, la commission d’adaptation professionnelle envoie donc l’un de ses membres, Max Frank, à La Ramée afin d’y examiner la situation en détail. Le rapport qu’il fait de son court séjour révèle de nombreux points négatifs. Ainsi, en dehors de la cuisine, Frank note un manque de propreté et d’ordre généralisé : « Les nécessaires pour se raser sont jeter [sic] pêle-mêle dans les coins », « des bottines sales sur un plancher poussiéreux », « pas de toile cirée sur les tables », « des vêtements de travail sales pendent au mur », etc. Ce manque de tenue général dénonce des problèmes qu’il sait plus profonds.

42Ainsi les élèves se plaignent, à juste titre selon lui, de carences alimentaires. Les difficultés de ravitaillement dans la localité entraînent une importante hausse des prix. L’école ne dispose pour l’alimentation que d’un budget assez serré, que la Communauté a déterminé sur base d’une somme forfaitaire par élève. L’enchérissement exorbitant des victuailles réduit dès lors fortement les portions. Cette restriction n’est pas compensée par un allègement du travail, qui reste harassant. Il consiste principalement, encore et toujours, à débroussailler, à dessoucher, à défoncer et à niveler le terrain à cultiver. D’autre part, quelques parcelles de terre ont été semées, mais ne permettront pas l’autosuffisance de la ferme dans les mois à venir, conformément à l’objectif déterminé par la Commission. La besogne demeure donc pénible et frustrante. Et les journées sont longues à La Ramée puisque, outre le travail agricole, l’intendance doit être également gérée par les pensionnaires : la cuisine, le ravitaillement, le nettoyage, le ramassage du bois à brûler sont au programme quotidien.

  • 32  CCIB, boîte 231, dossier 2.31, rapport « mon déplacement à la Ramée les 26 et 27 mai 1941 », non d (...)

43Tout ceci ne peut qu’influer sur le moral des troupes. Évoquant l’état d’esprit et la discipline des élèves, Frank qualifie la situation de « vraiment déplorable et même scandaleuse », certains d’entre eux « se comportaient comme s’ils étaient des travailleurs exploités à blanc par un patronat rapace, en l’occurrence la Communauté israélite de Bruxelles », tenant « des propos, compréhensibles peut-être dans une réunion syndicale au cours d’une grève mais vraiment déplacés, stupides et ridicules dans une institution désintéressée comme La Ramée ». Témoin des problèmes, l’émissaire de la commission convient que l’alimentation est déficiente mais n’admet pas « que les jeunes gens, au lieu de montrer de la bonne volonté et de faire un effort, refusent a priori de travailler dans les conditions imposées par la commission de Bruxelles ». Ce qui se traduit par un travail en retard, se faisant « à un rythme qui aurait même fait enrager des limaces » ! Le danger réside dans le fait que les bons éléments, « les petits jeunes gens Fürst, Kandel et Zanger sont évidemment plus ou moins influencés par cet état d’esprit, surtout Zanger » ! Frank constate avec amertume qu’il n’y a « pas de gaîté, pas de joie au travail. Bref, c’est presque une atmosphère d’un bagne industriel ou d’une maison de correction de jeunes délinquants »32.

44Quant au moniteur, il se plaint principalement de l’ampleur de la tâche. Outre la direction du travail agricole et l’instruction théorique des élèves, il lui faut gérer la comptabilité et régler les problèmes d’économat. De plus, il n’a pas à sa disposition le matériel pédagogique indispensable à l’enseignement théorique, dont notamment un outil fondamental : des dictionnaires de traduction, puisque « la langue véhiculaire à la Ramée est l’allemand ». En effet, seuls quatre élèves ont une connaissance plus ou moins suffisante du français.

45Afin de juguler « l’esprit de fronde qui […] déferle là-bas », la commission décide d’un certain nombre de mesures. Ainsi, dans un premier temps, cinq élèves dont la présence est considérée comme nuisible au projet sont provisoirement renvoyés, dans l’attente d’une décision définitive à leur sujet. Aucun des trois communistes n’est dans le collimateur de la commission. Toutefois, celle-ci considère que la responsabilité des incidents est imputable tant aux élèves qu’au directeur, à qui elle reproche de ne pas savoir « imposer un minimum de discipline indispensable dans une collectivité du genre de la Ramée ». Elle reconnaît en revanche que « les difficultés vraiment très grandes qu’il a rencontrées dans tous les domaines à la Ramée n’ont certainement pas facilité sa mission ». Frank a d’ailleurs pu constater à quel point le moniteur jouit de la sympathie de la toute grande majorité des élèves, sans pour autant réussir à asseoir l’autorité nécessaire à mener à bien le projet. Il prévient donc qu’« il se pourrait que nous ayons d’amères désillusions dans maints domaines si des mesures énergiques ne seront [sic] pas prises ».

46Ces incidents imposent donc à la commission de prendre une série de dispositions sur le terrain, notamment l’engagement à terme d’un assistant administratif pour seconder le directeur et l’organisation de l’instruction théorique effective en français. Ils l’incitent également à se faire encore plus prudente dans le recrutement des élèves. Ainsi, un règlement disciplinaire est établi auquel tout élève se doit de souscrire « sur l’honneur ».

47Long de trois pages, ce règlement invite entre autres les pensionnaires à « se conformer ponctuellement et en toute conscience aux instructions qui leur sont donnés [sic] par la communauté israélite de Bruxelles, […] ou les personnes désignées par elle », « de contribuer, par leur tenue physique et morale irréprochable, à la bonne réputation de l’institution », « de mettre à la disposition de la Communauté le produit de leur travail agricole », « de faire bénéficier leurs compagnons de leurs connaissances, tant professionnelles que générales » et « de s’abstenir de faire parmi leurs compagnons de la propagande à caractère politique de quelque nature qu’il [sic] soit ». L’élève ne se conformant pas au règlement, ou inapte à travailler, pour des raisons de santé ou autres, peut être exclu de l’école par la Communauté israélite de Bruxelles, sans pouvoir prétendre à un quelconque dédommagement.

  • 33 Österreicher im Exil…, témoignage de Bob Zanger, p. 52 : « In La Ramée wurde viel diskutiert über d (...)

48Par ce règlement, qui interdit, entre autres choses, la tenue de discours politiques à l’école, la Communauté espère donc bannir à jamais l’indiscipline. Elle n’arrive pourtant pas à déceler le véritable noyau de résistance au sein du groupe, et ne peut en conséquence pas empêcher qu’en l’absence des responsables du service d’adaptation professionnelle aient lieu notamment « de nombreuses discussions relatives à la nature de la guerre »33. Il est néanmoins difficile de déterminer dans quelle mesure nos trois jeunes militants agissent à visage découvert et jouissent de la sympathie du moniteur et des autres pensionnaires.

Des problèmes persistants

  • 34 MJDR, fonds CNHEJ, farde 10 M – La Ramée, lettre non datée, signée Éd. Rotkel. 

49Entre-temps, la Communauté tente toujours d’attirer de nouveaux élèves. C’est ainsi qu’elle envoie à ses membres un courrier qui précise une fois encore la vocation de l’école : « La création de cette école donne à vos enfants la possibilité d’acquérir en un an d’études faites au grand air, dans un milieu de jeunes travailleurs, des connaissances pratiques et théoriques suffisantes pour exercer le métier agricole. Nous estimons que tous les parents ont le devoir d’envisager l’éventualité de diriger leurs enfants vers cet enseignement qui donne à notre jeunesse l’assurance de pouvoir gagner sa vie dans l’honnêteté et le labeur en toutes circonstances. » 34

  • 35 CCIB, boîte 231, dossier 2.312, rapport du 31 mai, 1er et 2 juin 1941 de Maurice Vanderborght à la (...)

50En parallèle, des mesures sont donc prises pour inverser la tendance. Le renvoi à Bruxelles des cinq élèves suspendus en attendant une décision finale de la commission ne résout pas les problèmes de discipline à La Ramée. Ainsi, des élèves s’absentent régulièrement de la ferme sans autorisation préalable des responsables. L’acmé est atteinte avec une plainte que dépose Maurice Vanderborght auprès de la gendarmerie à l’encontre de trois des cinq élèves expulsés pour « abus de confiance, […] violation de domicile et […] grivèlerie »35 ! Ceux-ci se sont rendus coupables d’être rentrés à La Ramée en l’absence du directeur et d’avoir crocheté une porte pour récupérer leurs effets. L’incident est assez symptomatique des tensions qui règnent alors à l’harchara

  • 36 CCIB, boîte 231, dossier 2.312, lettre en date du 4 juin [1941], à l’adresse de Vanderborght, signé (...)

51Finalement, la commission décide de rayer les trois élèves pour une période de trois mois, avec réadmission éventuelle. Le jeune couple peut quant à lui regagner la ferme tout de suite, après s’en être vu interdire l’accès pendant une période de deux semaines36. La tolérance dont fait preuve le service d’adaptation s’explique en partie par le fait que l’école est en manque d’élèves et que les expulsés sont dans un tel dénuement qu’ils dépendent de toute façon de l’assistance communautaire. Aux yeux des responsables, former ces jeunes constitue une forme d’aide bien plus efficace, car à terme bénéfique tant pour les élèves que pour la Communauté et, dans une plus large mesure, pour le judaïsme en général.

  • 37 Service des Victimes de la Guerre (SVG), fiche SD Manfred Ziegelmann ; OE, fonds Police des Étrange (...)
  • 38 SVG, fiche SD, Rolf Heumann ; OE, fonds Police des Étrangers, dossier Rolf Heumann.
  • 39 Témoignage d’Esther Schreier, née Schiff, dans Österreicher im Exil…

52Aucun des trois pensionnaires expulsés ne retournera à La Ramée. Leurs destinées respectives illustrent celles de milliers d’autres Juifs vivant en Belgique sous l’occupation. Ainsi, l’un d’eux, Manfred Ziegelmann, est âgé d’à peine 22 ans quand il est emmené par le XIVe convoi, qui quitte le camp de rassemblement de Malines le 24 octobre 194237. Il ne reviendra pas de déportation. Un autre, Rolf Heumann, né en 1917, est convoqué en juin 1942 pour le travail obligatoire dans les camps de l’Organisation Todt, chargée de la construction du Mur de l’Atlantique dans le nord de la France38. Avec son frère, il saute du XVIe convoi qui les emmène vers une « destination inconnue ». Arrêté peu après, il est déporté, non comme prisonnier racial, mais comme prisonnier politique. Il rentre d’Oranienbourg en Belgique en juin 1945. Le troisième, Israël Schreier, né en 1915, et arrivé en Belgique en novembre 1939 en qualité de réfugié politique, épouse en avril 1942 la militante communiste anversoise Esther Schiff. Tous deux feront partie du Freiheitsfront autrichien, la cellule de combat à laquelle appartiennent Zanger, Kandel et Fürst39. Nous ignorons si son adhésion au communisme est antérieure à son séjour à la Ramée ou si c’est au contact des trois “taupes” qu’il se décide à rejoindre les rangs du parti et de la résistance armée. Il survivra à la guerre.

Une atmosphère favorable

  • 40 OE, fonds Police des Étrangers, dossier Hertha Ligeti, document du 29 novembre 1938 émanant du mini (...)

53Avec l’arrivée de nouveaux élèves en ce début du mois de juin 1941, la population de La Ramée se diversifie quelque peu. Si la moitié d’entre eux est à nouveau constituée de jeunes réfugiés allemands et autrichiens, l’autre moitié est composée de jeunes Juifs d’origine étrangère mais vivant en Belgique depuis de nombreuses années. Il est probable que ceux-ci ont été recrutés dans les rangs des organisations sionistes du pays. Trois jeunes filles s’ajoutent alors au groupe de pensionnaires, brisant ainsi une quasi-homogénéité masculine. Parmi celles-ci, deux militantes communistes autrichiennes, Hertha Ligeti et Lotte Sontag, envoyées sur place pour prêter main-forte à leurs trois camarades. Nées respectivement les 11 et 12 novembre 1920 à Vienne, elles sont toutes deux membres du KJV, la Kommunistische Jugendvereinigung, les Jeunesses communistes d’Autriche. Hertha Ligeti, orpheline de mère et de père, est servante de profession. Elle quitte son Autriche natale en septembre 1938 après avoir passé deux mois en prison à Vienne pour motifs politiques. Bien que s’étant formellement engagée à son arrivée en Belgique à s’abstenir de toute activité politique ou professionnelle, elle crée avec son inséparable amie Lotte Sontag une cellule de propagande communiste active40. Leur militantisme les conduit tout naturellement à choisir plus tard la voie de la résistance armée.

  • 41 CCIB, boîte 231, dossier 2.312, lettre du 17 juin 1941, à l’adresse de Éd. Rotkel, signée Brodsky.
  • 42 Ibid., lettre du 20 juin 1941, à l’adresse de Éd. Rotkel, signée Brodsky.
  • 43 Ibid., lettre du 27 juin 1941, à l’adresse de Éd. Rotkel, signée Brodsky.
  • 44 Ibid., lettre du 27 juin 1941, à l’adresse de Éd. Rotkel, signée Brodsky.

54La commission décide quant à elle d’envoyer à La Ramée un émissaire, Alexandre Brodsky, dont la mission est de seconder temporairement le moniteur afin de régler les problèmes les plus aigus, comme le ravitaillement, la mise sur pied d’un enseignement culturel, la bonne tenue de la maison et la gestion administrative de l’école. C’est en compagnie de son épouse qu’Alexandre Brodsky, qui prend fort à cœur le projet, se rend à La Ramée. Charlotte Brodsky se charge de veiller aux soins du ménage et de la cuisine en attendant une solution durable. Il constate que malgré une « psychose de la faim très difficile à combattre », « le moral des jeunes gens s’est beaucoup amélioré »41. Près de trois semaines après son arrivée à l’école, il se félicite du fait qu’il y règne à présent « une atmosphère de calme, de travail et de bonne entente tout à fait favorable au développement de notre programme ». En outre, « le ravitaillement aussi s’est amélioré grâce à des distributions plus importantes de produits rationnés : viande, beurre, sucre, margarine et féculents. Plus personne ne se plaint d’avoir faim et le travail avance fort bien »42. Un plan alimentaire est établi par le Dr Joseph Brandes (1911-1961) afin de limiter des dépenses financières et énergétiques jugées excessives tout en évitant les séquelles d’éventuelles carences. Il est d’ailleurs demandé à chacun de se peser régulièrement afin que le Dr Brandes puisse suivre à distance l’état des pensionnaires. Le travail avance de telle sorte que « en 8 jours on a fait plus de progrès que depuis le début. Le potager est excessivement bien entretenu, les travaux de préparation au sol se fait [sic] à une cadence accélérée et les élèves sont fiers du résultat de leur effort ». Seul bémol notable, le fait que « l’autorité de la commission est loin d’être admise par les élèves et par Vanderborght lui-même »43. Une situation qui, aux yeux de Brodsky, n’est pas irréversible, puisqu’à présent « les éléments que nous avons à la Ramée sont éducables »44.

  • 45  CCIB, boîte 231, dossier 2.312, « Rapport sur la situation à La Ramée au 22 juin 1941 », non signé
  • 46 CCIB, boîte 231, dossier 2.312, lettre du 17 juillet 1941, à l’adresse de l’École d’Horticulture de (...)

55Fin juin, la commission est heureuse de constater que les « difficultés d’ordre psychologique sont actuellement à peu près surmontées. L’état d’esprit des pensionnaires, tout en laissant quelque peu à désirer à certains points de vue, est satisfaisant ». Par contre, en dépit de l’indéniable bonne volonté dont fait preuve le directeur, la commission lui reproche un certain « manque d’énergie et d’esprit d’organisation », l’exhortant à lui trouver soit un remplaçant pour diriger l’école soit une personne qualifiée pour l’assister au quotidien45. Dès la mi-juillet, la commission se met en quête d’un successeur, par le biais des établissements horticoles. Les candidats au poste doivent remplir un certain nombre de conditions : il leur faut être porteur d’un diplôme reconnu de l’enseignement horticole, posséder une certaine expérience pratique en matière d’arboriculture, de culture maraîchère et de défrichement de terres ; être bon pédagogue ; « être énergique, droit et sociable, qualités essentielles requises pour diriger un internat » et, « si possible », être juif46. Si ce dernier critère de sélection ne constitue pas une condition sine qua non, il est en revanche essentiel que le candidat soit en possession d’un diplôme de l’enseignement officiel. En effet, la commission désire le plus rapidement possible l’agréation de son école par l’État au même titre que les autres institutions horticoles du pays.

  • 47 CCIB, boîte 231, dossier 2.312, lettre du 16 août 1941, à Lunski, signée Brodsky.

56En attendant, la Communauté tente de trouver une ou plusieurs personnes qui se chargeraient de l’enseignement théorique. En collaboration avec un conseiller d’horticulture de l’État, un programme d’études théoriques et de travaux pratique est établi. Toutefois, le fait que près de la moitié des quatorze élèves ignorent le français constitue une difficulté très réelle et oblige la commission à ajourner le commencement des cours théoriques jusqu’à l’engagement d’un professeur diplômé. Elle trouve celui-ci en la personne de Jacob Lunski, ingénieur agronome diplôme de l’institut agronomique de Gembloux, né à Vilna le 8 octobre 1904. La procédure d’engagement de ce dernier subit néanmoins quelque retard en raison des exigences salariales de l’intéressé, jugées exagérées par la commission, qui allègue qu’« il est normal que nos collaborateurs juifs tiennent compte de la situation exceptionnelle dans laquelle nous nous trouvons et du caractère d’utilité sociale de notre établissement »47.

  • 48 CCIB, boîte 231, dossier 2.312, « Rapport sur la situation à La Ramée au 22 juin, 24 juin 1941 », n (...)

57Depuis la reprise en main de l’école par la commission, les travaux de défonçage et de préparation du sol avancent à grands pas, compensant largement les longues semaines plus ou moins stériles du début « par suite du manque d’entraînement des élèves et du mauvais état d’esprit qui a régné dans la colonie pendant un certain temps »48. L’école semble enfin s’organiser ; ainsi, pour l’entretien de la maison, un système de rotation est appliqué.

  • 49 Ibid.
  • 50 Ibid.

58En marge du programme officiel, il entre également dans les desseins de la Communauté de dispenser au sein de l’établissement un enseignement de caractère culturel dans « le sens de l’éthique juive »49. Là aussi, deux mois après son ouverture, l’école manque à son programme initial. Seuls quelques cours de français et d’hébreu sont sporadiquement donnés à titre tout à fait facultatif par des pensionnaires de l’institution. Fin juin, la commission estime « extrêmement urgent » et « indispensable » d’« utiliser les heures pendant lesquelles le travail agricole ne peut se faire à élever le niveau culturel des élèves »50. Elle ne précise pas pour autant en quoi consisterait le « programme de travail culturel » qu’elle souhaite établir.

59Pendant cette période de restructuration, la Communauté a mis un frein à sa campagne de recrutement, désireuse qu’elle est de régler prioritairement les problèmes pendants. Toutefois, elle est soucieuse d’attirer de nouveaux élèves afin, raison parmi d’autres, d’amortir les frais considérables qu’elle a engagés dans le projet. Notons au passage que les minervals payés par les pensionnaires représentent une source de revenus négligeable, car la plupart d’entre eux sont des réfugiés du Reich souvent proches de l’indigence et par conséquent dispensés de toute participation financière. La Communauté leur procure même un peu d’argent de poche leur permettant de passer une fois par mois un week-end à Bruxelles, à l’instar des pensionnaires qui y retrouvent leur famille.

  • 51 Österreicher im Exil, témoignage de Bob Zanger, p. 53 : « An den Aktionen nahm ich auch aktiv teil, (...)
  • 52 Ibid., p. 49.

60Mais en ce début d’été 1941, la guerre prend un tournant décisif. L’invasion nazie de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, marque une réelle rupture dans le cours des événements. L’opération Barbarossa transforme le militant communiste en combattant antifasciste. Si avant cette date, il s’agissait essentiellement de lutter contre l’envahisseur, l’impérialisme allemand, le combat prend alors un tout autre visage. De “simples” propagandistes, les cinq “sous-marins” deviennent, à l’image de bien d’autres militants, des résistants actifs. Être élèves à La Ramée présente alors un nombre considérable d’avantages. Ainsi, les pensionnaires sont autorisés à circuler en train, accompagnés de leurs bicyclettes. Une autorisation qui servira à merveille des desseins tout autres que ceux nourris par la Communauté… En effet, Zanger, Kandel et Fürst vont avoir pour mission la distribution en province de l’hebdomadaire clandestin Die Wahrheit (La Vérité), qui appelle les soldats de la Wehrmacht à la désobéissance. Zanger témoigne après guerre à ce sujet : « Avec les camarades Alex Fürst et Herbert Kandel, je participais aussi activement à des actions consistant essentiellement à atteindre avec notre matériel [les journaux clandestins, ndla] les villes de province belges où se trouvaient des garnisons allemandes. C’est dans ce but qu’Herbert Kandel et moi avions des abonnements pour la totalité du réseau vicinal belge et il n’y a pratiquement aucune ville belge dont les installations militaires n’aient été à plusieurs reprises (les grandes villes plusieurs fois par mois) inondées de notre matériel. […] Après le 22 juin 1941, nous apportions à La Ramée le matériel à distribuer, que nous amenions ensuite aux casernes »51. Selon des sources d’après-guerre, 9.000 des 12.000 exemplaires de Die Wahrheit furent ainsi distribués en province52.

  • 53 Österreicher im Exil, témoignage de Bob Zanger ; SVG, fiche SD de Ernestine Ajbeszyc.

61L’opération Barbarossa fait de l’Union soviétique non seulement l’alliée des grandes puissances démocratiques, mais surtout un véritable martyre de la cause antinazie. Sous l’étendard de l’antifascisme, des alliances a priori impossibles se constituent contre un ennemi commun. Nous ignorons quel fut l’impact exact du noyautage de l’école par les militants communistes. Toutefois l’engagement résolument antifasciste et le rayonnement dont jouit alors plus que jamais l’Union soviétique facilitent probablement certains choix. Ainsi, portée par ses convictions sionistes, Ernestine Ajbeszyc, née à Varsovie en novembre 1923, s’inscrit à La Ramée, qu’elle quittera pour rejoindre les rangs de la Résistance armée autrichienne53.

62Parallèlement, la Communauté, ignorante de ce qui se trame réellement au sein de l’institution, reprend sa campagne de recrutement. En ce mois d’août 1941, près d’une quinzaine de jeunes vont ainsi trouver le chemin de La Ramée. L’école semble alors prendre une nouvelle orientation : si elle avait jusque là rassemblé avant tout des pensionnaires quelque peu contraints par les circonstances, la venue de nouveaux élèves, autrement motivés, permet de diversifier le groupe. Parmi les nouveaux pensionnaires se trouvent en majorité des jeunes gens et des jeunes filles acquis au sionisme et sincèrement séduits par le projet de La Ramée.

  • 54 À ne pas confondre avec son homonyme, le jeune partisan armé dont le surnom, « Henri le terroriste  (...)

63S’inspirant du modèle des harcharot, une hanhaga (« direction » en hébreu), un comité d’élèves participant à la prise des décisions relatives à l’école, est créée. La hanhaga agit comme un organe de coordination entre les élèves de l’école d’une part et les responsables communautaires d’autre part. Elle défend les intérêts des élèves tout en tentant de suivre les directives de la Communauté. Celle-ci attend du comité d’élèves la prise en charge de l’organisation de la vie quotidienne, notamment la répartition des travaux ménagers et des achats, et la participation au développement d’une vie culturelle au sein de l’institution. Il s’agit essentiellement de mettre sur pied des cours d’histoire et de littérature juives, des cours d’hébreu ainsi que des cours de culture générale (histoire, géographie économique, langues et initiation au droit). Émerge à la tête de la hanhaga un élève fraîchement arrivé, Hersz ou Herman, dit Henri, Dobrzynski54. Notons que les trois jeunes communistes – Fürst, Kandel et Zanger – se retrouvent tout naturellement parmi les membres de la hanhaga.

  • 55 Archives CCIB, boîte 231, dossier 2.312, lettre du 26 septembre 1941, à Rotkel, signée H. Dobrzynsk (...)
  • 56 Archives CCIB, boîte 231, dossier 2.312, Ibid.

64C’est un esprit nouveau, plus positif, qui semble souffler alors sur La Ramée. Les différents acteurs s’efforcent, tant du côté des responsables de la Communauté que de celui des pensionnaires de l’école, de mener à bien le projet. Mais les problèmes à résoudre sont nombreux et les rapports entre les élèves et la Communauté israélite restent tendus, cette dernière les accusant « de manque de compréhension et de responsabilité, d’une attitude de mauvais esprit envers la Communauté israélite »55. Les membres de la hanhaga reprochent quant à eux aux responsables un manque de reconnaissance du travail qu’ils ont accompli, car « avant l’élection de l’Hanhaga », « la maison était sale, pas entretenue », il régnait un « manque absolu de discipline » et « au point de vue culturel : un grand nul ». Bref, « lorsque l’Hanhaga a commencé son activité, elle devait réorganiser le tout »56.

65Toutefois, petit à petit, l’institution semble prendre forme, évitant de peu une fermeture prématurée. Les difficultés rencontrées au tout début de son fonctionnement paraissent définitivement appartenir au passé. Elle est en voie d’obtenir une agréation provisoire de l’État et porte à présent la dénomination d’« École temporaire de Préparation horticole et agricole » de Bomal, sous le patronage de la Communauté israélite de Bruxelles. On voit mal si l’adjectif qualificatif « temporaire » a été ajouté pour souligner le caractère encore provisoire de l’école, appelée à se développer en un centre agricole à part entière ou pour signaler que son existence répond essentiellement aux besoins du moment et qu’elle est vouée à disparaître. Quoi qu’il en soit, encouragée dans son effort, la Communauté s’apprête à recruter de nouveaux élèves, car leur nombre sur place demeure bien en dessous de ce qu’ambitionnent les responsables communautaires. L’école souffre en effet encore de ses débuts calamiteux et les défections d’élèves sont assez régulières, à l’exemple d’Henri Dobrzynski, qui quitte subitement l’école, quelques mois seulement après son arrivée. Peut-être les nombreuses dissensions avec les responsables de la Communauté ont-elles eu raison de sa motivation. Ainsi, le ravitaillement demeure une source de discorde continuelle. En effet, la Communauté refuse de mettre à disposition du directeur et des pensionnaires un capital de roulement, ce qui compromet toute possibilité de marchandage avec les vendeurs et oblige quelquefois les élèves à avancer l’argent de leur poche. En conséquence, les élèves se plaignent toujours d’être tenaillés par la faim.

  • 57 Archives CCIB, boîte 231, dossier 2.312, lettre du 10 septembre 1941, signée la Communauté israélit (...)
  • 58 Hertha Ligeti figure au Mémorial de la déportation des Juifs de Belgique, Bruxelles, 1982, parmi le (...)

66Parmi les autres élèves qui quittent La Ramée début septembre 1941, les deux jeunes résistantes communistes Ligeti et Sontag, qui déclarent à la Communauté ne pas désirer y retourner « pour des raisons d’ordre personnel »57. Elles sont en effet appelées à se charger d’autres missions. Toutes deux s’illustreront par la suite dans ce qui sera appelé le Mädelarbeit (Travail des filles), un travail de propagande antinazie qu’effectuaient les jeunes militantes germanophones auprès de soldats de la Wehrmacht. Des actions non dénuées de risques, ainsi qu’en témoignent les destinées respectives de Lotte Sontag et Herta Ligeti, arrêtées par la Geheime Feldpolizei pour « démoralisation de la Wehrmacht » (« Zersetzung in der Wehrmacht »). La première est arrêtée le 12 juin 1943, la seconde quelques jours plus tard, le 21 du même mois. Après plusieurs mois à la prison de Saint-Gilles, elles sont toutes deux déportées par le XXIIIe convoi, qui quitte Malines le 15 janvier 1944. Elles survivront à leur déportation et l’une d’elles, Hertha Ligeti, en confiant à la plume ses souvenirs de guerre, deviendra une romancière reconnue58.

Un nouveau départ

67Cependant, l’enrôlement de nouveaux éléments est entravé par une nouvelle disposition antijuive de l’occupant. En effet, l’ordonnance en date du 29 août 1941 portant limitation de la libre circulation des Juifs introduit en pratique le couvre-feu de 20 heures jusqu’à 7 heures et interdit aux Juifs de s’établir ailleurs qu’à Bruxelles, Anvers, Liège et Charleroi. Théoriquement, les pensionnaires de La Ramée s’inscrivent à l’internat pour une période d’au moins un an et se doivent dès lors d’y élire domicile (première ou seconde résidence). Dès leur arrivée à l’école, ils sont obligés de s’inscrire au registre de population de la commune de Bomal afin de recevoir une carte de ravitaillement de la localité. Une consultation au registre de population de la commune de Bomal nous apprend toutefois qu’un certain nombre d’élèves ne s’inscriront pas. Ainsi n’y trouve-t-on aucune trace des jeunes militants communistes. Quoi qu’il en soit, début octobre, la Communauté israélite obtient de l’Autorité occupante l’autorisation pour les élèves de la ferme-école de La Ramée de s’établir à Bomal. Dorénavant, plus rien ne fait obstacle au recrutement.

68Un dépliant, agrémenté de nombreuses photos, est confectionné pour éveiller l’intérêt d’éventuels candidats. Le prospectus donne une image idyllique de l’école, dévoilant les lieux sous différents aspects et montrant les élèves pleins d’entrain au travail. Le lecteur apprend que « l'école de La Ramée a été créée à l'intention de la jeunesse juive » et que « l'admission au centre d'étude de La Ramée en qualité d'élève-pensionnaire est réservée à la jeunesse qui est animée du désir de se consacrer au travail agricole dans le but d’en faire un gagne-pain ».

  • 59 CCIB, boîte 231, dossier 2.312, document en date du 23.10.1941, Projet de circulaire. École élément (...)

69Un projet de circulaire rédigé en octobre 1941 à destination des membres de la Communauté est plus explicite encore quant à la raison d’être de l’école agricole : « Une partie considérable de la jeune génération juive se trouve, au seuil de la vie, dans une situation lamentable. Elle est désœuvrée, démoralisée et souvent sans moyens d’existence. Nous attirons votre attention sur le danger social qu’elle présente pour nous tous. De sa destinée dépend la nôtre. Nous sommes quelques-uns qui, malgré les vicissitudes de l’heure, n’avons pas voulu les abandonner. Nous avons pensé qu’il fallait préférer pour la jeunesse une intervention qui les tire définitivement d’embarras et leur permette de gagner leur vie dans un délai très court, plutôt qu’une intervention pure et simple de charité qui reste sans lendemain. » La vocation profondément sociale de l’entreprise est ici une fois de plus soulignée. Il s’agit essentiellement de procurer une occupation et un métier à une jeunesse « au bord de l’abîme » et de lui donner « confiance dans la vie ». Si  « l’État a bien voulu agréer notre école », que « les Autorités allemandes l’ont autorisée » et que  « les demandes d’inscription affluent », les « moyens financiers ne sont pas suffisants ». La Communauté fait donc appel à la générosité de ses membres pour participer « à cette œuvre de solidarité humaine en souscrivant une bourse d’études pour un ou plusieurs élèves »59.

70Finalement, après plusieurs mois de recherche, la Communauté israélite trouve enfin une personne qu’elle estime apte à diriger sa ferme-école en remplacement de Maurice Vanderborght et de Jacob Lunski, qui pour des raisons que nous ignorons quitte l’école peu de temps après son affectation. C’est un jeune ingénieur agronome sans beaucoup d’expérience pédagogique mais possédant une formation sérieuse et d’indéniables qualités d’organisateur, qui est engagé fin octobre sur recommandation du professeur Robert Mayné, entomologiste de l’Institut agronomique de Gembloux.

Un nouveau directeur

  • 60 SVG, dossier statuts de Haroun Tazieff.
  • 61 CCIB, boîte 231, dossier 2.312, lettre du 6 novembre 1941, à Brodsky, signée Vanderborght.

71Né à Varsovie le 11 mai 1914, Haroun Tazieff est élevé par sa mère Zenitta Klupta, docteur en chimie et licenciée en sciences sociales de l’ULB, artiste peintre à ses heures. Son père, Mohamed Sabir, médecin de profession, est décédé au front en 1914. Fin 1920, la jeune veuve arrive avec son fils à Paris, où elle rencontre le poète et romancier Robert Vivier, qu’elle épouse en 1922. À l’issue de ses études à l’Athénée royal de Bruxelles, Haroun Tazieff (1914-1998) s’inscrit à l’Institut agronomique de l’État à Gembloux. Diplômé en 1938, il s’arroge une année sabbatique avant le début de son service militaire le 1er août 1939. Passionné de montagne et d’alpinisme, il passe une grande partie de l’année en Haute-Savoie, organisant de temps en temps des excursions pour le Club alpin belge. C’est dans le 2e régiment des Chasseurs ardennais qu’il choisit de faire son service. Il est à Bastogne quand commence l’offensive allemande en mai 1940. Le 27 mai, il est blessé par un éclat d’obus sur la Lys et hospitalisé jusque fin juin. À sa sortie de l’hôpital militaire d’Anvers, il évite le transport vers un camp de prisonniers en Allemagne. En 1941, bien qu’officiellement il ne soit pas démobilisé, il se lance dans des études de géologie et d’arboriculture60. Il entre en fonction comme moniteur agricole à La Ramée le 1er novembre 1941 pour une période d’essai de trois mois. Maurice Vanderborght, surpris d’être évincé de la sorte, se déclare fort déçu, mais dit emporter « le meilleur souvenir des quelques mois passés avec eux [les jeunes élèves] »61.

  • 62 CCIB, boîte 231, dossier 2.312, lettre manuscrite du 5 novembre 1941, à Brodsky, signée Tazieff.

72Au moment où le jeune Tazieff reprend la direction de l’institut agricole, l’hiver est aux portes de l’école. Au lendemain de son arrivée à La Ramée, Tazieff est confiant, assuré « qu’il y aura moyen de faire ici d’excellentes besognes, tant dans la “colonisation” que dans l’instruction, avec les jeunes gens de la Ramée. Il faut que la confiance se soit établie et l’enthousiasme réveillé ». À ces fins, il estime indispensable de pouvoir « leur assurer la tranquillité d’esprit au sujet de leur subsistance jusqu’au moment où le potager et les cultures qu’ils auront mises sur pied pourront suffire à la majorité de leurs besoins » et entreprend de constituer des provisions suffisantes et un petit élevage d’animaux, entreprise abandonnée plusieurs mois auparavant. Ceci permettra d’éviter un ravitaillement au quotidien au total fort coûteux. Il convainc également la Communauté de consentir les dépenses nécessaires pour vêtir correctement les élèves, et de préférence de façon uniforme, car « la tenue de l’école y gagnera certainement beaucoup ». Et le jeune homme de prévenir que sans ces investissements, qu’il sait être lourds, « il n’est pas à conseiller de risquer les aléas de hiver, non seulement à cause du point de vue physique, mais aussi du moral des élèves. Leur rendement en tant que travailleurs est d’ailleurs fonction de la tranquillité de leur esprit »62.

73Il établit alors un plan général de culture pour la saison difficile à venir et exige en outre l’acquisition par l’école du matériel didactique nécessaire pour l’enseignement théorique. Il projette en effet de dispenser aux élèves des cours d’agriculture, de zoologie, de botanique, de chimie élémentaire, de physique, de météorologie, de mathématiques et d’arpentage. La Communauté ambitionnant une reconnaissance de son école par le ministère de l’Instruction publique, Tazieff estime ces dépenses indispensables. En attendant, il allie la pratique à l’instruction théorique, donnant des explications aux élèves en fonction du travail accompli. Tazieff comprend néanmoins les réticences de la Communauté à engager un tel capital dans un projet jusqu’alors fort improductif, mais il estime la chose inévitable « eu égard au fait que nous avons à monter en “ferme” une habitation d’agrément et, de plus à monter une “école”, aussi réduite qu’elle soit ».

  • 63 CCIB, boîte 231, dossier 2.312, lettre du 19 novembre 1941, à Brodsky, signée H. Tazieff.

74Par sa reprise en main assurée de l’école, le jeune Tazieff gagne rapidement la confiance des responsables communautaires et celle des élèves. Ces derniers décident d’ailleurs de saborder la hanhaga (littéralement « direction »), remettant « toutes les responsabilités et toute l’autorité » entre les mains du nouveau directeur. C’est non sans satisfaction que ce dernier constate, deux semaines à peine après son arrivée, que « leur volonté de travail, leur désir de construire ici quelque chose d’intéressant devient de plus en plus net »63. Quant à la Communauté, elle se résout même à mettre un capital de roulement à disposition du jeune homme, qui préfère « ne pas mettre les commerçants locaux en rapport avec la communauté israélite » et promet que « ce serait, en définitive, une économie », puisque il pourra alors « régler les affaires avec beaucoup plus de célérité et de certitude, et être infiniment plus à même de garantir le succès final ».

75Dans ses mémoires, Haroun Tazieff évoque brièvement son passage à La Ramée. Voici comment, un demi-siècle plus tard, il se remémore cet épisode de sa vie : « La première contribution qu’enfin je pus apporter à ce que plus tard on appela la Résistance, je la dus à mon patron et néanmoins ami, le professeur Mayné. Il me demanda en effet de m’occuper d’un groupe de jeunes Juifs que l’on cherchait à mettre à l’abri des déportations qui semblaient, malgré la correction et la gentillesse des occupants, devenir imminentes. L’idée des responsables de la communauté israélite était de louer quelque bâtiment perdu dans quelque campagne et d’en faire une sorte d’école d’agriculture dont les élèves seraient ces jeunes citadins. J’acceptai sur-le-champ, bien sûr, tant pour agir contre les Nazis que pour essayer de sauver ceux que, depuis plus de sept années déjà, en Allemagne et en Autriche, ils cherchaient à éliminer. »

« Notre “institut”, ce fut un château début du siècle, du nom de La Ramée. Il se trouvait niché dans un parc et de grands arbres le dissimulaient aux très rares passants qui empruntaient la petite route pavée allant de Jodoigne, bourgade agricole voisine, à un village dont j’ai oublié le nom [Huppaye, ndla]. Guerre terminée semblait-il à l’ouest, calme militaire général, occupants n’ayant guère de soucis majeurs avec les occupés, cette demeure discrète promettait à ce moment-là une sécurité suffisante. Et elle tint sa promesse. »

  • 64 H. Tazieff, Les défis et la chance. Ma vie. 1. De Petrograd au Niragongo, Paris, 1991, p. 82.

« Nous emménageâmes en fin d’automne et j’organisai aussitôt le pseudo-enseignement agricole en mettant tout le monde à bêcher les quelques ares de terre arable dont nous disposions afin d’y planter dès le pré-printemps de quoi nous nourrir. Car le problème primordial, après celui de la discrétion vis-à-vis des autorités d’occupation, c’était de ne pas mourir de faim, ces occupants si corrects ayant déjà vidé ce pays en expédiant outre-Rhin la presque totalité de ce qu’ils ne consommaient pas sur place, si bien que la disette s’était installée. Et je me demandais comment, avec le peu d’argent que la communauté israélite nous allouait, j’arriverais à nourrir ma vingtaine de jeunes… »64.

  • 65 M. Halter, La force du Bien, Paris, 1995, p. 296.
  • 66 R. Cans, Tazieff, le joueur de feu, Paris, 1988, pp. 318-320.

76Tazieff, l’un des acteurs principaux du “drame”, voit donc dans l’école de La Ramée avant toute chose une entreprise de sauvetage mise sur pied par la Communauté. La Ramée n’a à ses yeux d’autre vocation que de soustraire aux nazis une jeunesse persécutée. Une perception des événements corroborée par d’autres témoignages du célèbre vulcanologue. Ce qui lui vaudra de figurer parmi les “Justes” que célèbre Marek Halter dans son livre La force du Bien. Tazieff explique en effet à ce dernier que c’est par goût du risque qu’il accepte d’être à la tête d’« une fausse école d’enfants juifs »65. Dans Tazieff, le joueur de feu, la courte biographie fort romancée que lui consacre le journaliste Roger Cans, l’école de La Ramée est décrite comme un « “institut d’agriculture” destiné à cacher une vingtaine de Juifs âgés de quatorze à vingt-cinq ans ». Ces derniers sont de « jeunes Juifs d’Anvers que la communauté universitaire veut sauver de la déportation ». Quant aux initiateurs du projet, ce sont pour l’auteur « les professeurs de Gembloux », qui trouvent dans le château de La Ramée « un refuge pour leurs protégés juifs ». Tazieff, à qui est proposé de s’occuper de « cette communauté improvisée », « accepte d’enthousiasme cette mission », « heureux de pouvoir enfin faire quelque chose au nez et à la barbe de l’occupant »66.

77Les nombreuses improbabilités historiques qui truffent chacun de ces récits nous enjoignent de les considérer d’un œil particulièrement critique. Bien qu’ils souffrent du même mal, celui de sacrifier la rigueur historique au bénéfice de la construction élogieuse, on ne perdra pas de vue qu’ils expriment essentiellement le souvenir que garde des faits l’intéressé. Pour exagérés qu’ils soient, ils n’en doivent pas moins contenir une part de vérité. Il est tout à fait possible que ce soit de cette façon que lui fut présentée l’entreprise dans laquelle le jeune ingénieur agronome s’est engagé. Probablement n’était-il d’ailleurs pas conscient de la structure mise sur pied par la Communauté israélite de Bruxelles. Toujours est-il que, contrairement à ce que pourraient laisser supposer les récits que Tazieff en fit bien plus tard, l’école, qui cherche encore à être agréée par l’État, fonctionne de façon tout à fait officielle, au vu et au su de tous. Les multiples contacts qu’entretiennent les pensionnaires avec l’entourage direct (l’administration communale, le propriétaire des lieux, le garde-champêtre, les religieuses du couvent, les fermiers et marchands des environs, le médecin et le dentiste de Jodoigne, auxquels parfois ils font appel, etc.) et la reconnaissance de l’école par l’Autorité militaire remettent en cause le caractère censément clandestin du projet. Pour trouver le moniteur adéquat, les responsables communautaires ont dû entamer une procédure d’engagement ordinaire : la vacance fut signalée aux différents instituts agronomes du pays et c’est le candidat rassemblant les meilleurs atouts qui fut engagé. L’emploi présente d’ailleurs pas mal d’avantages en cette époque de grande pénurie. Tazieff, alors sans occupation, perçoit un salaire correspondant aux barèmes en application dans l’enseignement officiel pour un professeur diplômé. Il est néanmoins possible qu’il ait eu l’impression de participer ainsi à une entreprise qu’en jeune homme politiquement engagé il juge utile.

  • 67 H. Tazieff, op. cit., p. 84.

78Dans un courrier adressé à sa mère peu après son arrivée à La Ramée et qu’il reproduit en grande partie dans ses mémoires, le jeune Tazieff fait un tableau détaillé de la situation : « Le travail avance, mais il y a beaucoup à faire à la fois. Trois hommes sont occupés toute la journée à nettoyer les betteraves, base de notre alimentation, un homme aide à la cuisine, un en moyenne est plus ou moins hors service pour mal de ventre ou de tête, un fait des courses, ce qui n’en laisse qu’une demi-douzaine pour le travail agricole. Comme dans celui-ci intervient actuellement le ramassage des châtaignes, le “vrai” travail, labour et fabrication du compost, en pâtit quelque peu. Mais la bonne volonté est évidente. Évidemment, certains sont plus fainéants et d’autres plus travailleurs, mais j’espère que le plan sera rempli. Quand j’en ai le temps, je travaille avec eux, soit aux châtaignes, soit au compost, soit au bois (ah ! j’oubliais qu’il y a toujours deux gars à couper et débiter le bois de chauffage) et alors le boulot avance. Je me suis découvert des capacités de travail insoupçonnées ! Qui l’eût cru ? Malheureusement, je ne puis être partout à la fois… ». Il lui explique également à quel point « les plus enthousiastes et les plus travailleurs sont les sionistes qui, tous, ont pour idéal d’aller fonder une véritable nation juive »67.

79De ces quelques mois passés au château Becquevort, Tazieff garde particulièrement le souvenir de la hantise de la faim qui ne les quittait jamais vraiment. Une faim omniprésente, qui tourmente sans arrêt les pensionnaires et leur dirigeant, les contraignant, vu le prix prohibitif des denrées, à constituer le plus possible de stocks essentiels à la subsistance pour affronter l’hiver. Sous-alimentés, parfois obligés d’ingurgiter des nourritures impropres à la consommation, les élèves sont en effet plus susceptibles d’être terrassés par la maladie. C’est d’ailleurs un incident lié au ravitaillement que Tazieff évoque des décennies plus tard avec toujours autant d’incompréhension et d’amertume qu’alors : « Au cours des quelques mois que dura cet épisode, je n’eus qu’une seule occasion d’impatiente colère. Ce fut le jour où, parmi bien des efforts de nature diverse, je poussai durant quatre heures le vieux vélo sur lequel j’avais arrimé le demi-cochon que j’avais fini par pouvoir acheter dans une ferme à quinze kilomètres de chez nous. Et ce fut long, long, non seulement parce que c’est dur de pousser une centaine de kilos sur des pavés ronds, mais aussi parce que ces heures semblent plus interminables encore lorsqu’on se sent menacés d’un quelconque contrôle par une quelconque autorité, en uniforme ou en civil, occupante ou collaborant avec l’occupant. Ce fut donc ce jour-là où, parvenu au havre et plein de joie à l’idée de la fête que tant de viande savoureuse allait engendrer chez mes jeunes affamés, je me heurtais au refus, hautain jusqu’à en être insultant, de deux des garçons et de l’une des filles : manger du porc, jamais ! »

  • 68 H. Tazieff, op. cit., pp. 84-85.

« C’était mon premier contact avec l’intégrisme religieux. J’en connaissais l’existence parce que j’avais eu l’occasion d’en lire, mais n’avais pas encore buté contre le front bovin, épais, stupide, du refus de réfléchir : j’ai oublié la durée, cette fois-là, de mes tentatives répétées pour faire comprendre à ces cerveaux, que je savais par ailleurs intelligents mais qui étaient, en l’occurrence, délibérément obtus, que l’interdiction de consommer du cochon avait sans doute eu des raisons sérieuses, d’ordre prophylactique entre autres, dans les temps et dans les régions bibliques, mais n’en avait vraiment plus de nos jours et en climat tempéré, et aussi que la sous-alimentation, à leur âge, pouvait avoir des conséquences graves et irréversibles. Rien n’y fit. »68

L’hiver de 1941-1942

  • 69 FMC, entretien avec Haïm Vidal Sephiha, le 12 janvier 2000.

80Le premier hiver que l’école doit affronter, celui de 1941-1942, est exceptionnellement rude. Fort affaiblis par des conditions de vie difficiles, plusieurs pensionnaires sont malades et doivent garder le lit. Malgré le froid et les privations, l’école ne ferme pas pour autant ses portes. Tout du contraire, puisque au cœur de l’hiver arrive un nouveau contingent de pensionnaires, issus de mouvements de jeunesse sionistes de toutes options politiques. Parmi ceux-ci, Haïm Vidal Sephiha (né en 1923) qui, « guidé vers l’agronomie » par l’organisation de jeunesse sioniste Gordonia dont il est membre depuis peu, est étudiant en première année de l’Institut agronomique de Gembloux lorsqu’il en est exclu comme Juif par l’occupant. Il est alors contacté par les responsables de l’école afin d’assister Tazieff à La Ramée. Porté par ses aspirations sionistes, H. V. Sephiha s’inscrit à l’école et s’engage à faire profiter les élèves des quelques connaissances en biologie qu’il a pu acquérir en un trimestre à peine. Bien des décennies plus tard, de cet hiver passé en partie à La Ramée, il se souvient surtout qu’« il faisait tellement froid qu’il m’arrivait très souvent de rentrer à la maison. On n’était pas chauffés ! »69

  • 70 H. Tazieff, op. cit., p. 86

81Au soir de sa vie, le vulcanologue s’en souviendra aussi : « Nous avons passé dans notre “château” de La Ramée un hiver très rude. Dur à cause de la faim et du froid rigoureux. Nous n’avions que du bois mort pour faire bouillir l’eau de nos soupes maigres et de notre ersatz de café, mais pas de quoi chauffer vraiment cette vaste demeure glaciale. Quant à la nourriture, à l’exception du porc succulent dont nous nous étions quinze jours durant régalés (tous, sauf nos trois intégristes), nous n’avons pas mangé de viande du tout. Ni de beurre. Ni d’huile. Ni, ni… Le gel fut tel cet hiver-là que nous ne réussîmes pas à retourner la terre. »70

  • 71 M. Halter, op. cit., p. 297.

82L’hiver qui s’abat sur l’Europe est d’une dureté exceptionnelle, ce qui rend les conditions de vie au château particulièrement pénibles, ainsi que l’illustre le récit plus explicite encore qu’il en fait à Marek Halter : « Les fleuves ont gelé, on traversait la Meuse à pied. Je me souviens qu’il fallait casser l’eau du puits. Ce fut une période difficile : on n’avait presque rien à manger, hormis des carottes, et très rarement des pommes de terre ou des betteraves. Quant au poisson ou à la viande, il ne fallait pas y songer ! Au château donc, on se serrait la ceinture. C’est dans ces conditions-là que nous avons passé ensemble ces quelques mois d’hiver et le début du printemps. »71

  • 72 M. Halter, op. cit. , p. 297-298.

83Au terme de cet hiver, en mars, les pensionnaires de La Ramée reçoivent « la visite de M. Brodsky, le directeur de l’organisme israélite dont nous relevions. Il venait nous dire, donnant à chacun de mes “élèves” une adresse où se rendre, de nous disperser au plus vite car sa crainte d’un coup de filet de l’occupant sur notre phalanstère venait de se préciser soudain, les informations qui lui étaient parvenues étant inquiétantes »72.

84C’est donc ainsi que se terminerait, selon Tazieff, l’aventure de La Ramée : la « crainte d’un coup de filet de l’occupant » aurait précipité la fin de l’institut. Ce qui est fort improbable, l’administration nazie ayant autorisé l’existence de l’école de La Ramée et soutenant à cette période de la guerre encore les projets visant à encourager l’émigration de la population juive. Le temps des rafles massives n’a pas encore sonné en ce début 1942.

  • 73 Registre de population de Bomal (commune de Ramillies), lettre du 12 janvier 1981 à René Colen, sig (...)
  • 74 SVG, dossiers Statuts, Haroun Tazieff. Lire : H. Tazieff, op. cit.

85Haroun Tazieff se montre parfois plus prudent dans son explication de la manière dont se clôture ce chapitre de sa vie : « Pour des raisons qui ne me furent jamais expliquées clairement, la colonie fut, à la demande de ceux qui l’avaient promue, dissoute avant le printemps et je rejoignis alors à Liège-Seraing le groupe des Partisans armés du Front de l’Indépendance que j’avais quitté pour cette tâche de protection des jeunes Juifs »73. Il n’est plus question ici d’ordre de dispersion ou de coup de filet des Allemands. L’école aurait fermé ses portes pour des raisons qu’il ignore. Arrivé à La Ramée en novembre 1941, Tazieff rejoint effectivement la Résistance armée vers février 194274.

La reprise par l’AJB

  • 75 Lire au sujet de l’AJB: J-Ph. Schreiber – R. Van Doorslaer (éds.), op. cit.

86Contrairement pourtant à ce qu’il aurait pu penser, l’école horticole de La Ramée ne cesse pas de fonctionner. Seulement, entre-temps, la situation s’est modifiée du tout au tout : par voie d’ordonnance en date du 25 novembre 1941, l’occupant a créé l’Association des Juifs en Belgique, censée rassembler l’ensemble de la population juive du pays75. Dorénavant, seule l’Association est en droit d’organiser l’instruction des Juifs, qui ne peuvent par ailleurs que fréquenter les écoles sous sa tutelle. La Communauté israélite de Bruxelles se voit dans l’obligation, bon gré mal gré, de s’en remettre à présent pour ses œuvres à une Association encore balbutiante. En ce début 1942, l’AJB est toujours en quête de structuration, ce qui se traduit par un certain flottement quant à l’avenir immédiat de l’école horticole. En attendant que l’Association juive statue sur La Ramée, l’entreprise est en quelque sorte suspendue dans l’incertain. Dans l’ignorance de l’avenir que l’AJB réserve à son école, la Communauté ne peut consentir de nouveaux frais ou recruter d’autres élèves.

  • 76 CCIB, boîte 231, dossier 2.312, Mémorandum du 23 avril 1942, à l’adresse du Comité directeur des Ju (...)

87Ces données ont sans doute pesé dans la décision de la Communauté de ne pas prolonger le contrat du directeur et de mettre le projet en veilleuse. L’intrépide jeune homme friand d’action qu’était Haroun Tazieff ne dut pas en être désolé outre mesure, trouvant probablement la Résistance armée plus galvanisante que la direction d’une ferme-école battant de l’aile. Toujours est-il qu’à l’issue de l’hiver, après le départ de Tazieff, la majorité des élèves est encore sur place76. Les trois militants communistes ont, quant à eux, définitivement quitté le navire.

88Une commission consultative de l’enseignement et d’adaptation est créée au sein du comité local bruxellois de l’AJB. Elle a théoriquement sous son contrôle tous les établissements d’enseignement juifs existants. Fin janvier, Benjamin Nykerk (1906-1944) et Édouard Rotkel (1889-1945) sont désignés comme délégués de la section d'adaptation professionnelle de cette commission, à laquelle ressortit l’école de La Ramée. En sa qualité de secrétaire général de la Communauté israélite de Bruxelles, Rotkel est impliqué de près et depuis longtemps dans l’organisation pratique de l’école horticole. L’industriel hollandais Benjamin, dit Benno, Nykerk devient quant à lui président de la section d’adaptation professionnelle du comité local bruxellois, qui a en quelque sorte incorporé la section du même nom de la Communauté. Sensible à la cause sioniste, il s’intéresse au projet de La Ramée depuis un certain nombre de mois. Malgré cette modification a priori fondamentale au niveau de la structure organisationnelle, on constate une certaine continuité du personnel responsable. Ainsi, la composition du comité organisateur de l’école au sein de la Communauté israélite de Bruxelles illustre-t-elle parfaitement la compénétration de celle-ci et du comité local bruxellois de l’AJB. En effet, ses membres cumulent des fonctions au sein de la Communauté israélite de Bruxelles ainsi que dans le comité local bruxellois de l’association obligatoire. C’est d’ailleurs Benjamin Nykerk qui en prend la présidence, secondé par Édouard Rotkel. Les autres membres sont Israël Berlinsky (né en 1905), Max Dorf (1895), Arthur Forchheimer (1874), Léo Muskat (1909), Alexandre Brodsky, Saül Pinkous (1916), Salomon et David Van den Berg.

  • 77 CCIB, boîte 231, dossier 2.312, lettre du 1er avril 1942 à l’adresse de l’AJB, signée Nykerk : « [… (...)

89En tant que président du comité organisateur de La Ramée, Benjamin Nykerk presse le comité directeur de l’AJB de déterminer le sort de l’école, car « postposer continuellement une décision dans cette affaire, qui est en suspens depuis février, entrave la bonne marche des choses »77. Il indique que dans ces conditions, il est tout bonnement impossible d’inscrire de nouveaux élèves, d’engager le nouveau moniteur, Jacob Rappaport, et, surtout, en ce début de printemps, de mettre à exécution le plan de culture esquissé par ce dernier. Il prévient en outre que le retard encouru risque d’être lourd de conséquences pour l’école.

90Le Comité directeur de l’AJB nomme alors l’Anversois Nico Workum et le Liégeois Noé Nozyce comme rapporteurs auprès du Comité directeur pour le dossier de l’école de La Ramée. Le principe d’une école horticole telle que celle de La Ramée s’inscrit tout à fait dans la politique d’enseignement et d’émigration que se doit de mener l’AJB. L’existence de l’école n’est donc pas remise en cause. Ce qui l’est en revanche, c’est la façon dont elle fonctionne. En effet, son budget est constamment déficitaire, ce qui ne facilite pas sa reprise par l’Association. Le Comité directeur de l’AJB décide alors que l’école, tout en étant soumise au contrôle financier de l’Association par le biais de son comité local bruxellois, demeure sous le patronage de la Communauté israélite de Bruxelles. Il lui accorde une somme pour les frais de fonctionnement, met à sa disposition un fonds de roulement important et crée un certain nombre de bourses d’études au profit d’élèves indigents. Il pose néanmoins comme condition que l’école ait dès que possible un nombre suffisant d’élèves payants afin de combler le déficit.

  • 78 CCIB, boîte 231, dossier 2.312, lettre du 24 juillet 1941, à l’adresse de Rotkel, signée Jakob Rapp (...)

91Dès lors, les responsables communautaires se mobilisent pour relancer une fois de plus l’école horticole. L’ingénieur agronome Jacob Rappaport, qui s’est porté candidat, semble posséder toutes les qualités requises pour mener à bien le projet. Né le 8 février 1912 à Bohorodszany (Pologne), de nationalité polonaise, Jacob Rappaport interrompt ses études à l’Université de Leipzig pour fuir l’Allemagne en septembre 1933. Il les reprend à l’École d’Horticulture de l’État de Gand (Landbouwhogeschool van de Staat), d’où il sort diplômé en 1937. Il parfait ses études en acquérant le titre de docteur en sciences botaniques à l’Université de Dijon en 1938. Maîtrisant parfaitement le néerlandais, il devient la même année assistant à la section de physiologie de l’institut botanique de l’Université de Gand. Jusqu’en juillet 1940, il est chercheur dans cette institution, activités professionnelles qu’il lui faut interrompre, comme il le formule, « en raison des circonstances »78. Le fait qu’il est juif constitue de surcroît un atout non négligeable.

  • 79 MJDR, fonds CNHEJ, 10 M, École d’horticultire de La Ramée, « Eenige voorstellen tot het oprichten v (...)

92Rappaport rédige à l’adresse du comité de l’École horticole un rapport détaillé dans lequel il expose la façon dont il entend procéder en vue de la « création d’une école d’horticulture à Bomal »79. Près d’un an après son ouverture, l’école de La Ramée semble donc toujours à l’état de projet, à la recherche d’un envol définitif. En effet, un certain nombre de problèmes persistent, tels le manque d’élèves, le ravitaillement, l’organisation de l’enseignement théorique, la discipline générale. Rappaport se propose d’y remédier en collaboration avec le comité. Le but est d’obtenir dès que possible une reconnaissance définitive par le ministère de l’Agriculture au même titre que toute autre école horticole du pays. À ces fins, l’école se doit de répondre à un certain nombre de critères.

  • 80 Ibid. : « Liefde tot den grond ».

93Le programme d’étude en horticulture établi par le ministère s’étend sur deux années, mais en raison des circonstances, le comité souhaite, avec l’assentiment de l’inspecteur principal d’horticulture, le boucler en un an, en limitant l’enseignement théorique au strict minimum, c’est-à-dire à une heure de cours par jour. Rappaport propose donc de mettre essentiellement l’accent sur les travaux pratiques, afin que les élèves apprennent à avoir « l’amour du métier »80. Ceci permettra également de compléter leurs connaissances théoriques, de leur apprendre à diriger une exploitation agricole et de diminuer les dépenses en ravitaillement. L’objectif ambitieux du nouveau directeur est qu’à la fin de l’année académique les élèves puissent participer à un examen d’État organisé par le ministère de l’Agriculture.

94Il est décidé, sur conseil de Rappaport, d’engager un jardinier, responsable des travaux pratiques et du potager, le directeur devenant ainsi essentiellement un intermédiaire entre le comité de l’École de La Ramée auprès du comité directeur et les élèves. Ce sera finalement Sigmund Simon (né en 1898), réfugié allemand, qui sera embauché à ce poste vers la mi-juillet 1942. Un horaire du jour strict est instauré, partagé entre travaux pratiques, enseignement théorique et activités culturelles.

  • 81 Ibid. : « De zondag is een gewone werkdag, maar om de gevoelens der katholieke buren (nonnen-kloost (...)

95Si l’objectif premier est de répondre aux critères établis par le ministère de l’Agriculture afin que l’école soit reconnue au même titre que les autres écoles horticoles du pays, les responsables semblent plus que jamais souhaiter souligner ce qui distingue La Ramée des institutions similaires. Ainsi, l’accent est mis sur la spécificité juive de l’institut et un plus grand intérêt est accordé à l’éducation juive de ses élèves. À mesure que croît la haine envers les Juifs se développe le besoin de se réfugier dans un judaïsme à bien des égards réconfortant. Il est décidé de respecter, dans la mesure du possible, la cachrout (les prescriptions religieuses en matière alimentaire) tout comme le shabbat. Dès lors, le dimanche devrait être considéré comme un jour de travail ordinaire. Rappaport remarque toutefois qu’ « afin de ne pas blesser les sentiments des voisins catholiques (les nonnes du couvent), il serait préférable de ne travailler que l’avant-midi »81. Il propose également la remise en place de la hanhaga qui serait formée de quatre personnes, dont au moins une fille et un représentant du « groupe orthodoxe des élèves », supposés défendre les intérêts de leurs minorités respectives.

  • 82 Ibid.: « door het noodlot bijeen ».
  • 83 Ibid.: « Verder moet gestreefd worden een geest van de echte “chaluziuth” op te kweeken, zonder aan (...)

96D’autre part, de réels efforts doivent être entrepris pour renforcer le sentiment de collectivité au sein de ce groupe d’élèves assez hétéroclite, « que le destin a rassemblés »82. Rappaport prévient que s’il est essentiel de développer « un esprit de vraie “chaluziuth” (esprit pionnier) », il ne faut pas que l’école ait « une coloration sioniste trop criarde »83.

97En ce printemps 1942, dans un climat de plus en plus hostile à l’égard des Juifs, l’école constitue un lieu privilégié où, dans un esprit d’insouciance et de camaraderie, on s’efforce de former une conscience identitaire. Elle ne semble plus se donner comme vocation première de répondre aux problèmes sociaux immédiats, mais aspire à présent à être un havre de salut pour un judaïsme en butte au dénigrement.

  • 84 MJDR, fonds CNHEJ, farde 10 M, « Règlement général de l’École temporaire de Préparation horticole e (...)
  • 85 Ibid.

98Comme pour marquer son nouveau départ, le comité organisateur retravaille le règlement général de l’école84. Celui-ci invite les pensionnaires à « contribuer par leur tenue physique et morale irréprochable à la bonne réputation de l’Institution » et à « éviter tout acte et parole pouvant nuire à la bonne entente avec leurs compagnons ou causer des difficultés dans les rapports avec le propriétaire de La Ramée, les voisins, les fournisseurs et l’Autorité »85. Les élèves doivent en outre s’engager à « s’abstenir de faire de la propagande de caractère politique de quelque nature que ce soit et s’interdire l’introduction à l’École ou Internat, d’ouvrages ou écrits à caractère politique ». Tout élève est à présent soumis à une période d’essai d’un mois avant son admission officielle. Les pensionnaires ne se conformant pas au règlement peuvent être exclus de l’institution, sans pouvoir prétendre à une quelconque indemnité. Au cas où l’école devrait cesser ses activités, et ce « pour quelque motif que ce soit », les élèves ne pourront pas non plus percevoir de dédommagement. Les responsables sont apparemment conscients de la fragilité de l’entreprise.

  • 86  CCIB, boîte 231, dossier 2.312, Mémorandum du 23 avril 1942, à l’adresse du Comité directeur des J (...)
  • 87 Lire à ce sujet S. Vandepontseele, « Le travail obligatoire des Juifs en Belgique et dans le Nord d (...)

99Fin avril 1942, l’école compte 16 élèves considérés comme « de bons éléments », « un noyau déjà entraîné, […] qui pourra par son travail non seulement guider les nouveaux arrivés mais encore aider à une récolte suffisante pour la nourriture de La Ramée »86. 18 autres élèves viennent de s’inscrire. Les circonstances ont en effet encore évolué : exclus des études et de certains métiers, voués à l’inaction et à l’appauvrissement, les jeunes Juifs sont de surcroît en première ligne pour le travail obligatoire. Une première ordonnance allemande relative à la mise au travail obligatoire des Juifs en Belgique et dans le Nord de la France est en effet publiée le 11 mars 1942, suivie de celle du 8 mai 1942 qui la complète87. En juin 1942, pendant que se met en place la mise au travail des Juifs, l’école compte de nombreuses nouvelles inscriptions. À mesure d’ailleurs que s’aggrave la situation et que s’organise la haine, le nombre de jeunes candidats augmente sensiblement, car l’école constitue une des rares voies permettant aux jeunes de se soustraire à la déportation vers les camps de travail du nord de la France. Les premières convocations pour le travail obligatoire au profit de l’Organisation Todt, chargée de la construction du Mur de l’Atlantique, sont envoyées début juin et le premier des neuf convois pour la France quitte Anvers le 13 juin 1942.

  • 88 FMC, témoignage de H.V. Sephiha, 12 janvier 2000.

100Parmi ces nouveaux élèves, on compte de nombreux sionistes, issus de différents horizons politiques mais partageant le même rêve d’un foyer national juif en Palestine. Plus que jamais auparavant, il règne au sein de l’école une atmosphère d’harchara. Retranchée dans un immense parc, loin des inquiétudes de la ville, La Ramée devient un îlot d’insouciance et de ressourcement pour une jeunesse des plus vulnérables. S’y retrouvent des jeunes gens aux conceptions politiques et religieuses parfois fort divergentes, mais qui partagent le même sort et l’espoir de jours meilleurs. Haïm Vidal Sephiha se souvient que « tous [les élèves] s’entendaient très bien. Ils étaient tous sionistes. Ils se préparaient aux travaux de la terre », concluant que « c’était une vie extraordinaire»88.

  • 89 CCIB, La Ramée, lettre du 20 juillet 1942, à l’adresse de Monsieur Hellendall de l’AJB, signée Éd. (...)

101Devant l’afflux incessant d’élèves en ces mois particulièrement critiques pour la jeunesse juive, la Communauté israélite de Bruxelles demande à l’AJB d’augmenter le nombre de bourses mises à sa disposition afin de ne pas être contrainte de renvoyer une partie des élèves. En effet, si vers la fin du mois de juin, l’école ne compte encore que 20 élèves, ils sont 53 à être inscrits à La Ramée à la mi-juillet. Sur ces 53 élèves, 13 ne payent absolument rien. Les autres payent un minerval calculé sur base de leurs capacités financières, allant de 500 à 1.500 francs par mois. Malgré les dons privés et les bourses d’études accordées par l’AJB, l’école demeure donc largement déficitaire, et la situation n’est pas près de s’améliorer89.

102Le registre de population du hameau de Bomal nous apprend que la majorité des élèves arrivent entre le 1er et le 4 juillet 1942. Parmi eux, de très nombreux Anversois, membres du mouvement sioniste religieux Bne Akiva, probablement dirigés vers La Ramée par les communautés anversoises. Bien que l’école horticole soit une création de la Communauté israélite de Bruxelles, elle a dès le début accueilli des élèves anversois, car il n’existe aucune autre institution de ce type dans le pays. La Communauté israélite de Bruxelles s’est néanmoins toujours refusée à prendre ceux-ci en charge financièrement, les invitant à s’adresser à cette fin à la Communauté israélite d’Anvers.

103Le dernier groupe d’élèves arrivé sur place est constitué de jeunes Juifs habitant tous la commune bruxelloise de Saint-Gilles. Ceux-ci n’élisent domicile à La Ramée que le 4 juillet, tandis que la commune de Saint-Gilles enregistre officiellement leur départ pour Bomal près de trois semaines plus tôt, le 12 juin 1942. Est-il dès lors possible que cette date ait été ajoutée rétrospectivement et que ces jeunes aient pu bénéficier de la complicité de l’administration communale saint-gilloise pour échapper à une convocation pour le travail obligatoire ?

  • 90 Voir S. Vandepontseele, dans J.-Ph. Schreiber – R. Van Doorslaer, op. cit., p. 207.
  • 91 S. Vandepontseele, ibid., p. 231.
  • 92 MJDR, fonds CNHEJ, 08-160, Compte-rendu de l’entrevue accordée par le K.V. Baron à MM M. Benedictus (...)
  • 93 MJDR, fonds CNHEJ, 03-01, Doubles, « Arbeitsplan des Büros des Jüdischen Umschulungs- und Arbeitsam (...)
  • 94 Lire à ce propos : C. Massange, « La politique sociale », dans J.-Ph. Schreiber – R. Van Doorslaer, (...)

104Parallèlement, et en réponse aux événements, est créé au sein du Comité directeur de l’AJB un Office juif de Réadaptation et de Placement (OJRP), au sein duquel l’on trouve trois commissions consultatives techniques, chargées respectivement de la mise au travail, des écoles-ateliers et de l’agriculture90. Le but en est essentiellement la créa-tion d’une main-d’œuvre juive qualifiée. Dans une étude consacrée à la mise au travail obligatoire des Juifs, Sophie Vandepontseele voit avant tout dans l’OJRP une tentative de l’AJB « d’offrir une alternative aux déportations »91. Il est ainsi dans les desseins de l’OJRP de créer d’autres écoles agricoles, à l’exemple de celle de Bomal, dans les environs de Bruxelles, d’Anvers, de Liège et de Charleroi. Le comité local d’Anvers compte notamment transformer en un centre agricole la Villa Altol, un domaine dans la Campine anversoise, qui depuis 1923 accueille des enfants juifs anversois en difficulté92. Il est également dans l’intention de l’OJRP de faire de l’internat en voie de création à Wezembeek et destiné à une centaine de jeunes gens de 15 à 17 ans un centre agricole93. Notons au passage que ni la Villa Altol ni le home de Wezembeek ne deviendront des centres agricoles, les événements en décidant autrement94. Ce qui illustre bien à quel point l’Association tente sans cesse de s’adapter aux circonstances.

  • 95 J.-Ph. Schreiber, Dictionnaire biographique des Juifs de Belgique, Bruxelles, 2002, notice sur Meye (...)

105En marge de l’AJB, d’autres personnes projettent de créer des fermes-écoles. En juillet 1942, l’occupant autorise en effet Meyer Tabakman (1912-1944), militant sioniste de gauche, à fonder une harshara à Okegem, un petit village situé en Flandre orientale. Mais ce projet restera sans suite95.

Un foyer de résistance ?

106Au moment des premières convocations pour le travail obligatoire, un nombre fort important de nouveaux élèves est subitement accueilli au sein de l’école. Il s’agit de jeunes gens venant de Bruxelles et d’Anvers et tentant vraisemblablement d’éviter une mise au travail qui, bien légitimement, suscite maintes inquiétudes. Les élèves de l’école reçoivent un certificat de fréquentation, qui les protège alors encore du travail forcé. La perspective de travailler la terre dans un centre agricole géré par la Communauté juive, avec l’éventualité d’être placé comme apprenti dans une ferme du pays à l’issue de la formation, doit leur paraître de loin préférable à celle d’une déportation vers un camp de travail. On a dès lors l’impression qu’au sein du comité de l’école s’organise un réseau parallèle, en marge de la légalité. La destination de l’école semble en effet se modifier : de harchara née d’une préoccupation sociale et d’un idéal sioniste, l’école semble devenir avant tout un refuge pour les jeunes persécutés. La volonté de ses promoteurs d’aider une jeunesse en proie à l’exclusion évolue apparemment au rythme des persécutions. Le caractère urgent et alarmant des événements influe sur l’objet premier de l’institut : il ne s’agit plus simplement d’assister charitablement une jeunesse exposée à la marginalisation, de lui apporter un certain réconfort ou de répondre à certains besoins identitaires, mais bien de la secourir et de la protéger d’un péril explicite. L’école devient une ultime voie de salut pour une jeunesse en danger.

  • 96 J.-Ph. Schreiber, Dictionnaire biographique…, notice sur Benjamin Maurits, dit Benno, Nykerk ou Nie (...)

107Les deux principaux responsables de l’école, Benjamin Nykerk et Édouard Rotkel, respectivement président et vice-président du comité organisateur de l’école, vont en tout cas dès l’été 1942 rejoindre le Comité de Défense des Juifs (CDJ), l’organisation de résistance civile juive. À l’inverse de la majorité des personnalités juives siégeant à l’AJB, ils choisissent de s’engager dans des activités clandestines contre l’occupant plutôt que de tenter un impossible dialogue avec celui-ci. Aucun des deux ne survivra à la guerre. En septembre 1942, Édouard Rotkel est arrêté en même temps que d’autres responsables juifs de la communauté obligatoire. Il est immédiatement envoyé à Malines, d’où il est déporté par le XIe convoi. Benjamin Nykerk, trésorier du CDJ, est arrêté à Paris le 20 mars 1944 et déporté vers Neuengamme96.

  • 97 Entretien téléphonique de l’auteur avec Haïm Vidal Sephiha, 4 août 2005.

108H. V. Sephiha, élève à l’école, se souvient que c’est à La Ramée qu’il entendit parler pour la première fois de la Résistance : « Le successeur d’Haroun Tazieff [Jacob Rappaport] avait essayé de m’embringuer, à mots couverts, dans la Résistance. Je ne savais même pas que ça existait, la Résistance ! Ce n’est qu’après que j’ai compris »97.

  • 98 Lire notamment le témoignage d’Erich Unger, dans Österreicher im Exil…, pp. 17-20 ; voir OE, Police (...)

109Le cas du jeune Erich Unger illustre peut-être bien ce changement de cap dans la politique de l’école. Réfugié autrichien sans profession, Erich Unger a tout juste 18 ans quand, à la mi-juillet 1942, il est convoqué par l’Office du Travail de Bruxelles, l’organe administratif chargé de la mise au travail. Comme il se prétend élève de l’école d’agriculture, l’Office du Travail (OT) accepte de l’exempter du travail obligatoire après avoir consulté la liste des élèves. Bien que figurant sur une liste de nouveaux candidats-élèves en juin 1941, Erich Unger, par ailleurs membre du groupe de résistants communistes autrichiens, ne sera jamais pensionnaire de l’institut98. Il n’est pas inconcevable qu’il ait pu jouir de la complicité des responsables de l’école pour échapper à la mise au travail.

La fin de l’école

  • 99 Laurence Schram a calculé que sur les 12.000 convocations distribuées, seules 3.956 personnes se pr (...)

110Mais, malgré la couverture légale de l’entreprise, l’autorisation de principe des Allemands, la situation en retraite et les multiples efforts qu’accomplissent les responsables de l’école, La Ramée est rattrapée par les événements. Fin juillet 1942, les premiers Arbeitseinsatzbefehle, convoquant leur destinataire à la caserne Dossin à Malines, sont distribués. Le camp de rassemblement de Malines ouvre ses portes dès le 27 juillet 1942. Le premier convoi vers l’Est quitte la caserne le 4 août 1942. Le système de convocations n’a pas pour autant le résultat espéré par l’occupant. Dès le début, il éprouve des difficultés à remplir les convois de déportés99. La fréquence des convois en partance de Malines pour la Haute-Silésie n’étant pas aussi élevée que le souhaiterait l’occupant, il changera très vite de stratégie, choisissant d’opérer des arrestations massives.

111À La Ramée se trouve rassemblé un nombre relativement important de jeunes Juifs en âge de travailler. Ils forment un groupe particulièrement vulnérable. L’école n’est pas à l’abri : elle a déjà reçu au moins une fois, en octobre 1941, la visite de la Gestapo et de la Feldgendarmerie. Les responsables communautaires décident-ils, par crainte d’une rafle, de fermer l’école ? Le registre de population de Bomal nous indique en tout cas que le 10 août 1942, la toute grande majorité des élèves quittent officiellement la commune. D’aucuns ont été convoqués pour une « mise au travail » et se sont effectivement présentés à la caserne Dossin. D’autres semblent plonger immédiatement dans la clandestinité. Haïm Vidal Sephiha, ancien moniteur à La Ramée, est arrêté à Bruxelles en mars 1943 et interné à la caserne Dossin, où il retrouve d’anciens compagnons de la harchara. Ceux-ci font état d’une rafle à l’école en août 1942... Nous ne possédons malheureusement pas d’autres témoignages à ce propos et les archives consultées ne nous permettent pas d’expliquer avec certitude comment se termine l’aventure de l’école.

112Toujours est-il qu’à partir du mois d’août 1942, le château Becquevort est vide. L’AJB va pendant un moment s’intéresser au bâtiment dans la perspective d’en faire un home pour enfants dits abandonnés. Pour une raison que nous ignorons, elle renonce assez rapidement au projet. L’AJB reprend le matériel et le mobilier se trouvant à Bomal, mais refuse le rôle de liquidateur, ce qui reviendrait à devoir apurer les nombreuses dettes contractées par l’école de la Communauté tout au long de sa brève existence. Ce n’est qu’après-guerre, en octobre 1944, que le bâtiment trouvera de nouveaux locataires, redevenant alors une simple villa d’agrément.

113La ferme-école de la Communauté israélite de Bruxelles aura donc été la seule initiative du genre à aboutir en Belgique pendant la guerre. Pendant les quinze mois de son fonctionnement, elle aura accueilli de nombreux jeunes, évoluant du statut d’institution vouée principalement à leur offrir une échappatoire à l’exclusion vers celui d’abri de dernier recours face au danger imminent.

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Annexe

Un dépliant pour éveiller l’intérêt de la jeunesse juive bruxelloise…

Un dépliant pour éveiller l’intérêt de la jeunesse juive bruxelloise…

© FMC

Scènes de la vie quotidienne à la ferme-école de la Ramée, 1942

Scènes de la vie quotidienne à la ferme-école de la Ramée, 1942

© Fondation Auschwitz

© Fondation Auschwitz

© Fondation Auschwitz

© Fondation Auschwitz

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Notes

1 Concernant la reconstruction de la Communauté israélite de Bruxelles au début de la guerre, lire Jean-Philippe Schreiber, « Entre communauté traditionnelle et communauté obligatoire », dans J.-Ph. Schreiber – R. Van Doorslaer (éds.), Les curateurs du ghetto. L’Association des Juifs en Belgique sous l’occupation nazie, Bruxelles, 2004, pp. 91-140.

2 Le Consistoire central israélite de Belgique, créé en 1832, est l’organe de représentation des communautés juives de Belgique auprès des instances officielles de l’État belge.

3 Ceges, Archives de guerre du Dr Salomon Ullmann, président de l’AJB, mic 41.

4 J.-Ph. Schreiber, op. cit., pp. 104-105.

5 Ibid.

6 Consistoire central israélite de Belgique (CCIB), boîte 231, dossier 2.312, « Le Service d’Adaptation professionnelle », document non daté, non signé.

7 CCIB, boîte 231, dossier 2.312, Ibid.

8 CCIB, boîte 231, dossier 2.312, « Règlement de la communauté israélite de Bruxelles », 22.4.1941.

9 J.-Ph. Schreiber, « L’accueil des réfugiés du Reich en Belgique, mars 1933 – septembre 1939 : le Comité d’Aide et d’Assistance aux Victimes de l’Antisémitisme en Allemagne », dans Les Cahiers de la Mémoire contemporaine, n° 3, 2001, p. 52.

10 Sur Max Gottschalk, voir la notice qui lui est consacrée dans J.-Ph. Schreiber, Dictionnaire biographique des Juifs de Belgique. Figures du judaïsme belge, XIXe-XXe siècles, Bruxelles, 2002, pp. 139-141.

11 J.-Ph. Schreiber, « L’accueil des réfugiés… », p. 27.

12 Fondé en 1937, le Conseil des Associations juives de Bruxelles ambitionnait d’être l’organe de représentation de l’ensemble des organisations juives de la capitale. Lire à ce propos J.-Ph. Schreiber, ibid., p. 42.

13 Archives générales du Royaume (AGR), fonds Nyns, dossier 91, dépliant de l’école horticole et agricole temporaire de La Ramée – Bomal.

14 Contrairement à d’autres organisations de jeunesse sionistes, HeHaloutz se voulait apolitique, se fixant comme objectif la formation appuyée de jeunes désirant s’établir effectivement en Palestine pour participer activement à la création d’un foyer national juif. À cet effet, elle élabora dans l’entre-deux-guerres un réseau fort développé de fermes-écoles dispersées sur tout le territoire européen pour préparer les candidats au départ. Lire à ce sujet G. Bensoussan, Une histoire intellectuelle et politique du sionisme 1860-1940, Paris, 2002.

15 Au sujet des mouvements de jeunesse sionistes, G. Bensoussan, op. cit.

16 J.-Ph. Schreiber, op. cit.

17 J. Tordoir, « Les propriétaires de l’ancienne abbaye de La Ramée : de l’époque française à la Première Guerre mondiale », dans Th. Coomans (Éd.), La Ramée. Abbaye cistercienne en Brabant wallon, Bruxelles, 2002, p. 150.

18 CCIB, boîte 231, dossier 2.312, note pour l’agronome de l’État, document non daté, signé Van Der Borght.

19 Musée juif de la Déportation et de la Résistance (MJDR), fonds CNHEJ, farde 10 M, La Ramée, document du 28 avril 1941.

20  CCIB, boîte 231, dossier 2.312, « Communauté israélite de Bruxelles. Commission pour l’adaptation agricole. Rapport sur la situation au 9 mai 1941 », non signé.

21 CCIB, boîte 231, dossier 2.312, « Rapport sur la situation à la Ramée au 22 juin 1941 », non signé.

22 CCIB, boîte 231, dossier 2.312, lettre du 3.4.1941 à Alexandre Brodsky, signée Hermann Frank.

23 CCIB, boîte 231, dossier 2.312, « Rapport sur l’activité du service depuis sa création jusqu’au 26 avril 1941 », non signé.

24 Österreicher im Exil – Belgien 1938-1945. Eine Dokumentation, Vienne, 1987 : témoignage de Jacobo (Bob) Zanger, pp. 51-56.

25 À la Cuisine populaire, au sein des différents comités d’aide juifs, dans les ateliers de l’AREPROR, dans les centres fermés pour réfugiés, etc. Voir ibid., p. 37.

26 Office des Étrangers (OE), fonds Police des Étrangers, dossier Herbert Kandel (n°A396410).

27 OE, fonds Police des Étrangers, dossier Jacobo Zanger (n°A346721).

28 Fondation de la Mémoire contemporaine (FMC), témoignage d’Alex Fürst, recueilli par Maya Klein, le 29.9.2000.

29 OE, Police des Étrangers, dossier Alexander Fürst (n°A316704).

30 CCIB, boîte 231, dossier 2.312, rapport « Mon déplacement à la Ramée les 26 et 27 mai 1941 », non daté et non signé.

31  CCIB, boîte 231, dossier 2.31, « Communauté israélite de Bruxelles. Commission pour l’adaptation agricole. Rapport sur la situation au 9 mai 1941 ».

32  CCIB, boîte 231, dossier 2.31, rapport « mon déplacement à la Ramée les 26 et 27 mai 1941 », non daté, non signé. 

33 Österreicher im Exil…, témoignage de Bob Zanger, p. 52 : « In La Ramée wurde viel diskutiert über den Charakter des Krieges. Zunächst waren wir der Meinung, dass er ein imperialistischer sei, dass sein Charakter sich nach dem Überfall auf die S.U. geändert habe. »

34 MJDR, fonds CNHEJ, farde 10 M – La Ramée, lettre non datée, signée Éd. Rotkel. 

35 CCIB, boîte 231, dossier 2.312, rapport du 31 mai, 1er et 2 juin 1941 de Maurice Vanderborght à la Communauté israélite de Bruxelles.

36 CCIB, boîte 231, dossier 2.312, lettre en date du 4 juin [1941], à l’adresse de Vanderborght, signée Rotkel.

37 Service des Victimes de la Guerre (SVG), fiche SD Manfred Ziegelmann ; OE, fonds Police des Étrangers, dossier Manfred Ziegelmann.

38 SVG, fiche SD, Rolf Heumann ; OE, fonds Police des Étrangers, dossier Rolf Heumann.

39 Témoignage d’Esther Schreier, née Schiff, dans Österreicher im Exil…

40 OE, fonds Police des Étrangers, dossier Hertha Ligeti, document du 29 novembre 1938 émanant du ministère de la Justice, Sûreté publique. 

41 CCIB, boîte 231, dossier 2.312, lettre du 17 juin 1941, à l’adresse de Éd. Rotkel, signée Brodsky.

42 Ibid., lettre du 20 juin 1941, à l’adresse de Éd. Rotkel, signée Brodsky.

43 Ibid., lettre du 27 juin 1941, à l’adresse de Éd. Rotkel, signée Brodsky.

44 Ibid., lettre du 27 juin 1941, à l’adresse de Éd. Rotkel, signée Brodsky.

45  CCIB, boîte 231, dossier 2.312, « Rapport sur la situation à La Ramée au 22 juin 1941 », non signé.

46 CCIB, boîte 231, dossier 2.312, lettre du 17 juillet 1941, à l’adresse de l’École d’Horticulture de l’État à Gand, signée Éd. Rotkel.

47 CCIB, boîte 231, dossier 2.312, lettre du 16 août 1941, à Lunski, signée Brodsky.

48 CCIB, boîte 231, dossier 2.312, « Rapport sur la situation à La Ramée au 22 juin, 24 juin 1941 », non signé.

49 Ibid.

50 Ibid.

51 Österreicher im Exil, témoignage de Bob Zanger, p. 53 : « An den Aktionen nahm ich auch aktiv teil, wobei ich gemeinsam mit den Genossen Alex Fürst und Herbert Kandel insbesondere die belgischen Provinziestädte, in denen sich deutsche Garnisonen befanden, mit unserem Material belegte. Herbert Kandel und ich hatten zu diesem Zwecke Netzkarten für das gesamte belgische Eisenbahnnetz und es gibt kaum eine belgische Stadt, deren militärische Objekte nicht mehrere Male (die großen Städte einige Male im Monat) mit unserem Material bestreut wurden. (…) Nach dem 22.6.41 bekamen wir nach “La ramée” Material zum verteilen, das wir zu Kasernen brachten. »

52 Ibid., p. 49.

53 Österreicher im Exil, témoignage de Bob Zanger ; SVG, fiche SD de Ernestine Ajbeszyc.

54 À ne pas confondre avec son homonyme, le jeune partisan armé dont le surnom, « Henri le terroriste », demeure dans la mémoire collective. Le Hersz Dobrzynski dont il est question ici est né le 19 juin 1919 à Łódz, en Pologne, et arrive en Belgique en 1931. Au moment de son admission à l’école, cet Anversois est officiellement voyageur de commerce.

55 Archives CCIB, boîte 231, dossier 2.312, lettre du 26 septembre 1941, à Rotkel, signée H. Dobrzynski.

56 Archives CCIB, boîte 231, dossier 2.312, Ibid.

57 Archives CCIB, boîte 231, dossier 2.312, lettre du 10 septembre 1941, signée la Communauté israélite de Bruxelles.

58 Hertha Ligeti figure au Mémorial de la déportation des Juifs de Belgique, Bruxelles, 1982, parmi les personnes décédées en déportation. En réalité, elle survivra et regagnera immédiatement Vienne. Voir H. Ligeti, Die Sterne verlöschen nicht, Bucarest, 1959 ; E. Thurner, Erinnerung aus Verfolgung und Widerstand : Susanne Kriss, Hertha Fuchs-Ligeti, Gundl Herrnstadt-Steinmetz, Wien-Belgien-Retour, dans E. Weinzierl – R. G. Ardelt – Karl Stuhlpfarrer, Materialien zur Zeitgeschichte, Bd 7, Vienne-Salzburg, 1990. Voir SVG, dossiers statuts de Hertha Ligeti et Lotte (Liselotte) Sontag.

59 CCIB, boîte 231, dossier 2.312, document en date du 23.10.1941, Projet de circulaire. École élémentaire de préparation agricole de La Ramée - Belgique. Agréée par l’État, sous le patronage de la Communauté israélite de Bruxelles.

60 SVG, dossier statuts de Haroun Tazieff.

61 CCIB, boîte 231, dossier 2.312, lettre du 6 novembre 1941, à Brodsky, signée Vanderborght.

62 CCIB, boîte 231, dossier 2.312, lettre manuscrite du 5 novembre 1941, à Brodsky, signée Tazieff.

63 CCIB, boîte 231, dossier 2.312, lettre du 19 novembre 1941, à Brodsky, signée H. Tazieff.

64 H. Tazieff, Les défis et la chance. Ma vie. 1. De Petrograd au Niragongo, Paris, 1991, p. 82.

65 M. Halter, La force du Bien, Paris, 1995, p. 296.

66 R. Cans, Tazieff, le joueur de feu, Paris, 1988, pp. 318-320.

67 H. Tazieff, op. cit., p. 84.

68 H. Tazieff, op. cit., pp. 84-85.

69 FMC, entretien avec Haïm Vidal Sephiha, le 12 janvier 2000.

70 H. Tazieff, op. cit., p. 86

71 M. Halter, op. cit., p. 297.

72 M. Halter, op. cit. , p. 297-298.

73 Registre de population de Bomal (commune de Ramillies), lettre du 12 janvier 1981 à René Colen, signée Haroun Tazieff,.

74 SVG, dossiers Statuts, Haroun Tazieff. Lire : H. Tazieff, op. cit.

75 Lire au sujet de l’AJB: J-Ph. Schreiber – R. Van Doorslaer (éds.), op. cit.

76 CCIB, boîte 231, dossier 2.312, Mémorandum du 23 avril 1942, à l’adresse du Comité directeur des Juifs en Belgique, signé D. Vanden Berg.

77 CCIB, boîte 231, dossier 2.312, lettre du 1er avril 1942 à l’adresse de l’AJB, signée Nykerk : « […] een voortdurend uitstellen van een beslissing in deze zaak, die sinds februari hangende is, de goede gang van zaken ten zeerste belemmert ».

78 CCIB, boîte 231, dossier 2.312, lettre du 24 juillet 1941, à l’adresse de Rotkel, signée Jakob Rappaport : « door de tijdsomstandigheden ».

79 MJDR, fonds CNHEJ, 10 M, École d’horticultire de La Ramée, « Eenige voorstellen tot het oprichten van een tuinbouwschool “La Ramée” te Bomal. Verhouding tuschen directie en het Comité te Brussel », non daté, signé Jacob Rappaport.

80 Ibid. : « Liefde tot den grond ».

81 Ibid. : « De zondag is een gewone werkdag, maar om de gevoelens der katholieke buren (nonnen-kloosters) niet te kwetsen zou het geraadzaam zijn, slechts ’s voormiddags te werken ».

82 Ibid.: « door het noodlot bijeen ».

83 Ibid.: « Verder moet gestreefd worden een geest van de echte “chaluziuth” op te kweeken, zonder aan de school een opvallende sionistische tint te geven. »

84 MJDR, fonds CNHEJ, farde 10 M, « Règlement général de l’École temporaire de Préparation horticole et agricole de la Ramée à Bomal-lez-Jodogne », non daté.

85 Ibid.

86  CCIB, boîte 231, dossier 2.312, Mémorandum du 23 avril 1942, à l’adresse du Comité directeur des Juifs en Belgique, signé D. Vanden Berg.

87 Lire à ce sujet S. Vandepontseele, « Le travail obligatoire des Juifs en Belgique et dans le Nord de la France », dans J.-Ph. Schreiber – R. Van Doorslaer (éds.), op. cit., pp. 189-232.

88 FMC, témoignage de H.V. Sephiha, 12 janvier 2000.

89 CCIB, La Ramée, lettre du 20 juillet 1942, à l’adresse de Monsieur Hellendall de l’AJB, signée Éd. Rotkel.

90 Voir S. Vandepontseele, dans J.-Ph. Schreiber – R. Van Doorslaer, op. cit., p. 207.

91 S. Vandepontseele, ibid., p. 231.

92 MJDR, fonds CNHEJ, 08-160, Compte-rendu de l’entrevue accordée par le K.V. Baron à MM M. Benedictus et M.Heiber en date du 13 juillet 1942.

93 MJDR, fonds CNHEJ, 03-01, Doubles, « Arbeitsplan des Büros des Jüdischen Umschulungs- und Arbeitsamtes (Office juif de Placement et de Réadaptation) », non daté.

94 Lire à ce propos : C. Massange, « La politique sociale », dans J.-Ph. Schreiber – R. Van Doorslaer, op. cit., pp. 289-291.

95 J.-Ph. Schreiber, Dictionnaire biographique des Juifs de Belgique, Bruxelles, 2002, notice sur Meyer Tabakman, p. 333.

96 J.-Ph. Schreiber, Dictionnaire biographique…, notice sur Benjamin Maurits, dit Benno, Nykerk ou Nieuwkerk ou Nijkerk, p. 262.

97 Entretien téléphonique de l’auteur avec Haïm Vidal Sephiha, 4 août 2005.

98 Lire notamment le témoignage d’Erich Unger, dans Österreicher im Exil…, pp. 17-20 ; voir OE, Police des Étrangers, dossier d’Erich Unger ; SVG, fiche SD et dossier statuts d’Erich Unger.

99 Laurence Schram a calculé que sur les 12.000 convocations distribuées, seules 3.956 personnes se présenteront effectivement à la caserne Dossin : voir L. Schram, « Les convocations pour le travail à l’Est », dans J.-Ph. Schreiber – R. Van Doorslaer, op. cit., p. 336.

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Pour citer cet article

Référence papier

Barbara Dickschen, « La ferme-école juive de La Ramée durant l’occupation (avril 1941 – août 1942) »Les Cahiers de la Mémoire Contemporaine, 6 | 2005, 79-133.

Référence électronique

Barbara Dickschen, « La ferme-école juive de La Ramée durant l’occupation (avril 1941 – août 1942) »Les Cahiers de la Mémoire Contemporaine [En ligne], 6 | 2005, mis en ligne le 01 novembre 2020, consulté le 10 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cmc/976 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cmc.976

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Auteur

Barbara Dickschen

Barbara Dickschen, licentiate in de Romaanse Talen, is onderzoekster bij de Stichting voor de eigentijdse Herinnering.

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