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Faux papiers. Un chapitre ignoré de la Résistance juive en Belgique

Ahlrich Meyer
p. 213-269

Texte intégral

  • 1 Texte traduit de l’allemand par Maud Qamar. Je remercie Laurence Schram pour son aide précieuse et (...)
  • 2 Dans sa monographie Die Shoah in Belgien, Darmstadt, 2009 (trad. néerl., Anvers, 2011), Insa Meinen (...)

1Le Musée Juif de la Déportation et de la Résistance de Malines conserve un fonds de documents que ses visiteurs ne peuvent consulter et décrire sans empathie et qui font partie des sources les plus impressionnantes sur la Shoah en Belgique1. Il s’agit des « reliques », terme qui désigne des papiers, pièces d’identité et autres documents personnels posthumes que l’on a pris aux Juifs arrêtés avant leur déportation à Auschwitz et qui ont été conservés depuis avril 1943 au lieu d’être détruits comme il était de coutume auparavant. Le musée de Malines a digitalisé ces archives et répertorié leur contenu, mais à ma connaissance elles n’ont été que très peu exploitées par les historiens2. Cette remarque vaut tout particulièrement pour les fausses pièces d’identité conservées que de nombreux Juifs portaient sur eux au moment de leur arrestation par la Gestapo.

  • 3 Voir le rapport rédigé en 1943 par Joseph Hakker (évadé du convoi XVIII du 15.01.1943) : « Dès notr (...)
  • 4 Voir à ce sujet mon article « Boden oder : Das Wissen um Auschwitz », dans Theresienstädter Studien (...)
  • 5 Il arrivait toutefois aussi que la véritable identité d’une personne arrêtée sous un faux nom ne so (...)

2L’histoire de la transmission à la postérité de ces « reliques » présente de grandes zones d’ombre et ne peut être que partiellement reconstruite. Une chose est sûre : durant la période allant du mois d’août 1942, date du début des déportations depuis la Belgique, jusqu’au printemps 1943, toutes les pièces d’identité ainsi que les photos de famille des déportés, à quelques centaines d’exceptions près, ont été détruites sur l’ordre de l’Administration allemande du camp3. Directement après leur arrivée au camp de rassemblement de Malines, les Juifs devaient remettre leurs papiers, leurs objets de valeur et leurs clés lors de la procédure dite d’Aufnahme4. Lorsqu’en revanche ils étaient pris en possession de faux papiers lors de leur arrestation, ils étaient interrogés par la Gestapo – au quartier général de la Sicherheitspolizei (Sipo-SD) à l’avenue Louise à Bruxelles – et la plupart du temps brutalisés jusqu’à ce que l’on découvrît leur véritable identité. Les Allemands rayaient alors les pièces d’identité pour les rendre caduques, apposaient dessus une mention telle que « Jude, falsch » (« Juif, faux ») et y ajoutaient souvent le vrai nom et la date de naissance. Avec le transfert des prisonniers vers Malines, ces documents ont eux aussi dû parvenir entre les mains de l’administration du camp5.

  • 6 Au total, ce sont quelque 4.400 « reliques » qui ont été conservées. Au moment de la libération en (...)
  • 7 Voir notes manuscrites Frank, 13.3.1949, Auditorat militaire, dossier Sipo Bruxelles, liasse 1.
  • 8 Une recherche séparée serait nécessaire pour savoir quand et dans quelles conditions les photograph (...)

3On ne sait pas exactement pourquoi la destruction des papiers d’identité s’est arrêtée avec le départ du convoi XX le 19 avril 1943. Dans tous les cas, ce n’est qu’à partir de cette date que l’on dispose de « reliques » en plus grand nombre6. Elles ont été conservées dans des enveloppes brunes en kraft qui semblent avoir été fabriquées directement au camp et où est indiqué le nom de la personne concernée ou de plusieurs membres de la famille7. Sur l’enveloppe était également noté le numéro individuel du transport que l’on attribuait dès leur arrivée à tous les Juifs enfermés au camp de rassemblement de Malines, une fois leurs papiers d’identité confisqués, et qui correspondait au numéro du prochain train de déportation pour Auschwitz sur la liste de transport. Il est possible que l’arrêt de la destruction des papiers soit l’œuvre de l’adjudant-major Frank, le nouveau commandant du camp à partir du printemps 1943, qui s’attribua certaines améliorations du fonctionnement du camp de Malines après la guerre lorsqu’il craignit, après son arrestation, d’être inculpé et condamné. Peut-être souhaitait-il tromper les prisonniers restant au camp ou les responsables de l’Association des Juifs en Belgique (AJB), institution juive obligatoire créée par l’occupant, sur le fait que la déportation était un voyage sans retour. Une autre interprétation qui semble plus vraisemblable, mais qui ne repose sur aucune preuve, est que le sauvetage de ces papiers relèverait d’une initiative de représentants de l’AJB qui se seraient battus pour leur conservation auprès des Allemands ; il s’agirait alors d’un acte hautement remarquable. Ceci a en effet permis la transmission à la postérité de témoignages sur des événements dont le caractère criminel s’ébauchait depuis 1943 mais dont la portée globale n’était pas du tout claire encore à l’époque. Sans la transmission de ces documents d’archives, on aurait perdu la trace de plusieurs milliers de Juifs belges assassinés et les derniers portraits pris de leur vivant nous seraient restés inconnus8.

4Analysées dans un contexte historique, les fausses cartes d’identité sont les « reliques » qui illustrent le mieux les efforts désespérés des Juifs du temps de leur persécution et déportation pour se protéger et protéger les leurs des arrestations par les Allemands. Ce sont des documents appartenant à un chapitre largement sous-exploré de la résistance juive, pour autant que l’on englobe sous ce terme non seulement la Résistance juive organisée, mais aussi la somme de toutes les stratégies individuelles et collectives de survie de la population juive durant la Shoah.

Déjouer l’engrenage

  • 9 Voir l’excellent résumé de M. Steinberg, La Persécution des Juifs en Belgique (1940-1945), Bruxelle (...)

5En Belgique, comme dans les autres pays d’Europe de l’Ouest occupés par l’Allemagne, les Juifs ont été en très peu de temps cernés par une multitude de décrets antijuifs qui limitaient de plus en plus leurs conditions de vie au quotidien et qui se sont avérées a posteriori être les étapes de préparation à leur arrestation et à leur déportation. Une des premières ordonnances promulguées par l’administration militaire allemande portait sur le recensement administratif de la population juive sur des registres spécifiques établis par les communes belges à partir de fin 1940. À partir de la mi-1941, on apposa un cachet bien visible « Juif-Jood » sur les cartes d’identité (pour les Juifs de nationalité belge) ou les cartes pour étrangers (pour le grand nombre de Juifs étrangers) et le 1er juin 1942, toujours sur ordonnance, les Allemands imposèrent le port de l’étoile jaune aux Juifs, les autorités anversoises rajoutant même une étoile de David sur les papiers des personnes concernées9.

6Le recensement séparé de l’appartenance à une « race » représentait certes une nouveauté absolue dans la tradition de l’administration belge, mais ces ordonnances reposaient en fin de compte sur des méthodes de recensement de la population et d’identification par la police établies depuis longtemps. Ce n’est que dans le cadre des étapes préliminaires à la « solution finale » qu’ils gagnèrent leur dynamique criminelle car ils visaient à ségréguer les Juifs comme groupe de population et à les rendre visibles en public afin de pouvoir les exposer à tout moment à une arrestation par les Allemands.

  • 10 M. Steinberg, L’Étoile et le fusil, tomes 1-3/I-II (La question juive, 1940-1942 ; Les cent jours d (...)

7Déjouer cet engrenage – ce que firent en masse les Juifs de Belgique au plus tard à partir de l’automne 1942, comme l’a déjà relevé Maxime Steinberg10 – supposait de nombreuses étapes qui menaient toutes à la clandestinité : ne pas porter « l’étoile jaune », quitter le domicile déclaré auprès des autorités, cacher ses propres enfants avec l’aide de la population belge sympathisante, planifier la fuite hors du pays en passant des frontières hautement surveillées, et en tout premier lieu se procurer de faux papiers d’identité et des tickets de rationnement faisait partie des stratégies de défense. En outre, chaque étape nécessitait des sommes d’argent dont la plupart des Juifs en Belgique, pour autant qu’ils étaient issus de la masse des ouvriers immigrés, ne disposaient pas et qui avaient continué de fondre suite à ladite « aryanisation » des biens juifs et à l’interdiction de travailler pour les Juifs. Au regard du grand nombre de fausses cartes d’identité circulant en Belgique durant la guerre, se pose notamment la question de savoir d’où venaient tous ces papiers et comment ils avaient été produits techniquement. Il serait également intéressant d’analyser l’économie souterraine liée à ces faits. Les faux papiers étaient-ils achetés sur le marché noir ou distribués gratuitement par les circuits de la Résistance ?

  • 11 P. Broder, Des Juifs debout contre le nazisme, Bruxelles, 1994, particulièrement pp. 166-174 ; M. S (...)
  • 12 P. Broder, op. cit., p. 170. Il y avait également des sympathisants de la Résistance dans les admin (...)
  • 13 P. Broder op. cit., pp. 172, 181, 214. D’après les informations fournies par Pierre Broder, le CDJ (...)

8C’est à Pierre (Pinkus) Broder (1901-1969), responsable à Charleroi du Comité de Défense des Juifs (CDJ) et expert en fabrication de « faux-vrais » papiers, que l’on doit le seul compte rendu détaillé sur ce thème, auquel Maxime Steinberg fait lui aussi plusieurs fois référence11. Pierre Broder décrit l’utilisation au début de formulaires vierges authentiques ou bien produits dans des imprimeries clandestines – une méthode qui représentait de gros risques en cas de contrôles policiers, dans la mesure où le faux nom inscrit sur la carte d’identité n’apparaissait nulle part sur les registres de l’administration. La duplication ou falsification de vraies cartes d’identité comportant des données personnelles correctes, c’est-à-dire déclarées, sur lesquelles on fixait une photographie du deuxième utilisateur, représentait un risque similaire. Il explique ensuite pourquoi le CDJ changea rapidement de technique en se servant des formalités de changement d’adresse alors en vigueur en Belgique pour inscrire des personnes fictives sur les registres communaux, ce qui permettait ensuite l’établissement de « fausses-vraies » cartes d’identité – qui nécessitait cependant l’accord tacite de fonctionnaires communaux. Grâce au soutien de 126 communes dans les provinces wallonnes du Hainaut et de Namur dont les fonctionnaires étaient sympathisants de la Résistance, des milliers de vrais papiers belges avec de fausses identités purent ainsi être mis en circulation à partir d’octobre 1942, la plupart allant à des membres de la Résistance, juifs ou non12. La majorité des Juifs hors des circuits du mouvement de la résistance n’entrait manifestement pas en possession de ces cartes d’identité « fausses-vraies ». Le CDJ confectionnait par ailleurs lui-même des passeports belges pour étrangers et des autorisations de travail et fournissait tous les tampons possibles. Pierre Broder ne parle que très peu du financement de cette entreprise et ne dit rien sur l’aspect commercial du marché noir de faux papiers. Il écrit que le CDJ aurait toujours distribué gratuitement les documents falsifiés et que seuls les Juifs riches ne faisant pas partie de la Résistance auraient été priés de payer pour leurs papiers13.

  • 14 La sélection englobe au total 313 documents falsifiés. Pour faciliter une comparaison, on a égaleme (...)

9Quelles sortes de faux papiers ont été utilisées en Belgique durant la Shoah, à quelle échelle, d’où venaient ces papiers, comment ont-ils été payés et dans quelles situations ont-ils été utilisés ? La présente étude ne donne qu’un premier aperçu sur les sources existantes et que quelques réponses à ces questions. Il repose d’une part sur une sélection des faux papiers de 291 Juifs, hommes et femmes, dont la grande majorité (282 personnes) a été déportée – cela correspond environ aux trois quarts du total des documents conservés de Malines14. La répartition par convoi est présentée dans le diagramme figurant sur la page en regard.

  • 15 On exploite les dépositions des survivants d’Auschwitz qui ont été interrogés par la justice milita (...)
  • 16 Le délégué du chef de la Police de Sécurité du Reich en Belgique et au Nord de la France, Nouvelles (...)

10Le nombre de Juifs détenteurs de faux papiers au moment de leur arrestation était encore bien plus élevé, comme on le constate dans les dossiers des services d’occupation allemands ou en s’appuyant sur les témoignages de survivants utilisés pour cet article15. On ne peut qu’évaluer le nombre de Juifs qui sont parvenus à échapper à l’arrestation des Allemands et qui ont survécu parce qu’ils étaient en possession de cartes d’identité falsifiées. Que leur nombre était bien plus élevé que celui mentionné ici est une évidence, même si les estimations de la Sicherheitspolizei allemande de juin 1944 selon lesquelles « 80 % de tous les Juifs seraient en possession de faux papiers » semblent être exagérées16.

Numéro de convoi

Date de départ

Nombre total de déportés

Nombre de détenteurs de faux papiers d’identité

XX

19.04.1943

1398

42

XXI

31.07.1943

1552

74

XXII A

20.09.1943

632

27

XXII B

20.09.1943

793

4

XXIII

15.01.1944

654

40

XXIV

04.04.1944

625

30

XXV

19.05.1944

507

36

XXVI

31.07.1944

563

29

Non déportés

9

Total

6724

291

Les services allemands enregistrent l’utilisation de fausses cartes d’identité

11Les occupants allemands ont observé avec beaucoup d’attention les réactions de la population juive aux mesures de persécution, surtout après le début des déportations, comme en attestent de nombreux rapports de différents services. Dans moult notes de la Sicherheitspolizei de Bruxelles, de la police militaire secrète et du service bruxellois des Affaires étrangères allemand, il est mis en avant que le passage des Juifs dans la clandestinité, leur fuite vers la France et en particulier l’importante propagation de faux papiers rendaient bien plus difficiles les rafles de masse et les arrestations. Certains de ces documents ont été cités à plusieurs reprises dans la littérature spécialisée, d’autres n’ont été retrouvés que récemment. Toutefois, de toute évidence, on a prêté peu d’attention au fait que l’obtention de faux papiers ait été une condition importante à la survie d’une grande partie des Juifs en Belgique.

  • 17 Commando extérieur de Vierzon au chef de la Sipo-SD Paris, 30.07.1942, CDJC, XXVI-51.

12Un des premiers rapports sur l’utilisation de faux passeports par des Juifs de Belgique nous mène dans la France occupée, plus précisément sur la ligne de démarcation qui séparait le pays en deux zones. Le commando extérieur de la Sicherheitspolizei allemande à Vierzon annonçait fin juillet 1942 déjà, soit au moment où les déportations des Pays-Bas et de France venaient à peine de commencer et où la mise en place des convois de Belgique était imminente, une fuite massive de Juifs des Pays-Bas, de Belgique et de Paris vers la zone libre française. Le fonctionnaire de police responsable, un antisémite notoire en l’occurence, avait ajouté cette note : « Les Juifs détenaient presque sans exception de nouvelles cartes d’identité sur lesquelles ils n’étaient plus identifiés comme Juifs. »17

  • 18 Directeur en chef de la police militaire auprès du Commandant militaire en Belgique et dans le Nord (...)
  • 19 Voir à ce sujet le témoignage d’après-guerre de Martin I., qui a été déporté par le convoi IX et a (...)
  • 20 Voir par exemple le rapport d’activité du mois de septembre 1942, BA-MA, RW 36/165 ; Rapport d’acti (...)

13De même, toujours en juillet 1942, la police militaire secrète (GFP) soumise au commandant militaire en Belgique enregistra que de plus en plus de Juifs tentaient de passer la frontière franco-belge avec des faux papiers et qu’ils étaient soutenus dans ces tentatives par des passeurs professionnels18. Dans un cas, ces derniers avaient apparemment pris et détourné tout l’argent liquide des Juifs. « On dit que les fausses cartes d’identité ont été fabriquées dans un café à Bruxelles. »19 Dans un autre cas, les Juifs étaient « en possession de cartes d’identité françaises falsifiées », selon les conclusions de la GFP. Des rapports d’activité ultérieurs de la police militaire secrète s’intéressent souvent au démantèlement de « réseaux de contrebandiers » organisés ou à l’arrestation de Belges accusés d’avoir fabriqué de fausses cartes d’identité et de faux tampons de l’administration20.

  • 21 Insa Meinen a retrouvé ces premières « nouvelles » que l’on pensait perdues ; voir Die Shoah in Bel (...)
  • 22 Nouvelles de Belgique et du Nord de la France, n° 16/42, 15.08.1942, Bundesarchiv Berlin, R 58/6399 (...)
  • 23 Nouvelles de Belgique et du Nord de la France, n° 17/42, 31.08.1942, ibid. – Voir ci-après pour le (...)

14À partir de mi-août 1942, après le départ du premier convoi de déportation avec 1.000 Juifs de Malines vers Auschwitz le 4 août, le délégué de la Sicherheitspolizei de Bruxelles a envoyé régulièrement des « nouvelles de Belgique et du Nord de la France » au Reichssicherheitshauptamt de Berlin (le siège central de la terreur nazie), dans lesquelles il décrivait avec exactitude les réactions de la population juive face aux prémices de la « solution finale » en Belgique21. Ces « nouvelles » montrent que les Allemands ont été contraints dès le départ d’adapter leurs stratégies de persécution au comportement des Juifs et à leurs diverses formes de défense. Dans le rapport du 15 août déjà, on lit que plus de 300 Juifs avaient été arrêtés à la frontière entre la Belgique et la Hollande et dans les gares d’Anvers dans les semaines précédentes alors qu’ils tentaient de fuir les Pays-Bas en passant par la Belgique pour atteindre la France libre, « un grand nombre étant détenteurs de faux papiers et de fausses cartes d’identité »22. On rapporte le 31 août 1942 que les déportations en cours depuis Malines avaient pour conséquence que « la majorité des Juifs vivant en Belgique ne portait plus l’étoile jaune en public » et que la situation avait favorisé un véritable « commerce de fausses cartes d’identité ». Pour la première fois, on indiquait même des prix. « D’après les rapports existants, on enregistre une nouvelle augmentation des prix de ces fausses cartes allant jusqu’à 1.000 francs belges. »23 De même, les franchissements clandestins de frontières par les Juifs persistaient, comme la Sipo fut contrainte de l’admettre.

  • 24 Nouvelles de Belgique et du Nord de la France, n° 18/42, 15.09.1942, ibid.

15Deux semaines plus tard, la situation avait continué d’empirer du point de vue des Allemands. Les Juifs auraient dû être, pour citer littéralement le document, « en raison de leur aversion à se soumettre aux convocations [il s’agit ici des « ordres de prestation de travail » selon lesquels les Juifs devaient s’inscrire volontairement à Malines –A.M.], amenés de force aux convois au moyen de rafles et d’arrestations individuelles ». En raison de ces arrestations cependant, « les Juifs, de façon générale, avaient quitté leur domicile » et tentaient « notamment pour la nuit, d’être logés chez des aryens belges » : « Pour ces logements de nuit, on paye en partie des prix allant jusqu’à plus de 100 francs belges par nuit. [...] L’instauration de lourdes sanctions, notamment à l’encontre des Belges qui logent des Juifs de façon clandestine, nous semble obligatoire. Les expériences faites prouvent toutefois qu’il est extrêmement difficile, dans de nombreux cas, de prouver quoi que ce soit contre les Belges dans la mesure où les Juifs sont détenteurs de fausses cartes d’identité belges pour la plupart. Ici aussi, rares sont les cas où les faussaires ont pu être identifiés. »24

  • 25 Von Bargen au Ministère des Affaires étrangères allemand, 24.09.1942, dans S. Klarsfeld – M. Steinb (...)

16C’est cet état des choses que le chef du service bruxellois des Affaires étrangères, Werner von Bargen, a décrit au Ministère à Berlin dans un télégramme souvent cité de septembre 1942. Von Bargen y annonçait la déportation effective de quelque 10.000 Juifs étrangers et apatrides à partir de la Belgique depuis septembre et ajoutait : « Tandis qu’au début de l’action, les Juifs s’étaient soumis pour la plupart à l’ordre de mise au travail, il fallut par la suite effectuer des rafles et des arrestations isolées car les convocations n’étaient plus suivies dans de nombreux cas. De nombreux Juifs concernés ont quitté leur domicile et ont essayé d’être logés chez des Belges aryens. Ces efforts sont soutenus par une partie considérable de la population belge. D’autres difficultés découlent du fait qu’énormément de Juifs soient en possession de fausses cartes d’identité. Ceci facilite également leur immigration clandestine vers la France occupée et libre. »25

  • 26 Bargen au Ministère des Affaires étrangères allemand, 27.11.1942, ibid., p. 54-55.
  • 27 Ibid.

17Pour la première fois, il est fait état ici de « difficultés » – les difficultés des Allemands à mettre la main sur les Juifs en Belgique. On accorde dans ce cadre un certain poids au fait que les Juifs tentent de dissimuler leur identité à l’aide de faux papiers dans la mesure où, sans ces falsifications, les Juifs n’avaient quasiment pas de possibilités de passer les frontières ou de fuir hors du territoire occupé par les Allemands. Dans un télégramme suivant de fin novembre dans lequel il dresse un nouveau bilan des déportations, Werner von Bargen évalue à « environ un tiers » le nombre de Juifs « parvenus à entrer en possession de fausses cartes d’identité »26. On ne peut déterminer s’il est question ici du nombre de Juifs ayant été déportés hors de Belgique jusque-là (tout juste 17.000 personnes) ou de l’ancienne population juive dans son ensemble (environ 60.000 personnes), mais ces estimations semblent de toute façon très élevées. Tous les Juifs n’ayant pas pu profiter de la distribution gratuite de cartes d’identité « fausses-vraies » du Comité de Défense des Juifs et ayant donc dû payer des prix élevés sur le marché noir, cette estimation est même d’une certaine manière en contradiction avec la déclaration de von Bargen selon laquelle « la situation financière des Juifs se serait souvent tellement détériorée suite aux mesures édictées qu’ils se trouvaient contraints à la vente de leurs derniers biens réalisables »27.

  • 28 Nouvelles de Belgique et du Nord de la France, n° 19/42, 01.10.1942, Bundesarchiv Berlin, R 58/6399

18Dans son rapport de début octobre 1942, le délégué bruxellois de la Sicherheitspolizei a évoqué les mêmes « difficultés » déjà constatées par von Bargen. Les mesures de déportation, écrit-il, rencontraient alors « de plus en plus de difficultés car le passage des Juifs dans la clandestinité prenait de plus en plus d’ampleur » : « La fuite dans la clandestinité a pour conséquence que les Juifs, dans leur ensemble, ne portent quasiment plus leur étoile jaune et sont en outre, pour la plupart, détenteurs de fausses cartes d’identité belges qui ne sont pas estampillées « Juif ». Comme il est constaté plus loin, des tickets de rationnement ont dans certains cas été obtenus grâce aux fausses cartes d’iden­ti­té. »28

19Les Juifs proposeraient des sommes élevées pour « un logement, l’obtention de faux papiers, etc. », l’immigration clandestine persisterait avec une préférence pour un itinéraire par la France vers la Suisse, la route vers l’Espagne et le Portugal ayant été jugée trop longue et trop dangereuse.

  • 29 Nouvelles de Belgique et du Nord de la France, n° 1/43, 15.01.1943, dans Boberach, op. cit., feuill (...)
  • 30 On organisa à nouveau au printemps 1943 des rafles massives aux Pays-Bas et on abandonna tout parti (...)
  • 31 Nouvelles de Belgique et du Nord de la France, n° 6/43, 01.04.1943, Bundesarchiv Berlin, R 58/6399.

20Les « rapports de Belgique et du Nord de la France » pour l’année 1943 confirment les constats de la Sipo-SD de l’année précédente sur le comportement de résistance de la population juive selon lesquels « les Juifs encore présents dans le pays [seraient] de plus en plus passés dans la clandestinité »29. Des rumeurs portant sur le fait que les Juifs de nationalité belge seraient eux aussi déportés – rumeurs confirmées en septembre 1943 – auraient entraîné, selon le rapport du mois d’avril, « le passage dans la clandestinité de la plupart des membres de ces milieux aussi. On rapporte d’Anvers que l’exode des Juifs de nationalité belge, à condition qu’ils disposent encore d’un peu d’argent liquide, s’effectue en direction de Bruxelles et de la province. » En outre, on aurait constaté une nouvelle vague d’évasions de Juifs venus de Hollande suite à l’intensification des mesures de persécution là-bas30. La Sipo bruxelloise finissait par informer le Reichssicherheitshauptamt du fait que « depuis un certain temps, aussi bien l’Église catholique que protestante prenaient soin des Juifs de façon importante, non seulement en soutenant les Juifs, mais aussi en leur offrant le gîte et le couvert dans les locaux de l’Église ». Ceci était surtout valable pour les enfants juifs31.

  • 32 Directeur en chef de la Police militaire auprès du Commandant militaire en Belgique et dans le Nord (...)
  • 33 Je me fonde sur les témoignages de l’acte d’accusation de l’OFK 589 (Liège) cités dans l’ouvrage de (...)

21Un excellent exemple de ce soutien est décrit dans les dossiers de la police militaire secrète (GFP). Le rapport d’activité de la GFP pour le mois de novembre 1942 cite le vicaire Paul Nolens de la petite commune wallonne de Charneux, appartenant au diocèse de Liège, qui aurait été accusé et aurait admis avoir « permis à des Juifs polonais de se soustraire à la Sicherheitspolizei en leur fournissant de fausses cartes d’identité »32. Le tribunal de la Kommandantur militaire de Liège a condamné Paul Nolens en mars 1943 à un an et demi de prison, car il considéra comme établi que ce dernier avait eu accès à l’administration communale de Charneux, s’y était procuré des formulaires d’identité, avait utilisé le tampon officiel et avait imité la signature du secrétaire communal. Pour sa défense, le valeureux vicaire avait ajouté qu’il avait aidé les Juifs par compassion afin de leur offrir la possibilité d’échapper aux ordonnances du commandant militaire allemand33.

Témoignages de survivants

  • 34 Nous avions à notre disposition 35 dépositions de survivants d’Auschwitz issues du fonds de l’Audit (...)

22À la fin des années 1940, la justice militaire belge a interrogé comme témoins une grande partie des survivants juifs d’Auschwitz issus de Belgique afin de préparer les procès contre les criminels de guerre allemands. On recense dans les comptes rendus de ces interrogatoires de nombreuses dépositions qui laissent entrevoir à quel point l’utilisation de fausses cartes d’identité était étendue parmi les Juifs persécutés durant la période des déportations de 1942 à 194434.

  • 35 Déposition de Chaja F., 23.03.1949, Auditorat militaire, dossier Sipo Bruxelles, liasse 1 ; Déposit (...)

23Chaja F., couturière, et Moses N., représentant de commerce, tous deux nés à Varsovie, ont vécu légalement en couple dans la commune de Saint-Gilles jusqu’au printemps 1942. Tous deux ont été déportés vers Auschwitz avec le convoi XX du 19 avril 1943 et ont survécu. Durant l’attaque de la Belgique par l’Allemagne, ils avaient fui en France mais étaient revenus début 1941. Ils s’étaient laissé enregistrer au « registre des Juifs » communal qui avait été instauré sur ordre des Allemands fin 1940 pour recenser les Juifs, et ils s’étaient affiliés en 1942 à l’institution juive obligatoire, l’AJB, qui créa une fiche avec la dernière adresse déclarée du couple, rue de Bosnie (Saint-Gilles, Bruxelles). Ils décidèrent toutefois de quitter leur domicile vraisemblablement durant la deuxième moitié de l’année 1942 et de chercher un refuge pour se protéger contre une éventuelle arrestation. Ils se procurèrent en outre de faux papiers qui les faisaient passer pour des ressortissants belges non juifs. Ils furent arrêtés en février 1943 dans leur cachette de la rue Théodore Verhaegen (Saint-Gilles, Bruxelles) par trois fonctionnaires de la Sicherheitspolizei en civil qui recherchaient des résistants communistes et avaient commencé à avoir des soupçons. « Nous nous tenions cachés dans cet immeuble pour éviter notre arrestation par la police allemande. Comme j’étais en possession d’une carte d’identité belge en vue de camoufler mon origine juive, les policiers m’ont considéré comme un individu suspect et de ce fait, ils m’ont écroué aussitôt à la prison de Saint-Gilles. »35

  • 36 Ceci n’était pas un cas unique mais il a été plusieurs fois confirmé par des membres juifs de la Ré (...)

24Les deux époux furent transférés à plusieurs reprises de la prison de la Wehrmacht de Saint-Gilles vers la « commission spéciale » de la police militaire secrète pour être interrogés. Lors de l’un des interrogatoires, Chaja F., elle aussi en possession d’un faux passeport belge, avoua leur véritable identité. Elle reconnut, comme Moses N. le dit par ailleurs, « que nous étions cachés à cause de notre origine juive, pour éviter notre déportation en Allemagne ». Selon ses propres dires, Chaja F. n’a pas été maltraitée et a dû dévoiler son identité juive pour s’éviter et éviter à son mari d’être envoyés, en tant que membres de la Résistance, au camp de concentration allemand de Breendonk, qui avait la réputation d’être un lieu de torture et de meurtre36. Le véritable sort réservé aux Juifs déportés de Malines ne lui était vraisemblablement pas connu à ce moment-là. À la différence de sa femme, Moses N. fut battu durant les interrogatoires par des fonctionnaires de la GFP, qui lui reprochaient son affiliation au parti communiste et sa participation à des actions de sabotage, d’autant plus qu’il se refusait « à leur indiquer la personne qui m’avait remis la fausse carte d’identité dont j’étais porteur ».

  • 37 La petite divergence dans le numéro de la rue (l’adresse indiquée sur la carte d’identité est rue T (...)

25La fausse carte d’identité de Moses N. n’a pas été conservée ; celle de Chaja F. se trouve dans le fonds des « reliques ». Elle est établie au nom de Julienne Wagemans. La date de naissance ne correspond pas à celle de Chaja F., il est inscrit qu’elle est « célibataire » d’état civil et « belge » de nationalité, son lieu de naissance est Bruxelles-Forest et l’adresse indiquée correspond à l’adresse de la cachette de la rue Théodore Verhaegen (à l’exception du numéro)37. Le formulaire de la carte d’identité relève d’une des deux sortes de documents utilisés à l’époque par la commune bruxelloise de Saint-Gilles et comporte un tampon, qui marque également la photo d’identité de Chaja F. qui y est apposée. Leur véritable identité a été ajoutée plus tard, sûrement après l’interrogatoire de la GFP, au crayon bleu sur la troisième page intérieure. Quelqu’un a par ailleurs mentionné le numéro de convoi « 844/XX » sur cette carte avec laquelle Chaja F. a été enregistrée à Malines pour le convoi de déportation XX, ce qui permet de conclure que la carte d’identité a été envoyée au camp.

26Parmi les « reliques » conservées, on compte 12 fausses cartes d’identité de ressortissants belges qui venaient prétendument de Saint-Gilles. Mises à part la Ville de Bruxelles, dont viennent 87 faux papiers (69 cartes d’identité et 18 cartes pour étrangers), et la commune de Schaerbeek (avec 17 papiers), c’est là le nombre de faux papiers le plus élevé à attribuer à un bureau de délivrance de la région de Bruxelles-capitale. Seuls trois détenteurs étaient effectivement déclarés à Saint-Gilles, tous les autres étant officiellement domiciliés dans d’autres communes ou dans la périphérie bruxelloise. Six de ces personnes étaient des réfugiés juifs venus d’Autriche ou d’Allemagne en Belgique et qui étaient doublement menacés par l’invasion de la Wehrmacht, mais qui avaient à l’évidence réussi à accéder à des structures clandestines et à des réseaux de soutien dans le pays, grâce auxquels ils avaient obtenu leurs fausses cartes d’identité. Les douze hommes et femmes ont été arrêtés et déportés depuis Malines, 5 en 1943, 7 en 1944 encore. Deux des hommes détenteurs de faux papiers de Saint-Gilles sont parvenus à s’enfuir du convoi XX, dont on sait qu’il donna lieu à une évasion massive de prisonniers ; aucun des deux n’a été repris par les Allemands. Ces exemples suffisent ainsi à prouver la thèse selon laquelle l’utilisation de faux papiers doit être vue dans un contexte plus large de stratégies de sauvetage et d’actes de résistance.

27Une simple analyse comparative de ces 12 cartes d’identité démontre que seules quelques caractéristiques de falsification évidentes étaient reconnaissables. À Saint-Gilles, on utilisait à l’époque pour les cartes d’identité différents formulaires issus de deux imprimeries, plusieurs tampons ou sceaux et diverses techniques de fixation des photographies. Ainsi, on ne peut affirmer avec certitude quelle sorte de fausse carte Chaja F. a utilisée, ni dire si les cartes d’identité des deux époux ont été, comme semblent l’indiquer leurs déclarations d’après-guerre, délivrées par la Résistance ou achetées au marché noir. Ce sont la multitude de papiers d’identité alors émis et en circulation en Belgique et les différences d’une province et d’une commune à l’autre qui ont créé les conditions nécessaires à des falsifications de toute sorte qui du moins n’étaient pas facilement repérables lors de contrôles de police sur la voie publique ou de perquisitions. Ce n’est en règle générale qu’au moment de leur arrestation et de leur interrogatoire qu’on constatait la véritable identité des personnes contrôlées et de ce fait la possible falsification de leurs papiers. Soit les hommes et les femmes pris au piège de la police allemande avouaient eux-mêmes leur appartenance au groupe de population juif, soit une vérification par téléphone auprès des bureaux de l’état civil suffisait à obtenir les bonnes informations, soit encore la Gestapo torturait les détenus jusqu’à ce qu’ils passassent aux aveux.

  • 38 C’est ainsi que le chef de l’état-major de commandement du Commandant militaire en France, Hans Spe (...)

28Pour parvenir à identifier quelqu’un comme « Juif » sur la voie publique déjà, même s’il pouvait présenter une fausse carte d’identité bien faite, il fallait se baser sur des méthodes de reconnaissance phénotypiques auxquelles les Allemands avaient en effet recours, dans la mesure où ils s’appuyaient sur une image raciste de l’« apparence juive » lors de leurs recherches ou faisaient appel à des « Greifer » et des «V-Leute » (indicateurs) spécialisés en physionomie38. À cela s’ajoutaient les dénonciations par des voisins belges.

  • 39 CEGES, AA 585/42/5.

29Un exemple de ces méthodes : Samuel Perl appartenait aux prisonniers du convoi XX d’avril 1943 qui parvinrent à sauter du train en marche vers l’Allemagne et à se sauver. Il était ressortissant roumain, avait immigré en Belgique en 1928 à l’âge de 8 ans et travaillait durant l’Occupation comme cliveur de diamants à Anvers. Il fut arrêté par la Sicherheitspolizei d’Anvers fin 1942 suite à une lettre de dénonciation. Le courrier envoyé par service express et signé par un Belge « obéissant à l’ordre » a été conservé dans les archives du Devisenschutzkommando (service de protection des devises) allemand et mérite d’être cité : « Geachte Heer, Morgen, Vrijdag, 4 dezer, om 12 uur ’s middags, is er een Jood, bekend voor devisenhandel, in Café Patricia – Gemeentestraat 35 Antwerpen. Hij is rond 21 jaar oud, gekleed met bruine botten, zwarte overjas en pet. Zijn naam is Perl Samuel – Roemeensche nationa­liteit. Heeft een belgische paspoort39. »

30[…] Samuel Perl, pour sa part, qui ne semble jamais avoir été au courant de cette lettre de dénonciation, a décrit plus tard en détail les conséquences qu’elle avait eues sur sa vie lorsqu’il fut interrogé comme témoin dans le cadre du procès du tribunal militaire contre Schmitt, le premier commandant du camp de Malines : « Op 4 December 1942, ben ik voor de eerste maal aangehouden geworden, te Antwerpen, in eene drankgelegenheid der Gemeentestraat, door leden van de “Sicher-heitspolizei”. Bij mijne aanhouding zegde men me onmiddellijk : “Gij zijt eenen jood”, waarop ik antwoordde, en toonde mijne eenzelvigheidskaart. Ik was namelijk in het bezit geraakt van eene valsche eenzelvigheidskaart, om aldus te trachten te ontsnappen aan de door de duitschers ingezette jodenvervolging. »

  • 40 Déposition de Samuel Perl, 17.01.1945, Auditorat militaire, dossier Schmitt.

31Il n’a pas servi à Samuel Perl de pouvoir présenter une fausse carte d’identité belge (non conservée) dans la mesure où les agents de la Sicherheitspolizei, au demeurant informés, l’avaient identifié en tant que Juif. On le transféra au service anversois du Devisen­schutzkommando, une filiale de l’administration financière allemande qui avait affecté en Belgique des douaniers, ces derniers se consacrant de plus en plus à l’arrestation et à la spoliation des Juifs. Les diamants taillés et bruts que Perl avait sur lui furent confisqués. On le remit ensuite à la Gestapo, Della Faillelaan dans la commune de Wilrijk : « Aldaar heeft men mij mijne valsche papieren afgenomen. Ik heb daar mijne juiste eenzelvigheid moeten kenbaar maken, daar ik be­dreigd werd slagen te krijgen en mishandelingen te ondergaan. Aldus wist men met zekerheid, dat ik israeliet was. Men heeft ook getracht te weten te komen, wie mij die valsche eenzelvigheidspapieren had ter hand gesteld, doch ik heb de persoon in kwestie, niet verraden. » 40

  • 41 Cf. M. Steinberg, La Traque des Juifs, op. cit., vol. II, p. 82 ; ainsi que M. Steinberg – L. Schra (...)

32Il est très difficile de relater avec justesse le destin de Samuel Perl par la suite, tant il atteste d’une immense volonté de résistance. Il fut enregistré à Malines pour le convoi XVIII à destination d’Auschwitz, qui quitta le camp le 15 janvier 1943. Il se sauva du convoi avec quatre autres personnes mais fut réarrêté une semaine plus tard seulement. Lorsqu’il arriva à Malines pour la deuxième fois, il fut horriblement torturé par un Allemand dénommé Crull, connu pour être un sadique notoire. Il participa aux préparatifs du mouvement de résistance à l’intérieur du camp qui permirent l’évasion massive du convoi XX en cachant des outils. Il parvint lui-même à s’échapper à nouveau de ce convoi et disparut quelque part en Belgique jusqu’à la fin de la guerre41.

  • 42 Déposition de Joseph L., 25.02.1949, Auditorat militaire, dossier Sipo Bruxelles, liasse 23.

33La plupart des survivants interrogés par la justice militaire belge après la guerre ont été arrêtés lors de contrôles surprises effectués par la Sicherheitspolizei ou la Feldgendarmerie en rue, dans les transports en commun ou ailleurs, alors qu’ils avaient sur eux de fausses cartes d’identité belges. D’autres ont été pris dans leur cachette ou en essayant de passer la frontière française. Joseph L. fait partie des rares survivants d’Auschwitz à avoir été déportés par convoi en 1942 déjà. Le 9 ou 10 septembre 1942, le jeune homme de 23 ans est tombé chaussée de Mons à Anderlecht sur un contrôle allemand effectué par des agents en civil : « Ils m’ont fait lever immédiatement les mains, pour me fouiller ensuite, et alors ils ont trouvé sur moi une carte d’identité au nom de DE GREEF, qui naturellement était fausse, pour cacher ma nationalité. Au vu de cette carte, il m’ont directement dit qu’il s’agissait d’une fausse carte d’identité, ils m’ont enlevé tous les papiers que j’avais sur moi, et m’ont embarqué alors dans une voiture qui se trouve dans les environs pour me conduire avenue Louise. »42

  • 43 Déposition de Geli T., 04.06.1949, ibid.

34Presque tous les témoignages s’accordent sur le fait qu’il était fait usage de traitements brutaux lors des interrogatoires avenue Louise, le bureau bruxellois de la Sipo-SD. Geli T., née en 1913 à Łódz, vivant à Bruxelles depuis les années 1920 et déportée de Malines vers Auschwitz avec le dernier convoi XXVI du 31 juillet 1944, raconte ce qui suit lors de son audition en 1949 : « J’ai été arrêtée en date du 3.7.1944 à l’arrêt du tram 15, venant de la gare du Nord, porte Louise, à Bruxelles, par des membres de la Gestapo, dont 3 militaires et 2 civils, à l’issue d’un contrôle des voyageurs de ce convoi. Ayant été amenée au 453, avenue Louise, à Bruxelles, avec d’autres voyageurs de ce tram, nous fûmes interrogés au sujet d’un numéro de La Libre Belgique qui avait été retrouvé, dans le tram, après notre descente. Ayant été dénoncée par un monsieur, je précise qu’ayant été désignée par un autre voyageur du tram également emmené à la Gestapo, un des 3 militaires me porta une gifle et me fit mettre à l’écart. Le même militaire me gifla dans la suite et dans le but de me faire avouer que ledit journal était à moi et que la carte d’identité dont j’étais porteuse était fausse. Sous l’occupation, j’étais en possession d’une carte d’identité belge au nom de FRANSENS Ernestine. Je fus ensuite emmenée, par ce même militaire, dans un autre local où il me porta des coups de poing au visage et ce de telle sorte que je saignais par la bouche. Sous l’empire de la douleur, je finis par avouer que ma carte d’identité était fausse et que j’étais d’origine juive. »43

  • 44 Déposition de Moszek K., 01.06.1949, ibid.

35Moszek K. avait plusieurs fausses cartes d’identité sur lui lorsqu’il fut arrêté quelques jours plus tard à Verviers par la Feldgendarmerie. Ce commerçant de 40 ans d’origine polonaise était manifestement passé dans la clandestinité depuis un certain temps – il n’apparaît en tout cas dans aucun des « registres des Juifs » communaux. Il est noté sur la liste de transport du convoi XXVI dont il fit partie qu’il était « fourreur » de métier : « J’ai été arrêté le 8 juillet 1944, alors que je me trouvais à Verviers, circulant en rue. Il s’agissait d’une rafle organisée par des membres de Feldgendarmerie en tenue civile. J’ai été identifié et fouillé. Comme j’étais porteur de plusieurs cartes d’identité, de travail et de ravitaillement, j’ai été mis en arrestation. Ensuite j’ai été interrogé sur le point de savoir l’origine et la destination de ces documents. Mon interrogatoire s’est effectué à la Kommandantur de Verviers, au premier étage, rue du Palais, soit au Palais de Justice. J’ai tout d’abord refusé de parler et c’est alors que j’ai été battu par les Feldgendarmes qui m’avaient arrêté et d’autres en tenue allemande. J’ai notamment reçu de nombreux coups de poing à la suite desquels j’ai eu plusieurs dents brisées. Finalement j’ai avoué avoir acheté les documents en question, ajoutant que j’étais juif et que je les destinais à des compatriotes. »44

  • 45 Déposition d’Esther N., 04.07.1949, ibid.

36Impossible aujourd’hui de déterminer si Moszek K. avait bel et bien acheté les cartes d’identité au marché noir, comme il l’avait dit aux Allemands, ou s’il faisait partie d’un groupe de résistants. On peut toutefois conclure à partir de témoignages d’autres survivants que même des Juifs qui n’appartenaient visiblement pas à la Résistance obtenaient leurs faux papiers par ce canal. Ceci est attesté par Esther N. qui fut battue à coups de poing lors de son interrogatoire au siège bruxellois de la Gestapo et déportée elle aussi vers Auschwitz avec le tout dernier convoi XXVI. Elle avait 22 ans au moment des faits : « In de loop der maand Mei 1944 [...] werd ik te Brussel door de Sicherheitspolizei aangehouden en opgesloten in een gebouw aan de Louizalaan. Ik werd aangehouden, omdat ik een valse identiteitskaart bezat, welke ik door een lid van de Verzetbeweging in ontvangst had geno­men. »45

  • 46 Déposition de Liba G., 14.03.1949, ibid. – Sur la liste de transport, elle était enregistrée sous l (...)
  • 47 Déposition de Marcel K., 03.06.1949, ibid.

37Tous les hommes et femmes arrêtés n’ont pas avoué être « Juifs », même lorsqu’ils avaient été reconnus par Icek G. (« Jacques »), qui travaillait comme indicateur juif au service des Allemands. Liba G., qui tomba en mai 1943 aux mains d’une ronde de traqueurs SS. dont « Jacques » faisait partie et qui utilisait une carte d’identité au nom de Louise BANET la faisant passer pour Française, refusa des semaines entières de décliner sa véritable identité. Elle fut retransférée du camp de Malines vers la prison bruxelloise de Saint-Gilles jusqu’à ce qu’elle avouât ses origines juives sous la pression des interrogatoires (mais sans avoir été maltraitée, selon ses propres dires). Elle fut envoyée à Auschwitz par le convoi XXI de juillet 1943 et survécut46. Dans un cas, un homme fut même déporté sous son faux nom. Marcel K. était, lorsqu’il fut arrêté en juin 1944 en pleine rue après une tentative manquée d’évasion, des armes braquées sur lui « in het bezit van een valse identiteitskaart op de naam DEMOER Marcel en de duitsers aanzagen mij niet als een Israeliet »47. Ce nom se trouve sur la liste de transport pour le dernier convoi qui quitta Malines à l’été 1944 avec 563 personnes à bord. Un tiers d’entre elles environ a survécu à Auschwitz et aux autres camps de concentration et d’extermination allemands.

  • 48 Déposition de Joseph T., 05.03.1949, ibid.

38Comme indiqué plus haut, nous ne savons pas combien de Juifs étaient détenteurs en Belgique de faux papiers lors de l’Occupation et combien d’entre eux ont survécu aux années de persécution et de déportation grâce à ces fausses cartes d’identité. Mais il n’y a aucun doute sur le fait que ces faux papiers leur sauvaient la vie. Joseph T., membre de la Résistance belge et déporté en septembre 1943 à Ausch­witz, déclara à son retour en Belgique à la justice militaire bruxelloise : « Aucune personne de mon ménage, c’est-à-dire ni ma femme, ni mes deux enfants, n’ont été déportés, étant donné qu’ils étaient cachés avec de fausses identités. »48

Des destins retracés dans les dossiers

  • 49 Voir à ce sujet A. Meyer – I. Meinen, « La Belgique, pays de transit. Juifs fugitifs en Europe occi (...)

39Dans les archives conservées à ce jour des services douaniers allemands en Belgique et du Devisenschutzkommando (DSK), on trouve de nombreux dossiers dans lesquels il est question de l’usage de faux papiers grâce auxquels les Juifs tentèrent de se protéger des rafles allemandes entre 1942 et 1944 – la plupart des quelque 70 personnes mentionnées nominativement furent arrêtées lors de leurs préparatifs de fuite, lors de leur transit clandestin ou au passage de frontières49.

  • 50 Courrier du poste frontalier de Givet au poste de commandement du Zollgrenzschutz de Bruxelles, 29. (...)

40À partir du début des déportations depuis les Pays-Bas (15 juillet 1942) et la Belgique (4 août 1942), le Zollgrenzschutz (protection des frontières et douanes) allemand posté à la frontière franco-belge enregistra un mouvement massif de fuites de Juifs des deux pays qui souhaitaient se mettre à l’abri en France libre ou en Suisse. Le 29 juillet, des douaniers du poste frontalier de Givet, sur la ligne ferroviaire Bruxelles-Nancy, arrêtèrent un couple juif originaire de Liège accompagné d’un enfant de 11 ans dans le train express et livrèrent la famille à la Feldgendarmerie locale après avoir interrogé le mari. Lors de son audition qualifiée de « détaillée » dans les dossiers allemands, ce qui indique l’usage de violence, Fiszel REZNIK (né en 1908 à Grodno en Pologne, mécanicien et contremaître de métier) fit inscrire au procès-verbal : « Je souhaitais émigrer en Suisse avec ma famille. Ma carte d’identité de même que celle de ma femme étaient fausses. La carte d’identité falsifiée est au nom de RENARD, Philippe, Michel, né à Bruxelles. Le Juif fit les déclarations suivantes au sujet de l’obtention de cartes d’identité falsifiées : “Un certain Mück [...], ressortissant roumain, est venu dans mon appartement de Liège il y a deux trois semaines et m’a fait la proposition suivante : “Si vous souhaitez fuir, je peux vous procurer une carte d’identité. Chaque carte coûte 1.000 francs belges.” J’ai passé commande à Mück pour qu’il obtienne une fausse carte d’identité pour ma femme et moi. À ces fins, je lui ai donné nos photos d’identité. Mück m’a donné nos fausses cartes d’identité au Café Angleterre à Liège, place de la République française. »50

41Dans son rapport pour le poste de commandement du Zollgrenzschutz de Bruxelles, le douanier a également noté : « La date d’émission des fausses cartes d’identité est le 10.07.1937. La marque du tampon sur la photo est très peu nette et a coulé. Les cartes semblent neuves malgré des taches faites exprès ; des cartes d’identité qui seraient vraiment en usage depuis 1937 seraient bien plus abîmées selon mon expérience. » Ceci prouve non seulement l’attention de l’officier, mais aussi que le prix payé par la famille Reznik au marché noir n’a aucun rapport avec la qualité des deux cartes obtenues. La Feldgendarmerie s’occupa de faire envoyer Fiszel Reznik et son épouse Ida MILEWSKA à Malines. Ils furent tous deux déportés par le deuxième convoi du 11 août 1942. Tous deux moururent à Auschwitz ; dans les registres mortuaires d’Auschwitz, il est noté le 25 septembre 1942 pour le décès de la femme et le 1er octobre 1942 pour le mari. Le fils a, semble-t-il, survécu, en Belgique.

42Comme nous l’avons déjà dit, mis à part lors de contrôles en rue ou de perquisitions, c’est avant tout durant les différentes étapes de leur fuite que se révélait si les faux papiers portés par de nombreux Juifs pouvaient résister à une vérification. Ils étaient souvent trop vite repérés comme faux et c’était la plupart du temps, selon toute logique, les douaniers qui avaient l’expertise suffisante pour arrêter et appréhender des réfugiés juifs détenteurs de faux papiers, puis les transférer dans un camp d’où ils finissaient par être déportés. Deux douaniers allemands firent le 22 juillet 1942 un rapport à charge contre la famille LEMPERT-ZUCKERKANDEL, composée de quatre membres, et contre la veuve Roisa ROZENSTEIN, tous de nationalité polonaise et domiciliés à Bruxelles, pour infraction aux prescriptions relatives aux passeports (usage de fausses cartes d’identité), aux conditions de séjour et à l’obligation de porter l’étoile pour les Juifs. Deux passeurs furent pour leur part accusés d’aide à la sortie du territoire belge. La veille, le 21 juillet, les Allemands avaient contrôlé au poste frontalier de La Marlière (entre Mouscron et la ville française de Tourcoing) les papiers d’identité de quatre personnes qui souhaitaient se rendre en France à bord d’une voiture louée. La carte d’identité belge du conducteur, Paul D. de Mouscron, leur sembla en ordre ; le douanier Jentzsch eut en revanche des soupçons sur les autres personnes, ayant l’impression « qu’il s’agissait de Juifs » : « Les cartes d’identité qui lui furent présentées comportaient bien des photos d’identité tamponnées qui correspondaient aux titulaires. On remarqua toutefois que ces cartes, sur lesquelles l’année 194... avait été préimprimée, comportaient déjà les dates d’émission suivantes : 07.04.1938, 22.06.1939 et 06.08.1939. Deux cartes d’identité dont la prétendue émission (07.04.1938 et 22.06.1939) avait été faite à un an et quart d’intervalle avaient pour numéro courant 16712 et 16722. La troisième carte d’identité au contraire, dont la date d’émission était postérieure (06.08.1939), avait un numéro courant inférieur (16529) à celle datant du 07.04.1938. Des formulaires préimprimés de la commune d’Enghien avaient été utilisés pour toutes les cartes d’identité falsifiées. Il était par ailleurs frappant que sur ces cartes soi-disant vieilles de 3 ans environ, la signature du fonctionnaire n’était pas aussi ancienne et datait de quelques jours à peine au vu de la couleur de l’encre. En outre, on remarqua par la suite que les photos d’identité n’avaient pas été estampillées avec le tampon obligatoire du service de l’état-civil portant la mention “Population – Bevolking”, mais avec le tampon du commissariat de police d’Enghien. »

  • 51 Voir le rapport d’activité de la GFP cité dans la note 18 pour le mois de juillet 1942, dans lequel (...)

43Schaja Lempert, son épouse Frieda Ober et leur fils Philip Zuckerkandel furent arrêtés et interrogés, suite à quoi les douaniers purent supposer que le Belge Paul D. travaillait comme passeur. Ils parvinrent même à arrêter sur le territoire français une seconde voiture, conduite par l’amie de Paul D. et dans laquelle se trouvaient la fille Rosa Lempert-Zuckerkandel et la veuve Rozenstein qui avaient elles aussi de fausses cartes d’identité de la commune d’Enghien avec les mêmes marques de falsification. Grâce à des informations prises par téléphone après des services belges, les douaniers vérifièrent qu’aucune des cinq cartes d’identité pour lesquelles on avait utilisé des formulaires de la commune d’Enghien n’avait été enregistrée là-bas conformément aux règles. On constata en revanche à cette occasion qu’il y avait dans la commune wallonne d’Enghien un commissaire de police retraité qui signait les cartes falsifiées de son nom et avait sûrement aussi apposé les tampons incorrects du commissariat de police d’Enghien sur les cartes d’identité. Dans sa plainte, le douanier nota de façon euphémistique que les cinq personnes arrêtées auraient avoué, « sous la pression des preuves, qu’elles étaient juives et que leurs cartes d’identité étaient falsifiées ». Elles nièrent en revanche avoir acheté les faux papiers et avoir payé Paul D. et son amie pour qu’ils les aident à passer la frontière belgo-française51.

  • 52 Procès-verbal d’interrogatoire et plainte du poste extérieur du Zollgrenzschutz de Tourcoing, 22.07 (...)

44Les cinq hommes et femmes furent transférés au camp de Malines et acheminés le 15 septembre 1942 par le convoi X vers Auschwitz. On a retrouvé les procès-verbaux des interrogatoires effectués par les douaniers, qui veillèrent en personne à ce que ces cinq personnes n’accédassent pas au sauvetage tant espéré. Leur lecture est bouleversante. Schaja Lempert, né en 1888 à Lemberg, avait déclaré : « J’ai immigré des anciens territoires autrichiens, qui devinrent polonais après la guerre mondiale, vers la Belgique dans les années 1921 ou 1922. [...] J’ai donc dû prendre et je conserve aujourd’hui encore la nationalité polonaise alors que je n’ai jamais été polonais. De 1925 jusqu’au mois d’avril de cette année [1942], j’ai été propriétaire d’un commerce de fourrure à Bruxelles, que j’ai dû abandonner sur ordonnance officielle. Ne pouvant plus travailler de façon indépendante en Belgique et n’ayant plus de moyen de revenu, j’ai été forcé, dans l’intérêt de ma famille, de tenter de m’exiler. [...] Il y a une semaine environ, j’ai croisé par hasard Monsieur D. à Bruxelles. Je lui ai raconté que je projetais de faire un voyage en France prochainement. Il m’a alors répondu que lui aussi allait bientôt se rendre en France. Je lui ai donc demandé si nous pouvions y aller ensemble. Nous nous sommes ainsi donné rendez-vous le 20.07.1942 au Grand Hôtel de Mouscron. Monsieur D. ne savait sûrement pas que nous étions juifs, ni que nous envisagions d’émigrer en France pour de bon. [...] Pour nous permettre de passer la frontière sans encombre, nous avons, ma famille et moi, enlevé notre étoile jaune avant de quitter Bruxelles. Je savais que je n’avais pas le droit de quitter mon domicile sans permission en tant que Juif. Un inconnu m’a donné les fausses cartes d’identité il y a une quinzaine de jours au Café Cha Noioa à Bruxelles (près de la Bourse) sans me demander la moindre rétribution. » 52

  • 53 Bressoux est une commune de la ville de Liège. Les cartes d’identité belges étant délivrées par les (...)
  • 54 Procès-verbal d’interrogatoire et plainte du poste frontalier Risquons-Tout, 02.08.1942, CEGES, AA (...)

45Le douanier Jentzsch, déjà cité, s’est illustré non seulement par son zèle démesuré dans la persécution des Juifs, mais aussi par son regard entraîné pour « repérer les races », comme en atteste un autre cas. Le 2 août 1942, soit deux semaines seulement après les événements mentionnés ci-dessus, Jentzsch annonça la capture au poste frontalier de La Marlière d’autres réfugiés ayant enlevé leur étoile jaune et en possession de faux papiers. La famille Blum, originaire de Bodenheim-sur-le-Rhin, n’avait quitté l’Allemagne pour la Belgique qu’en novembre 1939 et avait trouvé refuge à Anvers dans un premier temps, puis à Bruxelles. Elle tomba aux mains du douanier lors de sa tentative de se mettre à l’abri de l’autre côté de la frontière franco-belge. Jentzsch avait d’abord remarqué Catherine BLUM, 57 ans, qu’il avait « suspectée d’être juive à sa seule apparence » comme il l’écrivit dans son rapport. Il remarqua par ailleurs lors de la vérification de la carte d’identité que « l’accusée vivait soi-disant à Schaerbeek tandis que la carte avait été délivrée par la commune de Bressoux »53. Selon sa propre déclaration, il dit à la femme « de but en blanc qu’elle était juive et qu’elle voulait émigrer ». Catherine BLUM tenta de prévenir sa fille et son mari qui se trouvaient déjà en territoire français, mais Jentzsch parvint à les arrêter tous les trois. Avant de les livrer à la police militaire secrète de Courtrai, il se chargea lui-même de leur interrogatoire, au cours duquel la fille, Margot BLUM, énonça les raisons de la fuite de sa famille et fit inscrire au procès-verbal : « Jusqu’au mois de juin 1942, j’ai travaillé comme couturière de vêtements en fourrure et d’uniformes pour la Wehrmacht. Mon salaire me permettait de subvenir à mes besoins et à ceux de mes parents. N’ayant plus reçu de travail après cette date et mes parents n’ayant plus de revenus non plus, nous avions l’intention d’émigrer en France dans la zone libre. J’ai de la famille à Lyon, qui m’a trouvé un poste comme couturière. C’est pour cela que nous avons quitté hier soir Bruxelles en passant par Courtrai pour aller à Mouscron pour passer la frontière ici au poste frontalier de La Marlière. Nous avions l’intention de continuer ensuite à partir de Lille. Un inconnu nous a remis les cartes d’identité falsifiées dans la rue, à Bruxelles, avant notre voyage. »54

46Margot Blum fut déportée, comme les autres Juifs arrêtés par le Zollgrenzschutz allemand à La Marlière, mi-septembre 1942, de Belgique vers Auschwitz par le convoi X. Ses parents furent déportés quatre mois plus tard par le convoi XVIII.

Marché noir de faux papiers

47Beaucoup des fausses cartes d’identité que les Juifs avaient sur eux au moment de leur arrestation n’avaient pas, semble-t-il, la qualité requise et avaient donc à l’évidence été mal fabriquées par des amateurs. Ceci renvoie au milieu de l’aide payante aux évasions et au marché noir. En revanche, les archives analysées ici ne comportent curieusement presque pas d’informations sur la diffusion de faux papiers par la Résistance belge. Dans ce qui suit, il est fait référence à des documents qui donnent un aperçu des prix exorbitants exigés pour de faux papiers d’identité sur le marché noir belge.

  • 55 Pim Griffioen, qui souligne également l’aspect mercantile de l’approvisionnement en faux papiers, p (...)

48Le montant en lui-même ne serait pas vraiment intéressant s’il n’était lié à la question posée au début de savoir comment les moyens financiers nécessaires à l’achat de faux papiers étaient réunis. Au stade actuel de nos connaissances, nous ne pourrons répondre que partiellement à cette question. Il faut en outre prendre en compte les différences existant entre la situation économique des Juifs néerlandais et belges, car il s’avère que de nombreux réfugiés arrêtés par les Allemands en Belgique ou aux frontières venaient des Pays-Bas – et qu’il s’agissait alors souvent de personnes plutôt aisées55. Il ressort dans tous les cas de nombreux procès-verbaux d’interrogatoires cités ici ou d’autres P.V. que de grands groupes de la population juive vivant en Belgique étaient non seulement privés de leur droit au travail et de leurs sources de revenus, mais aussi que leurs économies matérielles s’étaient amenuisées à la mi-1942. À côté de la peur face à la menace de la déportation, cette situation est souvent citée par les réfugiés comme motif de leur fuite vers la France libre ou la Suisse. D’après les archives, les Juifs vendaient souvent leurs derniers objets de valeur – mobilier, ustensiles de ménage, bijoux, etc. – pour préparer leur fuite et acheter les papiers nécessaires à celle-ci.

49Une chose est sûre : de juillet à septembre 1942, le prix d’une fausse carte d’identité belge en Belgique s’élevait de 500 à 4.000 francs belges. Le revenu moyen d’un ménage était à l’époque de 1.750 francs en Belgique. Une famille juive appauvrie ayant cinq enfants touchait en 1942 une aide sociale de 270 francs par semaine de la Ville de Bruxelles. Nous n’avons que peu de repères sur le prix des cartes d’identité françaises. Leur prix devait s’élever à environ 2.500 francs belges. Nous ne disposons pas d’informations concernant le prix des fausses cartes d’identité néerlandaises.

  • 56 Dossier d’enquête du DSK ./. Bremer et Polak, audience du 31.07.1942, CEGES, AA 585/42/3.

50Les prix pratiqués au marché noir pour les faux papiers dépendaient sûrement aussi de la situation financière des acheteurs. Les deux familles de commerçants aisés d’Amsterdam BREMER et POLAK, qui avaient passé dans un premier temps la frontière verte vers la Belgique fin juillet 1942 et qui furent arrêtés par des douaniers allemands au point frontière franco-belge de Feignies, à l’arrêt du train rapide Anvers-Paris, avaient payé le prix maximum par personne pour des cartes d’identité belges. Simon BREMER, déporté le 1er septembre 1942 depuis Malines vers Auschwitz par le convoi VII, déclara lors de son arrestation : « J’ai rencontré dans un café d’Anvers, sur le Meir, une personne qui m’a procuré une carte d’identité belge pour le prix de 4.000 francs belges. J’ai demandé à cette personne de faire faire un passeport pour ma femme pour le même prix de 4.000 francs belges. »56

  • 57 Le cours de change de l’époque sur le marché noir était de 1 NLG : 15 Bfrs. ; le prix pour une aide (...)
  • 58 Dossier d’enquête du DSK ./. Sch. et L., audience de Sch. du 18.07.1942, CEGES, AA 585/54/4. (Noms (...)

51Baruch SCH., originaire de Leipzig, qui traversa la frontière entre les Pays-Bas et la Belgique au début de juillet 1942 avec sa femme et ses deux enfants âgés de 9 et 13 ans et l’aide d’un passeur rémunéré, fut attiré dans un piège par un indicateur du Devisenschutzkommando de Bruxelles et tomba aux mains des Allemands juste avant Hal sur la route vers la France, disposait encore d’assez de moyens pour payer non seulement le premier passage de frontière (300 florins néerlandais au total) mais aussi deux cartes d’identité belges relativement chères57 : « Lorsque j’arrivai à Bruxelles le 03.07.1942, je me rendis le lendemain dans divers cafés de la ville pour savoir comment continuer au mieux vers la France. Je parlai avec plusieurs personnes que je ne connaissais pas qui me dirent que je devais dans tous les cas obtenir une carte d’identité belge. Un inconnu me dit qu’il connaissait quelqu’un qui pourrait me procurer les cartes et me présenta au Café Wellington un Juif nommé S. Il ne portait pas son étoile jaune. [...] Il réclama 2.500 francs belges pour ma carte et celle de ma femme. Je retrouvai S. le 05.07.1942, lui donnai une photo de ma femme et une de moi, nos noms et prénoms et les 2.500 francs belges demandés. S. refusa toutefois de faire les cartes à notre vrai nom comme je le souhaitais au départ. Il me dit que cela n’allait pas et qu’il lui fallait modifier légèrement les noms. »58

  • 59 Cf. note 57 ; la carte d’identité aurait en conséquence coûté 3.750 francs belges après conversion  (...)
  • 60 Dossier d’enquête du DSK ./. Sch. et L., audience de L. du 18.07.1942, CEGES, AA 585/54/4.
  • 61 Courrier du DSK Bruxelles au DSK Pays-Bas, 27.07.1942, ibid.

52La carte d’identité de Baruch SCH. est au nom de Barent SCHMIDT, celui de sa femme Sarah, née SCH., au nom de Sylva SCHOONBEEK – une pratique d’ailleurs assez courante de modification du nom pour les faux papiers. Le couple avait retrouvé à Bruxelles une connaissance d’Amsterdam, Samuel L., un ingénieur né à Berlin qui s’était déjà procuré pour 250 florins avant sa fuite hors de Hollande une fausse carte d’identité de la ville d’Anvers59. Ils planifièrent ensemble la suite de leur fuite vers la zone française libre. L. fut lui aussi arrêté à Hal dans la voiture60. Tous les adultes furent relâchés sous caution et devaient – comme il est mentionné dans un courrier du Devisenschutzkommando bruxellois – « être reconduits en Hollande pour être soumis aux mesures alors en cours en Hollande contre les Juifs (déportations) »61. À l’évidence, ils parvinrent toutefois à disparaître en Belgique.

  • 62 Cf. note 60.
  • 63 Voir à ce propos une note rédigée par le commandant de la Sipo-SD La Haye: « La contrebande de Juif (...)
  • 64 Voir notamment les rapports du poste frontalier de Feignies, 03.08 et 06.08.1942, CEGES, AA 585/81. (...)
  • 65 Un autre cas tiré des archives du Devisenschutzkommando : « Le 15.12.1942, un indicateur m’a inform (...)

53Samuel L. avait déjà entendu dire aux Pays-Bas qu’il « passerait plus facilement la frontière française avec une carte d’identité belge »62. Tandis que l’on pouvait la plupart du temps passer la frontière entre les Pays-Bas et la Belgique de façon illégale – et avec l’aide de passeurs – malgré les contrôles accrus de la Wehrmacht, et ce sans faux papiers néerlandais, une carte d’identité belge était en revanche bel et bien nécessaire pour le passage de la frontière française, surtout en train63. Les Juifs des Pays-Bas soit achetaient déjà leurs fausses cartes d’identité belges à Amsterdam64, soit les recevaient de leurs passeurs rémunérés lors de leur passage de la frontière hollandaise, soit devaient, comme les Juifs belges, chercher des revendeurs à Anvers ou à Bruxelles dans le bon milieu, mais tombaient souvent sur des indicateurs qui y étaient placés par les Allemands65. Peu de Juifs en revanche étaient en possession d’une fausse carte d’identité française, qui aurait pu leur être bien utile pour continuer leur route en zone libre française, notamment à cause de l’obligation de décliner son identité dans les hôtels.

  • 66 Dossier d’enquête du DSK ./. K. et Karczman, audience de Karczman du 10.01.1942, CEGES, AA 585/53/8 (...)

54La police militaire secrète arrêta dès novembre 1941 dans un hôtel de Lille les deux couples juifs Karczman et K. qui venaient de Bruxelles et espéraient atteindre la France libre, puis continuer outre-mer. Avant leur départ, Pinkas KARCZMAN (de Stanislau, né en 1899, chômeur et ancien employé de la Compagnie internationale des Wagons-lits) et sa femme Lilly SCHAPIRA, née en 1909 à Vienne, avaient cédé tout l’argent qui leur restait à un passeur, qui le leur rendit à Lille et qu’ils avaient sur eux au moment de leur arrestation. Pinkas Karczman fut de ce fait interrogé en janvier 1942 par le Devisenschutzkommando bruxellois pour sortie interdite de liquidités du territoire et donna entre autres des informations sur sa situation économique et sur le passeur nommé « Oscar » qui lui avait aussi fourni des cartes d’identité françaises et qui était en réalité un indicateur : « Oscar nous demanda 5.000 francs belges comme rémunération [pour le service de passeur. A. M.] que je lui donnai avant notre départ de Bruxelles. Oscar me demanda trois jours avant le voyage de lui fournir une photo d’identité de ma femme et une de moi, ce que je fis. Oscar avait besoin de ces photos pour nous procurer, à moi et à ma femme, des cartes d’identité pour la France. Il nous dit à ce sujet que sans ces cartes d’identité françaises, nous ne pourrions ni prendre le train, ni dormir à l’hôtel en France. Oscar me donna les deux cartes à Lille. Pour ceci, je dus lui reverser 5.000 francs belges. […] Les montants versés à Oscar de 110 schillings, 3.312 Reichsmarks et 9.675 francs français représentaient toutes mes économies. Je vendis mes meubles avant notre départ et en retirai 77.000 francs belges. J’ai utilisé cet argent pour régler mes dettes auprès de mes proches et donné 10.000 francs belges à Oscar. J’ai par ailleurs dû faire des achats pour notre voyage comme par exemple des valises et d’autres accessoires de voyage, ce qui explique la somme d’argent que j’avais encore sur moi. […] Je savais que je n’étais pas autorisé à passer l’argent trouvé sur moi sans autorisation à la frontière française. Je souhaiterais avancer pour ma défense que je voulais partir à tout prix, car je ne pouvais plus trouver de travail ici. »66

55La situation était semblable pour la famille du fourreur Abraham Herz K. qui avait payé le même prix de 10.000 francs belges au total pour deux cartes d’identité et le passage clandestin de la frontière. Les deux couples arrêtés, les Karczman et les K., furent également libérés sous caution en février 1942. Pinkas Karczman et Lilly Schapira retombèrent aux mains des Allemands à la fin de l’année et furent déportés à Auschwitz le 15 janvier 1943 par le convoi XIX. Abraham Herz K. fut déporté avec le dernier convoi de l’année 1944 et a survécu.

  • 67 Rapport du poste frontalier de Feignies, 27.07.1942, CEGES, AA 585/81.

56Durant les mois de juillet et août 1942, la douane allemande tomba à plusieurs reprises sur des groupes entiers de Juifs issus des Pays-Bas et de Hollande détenteurs de fausses cartes d’identité dans les trains de transit contrôlés à la frontière franco-belge. La fausse, ainsi que la vraie identité – quand les intéressés avaient avoué – et l’adresse des Juifs arrêtés étaient notées dans les rapports des postes douaniers. On retrouve souvent des renseignements tels que « la carte d’identité a été achetée » ou « la personne en question raconte avoir acquis la carte d’identité auprès d’un inconnu » et même parfois une indication du prix et le nom des prétendus vendeurs. Le 27 juillet, un douanier du très fréquenté poste frontalier de Feignies (sur la ligne de chemin de fer Bruxelles-Paris) arrêta sept personnes identifiées comme « juives », dont trois seulement avouèrent bel et bien l’être lors de leur interrogatoire, parmi lesquelles le diamantaire Mordka David KASS alias Nirenberg né en Pologne et vivant à Anvers. Il portait sur lui une fausse carte d’identité au nom de Marcel KASS, né le 22.05.1898 à Anvers – non seulement le nom de famille, mais aussi la date de naissance étaient correctes et l’adresse indiquée à Anvers-Berchem correspondait bien à son adresse déclarée. Le douanier qui l’arrêta et se chargea de son transfert au camp de Malines d’où il fut déporté vers Auschwitz par le convoi IX ajouta l’information suivante : « W., domicilié à Anvers, a vendu la carte d’identité à Kass. Kass dit avoir payé 500 francs belges en échange. W. aurait déjà fait l’objet d’une action en justice d’une administration allemande pour falsification de documents. »67

  • 68 Rapport du poste frontalier de Givet, 22.08.1942, CEGES, AA 585/54/9 ; le prix de « 15.000 BEF » me (...)

57Il s’agirait, si l’information est correcte, du prix le plus bas exigé sur le marché noir dans ces mois-là. De toute évidence, il n’était pas rare de trouver déjà des cartes d’identité à ce prix. Six personnes furent arrêtées le 21 août 1942 au poste frontalier français de Givet (sur la ligne de chemin de fer Bruxelles-Nancy-Besançon) « alors qu’elles essayaient de quitter sans autorisation la Belgique à l’aide de fausses cartes d’identité », comme il est mentionné dans un rapport de la douane allemande. Les six réfugiés, à une exception près des familles juives venues de Hollande, devaient être transférés le lendemain au camp de Malines par la Feldgendarmerie lorsqu’il leur sembla reconnaître lors d’une confrontation à la gare de Givet l’homme « qui leur avait vendu les cartes d’identité falsifiées au prix de 500 à 1.500 francs belges »68. Le prétendu vendeur nia les faits, mais on trouva sur lui un paquet de diamants qui appartenait auparavant à l’un des réfugiés. Tous les hommes et femmes arrêtés, Jakob FRANSCHMANN, sa femme Celine et sa belle-sœur Henriette MEIJER d’Amsterdam, Salomon Samuel VAN LIER et sa femme Hanna de Schevingen, de même que le ressortissant néerlandais domicilié à Bruxelles Hartog ROOTVELD furent déportés en une semaine de Malines à Auschwitz par le convoi VI et moururent là-bas.

  • 69 Note du DSK Anvers, 01.10.1942 ; Dossier d’enquête du DSK Anvers, 22.02.1943, CEGES, AA 585/42/4.

58Voici un dernier exemple de l’aide payante au passage des frontières. À cause d’un message d’indicateurs, la police militaire secrète tomba sur les traces d’un propriétaire de café du quartier anversois de Merksem qui « accueillait sans cesse des Juifs et leur fournissait des faux passeports ». Ceci entraîna l’arrestation de plusieurs personnes, tandis qu’un couple de personnes âgées d’Anvers, le diamantaire Adam QUERIDO, né en 1878, sa femme Betje née SOEP, de quatre ans plus jeune que lui, et leur fille Sophie, 18 ans, purent dans un premier temps s’enfuir en France. Ils furent déportés depuis le camp de transit de Drancy en France en novembre 1942. Dans une note du Devisenschutzkommando, on décrit l’affaire anversoise en ces termes : « Le 30.09.1942, on devait faire partir de la Gare centrale d’Anvers un bon nombre de Juifs munis de faux passeports et de beaucoup d’argent liquide pour leur émigration clandestine en direction de la France. Lors de notre intervention, nous pûmes arrêter diverses personnes. […]. La GFP/Anvers parvint par ailleurs à confisquer une valise dans laquelle 880.000 francs français et 118 Reichsmarks en bons de la Caisse de Crédit du Reich avaient été collés de façon raffinée. L’enquête permit de déterminer que cette valise appartenait au couple juif des Querido, domicilié rue Mozart n° 20 à Anvers, qui était parvenu à quitter la Belgique clandestinement malgré les mesures de surveillance et que le propriétaire de café M. avait activement participé à l’obtention et à la dissimulation de ces devises. »69

59Lors de la perquisition du domicile et des locaux commerciaux du passeur Anton M., qui avoua avoir caché à plusieurs reprises des Juifs, leur avoir fourni de faux papiers et s’être procuré par un intermédiaire des francs français pour eux, on trouva d’autres liquidités : 12.000 francs français et 105.000 francs belges qui provenaient, d’après le compte rendu de l’enquête, de la commission versée par Querido d’une part et d’autres opérations de ce genre, à savoir « du logement de Juifs, de la livraison de faux passeports et de l’obtention de francs français pour des Juifs ». Ceci laisse entrevoir les sommes importantes que rapportait l’aide aux évasions.

Les « reliques » comme source historique

60La délivrance de papiers d’identité, introduite au début du XXe siècle pour surveiller les non-sédentaires, le travail saisonnier transfrontalier et l’afflux d’« étrangers », était devenue dans les années 1930 dans la plupart des États européens un des instruments principaux du recensement et du contrôle de la population. À côté du signalement classique, qui décrivait des caractéristiques anthropométriques, et des empreintes digitales, la photo d’identité conforme aux critères imposés par la police devint le signe d’identification le plus utilisé. Il était fait usage de plusieurs formes de cartes officielles (des Kennkarten ou des cartes d’identité, des cartes pour étrangers, des passeports pour étrangers, des passeports, etc.) et même l’identification de certains groupes de population par des cartes spéciales ou un cachet bien visible sur les papiers n’était pas une invention des nazis. Il est connu que les passeports allemands de personnes identifiées comme juives selon les lois raciales de Nuremberg durent être estampillés d’un cachet « J » à partir de 1938 sur exigence de la police des étrangers suisse. On introduit la même année la Kennkarte en Allemagne, l’obligation d’avoir une carte d’identité pour tous les ressortissants allemands et ex-autrichiens suivit avec le début de la guerre en septembre 1939. Les Juifs furent dès le départ soumis à la « contrainte d’avoir une Kennkarte » ; on imprima un grand « J » sur les deux faces de leur carte d’identité, qui devait à tout moment être tenue prête et pouvoir être présentée sur demande.

  • 70 La nouvelle carte d’identité avait été développée par le Ministère de l’Intérieur néerlandais ; les (...)

61En Belgique, on utilisait depuis le milieu des années 1930 pour les ressortissants belges des cartes d’identité avec photos que l’on pouvait demander dans sa commune de résidence, tandis que l’on donnait des passeports pour étrangers au grand nombre de travailleurs immigrés étrangers qui comptaient notamment beaucoup de Juifs d’Europe de l’Est. La Police des Étrangers donnait aux réfugiés venus d’Allemagne ou d’Autriche, à condition qu’on leur attribuât un permis de séjour (à durée limitée), le « modèle B » de la carte pour étrangers. En France, les cartes pour étrangers et les cartes spéciales étant déjà obligatoires depuis la Première Guerre mondiale pour les travailleurs étrangers, on se mit à distribuer des cartes d’identité aux ressortissants français, qui ne furent cependant obligatoires qu’à partir de 1940 sous le régime de Vichy ; elles comportaient, comme la Kennkarte allemande, des empreintes digitales. Les nouvelles cartes d’identité mises en place aux Pays-Bas durant l’occupation avaient la réputation d’être, par comparaison, infalsifiables dans la mesure où elles étaient produites à partir d’un papier spécial, comportaient une double empreinte digitale et faisaient appel à une technique spéciale pour fixer la photo d’iden­ti­té70. La multitude des formulaires utilisés en Belgique pour les cartes d’identité facilitait au contraire la production de fausses cartes, ce qui était finalement dans l’intérêt des persécutés.

62La population juive en Europe occidentale était de toute façon, du moins en grande partie, plus facile à identifier que la population non juive. En France et en Belgique, les Juifs d’Europe de l’Est ayant immigré surtout après la Première Guerre mondiale représentaient une majorité de la population juive. Non seulement il était facile de repérer leur langue, le yiddish, et leur accent, la connaissance imparfaite de la langue du pays, mais surtout leurs noms semblaient « imprononçables » pour les Français et les Belges. Des problèmes d’orthographe se posaient souvent lors de leur enregistrement à la commune. En outre, et ceci valait aussi plus ou moins pour les Juifs autochtones et assimilés, on décrivait l’« apparence » juive et le corps juif en termes racistes, sans que cela ne se limitât à la propagande antisémite. Ce qui était né de l’idéologie de l’antijudaïsme devint sous la dominance nazie la vérité et le vrai danger. Les Juifs devinrent visibles en tant que « Juifs » ; le port obligatoire de l’étoile jaune ne représentait que l’apogée de cette réalisation de l’idéologie. Nous savons grâce aux récits de survivants des ghettos juifs d’Europe de l’Est à quel point une apparence « aryenne » et des tresses blondes étaient importantes pour pouvoir quitter le ghetto et se sauver de l’extermination. Échapper au piège de la reconnaissance physique représenta l’une des nombreuses difficultés pour les Juifs vivant dans la clandestinité. Ainsi, se procurer des faux papiers sans « cachet juif » et utiliser des noms adaptés à la langue nationale représentaient moins une tentative de camouflage qu’un acte désespéré de défense des Juifs contre la toute-puissance de l’image juive antisémite.

  • 71 Je remercie Jörg Paulsen pour son aide répétée dans le cadre du dépouillement et de l’étude des sou (...)

63Les « reliques » conservées au Musée de Malines en témoignent. Leur analyse fournit d’une part des informations complémentaires sur le destin individuel de Juifs déportés depuis la Belgique et assassinés. Par ailleurs, si l’on s’intéresse aux faux papiers, on découvre comment et par quels moyens ces Juifs ont tenté jusqu’à la fin de se protéger et de protéger leur famille contre une arrestation par les Allemands. Le nombre de cartes d’identité conservées est toutefois relativement réduit et il nous faut également prendre en considération le fait qu’il s’agissait pour la plupart de faux mal réalisés, qui étaient repérés lors des contrôles de papiers d’identité et entraînaient des arrestations. Nous ne savons pas, en outre, si la fausse carte d’identité représentait bel et bien la cause de l’arrestation ou si l’on ne l’enlevait à son détenteur qu’après son arrestation. A posteriori, nous ne pouvons donc que tirer des conclusions sous réserve. À cela s’ajoute le fait que les réponses collectives de la population juive face à sa persécution étaient extrêmement variées et que les conditions extérieures qui déterminaient, voire limitaient leurs possibilités de réaction étaient si complexes que l’utilisation de faux papiers ne peut être expliquée que dans un contexte plus large. Une analyse descriptive du corpus de sources à notre disposition nous semble tout de même assez révélatrice71.

  • 72 On compte parmi les « reliques » 26 cartes d’identité identifiées comme « falsch » (fausses) par le (...)

64Que sont de « fausses » cartes d’identité ? Nous devons forcément prendre en considération toutes les cartes d’identité qui ont été identifiées comme « fausses » par des services allemands et marquées comme telles (la plupart du temps, comme on l’a dit, avec la mention « Jude, falsch » – Juif, faux ou « falsche Karte » – fausse carte). Les cartes d’identité ou les cartes pour étrangers dont les données étaient correctes mais sur lesquelles il manquait le cachet « Juif-Jood » étaient elles aussi déjà considérées comme « fausses »72. Il est aujourd’hui difficile de repérer les caractéristiques de falsification sur les papiers comportant un autre nom, une autre date de naissance, une autre nationalité, etc., que ceux de leur détenteur, à l’exception des cas d’anomalie évidente au niveau de la photo d’identité, de numéros de série illogiques, de tampons faux ou manquants, de photos mal fixées ou de ratures. Cette remarque vaut surtout pour les « fausses-vraies » cartes d’identité qui avaient bel et bien été délivrées par des autorités communales. Étant donné la variété de sortes de cartes d’identité utilisées en Belgique, il est difficile de les classer et de répondre à la question de savoir si l’on avait produit la fausse carte d’identité à partir d’un formulaire vierge authentique, si l’on avait falsifié la vraie carte d’un tiers, si l’on avait dérobé un formulaire à un service administratif ou si l’on avait réimprimé la carte dans une imprimerie clandestine.

65Parmi les 313 faux papiers de 291 personnes que nous avons analysés, on compte 304 papiers de Belgique, dont 251 fausses cartes d’identité, 40 fausses cartes pour étrangers et 13 papiers restants (cartes de travail et autres documents). On ne dispose de quasi aucun faux papier des Pays-Bas, quatre cartes d’identité, une attestation de domiciliation, un passeport et un faux certificat de congé de l’« Organisation Todt » (OT).

  • 73 Sur l’usage de faux papiers de l’OT lors de l’évasion des Pays-Bas, cf. H. Avni, « The Zionist Unte (...)

66C’est à l’aide de ce passeport et du certificat de l’OT, tous deux au nom de Hendrik MEURS, que Samuel WAGENHUIS, fourreur de 21 ans venant d’Amsterdam, tenta encore en juin 1943 de parvenir dans le sud de la France. Sur le certificat de congé falsifié, il était déclaré comme ouvrier sur les chantiers allemands le long de la côte du canal, ce qui lui donnait le droit d’utiliser le train spécial Amsterdam-Brest. Il fut arrêté en Belgique et déporté vers Auschwitz le 31 juillet 194373. Hartog et Lea DUIJS d’Amsterdam, qui fuyaient eux aussi les déportations des Pays-Bas avec leur fille Celien, possédaient deux fausses cartes d’identité hollandaises émises à deux noms différents ainsi que des cartes d’identité belges de la commune frontalière de Lanaken (près de Maastricht) où étaient mentionnés les faux noms de Henri DUIJS et de Jeanne JANSSENS, mais leurs vraies dates de naissance. Celien DUIJS était pour sa part munie d’une carte d’identité de la commune de Flandre orientale de Lembeke au nom de Maria Anna MAAS. Les papiers, qui semblaient provenir d’une officine hollandaise, étaient faciles à repérer comme étant faux. La Sicherheitspolizei allemande arrêta les trois réfugiés en juillet 1943 et les transféra à Malines.

67La seule fausse carte d’identité française conservée a, semble-t-il, était délivrée par la ville d’Épinal. Elle fut utilisée par Louis MITTELMANN, un spécialiste de la construction né en 1915 à Łódz et vivant à Charleroi, qui se cachait et se faisait appeler Jean LE BEAU. La Sicherheitspolizei allemande a apposé, comme d’habitude, la mention « falsch » (faux) sur la carte. Louis Mittelmann fut arrêté au printemps 1943 et déporté depuis la Belgique vers Auschwitz par le convoi XX.

6819 personnes au total, dont trois femmes, purent présenter plusieurs faux papiers lors de leur arrestation, certains étant à différents noms comme dans le cas du couple Duijs. Il s’agissait parfois d’une attestation d’emploi ou d’autres pièces justificatives établies au même faux nom. Il arrivait également plus souvent que les Juifs arrêtés aient, en plus de leurs faux papiers, leurs vraies pièces d’identité officielles sur eux (dans 50 des cas rapportés). Ce n’était pas par négligence, mais plutôt par mesure de sécurité, avant tout pour les réfugiés qui espéraient pouvoir passer des frontières à l’aide de fausses cartes d’identité et qui devaient ensuite décliner leur identité. Aussi les vrais papiers étaient-ils souvent cachés dans leurs bagages ou cousus dans des vêtements. En cas de danger, soit lors de contrôles inattendus ou de passages de frontière, il fallait très vite se souvenir du faux nom et de la fausse date de naissance. Voilà pourquoi il n’était pas rare qu’une partie au moins des données personnelles correctes soient inscrites dans les fausses cartes d’identité, tandis que seule la nationalité donnée (belge), par exemple, était fictive. Il arrivait également souvent que le nom de famille que les Allemands auraient pu identifier comme nom « juif » soit légèrement modifié – de manière à ce que les initiales soient les mêmes et que seul le nom complet sonne français ou hollandais. Ce qui peut nous apparaître aujourd’hui, avec la distance historique, comme un détail négligeable pouvait à l’époque sauver la vie des Juifs persécutés.

  • 74 4 personnes munies chacune de deux cartes belges ont été rattachées à une seule commune d’émission. (...)

69Si l’on considère la répartition par communes des fausses pièces d’identité belges dont l’administration avait prétendument délivré les cartes d’identité ou cartes pour étrangers ou les avait bel et bien délivrées dans le cas des « fausses-vraies » cartes et que l’on prend parallèlement en compte les dernières adresses officiellement déclarées par les détenteurs de fausses cartes d’identité, on obtient le tableau suivant74 :

Personnes munies de faux papiers provenant de

Nombre

ayant pour dernier lieu officiel de domiciliation

Anvers

Bruxelles et communes bruxelloises

Pays-Bas

Anvers

16

4

2

8

Bruxelles et communes bruxelloises

175

18

127

23

Flandre

37

4

13

19

Wallonie

59

39

8

Total

287

26

181

58

  • 75 Cf. P. Broder (cf. note 11), pp. 188-213.

70Cet aperçu ne permet évidemment pas de reconnaître s’il y avait dans les administrations des villes et communes citées des aides ou des sympathisants ayant participé à la falsification des documents. Les fausses cartes d’identité prétendument établies à Anvers ou dans une commune flamande ont été pour moitié utilisées par des réfugiés juifs des Pays-Bas (27), ce qui s’explique par la langue mais permet également de déduire qu’il y avait des revendeurs qui amenaient des cartes d’identité belges en Hollande déjà, voire même qui les fabriquaient sur place. Presque un quart de toutes les cartes d’identité conservées de Wallonie est issu des communes citées par Pierre Broder (14 cartes d’identité, la plupart de la région de Charleroi) dont les fonctionnaires communaux étaient des sympathisants de la Résistance et délivraient de « fausses-vraies » cartes d’identité couvertes par un enregistrement dans les registres de recensement75. La fausse carte d’identité du Néerlandais Leo-Johann coer, conservée dans les « reliques » et délivrée le 08.03.1944 à Charleroi (Mont-sur-Marchienne), a été signée par l’employé communal Justin Lejong, que Broder cite en personne comme soutien. Van de Rhoer fut déporté vers Auschwitz avec le convoi XXIV un mois plus tard seulement.

  • 76 Le nombre de détenteurs de fausses cartes d’identité bruxelloises était encore plus élevé parmi les (...)

71La répartition par communes n’indique toutefois pas grand-chose sur l’ampleur de l’aide accordée aux Juifs persécutés dans telle ou telle région de Belgique, ni sur l’organisation du marché noir de faux papiers. Il est cependant intéressant de signaler que l’on a conservé très peu de cartes prétendument délivrées à Anvers, alors qu’une grande partie (61 %) indique un domicile fictif à Bruxelles ou dans l’une des communes bruxelloises – et il est en effet très probable que la plupart des Juifs clandestins y aient vécu dans les années 1943 et 1944. Si l’on compare ainsi les lieux de délivrance fictifs avec le dernier lieu de résidence déclaré, on constate que presque les trois-quarts (73 %) de tous les détenteurs de fausses cartes d’identité de la Ville de Bruxelles ou de l’une de ses communes avaient en effet été enregistrés à Bruxelles en dernier. Même les personnes qui s’étaient déclarées à Anvers en dernier se procuraient pour la majeure partie de faux papiers de la capitale belge. Des 26 personnes domiciliées à Anvers, 18 (soit 69 %) étaient munies de faux papiers de Bruxelles. Ces chiffres, même s’ils peuvent ne pas sembler assez représentatifs, reflètent bien que de nombreux Juifs anversois se cachaient à Bruxelles. De même, le fait que 40 % des Juifs néerlandais ayant fui en Belgique utilisaient de faux papiers bruxellois nous permet également de tirer la conclusion prudente que ce groupe de personnes vivait également de façon clandestine à Bruxelles76. En revanche, quiconque présentait une fausse carte d’identité d’une petite commune flamande ou wallonne tout en séjournant illégalement à Bruxelles (et cela valait vraisemblablement pour la majeure partie des 52 personnes déclarées en dernier lieu à Bruxelles et utilisant de fausses cartes de ces communes) encourrait davantage le risque d’une vérification et identification lors d’un contrôle par les Allemands.

Les personnes arrêtées : profils

  • 77 La répartition entre hommes et femmes de plus de 15 ans parmi les déportés des convois XX à XXVI ét (...)
  • 78 L’âge moyen de la population juive à partir de 15 ans s’élevait au 01.08.1942 (c’est-à-dire avant l (...)

72Si l’on s’intéresse à l’état civil, à la situation familiale et à la position sociale de ceux qui furent arrêtés durant 1943 et 1944 en possession de faux papiers, on remarque qu’il s’agissait en majorité d’hommes (180), mais que la proportion de femmes, qui atteint 1/3, n’était pas négligeable (111)77. Les enfants de moins de 15 ans n’étaient pour leur part pas tenus en Belgique d’avoir une carte d’identité. L’âge moyen des 291 personnes était de 37 ans et se trouvait en dessous de celui de la population juive de plus de 15 ans déclarée qui s’élevait au printemps 1943 à 42 ans. C’était donc des hommes et des femmes « plus actifs » qui utilisaient de faux papiers pour leur sécurité. Il faut prendre en compte à ce sujet qu’au début des déportations en 1942, des personnes plus jeunes étaient convoquées ou avaient été arrêtées par les Allemands et que la pyramide des âges s’était de ce fait déjà décalée78. L’industriel Alexander BROITMAN, émigré russe apatride né à Odessa, fut la personne la plus âgée au moment de son arrestation et de sa déportation : il avait alors 69 ans. Au total, les personnes de plus de 60 ans représentaient tout juste 5 %, celles de moins de 21 ans 16 %. Parmi les seize jeunes âgés de moins de 18 ans se trouvait Henriette Elly BED, 13 ans, qui avait fui les Pays-Bas avec ses parents en 1943 encore et qui était munie au moment de son arrestation d’une carte belge pour étrangers au nom de Pieternella VAN BEL qui lui donnait quatre ans de plus. Toute la famille fut déportée de Malines à Auschwitz en septembre 1943.

73Qui étaient ces femmes qui tentaient de se protéger d’une éventuelle arrestation grâce à un faux nom ? On peut supposer que durant longtemps, on pensa que les hommes étaient plus exposés que les femmes, du moins parce qu’il était plus aisé de les identifier comme « Juifs ». Lors des grandes rafles en France à la mi-1942, dont les préparatifs étaient parvenus aux oreilles de la population juive, les hommes avaient essayé de se mettre en sécurité à temps tandis que les femmes et les enfants étaient restés à leur domicile. Personne ne pouvait se douter dans ces années-là que les Allemands allaient commettre un génocide qui engloberait tous les Juifs sans distinction. Mais puisqu’il sembla très vite clair que les jeunes hommes et femmes n’étaient pas les seuls à être concernés par les convois « vers l’est » et qu’on y envoyait également les personnes âgées, les invalides, les femmes enceintes et les nourrissons, on commença de manière croissante à douter de la raison officielle affichée pour ces déportations camouflées en « prestations de travail ». Le fait que tous les membres de la famille aient été intégrés dans les efforts faits pour se sauver constitue un bon signe de la conscience accrue du danger au sein de la population juive.

74Penchons-nous de ce fait sur les rapports familiaux. Parmi les 291 personnes munies de fausses cartes d’identité se trouvaient 41 familles qui étaient parvenues à se procurer de faux papiers pour deux, voire même trois membres de la famille (dont 44 hommes et 53 femmes). Dans 32 autres familles, au moins un membre de la famille possédait une fausse carte d’identité tandis que ses proches parents, eux aussi arrêtés et déportés (souvent par le même convoi), n’étaient pas détenteurs de tels papiers. De plus, parmi les 32 personnes étant les seules de leur famille à avoir été prises en possession d’une fausse carte d’identité, ce n’était pas les hommes – à savoir le chef de famille masculin ou le fils – qui prédominaient, mais il y avait exactement autant de femmes (16 chacun). Dans le cas de presque toutes ces femmes, il s’agissait soit de mères seules avec enfant, soit de femmes dont le mari se trouvait dans le même convoi : dans les deux cas, de ce que l’on peut en conclure, les hommes n’avaient pas utilisé de faux papiers. Le nombre d’hommes détenteurs de faux papiers était donc peut-être plus élevé au niveau absolu, mais cette affirmation ne vaut pas pour le sex-ratio au sein des familles.

  • 79 Sur les listes de transports de Malines sont souvent indiqués les métiers « pratiques » ou jugés ut (...)

75Pour répondre à la question de la position sociale des personnes s’étant procuré de faux papiers, il faut étudier un aperçu des professions représentées, même si les informations relatives au métier exercé sont souvent incertaines (on trouve sur les listes de transports d’autres métiers que dans les « registres des Juifs » communaux) et n’en disent finalement pas long sur les véritables conditions financières des personnes concernées79. On a une trace du métier déclaré de 206 personnes munies de faux papiers (si l’on ne prend pas les femmes au foyer et les retraités en compte). On a également pris pour comparaison un groupe de 399 personnes qui étaient uniquement en possession de papiers officiels authentiques lors de leur arrestation.

Groupe

Personnes munies de faux papiers

Personnes munies exclusivement de vrais papiers

Ouvriers, employés, artisans, petits indépendants, personnes en formation

178

86%

372

93%

Postes académiques,

commerçants fortunés, fabricants

28

14%

27

7%

Total

206

100%

399

100%

  • 80 En raison de l’imprécision de la dénomination de « commerçant », nous avons à titre subsidiaire imp (...)

76Le groupe des « petites gens » est vu au sens large et englobe, en plus du niveau de formation, le prolétariat ouvrier juif traditionnel, les marchands ambulants, les propriétaires de magasins, les employés et les métiers artistiques. La définition du groupe des personnes d’un niveau économique prétendument supérieur relève lui aussi d’une estimation80. Cette distinction grossière révèle une divergence significative : les détenteurs de faux papiers appartenaient en majorité – toute proportion gardée – aux catégories « plus aisées » (14 % contre 7 % en moyenne), tandis que le prolétariat ouvrier et la classe moyenne expropriée qui représentaient en nombre la grande majorité de la population juive en Belgique étaient sous-représentés dans le tableau ci-dessus. Les sources appuient donc l’hypothèse selon laquelle une grosse part des faux papiers utilisés durant les années de persécution des Juifs était achetée sur le marché noir grâce à l’utilisation d’économies. Il apparaît toutefois également que de nombreuses personnes des couches plus défavorisées étaient parvenues à trouver les moyens et les réseaux nécessaires pour obtenir de faux papiers.

  • 81 Sur les listes de transport de Malines, tous les Juifs déportés étaient qualifiés d’« apatrides ». (...)

77Peut-être faut-il ici faire également la différence entre les Juifs vivant depuis longtemps en Belgique, les réfugiés juifs souvent désargentés venus d’Allemagne et d’Autriche et finalement les Juifs des Pays-Bas, ceux qui tentèrent en 1942 ou 1943 encore de se réfugier en France ou en Suisse en passant par la Belgique et qui dans certains cas devaient avoir été aisés. Un aperçu des nationalités des personnes utilisant de fausses cartes d’identité suit 81:

Nationalité

Nombre

Belges

14

Polonais

61

Apatrides (souvent Polonais d’origine)

39

Néerlandais

75

Allemands

39

Ex-Autrichiens

19

autres (Roumains, Grecs notamment)

15

indéterminée ou non-renseignée

29

  • 82 Notre calcul, qui diverge du chiffre de moins de 7 % de Juifs de nationalité belge mentionné dans l (...)

78Les Juifs de nationalité belge, qui ne représentaient que quelque 9 % de la population juive totale en Belgique avant le début des déportations et dont le pourcentage s’élevait à environ 13 % au moment à partir duquel les « reliques » ont été conservées, sont ici sous-représentés (4,9 %) – le pourcentage de ressortissants belges parmi les Juifs déportés était toutefois aussi de 5 %82. Cet écart par rapport à la population juive totale donne lieu à deux explications différentes : soit il confirme le soupçon souvent formulé selon lequel le groupe des Juifs belges, que les Allemands avaient exclu des déportations jusqu’à l’automne 1943 pour des raisons liées à la politique d’occupation, se serait trop longtemps cru en sécurité, soit le nombre peu élevé de faux documents conservés est un indice du fait que les Juifs belges seraient mieux parvenus à éviter les arrestations allemandes grâce à leur meilleur ancrage dans la société belge.

79Le nombre de réfugiés étrangers est en revanche, comme le prouvent les nationalités, proportionnellement très élevé parmi les utilisateurs de faux papiers. Leur nombre s’élève encore si l’on ne se fonde pas sur la nationalité, mais sur le pays d’origine ou le lieu de résidence antérieur des Juifs déportés depuis la Belgique et que l’on prend en compte le fait que parmi les réfugiés juifs d’Allemagne se trouvaient de nombreux ressortissants polonais ou également des Juifs apatrides. Que le nombre de réfugiés des Pays-Bas soit moins élevé que le nombre de ressortissants néerlandais s’explique par le fait que beaucoup de Juifs néerlandais vivaient depuis longtemps déjà en Belgique, en particulier à Anvers. En outre – et cela est confirmé par d’autres sources également –, la plupart des émigrés des Pays-Bas avaient, semble-t-il, déjà acheté leurs faux papiers à Amsterdam, Maastricht ou à La Haye, où se trouvaient à la fois un gros marché noir de papiers et des ateliers de faussaires. Si l’on admet qu’il y avait parmi les Juifs néerlandais en fuite quelques familles aisées, on se pose d’autant plus la question de savoir comment les réfugiés d’Autriche et d’Allemagne, qui étaient la plupart du temps dépouillés de toute leur fortune au moment de leur départ, étaient parvenus à rassembler les moyens financiers pour acheter de faux papiers et comment ils disposaient des relations nécessaires en Belgique pour en obtenir – à moins qu’on ne suppose qu’en raison de leur situation précaire, ils n’aient pu s’acheter que de faux papiers bon marché et mal faits qui étaient facilement repérables au contrôle.

  • 83 Les données reposent sur les résultats d’un projet financé par la Deutsche Forschungsgemeinschaft i (...)

Année de l’émigration ou de la fuite83

d’Allemagne en Belgique

d’Autriche en Belgique

des Pays-Bas en Belgique

1933/37

8

1938

11

21

1939/40

22

8

1941/44

18

1942

4

1942/44

24

1943

6

inconnue

5

1

7

Total

46

30

59

  • 84 Le nombre de réfugiés d’Allemagne et d’Autriche parmi les détenteurs de faux papiers (76 personnes (...)

80Comme le prouve ce tableau, plus de 46 % des 291 personnes en possession de faux papiers étaient des réfugiés juifs (135)84. Il s’agissait de Juifs qui étaient parvenus à fuir la persécution et les pogroms en quittant l’Allemagne nazie ou l’Autriche annexée pour la Belgique, mais avaient été rattrapés par leurs persécuteurs après l’invasion des troupes de la Wehrmacht et tentaient à présent de survivre dans la clandestinité (peut-être justement parce qu’ils savaient de par leur propre expérience quelle menace pesait sur eux). D’autres faisaient partie des Juifs cherchant à échapper aux déportations en cours au Pays-Bas qui avaient clandestinement passé la frontière belge. Le fait que tous les efforts de sauvetage entrepris se soient soldés par un échec, tous les hommes et toutes les femmes au centre de notre propos ayant été arrêtés par les Allemands et déportés depuis le camp de Malines, n’enlève rien à l’importance des résultats avancés. Cela prouve au contraire à quel point l’usage de faux papiers était lié à d’autres formes de défense et de résistance juive.

« Échapper à tout prix… »

  • 85 Si l’on ajoute ceux qui n’ont pas été repris par les Allemands après leur évasion du convoi de dépo (...)
  • 86 Cf. M. Steinberg, La Traque des Juifs (cf. note 10), vol. II, p. 86 et suivante, 108 ; M. Steinberg (...)

81Pour terminer, abordons un dernier aspect dramatique, à savoir l’évasion des Juifs hors des convois de la mort. Pas moins de 22 hommes âgés de 17 ans (Abraham DE LEEUWE) à 46 ans (Samuel HELMAn) et une jeune femme de 22 ans, Dina ROZENSZTEIN, avaient non seulement utilisé de faux papiers pour éviter toute déportation, mais étaient également parvenus à sauter d’un convoi de la mort en marche et à échapper aux Allemands avant d’être à nouveau rattrapés85. Un de ces hommes (Mejer TABAKMAN) a même fait deux tentatives d’évasion, du convoi XIX, puis XX, soit en janvier puis à nouveau en avril 1943, avant d’être repris en fin d’année avec sa femme Rajzla K., elle aussi en possession de faux papiers, et d’être déporté à Auschwitz début 1944. Mejer Tabakman appartenait au mouvement sioniste de gauche et avait été impliqué dans les préparatifs de l’évasion de masse du convoi XX86. Il utilisait à la fin une fausse carte d’identité de la commune bruxelloise de Forest au nom de Julien VAN VEROM et c’est également à Forest – coïncidence ou non – qu’il se fit arrêter. Sa femme en revanche s’appelait Jeanne-Louise PARMENTIER, mariée DUMONT, sa carte d’identité provenait prétendument de la commune wallonne de Soignies. Un Allemand travaillant au camp de Malines a souligné en rouge le nom de Mejer Tabakman sur l’enveloppe dans laquelle on a alors conservé les deux cartes d’identité et a ajouté le mot « Flitzer », qui désignait dans le jargon SS les évadés de convois précédents.

  • 87 Il semble que la déportation de la femme amputée du bras ait été ordonnée par le commandant adjoint (...)

82Tous ces évadés plongeaient temporairement dans la clandestinité et, dans cette situation hautement dangereuse, ils dépendaient des faux papiers que la Résistance juive avait dû leur procurer dans certains cas. Dina ROZENSZTEIN, une Polonaise d’origine dont le mari avait été déporté dès août 1942, était en possession d’une « fausse-vraie » carte d’identité lorsqu’elle fut arrêtée en avril 1943 et enregistrée pour le convoi XX à destination d’Auschwitz. Elle militait pour le Comité de Défense des Juifs de Charleroi. Sa carte avait été délivrée par la commune wallonne de Liberchies, qui faisait partie de celles dont les fonctionnaires cités par Pierre Broder étaient sympathisants de la Résistance dans la mesure où ils fournissaient de tels documents. La carte d’identité ne fut délivrée que le 1er février 1943, soit quelques semaines seulement avant son arrestation ; elle était au nom de Mariette DEFONTAINE et la date de naissance n’avait été que très peu modifiée. Dina Rozensztein s’enfuit du convoi XX du 19 avril 1943, qui donna lieu à une évasion de masse de prisonniers, fut toutefois réarrêtée tout de suite car elle était grièvement blessée, transportée à l’hôpital et finalement déportée du camp de Malines par le convoi XXIIA87.

83Abraham DE LEEUWE (17 ans) avait été le seul de ses proches parents à tenter lui aussi de s’évader du convoi XX. Fin 1942 ou début 1943, il avait quitté avec son père, un ancien commerçant, sa mère et sa jeune sœur la ville d’Enschede aux Pays-Bas pour Bruxelles, où toute la famille s’était procuré de fausses cartes d’identité et avait vécu cachée à Uccle jusqu’à leur arrestation. La dernière partie de sa vie ne fut pas longue. Il fut arrêté à nouveau le lendemain de son évasion, envoyé à la prison de Louvain, enregistré à Malines sur une « liste des évadés du convoi XX » et envoyé à la mort fin juillet 1943 avec le convoi suivant, le n° XXI. L’Allemand inconnu qui arrêta la famille de Leeuwe raya leurs photos d’identité d’un gros trait de crayon bleu sur les fausses cartes d’identité, comme s’il avait voulu déjà effacer leurs visages.

84Samuel HELMAN, un hôtelier apatride né à Varsovie, avait utilisé jusqu’à son arrestation une fausse carte d’identité de la ville d’Anvers émise au nom de Albert WIJSMAN et une fausse carte de l’Organisation Todt au même nom qui faisait de lui un travailleur étranger belge. Il fut arrêté en mars 1943 par le capitaine SS Siegburg, un membre du Judenreferat de la Gestapo bruxelloise particulièrement engagé dans la chasse aux Juifs, qui considéra que la carte d’identité était falsifiée. Samuel Helman, tout comme les trois autres personnes citées précédemment, s’évada du convoi XX. En juin 1943, après son évasion réussie, il se procura à nouveau une fausse carte, cette fois délivrée par la Ville de Bruxelles au nom de Henry Albert Van Camp. Il conserva la bonne date de naissance (21.09.1897), qu’il avait déjà utilisée pour sa première carte d’identité. C’est avec cette carte qu’il fut arrêté une deuxième fois, en novembre 1943, par le sous-lieutenant SS Meinshausen, qui avait été commandant adjoint du camp de Malines auparavant et avait ensuite brièvement travaillé au Judenreferat. Meinshausen rendit la carte d’identité caduque (« falsche Karte » – fausse carte), écrivit plusieurs fois « Jude » dessus et inscrivit les données personnelles correctes tout en ajoutant « XX. Transport Nr. 36 geflüchtet » (« évadé, n° 36 du convoi XX »). Cela eut pour conséquence que le nom de Helman fut repris, avec celui des autres évadés juifs (dont celui de Mejer Tabakman), sur une liste spéciale au camp de Malines, ce qui signifiait une mort certaine à Auschwitz. Il fut déporté par le convoi XXIII le 15 janvier 1944.

  • 88 Déposition d’Icek W., 11.06.1949, Auditorat militaire, dossier Sipo Bruxelles, liasse 10.

85Les Allemands sont toutefois loin d’être parvenus à remettre la main sur tous les Juifs évadés des convois de déportation. Cela vaut avant tout pour l’évasion de masse de plus de deux cents prisonniers en avril 1943. Le coupeur bruxellois émigré de Pologne Icek WOLMAN, alors âgé de 37 ans, avait réussi à se procurer une fausse carte belge pour étrangers indiquant une fausse nationalité suisse au nom de Marcel ROUVIER (seule la date de naissance était correcte) lorsqu’il se fit arrêter en pleine rue en 1943 par un agent juif de la Gestapo et le SS Meinshausen évoqué plus haut. Suite à un interrogatoire où il rossa le détenu, Meinshausen nota sur la carte ses données personnelles ainsi qu’une adresse dans le quartier de Koekelberg (une cachette apparemment). Icek Wolman, qui a survécu, déclara à la fin des années 1940 en qualité de témoin dans une mise en examen de la justice militaire de Bruxelles à l’encontre des anciens membres de la Sicherheitspolizei allemande : « En mars 1943, j’ai été arrêté à Molenbeek-St-Jean, à la chaussée de Gand en face du cinéma Corso par le “Gros Jacques” et l’Allemand qui figure à la photo 37 de l’album des criminels de guerre, et qui est Meinshausen. J’ai été conduit ensuite à la Gestapo à l’avenue Louise à Bruxelles, où Meinshausen m’a battu parce que je ne voulais pas donner l’adresse de ma famille. Meinshausen m’a battu avec une matraque. Je suis resté environ une semaine à la cave de la Gestapo au no 510 av. Louise. J’ai été envoyé ensuite à la caserne Dossin à Malines. J’ai été envoyé vers l’Allemagne avec le XXe transport en avril 1943, mais j’ai pu m’échapper du train entre Louvain et Tirlemont. »88

  • 89 Cf. P. Broder (cf. note 11), p. 80 ; M. Steinberg, La Traque des Juifs (cf. note 10), vol. I, p. 46 (...)

86La Gestapo avait essayé en vain de retrouver la trace des membres de la famille qui étaient sûrement passés dans la clandestinité. Icek Wolman faisait partie – tout comme Samuel Perl et Mejer Tabakman – de la résistance juive, qui prépara au camp de Malines l’évasion des déportés du convoi XX89. Il retourna à Bruxelles. Il fut arrêté une deuxième fois lors d’une rafle, quelques semaines à peine avant le retrait des Allemands, et renvoyé à Malines, puis libéré début septembre 1944.

  • 90 Voir également pour ce qui suit I. Meinen, Die Shoah in Belgien (cf. note 2), pp. 126, 160-161, 216 (...)
  • 91 Heffner s’est évadé du convoi XX, s’est blessé à cette occasion, s’est enfui de l’hôpital de Tirlem (...)

87On apprend notamment de sa déposition d’après-guerre dans quelles conditions et par qui les Juifs munis de faux papiers furent arrêtés90. Meinshausen, de même que le capitaine SS Siegburg, faisait en effet partie de ceux qui entreprirent dans les années 1943 et 1944 une chasse systématique aux Juifs à l’aide de petites patrouilles de police motorisées, passant tous les jours d’autres quartiers résidentiels de Bruxelles au peigne fin à la recherche de Juifs cachés et effectuant de nombreuses arrestations individuelles sur la voie publique. Parmi les « reliques », on retrouve quelque 44 fausses cartes d’identité annotées par Siegburg, comme en atteste son paraphe. Meinshausen établit dans au moins douze cas que les papiers étaient faux. Lorsqu’il arrêta en mars 1943 à Schaerbeek Naftali HEFFNER, qui avait fui les Pays-Bas, il nota sur sa fausse carte : « Inhaber will nicht wissen, ob er Jude ist, verh[aftet] Brüssel, rue Liedts 114 » (« détenteur prétend ne pas savoir s’il est juif, arrêté à Bruxelles, rue Liedts 114 »)91. D’autres écritures ne sont plus identifiables aujourd’hui. La façon de rendre ces papiers caducs, de rayer les photos d’identité et d’inscrire les mentions « Jude, falsch » en travers des pages laisse deviner l’agressivité chargée d’antisémitisme qui animait les policiers allemands. Tous participaient à l’arrestation des Juifs qui faisaient pour leur part tout leur possible pour se protéger et protéger les leurs de la déportation.

Conclusion

88Tout le monde sait que de nombreux faux papiers furent en circulation en Belgique durant la Deuxième Guerre mondiale ; cela fait partie des annales de l’histoire de la Résistance nationale contre l’occupant allemand. L’usage de faux papiers par la population juive persécutée et menacée de déportation n’a toutefois pas grand-chose à voir avec cela. Les Juifs n’essayaient pas de « se camoufler », du moins pas dans le sens où le faisaient, pour des raisons de sécurité, les hommes et les femmes ayant rejoint le mouvement de la Résistance. Les Juifs n’avaient pas le choix, car leur identification comme « Juifs » les exposait à un danger de mort. Ils couraient le risque d’être arrêtés à tout moment par les Allemands ou devaient plonger dans la clandestinité, cacher leurs enfants chez des étrangers et entreprendre leur évasion hors du pays. Voilà pourquoi les faux papiers conservés jusqu’à nos jours relatent des actes de défense contre la persécution, notamment aussi lorsqu’ils étaient repris aux Juifs ayant finalement été arrêtés et déportés. Chacune de ces cartes d’identité nous raconte par bribes l’histoire d’un individu dont la vie fut interrompue de façon prématurée et brutale. Nous y trouvons les traces d’un long destin de persécution des Juifs d’Allemagne et d’Autriche, d’une tentative avortée d’évasion de Juifs néerlandais, du changement illégal de domicile d’une famille de Juifs d’Anvers à Bruxelles.

89Il est étonnant que l’on ne se soit guère jusqu’ici posé la question de savoir comment la plupart des Juifs s’étant procuré de faux papiers étaient parvenus à les obtenir. Les structures de la Résistance organisée ne suffisaient visiblement pas, même si le soutien de nombreuses administrations communales qui délivraient de « fausses-vraies » cartes d’identité est prouvé. Seule une petite partie des Juifs, et tout particulièrement ceux qui étaient actifs dans la Résistance, semble en avoir profité, d’autres ont payé pour se procurer de tels papiers et on fournissait même aux enfants plus âgés et aux jeunes cachés dans des foyers des papiers d’identité délivrés par le Comité de Défense des Juifs. Se pose ainsi la question de l’aspect mercantile. Nous ne disposons que de très peu d’informations sur l’organisation du marché noir, les imprimeries et les ateliers de faussaires clandestins, la vente et les prix des fausses cartes d’identité, mais nous savons toutefois qu’il fallait débourser des sommes considérables pour acquérir ne serait-ce qu’une seule fausse carte d’identité pour un membre de la famille. Le processus d’expropriation et de spoliation des Juifs était bien avancé aux Pays-Bas et en Belgique lorsque les déportations commencèrent. Il semble cependant que certains Juifs soient parvenus à mettre de côté des biens réels et des devises et l’on peut lire dans d’autres documents que la couche plus pauvre de la population juive, qui ne disposait plus d’aucune réserve financière, était contrainte de vendre son mobilier et ses effets personnels pour pouvoir acheter de faux papiers.

90Les services allemands en Belgique, aux Pays-Bas et en France remarquèrent tôt que les Juifs utilisaient en grand nombre des papiers falsifiés pour échapper aux déportations. La Sicherheitspolizei et les services policiers de la Wehrmacht ne parvinrent toutefois pas, jusqu’à la fin de l’Occupation, à détruire les structures fournissant les faux papiers, qu’il s’agisse de celles de la Résistance ou de celles des réseaux commerciaux. L’usage de fausses cartes d’identité semble au contraire n’avoir cessé de s’intensifier, à tel point que les Allemands finirent par considérer cela comme une des raisons de leurs difficultés à mettre la main sur les Juifs.

91Les raisons poussant les Juifs à se procurer de faux papiers sont évidentes, elles étaient une conséquence des ordonnances antijuives de l’occupant allemand visant à rendre la population juive visible et vulnérable. Éviter cela devint d’autant plus urgent lorsque les arrestations de masse et les déportations commencèrent durant l’été 1942. Plus les mesures et les techniques de persécution allemandes s’intensifièrent avec le temps, plus il était nécessaire de « camoufler son origine juive », comme cela est noté dans une des déclarations d’après-guerre citées plus haut. Les interrogatoires de Juifs arrêtés, puis déportés, et les témoignages de survivants décrivent la multitude de situations dans lesquelles des personnes en possession de fausses cartes pouvaient finir entre les mains des Allemands : lors de perquisitions, de contrôles surprises en pleine rue, de rafles dans des lieux publics, des gares ou des transports en commun, de contrôles aux postes frontaliers ou dans des trains de grande ligne et pour finir en tombant dans des pièges que les services allemands tendaient aux persécutés en infiltrant des indicateurs dans le milieu où se vendaient les faux papiers. Une fois les Juifs arrêtés, la Gestapo faisait la plupart du temps usage de la force physique pour connaître leur vraie identité, si possible aussi pour pister d’autres membres de la famille vivant dans des cachettes et pour déterminer d’où venaient les cartes d’identité. Elle parvenait rarement à obtenir des informations sur ce dernier point, mais la plupart des Juifs arrêtés préféraient révéler leur propre nom et leur appartenance à la population juive pour ne pas être considérés comme des résistants et finir torturés et transférés au camp de concentration de Breendonk.

92Jusqu’à présent, on ne savait pas vraiment quelles personnes ou quels groupes de personnes parmi les Juifs utilisaient de faux papiers, quelles villes et communes délivraient prétendument ces faux et dans quelle situation ils étaient effectivement utilisés. Parmi les résultats tirés de notre analyse des « reliques », le plus étonnant est sûrement que presque la moitié de tous les faux papiers ayant été conservés ont bel et bien étaient utilisés par des réfugiés, c’est-à-dire soit par des personnes ayant été expulsées de force du territoire allemand puis traquées par les Allemands à l’arraché après l’occupation de la Belgique par la Wehrmacht, soit par des personnes voulant tenter à tout prix de fuir les Pays-Bas occupés et la Belgique après le début des convois vers l’est. Tous les réfugiés, même en provenance de Hollande, ne furent pas arrêtés à une frontière où il fallait présenter une carte d’identité. Il est plus vraisemblable de supposer que la grande majorité de tous les Juifs clandestins vivait dans la capitale belge ou dans sa périphérie ; la plupart des fausses cartes d’identité comportaient en tout cas des sceaux et cachets de la Ville de Bruxelles ou de l’une de ses communes.

93Que des personnes isolées ou que des familles entières aient tenté d’échapper à leur arrestation et déportation à l’aide de papiers falsifiés, qu’il s’agisse de membres de la Résistance juive communiste ou de personnes passant dans la clandestinité de leur propre initiative, de Juifs belges, de Juifs étrangers vivant depuis longtemps en Belgique ou de réfugiés, que les personnes les plus aisées de cette population aient utilisé leurs biens restants ou que les pauvres aient vendu leurs derniers biens personnels – l’usage de faux papiers s’inscrivait toujours dans un contexte de stratégies de survie d’une grande diversité que nous interprétons comme la défense juive contre la politique d’extermination allemande.

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Annexe

Fausses cartes d’identité

Fausses cartes d’identité

Fausses cartes d’identité d’Abraham De Leeuwe (au nom de Léon Joseph ROSCAM) et de ses parents, portant l’annotation « falsch », « Jude »

© MJDR

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Notes

1 Texte traduit de l’allemand par Maud Qamar. Je remercie Laurence Schram pour son aide précieuse et ses divers renseignements sur le fonds.

2 Dans sa monographie Die Shoah in Belgien, Darmstadt, 2009 (trad. néerl., Anvers, 2011), Insa Meinen a été la première à analyser de façon exemplaire combien de déportés des divers convois étaient détenteurs de faux papiers d’identité lors de leur arrestation par la Gestapo.

3 Voir le rapport rédigé en 1943 par Joseph Hakker (évadé du convoi XVIII du 15.01.1943) : « Dès notre arrivée, nos papiers nous furent enlevés et les détenus conduits immédiatement vers un bureau qui s’appelait « Aufnahme » […]. Un numéro fut donné à chacun et nous devions le porter sur le dos. […] Ce qui nous fit le plus de mal fut la confiscation et la destruction immédiate de toutes nos photographies de famille. Toutes nos pièces d'identité et tous nos papiers personnels furent immédiatement détruits. » Camp de concentration de Malines, Auditorat militaire, Bruxelles, dossier Dossin-Frank.

4 Voir à ce sujet mon article « Boden oder : Das Wissen um Auschwitz », dans Theresienstädter Studien und Dokumente, n° 15, 2008, p. 115-147, ainsi que L. Schram, « Au camp de rassemblement pour Juifs de Malines. Les maîtres de la Aufnahme », dans Les Cahiers de la Mémoire contemporaine - Bijdragen tot de eigentijdse Herinnering, n° 8, 2008, pp. 13-34.

5 Il arrivait toutefois aussi que la véritable identité d’une personne arrêtée sous un faux nom ne soit découverte qu’une fois au camp de Malines ; voir notamment la déposition de Marcel R., 04.06.1949, Auditorat militaire, dossier Sipo Bruxelles, liasse 23.

6 Au total, ce sont quelque 4.400 « reliques » qui ont été conservées. Au moment de la libération en 1944, ces documents d’archives n’ont pu être gardés au camp de Malines. Erna Sch., prisonnière de fonction à la Aufnahme du camp, a raconté après la guerre que tous les documents encore en possession des autorités avaient été brûlés sur ordre du commandant adjoint du camp, Boden ; seules les listes de transport purent être sauvées. Déposition de témoin, 24.02.1949, Auditorat militaire, dossier Schmitt.

7 Voir notes manuscrites Frank, 13.3.1949, Auditorat militaire, dossier Sipo Bruxelles, liasse 1.

8 Une recherche séparée serait nécessaire pour savoir quand et dans quelles conditions les photographies sur les cartes d’identité ont été prises. Je ne peux non plus m’attarder ici sur la question de l’utilisation – souvent problématique – de ces photographies d’identité à des fins documentaires.

9 Voir l’excellent résumé de M. Steinberg, La Persécution des Juifs en Belgique (1940-1945), Bruxelles, 2004, p. 204 : « En tout, ce statut ‘juif’ comporte dix-huit Judenverordnungen qui les visent en tant que tels et nommément. Dès que la Militärverwaltung considère que son travail législatif est terminé, les Juifs de son ressort territorial sont effectivement disponibles pour cette évacuation, dont elle attend que la décision soit prise à Berlin. Ils sont identifiés, enregistrés, fichés dans plusieurs registres, marqués sur leurs papiers d’identité estampillés du cachet Juif-Jood bien visible, voire aussi d’une petite étoile de David s’ils sont d’Anvers. »

10 M. Steinberg, L’Étoile et le fusil, tomes 1-3/I-II (La question juive, 1940-1942 ; Les cent jours de la déportation des Juifs de Belgique; La Traque des Juifs, 1942-1944, vol. I-II), Bruxelles, 1983-1986.

11 P. Broder, Des Juifs debout contre le nazisme, Bruxelles, 1994, particulièrement pp. 166-174 ; M. Steinberg, La Traque des Juifs, op.cit., vol. I, p. 135 sqq.

12 P. Broder, op. cit., p. 170. Il y avait également des sympathisants de la Résistance dans les administrations communales d’autres provinces du pays. Ainsi, le bourgmestre catholique d’Uccle, Jean Herinckx, mit à disposition des clandestins juifs des cartes d’identité non utilisées ; un officier de la police criminelle d’Anvers fournit 50 cartes d’identité pour de jeunes Juifs ; L. Saerens, « Die Hilfe für Juden in Belgien », dans W. Benz et al. (dir.), Solidarität und Hilfe für Juden während der NS-Zeit, t. 4, Berlin, 2004, pp. 193-280, ici pp. 256-257.

13 P. Broder op. cit., pp. 172, 181, 214. D’après les informations fournies par Pierre Broder, le CDJ de Charleroi perçut 627.312 francs belges grâce à la fabrication de faux papiers.

14 La sélection englobe au total 313 documents falsifiés. Pour faciliter une comparaison, on a également analysé de vraies cartes d’identité lorsqu’elles avaient été conservées.

15 On exploite les dépositions des survivants d’Auschwitz qui ont été interrogés par la justice militaire belge après la guerre (Auditorat militaire, Bruxelles), ainsi que les dossiers du Devisenschutzkommando (service de Protection des Devises) et du Zollgrenzschutz (Protection des Frontières) allemande en Belgique que l’on peut consulter au Centre d’Études et de Documentation Guerre et Sociétés contemporaines (CEGES) à Bruxelles.

16 Le délégué du chef de la Police de Sécurité du Reich en Belgique et au Nord de la France, Nouvelles de Belgique et du Nord de la France, n° 12/44, 15.6.1944, dans H. Boberach (dir.), Regimekritik, Widerstand und Verfolgung in Deutschland und den besetzten Gebieten. Meldungen und Berichte aus dem Geheimen Staatspolizeiamt, dem SD-Hauptamt der SS und dem Reichssicherheitshauptamt 1933-1944, Mikrofiche-Edition, Munich, 2001, feuillet B 0672 (fiche 037).

17 Commando extérieur de Vierzon au chef de la Sipo-SD Paris, 30.07.1942, CDJC, XXVI-51.

18 Directeur en chef de la police militaire auprès du Commandant militaire en Belgique et dans le Nord de la France, Rapport d’activité pour le mois de juillet 1942, BA-MA, RW 36/165. On cite ici par son nom le passeur Paul D. de Mouscron, voir ci-dessous. La GFP a arrêté à plusieurs reprises des faussaires qui se faisaient apparemment payer pour leurs services ; voir notamment l’échange de courriers entre la GFP Groupe 712, le Devisenschutzkommando d’Anvers et la Sipo-SD Anvers, 08.03-05.04.1943, CEGES, AA 585/42/6.

19 Voir à ce sujet le témoignage d’après-guerre de Martin I., qui a été déporté par le convoi IX et a survécu : « En juillet 1942 [...], j'ai été arrêté dans un café de la rue Marché-au-Charbon à Bruxelles, ainsi que toutes les personnes qui se trouvaient dans l'établissement. Dans ce café se faisait un trafic de fausses cartes d'identité. », 18.02.1949, Auditorat militaire, dossier Sipo Bruxelles, liasse 22.

20 Voir par exemple le rapport d’activité du mois de septembre 1942, BA-MA, RW 36/165 ; Rapport d’activité du mois de décembre 1942, BA-MA, RW 36/165.

21 Insa Meinen a retrouvé ces premières « nouvelles » que l’on pensait perdues ; voir Die Shoah in Belgien, op. cit., pp. 13, 172-176.

22 Nouvelles de Belgique et du Nord de la France, n° 16/42, 15.08.1942, Bundesarchiv Berlin, R 58/6399.

23 Nouvelles de Belgique et du Nord de la France, n° 17/42, 31.08.1942, ibid. – Voir ci-après pour le prix des fausses cartes d’identité.

24 Nouvelles de Belgique et du Nord de la France, n° 18/42, 15.09.1942, ibid.

25 Von Bargen au Ministère des Affaires étrangères allemand, 24.09.1942, dans S. Klarsfeld – M. Steinberg (dir.), Die Endlösung der Judenfrage in Belgien. Dokumente, New York - Paris s.d. [1980], p. 45-46.

26 Bargen au Ministère des Affaires étrangères allemand, 27.11.1942, ibid., p. 54-55.

27 Ibid.

28 Nouvelles de Belgique et du Nord de la France, n° 19/42, 01.10.1942, Bundesarchiv Berlin, R 58/6399.

29 Nouvelles de Belgique et du Nord de la France, n° 1/43, 15.01.1943, dans Boberach, op. cit., feuillet B 0039 (Fiche 031).

30 On organisa à nouveau au printemps 1943 des rafles massives aux Pays-Bas et on abandonna tout particulièrement le système jusque alors utilisé desdites « dérogations » qui avait sauvé jusque-là des dizaines de milliers de Juifs de la déportation. La Sicherheitspolizei aux Pays-Bas avait annoncé à Berlin au préalable : « Depuis le début des convois de mise au travail, on assiste à une grande vague de passages dans la clandestinité. Plusieurs milliers de Juifs s’étant évadés à la frontière belge depuis l’invasion des troupes, on a réduit de façon drastique le nombre de passages en accroissant la surveillance aux frontières. Les Juifs, depuis, s’évertuent en grand nombre à se cacher dans le pays en enlevant leur étoile jaune et en utilisant de fausses cartes d’identité. De grands réseaux de Hollandais aryens les aident en cela. » Chef de la Sipo-SD La Haye, Rapport annuel 1942, dans Boberach, op. cit., tome supplémentaire (copie NIOD, NL 42, feuillet 0673).

31 Nouvelles de Belgique et du Nord de la France, n° 6/43, 01.04.1943, Bundesarchiv Berlin, R 58/6399.

32 Directeur en chef de la Police militaire auprès du Commandant militaire en Belgique et dans le Nord de la France, Rapport d’activité du mois de novembre 1942, BA-MA, RW 36/135.

33 Je me fonde sur les témoignages de l’acte d’accusation de l’OFK 589 (Liège) cités dans l’ouvrage de M. Steinberg, La Traque des Juifs, op. cit., vol. I, p. 150. Un autre cas de condamnation de sauveurs par des tribunaux de guerre allemands est rapporté dans l’ouvrage d’I. Meinen, Die Shoah in Belgien, op. cit., p. 170 : fin août 1942, quelques semaines avant le début des déportations de Malines, le tribunal de l’OFK 672 (Bruxelles) condamna un fonctionnaire communal du bureau de l’état civil de Bruxelles à neuf mois de prison pour falsification de passeports.

34 Nous avions à notre disposition 35 dépositions de survivants d’Auschwitz issues du fonds de l’Auditorat militaire dans lesquelles on trouve des informations sur l’usage de fausses cartes d’identité. Pour des raisons de respect de la vie privée, nous avons rendu les noms des survivants anonymes pour autant que ces noms ne soient pas connus dans l’histoire de la Résistance juive.

35 Déposition de Chaja F., 23.03.1949, Auditorat militaire, dossier Sipo Bruxelles, liasse 1 ; Déposition de Moses N., 15.04.1949, Auditorat militaire, dossier Boden, farde IV. Les données biographiques contenues dans le texte se fondent sur les témoignages d’après-guerre cités dans chaque cas et sur les dossiers individuels des services allemands de même que sur les sources suivantes : http://www.joodsmonument.nl  ; Registre des Juifs ; Fichier Beeckmans (fichier AJB); Listes de transport Malines−Auschwitz (MJDR) ; http://www.memorialdelashoah.org ; http://www.bundesarchiv.de/gedenkbuch ; http://www.doew.at .

36 Ceci n’était pas un cas unique mais il a été plusieurs fois confirmé par des membres juifs de la Résistance. Voir notamment le témoignage d’un survivant d’Auschwitz qui fut arrêté en décembre 1943 à Bruxelles par des rexistes belges, interrogé et battu : « J’étais en possession d’une fausse carte d’identité belge. Je fus transféré trois jours plus tard à l’avenue Louise où je me déclarai Juif, ce qui était vrai, de peur d’être envoyé à Breendonk en tant que membre du mouvement de résistance. » Déposition de Jankiel P., 27.04.1949, CEGES, AA 377, tome X, feuillet 1979 (traduction allemande, l’original français n’a pas pu être retrouvé).

37 La petite divergence dans le numéro de la rue (l’adresse indiquée sur la carte d’identité est rue Théodore Verhaegen n° 25, alors que Moses N. disait qu’il se cachait au n° 105) repose sur un souvenir erroné ou bien l’adresse fictive ne correspondait bel et bien pas, pour des raisons de sécurité, à celle de son refuge.

38 C’est ainsi que le chef de l’état-major de commandement du Commandant militaire en France, Hans Speidel, annonça en septembre 1940 à tous les services de la Wehrmacht concernés l’interdiction pour tous les Juifs de passer la ligne de démarcation à l’intérieur de la France, qui séparait le pays en une zone occupée et une zone libre. Les critères de la « loi raciale » allemande n’étant pas encore en vigueur en France, Speidel ajouta pour mieux expliquer la procédure à suivre lors des contrôles douaniers le long de la ligne de démarcation qu’il fallait, si leur appartenance religieuse n’était pas signalisée sur leurs papiers, refuser toutes les personnes « dont le nom ou l’apparence (terme souligné) donnait à penser qu’ils étaient de race juive ». Circulaire du chef de l’Administration militaire en France, 20.09.1940, CDJC, XXIV-12.

39 CEGES, AA 585/42/5.

40 Déposition de Samuel Perl, 17.01.1945, Auditorat militaire, dossier Schmitt.

41 Cf. M. Steinberg, La Traque des Juifs, op. cit., vol. II, p. 82 ; ainsi que M. Steinberg – L. Schram, Transport XX Malines – Auschwitz, Bruxelles, 2008, p. 22.

42 Déposition de Joseph L., 25.02.1949, Auditorat militaire, dossier Sipo Bruxelles, liasse 23.

43 Déposition de Geli T., 04.06.1949, ibid.

44 Déposition de Moszek K., 01.06.1949, ibid.

45 Déposition d’Esther N., 04.07.1949, ibid.

46 Déposition de Liba G., 14.03.1949, ibid. – Sur la liste de transport, elle était enregistrée sous le nom « Veuve Banet-G […], Louise » ; elle avait en effet utilisé le nom de son défunt mari pour sa fausse carte d’identité.

47 Déposition de Marcel K., 03.06.1949, ibid.

48 Déposition de Joseph T., 05.03.1949, ibid.

49 Voir à ce sujet A. Meyer – I. Meinen, « La Belgique, pays de transit. Juifs fugitifs en Europe occidentale au temps des déportations de 1942 », dans Cahiers d’Histoire du Temps Présent, n° 20, 2008, pp. 145-194. Certains des dossiers individuels du DSK et du Zollgrenzschutz cités ci-après ont déjà été utilisés pour cet article et dans la monographie d’I. Meinen, Die Shoah in Belgien, op. cit.

50 Courrier du poste frontalier de Givet au poste de commandement du Zollgrenzschutz de Bruxelles, 29.07.1942, CEGES, AA 585/81.

51 Voir le rapport d’activité de la GFP cité dans la note 18 pour le mois de juillet 1942, dans lequel est déclarée l’arrestation du « ressortissant belge Paul D. de Mouscron comme passeur à but lucratif ». Paul D. nia également avoir reçu une rétribution pour l’aide au passage de la frontière. Il se serait apparemment mis d’accord sur une commission avec le fourreur, Lempert, qui lui céda ses derniers articles en cuir.

52 Procès-verbal d’interrogatoire et plainte du poste extérieur du Zollgrenzschutz de Tourcoing, 22.07.1942, CEGES, AA 585/81.

53 Bressoux est une commune de la ville de Liège. Les cartes d’identité belges étant délivrées par les communes dans lesquelles la personne était domiciliée à ce moment-là, il devait s’agir ici encore d’une falsification trop facile à repérer.

54 Procès-verbal d’interrogatoire et plainte du poste frontalier Risquons-Tout, 02.08.1942, CEGES, AA 585/81.

55 Pim Griffioen, qui souligne également l’aspect mercantile de l’approvisionnement en faux papiers, pense au contraire que les Juifs en Belgique disposaient en 1942-1943 de ressources financières plus importantes que les Juifs néerlandais, souvent expropriés ; cf. la critique de P. Griffioen sur l’ouvrage d’I. Meinen, Die Shoah in Belgien, dans Yad Vashem Studies 39 (1), 2011, p. 289-296, ici p. 295 et suivante. Ce point de vue n’est pas confirmé par les sources de l’époque. Le commandant de la Sipo-SD de La Haye rapporte ainsi fin août 1942 au sujet des fuites des Juifs hors des Pays-Bas : « Ce sont justement les tentatives d’émigration qui nous laissent mesurer quels montants de valeurs en capital n’étaient pas déclarés pour être mis de côté pour une fuite (argent liquide, actions, diamants, etc.) », Nouvelles des Pays-Bas, n° 108, 25.08.1942, dans Boberach, op. cit., tome supplémentaire (copie NIOD, NL 42, feuillet 0438).

56 Dossier d’enquête du DSK ./. Bremer et Polak, audience du 31.07.1942, CEGES, AA 585/42/3.

57 Le cours de change de l’époque sur le marché noir était de 1 NLG : 15 Bfrs. ; le prix pour une aide au passage de la frontière pour quatre personnes devait donc être de 4.500 francs belges.

58 Dossier d’enquête du DSK ./. Sch. et L., audience de Sch. du 18.07.1942, CEGES, AA 585/54/4. (Noms anonymes, car les personnes citées ont survécu.) Le vendeur des cartes d’identité était l’indicateur cité.

59 Cf. note 57 ; la carte d’identité aurait en conséquence coûté 3.750 francs belges après conversion ; lors d’autres interrogatoires, L. indiqua même le prix de 400 NLG.

60 Dossier d’enquête du DSK ./. Sch. et L., audience de L. du 18.07.1942, CEGES, AA 585/54/4.

61 Courrier du DSK Bruxelles au DSK Pays-Bas, 27.07.1942, ibid.

62 Cf. note 60.

63 Voir à ce propos une note rédigée par le commandant de la Sipo-SD La Haye: « La contrebande de Juifs est devenue un marché lucratif. […] On a pu observer les pratiques suivantes : des Hollandais vendent leur carte d’identité aux Juifs, déclarent ensuite l’avoir perdue auprès des autorités tandis que les Juifs présentent à la frontière une carte d’identité achetée sans « J » dessus. Ou bien les Juifs déclarent à la commune avoir perdu leur carte d’identité, reçoivent une déclaration écrite de perte sans « J » dessus et voyagent avec leur carte de remplacement jusqu’à la frontière en enlevant leur étoile jaune. », Nouvelles des Pays-Bas, n°108, 25.08.1942, dans Boberach, op. cit., tome supplémentaire (copie NIOD, NL 42, feuillet 0437 et suivant).

64 Voir notamment les rapports du poste frontalier de Feignies, 03.08 et 06.08.1942, CEGES, AA 585/81. – Fin juillet 1942, quatre Juifs hollandais ont été arrêtés à Feignies, dont trois « étaient en possession d’un ordre de marche falsifié » de la Wehrmacht ou de l’Organisation Todt qu’ils avaient « acheté pour 1.000 florins néerlandais à Amsterdam » ; Rapport du poste frontalier de Feignies, 30.07.1941, ibid. ; voir la note 73 à ce propos.

65 Un autre cas tiré des archives du Devisenschutzkommando : « Le 15.12.1942, un indicateur m’a informé qu’il avait été abordé par un Juif ne portant pas son étoile jaune pour qu’il lui fournisse de faux passeports. Les passeports étaient destinés à des Juifs qui étaient encore cachés en Belgique à ce moment-là mais qui voulaient partir pour la Suisse. Lorsque l’indicateur lui dit qu’il pouvait se procurer de tels passeports, le Juif lui donna la carte d’identité n° 283.100 de la ville de Liège, ci-jointe au dossier, au nom de Martin Josef C. […] de même qu’une photographie d’un Juif. […] Il fallait remplacer la photo originale de la carte d’identité par cette photo et y ajouter avec expertise la marque du cachet. Le Juif allait lui déposer le lendemain d’autres photos d’identité de Juifs auxquels il fallait également fournir un faux passeport. », Note du DSK Antwerpen, 22.12.1942, CEGES, AA 585/42/5.

66 Dossier d’enquête du DSK ./. K. et Karczman, audience de Karczman du 10.01.1942, CEGES, AA 585/53/8. L’indicateur nommé « Oscar » alias « Dr. Blitz » travaillait pour la défense allemande.

67 Rapport du poste frontalier de Feignies, 27.07.1942, CEGES, AA 585/81.

68 Rapport du poste frontalier de Givet, 22.08.1942, CEGES, AA 585/54/9 ; le prix de « 15.000 BEF » mentionné dans le rapport est sûrement une faute de frappe.

69 Note du DSK Anvers, 01.10.1942 ; Dossier d’enquête du DSK Anvers, 22.02.1943, CEGES, AA 585/42/4.

70 La nouvelle carte d’identité avait été développée par le Ministère de l’Intérieur néerlandais ; les autorités de l’occupation allemande l’envoyèrent au Reichssicherheitshauptamt (Office central de Sécurité du Reich) de Berlin pour contrôle, qui le déclara moins facilement falsifiable que la Kennkarte allemande ; cf. L. de Jong, Het Koninkrijk der Nederlanden in de tweede Wereldoorlog, t. 5.1, La Haye, 1975, p. 445 sqq, tout particulièrement pp. 454-455. Il y eut quand même des milliers de faux, semble-t-il ; cf.  http://nl.wikipedia.org/wiki/Persoonsbewijzencentrale

71 Je remercie Jörg Paulsen pour son aide répétée dans le cadre du dépouillement et de l’étude des sources.

72 On compte parmi les « reliques » 26 cartes d’identité identifiées comme « falsch » (fausses) par les Allemands parce que le « cachet pour les Juifs » y manquait et que la personne arrêtée ne portait pas d’« étoile jaune ».

73 Sur l’usage de faux papiers de l’OT lors de l’évasion des Pays-Bas, cf. H. Avni, « The Zionist Unterground in Holland and France and the Escape to Spain », dans Rescue Attempts during the Holocaust, Jerusalem, 1977, pp. 555-590, ici p. 567.

74 4 personnes munies chacune de deux cartes belges ont été rattachées à une seule commune d’émission. Pour la plupart, on trouve la dernière adresse de résidence officielle dans les « registres des Juifs » communaux ou dans la base de données en ligne « Joodsmonument ». Les résidants d’autres villes et communes flamandes (3) ou wallonnes (10) de même que les personnes dont l’adresse reste inconnue n’ont pas été listés à part dans le tableau.

75 Cf. P. Broder (cf. note 11), pp. 188-213.

76 Le nombre de détenteurs de fausses cartes d’identité bruxelloises était encore plus élevé parmi les réfugiés d’Allemagne ou d’Autriche (respectivement 63 % et 57 %).

77 La répartition entre hommes et femmes de plus de 15 ans parmi les déportés des convois XX à XXVI était pratiquement la même (2.901 hommes, 3.024 femmes).

78 L’âge moyen de la population juive à partir de 15 ans s’élevait au 01.08.1942 (c’est-à-dire avant le début des déportations) à 41 ans si l’on se base sur les dates de naissance des « registres des Juifs » communaux. Suite aux déportations, l’âge moyen de la population enregistrée restante monta en trois mois à 41,7 ans fin octobre 1942.

79 Sur les listes de transports de Malines sont souvent indiqués les métiers « pratiques » ou jugés utiles (mécanicien, ébéniste, etc.) tandis que les personnes concernées avaient auparavant travaillé comme vendeurs ou employés. Nous nous sommes en premier lieu servis des métiers consignés dans les « registres des Juifs » et sur les cartes de membres de l’AJB (fichier Beeckmans).

80 En raison de l’imprécision de la dénomination de « commerçant », nous avons à titre subsidiaire imputé un taux de 20 % de ce corps de métier au groupe des personnes les plus aisées.

81 Sur les listes de transport de Malines, tous les Juifs déportés étaient qualifiés d’« apatrides ». Nos chiffres reposent pour la plupart sur les informations contenues dans les « registres des Juifs » communaux. Dans le tableau, le groupe de Juifs apatrides d’origine polonaise est le plus grand parmi les personnes désignées comme « apatrides ». En revanche, les réfugiés allemands ou ex-autrichiens déclarés comme « apatrides » par l’ordonnance du commandant militaire en Belgique du 25.11.1941 ont été listés ici en fonction de leur ancienne nationalité.

82 Notre calcul, qui diverge du chiffre de moins de 7 % de Juifs de nationalité belge mentionné dans la littérature spécialisée et repose sur le fichier du Judenreferat de la Sipo-SD de Bruxelles, est le résultat de l’étude détaillée des « registres des Juifs » établis dans les communes à partir de fin 1940.

83 Les données reposent sur les résultats d’un projet financé par la Deutsche Forschungsgemeinschaft intitulé « Zwangsmigration und Holocaust. Jüdische Flüchtlinge in Westeuropa 1938-1944 » (Migration forcée et Holocauste. Réfugiés juifs en Europe occidentale de 1938 à 1944). Les dates d’émigration ou de fuite sont en partie issues des dossiers de la Police belge des Étrangers et des « registres des Juifs » communaux et reposent en partie sur la comparaison des adresses de résidence dans la base de données « Joodsmonument » avec les listes de transports de Malines. Cela explique certaines imprécisions dans les données chronologiques (1941/44 signifie par exemple : dernier domicile déclaré aux Pays-Bas en 1941, date de déportation depuis la Belgique en 1943 ou 1944).

84 Le nombre de réfugiés d’Allemagne et d’Autriche parmi les détenteurs de faux papiers (76 personnes = 26 %) correspond environ à la proportion de ce groupe parmi tous les Juifs déportés de Belgique ; voir à ce sujet l’article d’I. Meinen dans le présent volume des Cahiers de la Mémoire contemporaine.

85 Si l’on ajoute ceux qui n’ont pas été repris par les Allemands après leur évasion du convoi de déportation, on passe à un nombre de 31. Du seul convoi XX se sont évadés 25 hommes et femmes qui utilisaient également de faux papiers.

86 Cf. M. Steinberg, La Traque des Juifs (cf. note 10), vol. II, p. 86 et suivante, 108 ; M. Steinberg – L. Schram (cf. note 41), p. 20.

87 Il semble que la déportation de la femme amputée du bras ait été ordonnée par le commandant adjoint du camp de Malines en personne, Max Boden ; cf. déposition de Sura Goldberg, 03.03.1949, Auditorat militaire, dossier Sipo Bruxelles, liasse 22 ; ainsi que M. Steinberg, La Traque des Juifs (cf. note 10), vol. I, p. 138 ; vol. II, pp. 86, 100, 138. Dina Rozensztein est mentionnée dans l’ouvrage de P. Broder (cf. note 11, p. 89, 111, 144) sous le nom de Dina Bentkowski.

88 Déposition d’Icek W., 11.06.1949, Auditorat militaire, dossier Sipo Bruxelles, liasse 10.

89 Cf. P. Broder (cf. note 11), p. 80 ; M. Steinberg, La Traque des Juifs (cf. note 10), vol. I, p. 46, 48, 96, 99, 112 ; vol. II, p. 86 sqq., 114, 158 ; M. Steinberg – L. Schram (cf. note 41), p. 20 et suivante.

90 Voir également pour ce qui suit I. Meinen, Die Shoah in Belgien (cf. note 2), pp. 126, 160-161, 216-217.

91 Heffner s’est évadé du convoi XX, s’est blessé à cette occasion, s’est enfui de l’hôpital de Tirlemont, mais a été arrêté à nouveau un an plus tard et déporté en avril 1944.

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Table des illustrations

Titre Fausses cartes d’identité
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Légende Fausses cartes d’identité d’Abraham De Leeuwe (au nom de Léon Joseph ROSCAM) et de ses parents, portant l’annotation « falsch », « Jude »
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URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cmc/docannexe/image/492/img-3.png
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Pour citer cet article

Référence papier

Ahlrich Meyer, « Faux papiers. Un chapitre ignoré de la Résistance juive en Belgique »Les Cahiers de la Mémoire Contemporaine, 10 | 2011, 213-269.

Référence électronique

Ahlrich Meyer, « Faux papiers. Un chapitre ignoré de la Résistance juive en Belgique »Les Cahiers de la Mémoire Contemporaine [En ligne], 10 | 2011, mis en ligne le 01 décembre 2019, consulté le 19 septembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cmc/492 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cmc.492

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Auteur

Ahlrich Meyer

Ahlrich Meyer, docteur en philosophie, professeur de sciences politiques à l’Université d’Oldenburg (RFA) de 1975 à 2000, dirige actuellement avec Insa Meinen des recherches sur les réfugiés juifs en Europe occidentale entre 1938 et 1944.

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