Philippson : une colonie juive exemplaire ?
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- 3 Arquivo Histórico Municipal de la ville de Santa Maria, Rio Grande do Sul (RS).
1Sous le titre de « Immigration israélite », le journal O Estado, de la ville de Santa Maria, dans le Rio Grande do Sul, annonçait dans ses colonnes, en date du 10 août 19043 : « Aujourd’hui, à 8 heures du matin, sont arrivés dans cette ville, par le train express, les premiers immigrants destinés à la colonie israélite Phelippson [sic], au Pinhal, dans cette commune. Ils ont quitté hier Rio Grande, sont arrivés à la tombée de la nuit à Bagé et ont voyagé toute la nuit pour arriver ici à l’heure indiquée ci-dessus. Ces colons, au nombre de 88, ont poursuivi, aujourd’hui même, leur route vers leur destination, à 9 heures du matin, dans des voitures du chemin de fer PAU. tirées par une locomotive du chemin de Itararé. À l’heure qu’il est, lesdits colons sont déjà installés dans leurs habitations, disposés à travailler à l’agrandissement matériel du Rio Grande do Sul, qui ouvre chaleureusement ses bras à tous ceux qui recherchent la fertilité de son sol pour mener à bien leurs activités. »
Brève chronologie
1882 Publication de lois restrictives et discriminatoires envers les Juifs de l’Empire russe.
1891 Fondation de la Jewish Colonization Association par Maurice de Hirsch et associés.
1894 Inauguration de la ligne de chemin de fer Santa Maria-Cruz Alta dans la province brésilienne du Rio Grande do Sul, construite par la Compagnie (belge) de Chemins de Fer sud-ouest brésiliens, dont Franz Philippson est administrateur.
1902 Achat, par la JCA, de 5.767 hectares de terres le long de cette voie (commune de Pinhal), non loin de Santa Maria. La future colonie prend le nom du vice-président de la JCA, Franz Philippson.
1903 Pogrom à Kishinev, capitale de la Bessarabie. Inscription et sélection des candidats au départ après une formation en agriculture assurée par la JCA.
1904 Arrivée et installation de trois petits contingents de colons (37 familles, 267 personnes) sur les terres de Philippson.
1905 Construction d’une synagogue et d’une école. Premières années difficiles : sécheresse et invasion de sauterelles.
1908 Arrivée à la colonie du premier instituteur envoyé et formé par la JCA, dispensant l’instruction brésilienne.
1909 Premiers départs de colons qui vont s’installer dans les villes avoisinantes. Départ d’adolescents qui vont entamer des études secondaires à la ville.
1911 Ouverture, dans le Rio Grande do Sul, de la colonie Quatros Irmãos (92.000 ha), qui accueillera de nombreux réfugiés de la Première Guerre mondiale.
1923 Troubles politiques dans la région.
1926 La JCA clôt ses activités à Philippson ; les colons sont entièrement indépendants.
Une ferme, un barrage hydroélectrique, une station balnéaire construite au bord d’un lac artificiel, un dépôt d’armes et une brigade militaire se partagent aujourd’hui les terres de l’ancienne colonie Philippson.
I. Établissement et particularités de la colonie Philippson dans l’État du Rio Grande do Sul, Brésil (1900-1904)
- 4 Dans ses écrits, à plusieurs reprises, J. Schweidson (Isaac Schwetsky) se dit né à la colonie. Cepe (...)
- 5 J. Schweidson, Judeus de bombachas e chimarrão, José Olympio Editora, Rio de Janeiro, 1985, pp. 8-1 (...)
2Les voilà donc qui débarquent dans la petite gare de Santa Maria da Boca do Monte, centre ferroviaire, situé dans la plaine, à une vingtaine de kilomètres des limites des terres de la colonie, qui se niche, elle, sur le haut-plateau. Ils ont dans les reins quarante-cinq jours de voyage, dont une trentaine en bateau. « Ce fut avec un mélange d’émotion et d’intense curiosité qu’ils foulèrent le sol de leur nouvelle Patrie ». Jacques Schweidson, arrivé à l’âge de 2 ans dans la colonie avec ce premier contingent de colons, narre, dans ses mémoires de gamin espiègle, l’accueil des plus cordiaux qui leur fut réservé4. « Ne venaient-ils pas tous coopérer pour que ce jeune pays se transforme en ce géant de demain et en une terre de fraternelle convivialité de races et religions ? »5
- 6 L’Association est désignée sous les sigles de JCA, YCA et surtout ICA, forme courante que je mainti (...)
- 7 Archives de l’Alliance israélite universelle, Paris, AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de E. Lapine (sur (...)
- 8 J. Schweidson, op. cit., p. 19.
- 9 Les pionniers de la première heure, arrivés en août et octobre 1904 sont : Akselrud (3 familles), A (...)
3Sur le quai, un homme parlant leur langue semble tout orchestrer : David Hassan, envoyé depuis ses bureaux de Buenos Aires par la Jewish Colonization Association (ICA) pour les accompagner depuis le port de Rio Grande et faciliter les démarches nécessaires à leur établissement6. Sur ses indications, trois cents kilos de bagages autorisés par famille sont descendus des wagons où ils ont été entassés l’avant-veille, après de longues formalités de dédouanement7. « Bien qu’ils aient vendu leurs meubles avant leur départ pour le Brésil, chaque colon emportait de volumineux bagages. Une abondance de vêtements. Des piles d’oreillers, de matelas, d’édredons en plume d’oie. Et encore leurs porcelaines, couverts, samovars, chandeliers en argent et en cuivre destinés à l’éclairage et aux cérémonies religieuses. Et comme à l’évidence, s’agissant de Juifs, ils emportèrent aussi une bonne quantité de livres. »8 Un tel équipement intrigue les gens du pays. Se mêlant aux nombreux enfants des nouveaux arrivants, les gosses des environs accourent voir ces Russes aux barbes patriarcales, chapeaux ronds, longues chemises et pardessus sombres qui dénotent dans le paysage. Ici, personne ne sait ce qu’est un Juif. Dorénavant, ces Juifs seront « les Russes ». Mais d’où viennent ces drôles de gens ? Qui sont-ils ? Pourquoi débarquent-ils ici ? Quels espoirs fous nourrissent-ils ? Et quelle est cette colonie qui s’avérera si particulière ?9
Particularités de la colonie
La colonisation et l’immigration européenne dans le Sud du Brésil, au XIXe siècle
- 10 Elles ne le seront qu’entre 1900 et 1912 grâce au baron de Rio Branco, diplomate, ministre des Affa (...)
4Quand, autour des années 1850, sont adoptées les premières mesures législatives tendant à l’abolition – progressive au Brésil – de l’esclavage, on envisage de remplacer, dans les grandes plantations (café surtout), les travailleurs d’origine africaine par une main-d’œuvre salariée. Très vite, et surtout après la guerre de la Triple Alliance menée contre le Paraguay (1865-1870), le gouvernement brésilien voit l’urgence d’installer des populations dans les coins les plus reculés du pays. D’autant plus que les frontières ouest ne sont pas encore définitivement fixées10. Les garnisons militaires esseulées qui y sont envoyées ne suffisent pas à assurer la mainmise brésilienne sur certains territoires. Il faut les occuper, les peupler. Appel est fait à l’Europe. L’Allemagne trouve là l’opportunité de résorber le chômage des crève-la-faim qui, chassés des campagnes par la mécanisation ou la maladie de la pomme de terre, viennent s’agglomérer aux portes des villes. L’Italie se vide de villages entiers quand les hommes partent « fare l’America », celle du Sud aussi.
- 11 Voir J. Roche, A Colonização Alemã e o Rio Grande do Sul, Globo, Porto Alegre, 1969.
- 12 E. A. Lassance da Cunha, Rio Grande do Sul, Imprensa Oficial, Rio de Janeiro, 1908, p. 22. Cet aute (...)
5Les sociétés – ou compagnies – gouvernementales de colonisation naissent, principalement dans les États du Sud du pays11. Elles envoient des agents recruteurs en Europe, prennent en charge le colon, son voyage, lui offrent à crédit une parcelle sur des terres « devolutas », soit n’appartenant à personne, non cadastrées et non exploitées. À défricher. « De la terre sans hommes pour les hommes sans terre. » C’est l’immigration « subventionnée ». Même s’il jouit de protections, le colon recruté officiellement est bien mal loti : climat malsain, contremaîtres ou régisseurs souvent cupides, incompétents et brutaux. Et surtout : « Le gouvernement impérial, de façon erronée, fit distribuer des lopins aux colons dans des hauteurs montagneuses et dans des plaines humides, grandement distantes des centres consommateurs et exportateurs. »12
- 13 Voir M. Van Languendonck, Uma colônia no Brasil, Edunisc-Mulheres, Florianópolis, 2002 (1e éd. 1862 (...)
6Parallèlement, de gros propriétaires latifundiaires voient dans la colonisation une façon de tirer profit de leurs terres non rentabilisées : les vendre, à crédit, par lopins. Ces sociétés privées de colonisation sont sous contrat avec le gouvernement, mais finissent par agir à leur guise. Elles ont également recours à des « promoteurs » chargés de distribuer, en Europe, des brochures vantant « les lits de diamants » ou « les rivières de miel » du Brésil. Leur probité est encore plus douteuse que celle des agents gouvernementaux. Il est probable que les colons de ces compagnies-là furent les plus malmenés et les plus exploités13.
- 14 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de M. Abravanel, 28.07.1905, et autres documents : la ICA veut une col (...)
- 15 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de Lapine, 23.06.03. La gratuité du passage du port européen jusqu’à c (...)
- 16 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de M. Abravanel à la ICA, 20.02.06.
7Dans ce contexte brésilien, la colonie Philippson, tardive, est déjà une exception. D’abord, son territoire n’est ni « terra devoluta », ni grande extension appartenant à un seul propriétaire. Il est tout petit (4.472 ha en 1903, 5.399 ha en 1907 et définitivement, 5.766 ha en 1908) et acheté par la ICA à plusieurs modestes exploitants agricoles14. Ensuite, la colonie est un étrange mélange de ces deux types de colonisation : d’une part, elle dépend d’une « agence privée », la ICA, qui de plus est une association philanthropique, sans but lucratif : du jamais vu ! D’autre part, et de ce fait sans doute, elle jouit de nombreux avantages offerts par le gouvernement aux immigrants officiels, dont la gratuité du voyage et la naturalisation au bout de deux ans15. Si l’on sait que le gouverneur Fernando Abbott viendra en personne s’ enquérir de la situation des colons lors de la grande sécheresse de 1906, on mesure l’intérêt que lui porte l’État16.
8Cette hybridité a souvent donné lieu, dans les récits, à un amalgame des traitements subis par les colons des sociétés privées et par ceux de Philippson. Or, comparativement, ceux de Philippson seront, somme toute, plutôt chouchoutés par la ICA et par le gouvernement. Ils le seront encore par la Compagnie des Chemins de Fer.
Le chemin de fer dans le Rio Grande do Sul au tournant des XIXe et XXe siècles
9À la même époque (1850), le Brésil décide de se doter d’un vaste réseau ferroviaire destiné non seulement à relier les centres de production aux grands ports, mais aussi à frayer un accès jusqu’à ces régions inoccupées et jusqu’aux limites de son territoire. Dans le Rio Grande do Sul, le gouvernement lance des appels d’offres pour la construction de tronçons, venant principalement des frontières avec l’Uruguay et l’Argentine, qui doivent former, une fois achevés et reliés entre eux, un réseau complet desservant tout l’État. Des sociétés étrangères y répondent.
- 17 Bilan annuel du 31 décembre 1897.
- 18 À propos de Franz Philippson voir notamment : In memoriam Franz Philippson (1851-1929), s. l. n. d. (...)
10Le processus est complexe. Pour simplifier, nous retiendrons que la Compagnie de Chemins de Fer du Sud-Ouest brésilien (fondée en 1890 à Bruxelles et chapeautée par la Compagnie générale des Chemins de Fer secondaires, siégeant également à Bruxelles et qui « réalise le bénéfice de l’ouvrage en sa qualité d’entrepreneur général ») décroche en 1891 une concession pour la construction de la ligne allant de Santa Maria à Cruz Alta (160 km)17. Franz Philippson en est le fondateur et l’un des administrateurs. La banque F. M. Philippson en assure le service financier. Souvenons-nous ici que Franz Moses Philippson (né à Magdebourg en 1851 et décédé à Paris en 1929) était l’un des fils du rabbin allemand Ludwig Philippson, auteur de la célèbre traduction de la Bible18. Entré à l’âge de 14 ans à la Banque Oppenheim-Errera à Bruxelles, il a vite été remarqué pour sa clairvoyance en matière boursière. Il a lancé sa propre banque dès 1871 (Banque Philippson, aujourd’hui Degroof). En Belgique comme à l’étranger, celle-ci a investi dans les secteurs des chemins de fer, des tramways, de la métallurgie, de l’électricité et du logement social, et a participé à la création de la Banque du Congo Belge. Conseiller de Léopold II, président du Consistoire central israélite de Belgique de 1921 à 1929, grand mécène, Franz Philippson a également été une figure centrale de la philanthropie tant à l’échelle belge qu’internationale. Et il a été notamment vice-président, puis président de la ICA, au sein de laquelle son action est encore mal connue.
- 19 Bilan du 31 décembre 1900.
- 20 Voir J. R. de Souza Dias, Caminhos de Ferro no Rio Grande do Sul, Editora Rios, São Paulo, 1986, ch (...)
- 21 Ch. Allègre, op. cit., mémoire de licence en histoire, ULB, 1997-1998, p. 64.
11En 1898, c’est la Compagnie auxiliaire de Chemins de Fer au Brésil (constituée à Bruxelles, selon le même schéma) qui prend le relais pour assurer cette fois l’exploitation partielle du réseau de chemins de fer de l’État – maintenant en fonctionnement – mais également pour « faire tout ce qui se rapporte à l’industrie des transports y compris [...] commerce, et location de matériel, machines…19 » En fonction de quoi les bureaux de la Compagnie et de grands ateliers s’installent dans la ville de Santa Maria, point stratégique vers lequel convergent les lignes venant des régions limitrophes du sud de l’État comme celles venant du nord20. La présence belge contribue fortement à l’essor de la ville. Or, comme dans tous ses contrats de concession signés avec des entreprises de construction étrangères, le gouvernement brésilien spécifie (articles 39 et 41) l’obligation aux concessionnaires d’établir le long de la voie construite, dans les quinze ans, mille familles d’agriculteurs nationaux ou immigrés auxquels ils fourniraient une maison et des meubles, des instruments aratoires, du bétail et des animaux domestiques ainsi qu’une assistance pendant les six mois précédant la première récolte21. L’entreprise doit aussi construire une école et une église dès lors qu’un établissement colonial comporte plus de trente familles. Façon évidente de peupler les régions que traverse la voie ferrée, d’en assurer la surveillance, la manutention, de protéger la région contre des invasions indésirables, ou même contre des incursions d’Indiens, fréquentes.
- 22 AIU/ICA, Brésil, 1.1, rapports de F. Nonnenberg à F. Philippson, 11.01.1902 et 15.01.1902.
- 23 AIU/ICA, Brésil, 1.1, rapport de G. Vauthier à F. Philippson, 8.10.1902.
12L’observation de ces articles a-t-elle un sens dans le cas de cette ligne de chemin de fer assez courte (à l’échelle locale), qui traverse des terres de cultures vivrières, des pâturages, et dessert divers hameaux ? En 1900, les délais accordés pour l’installation d’une colonie s’amenuisent (premier contrat signé en juin 1890, ligne inaugurée en 1894). Ces clauses ont-elles joué dans le choix de la localisation de la colonie Philippson ? En tout cas pas exclusivement. Si d’une part Gustave Vauthier, l’ingénieur sur place de la Compagnie auxiliaire de Chemin de Fer, et l’un des administrateurs belges, F. Nonnenberg22, de passage au Brésil, ont vanté la qualité de ces terres auprès de Franz Philippson, c’est bien l’agronome de la ICA, Lapine (que nous allons retrouver plus loin), qui, après avoir vu plusieurs terrains et visité d’autres colonies, prend cette décision suivant deux critères de poids : les colons ne peuvent être forcés à un déboisage pénible et donc à de trop lourds travaux et une perte de temps initiale ; ils doivent se trouver à moins de 20 kms d’une ligne de chemin de fer23. Franz Philippson aurait renchéri : « La colonie sera un jour d’un grand appoint dans le trafic de la Compagnie. »
13Il ressort clairement qu’il y a conjugaison de divers points des exigences de ce contrat gouvernemental et des principes de base de la ICA (voir ci-dessous), à l’heure de fonder de nouvelles colonies. Indéniablement, la Compagnie auxiliaire de Chemins de Fer au Brésil et la colonie Philippson, dès le départ, sont intimement liées. Ce lien privilégié avec la Compagnie auxiliaire constitue une caractéristique à souligner. D’abord, les colons sont loin d’être isolés, comme on le voit fréquemment ailleurs, comme on l’a vu dans les colonies d’Argentine à leurs débuts, et comme on le verra pour la deuxième colonie fondée par la ICA dans le Rio Grande do Sul, celle de Quatro Irmãos. Ensuite, leur quotidien s’en trouvera hautement facilité et « l’intégration » sociale et économique se fera avec une étonnante rapidité : écoulement de la production dans les villes proches, accès au petit commerce des hameaux avoisinants, contacts favorisés avec la colonie allemande voisine parlant une langue compréhensible, recours au savoir-faire des paysans des environs, et surtout proximité des infrastructures (hôpital, commerces, école secondaire et technique, télégraphe, etc.) du centre qu’est Santa Maria.
La Jewish Colonization Association
- 24 Sur M. de Hirsch, voir J.-Ph. Schreiber, op. cit., pp. 166-167. Sur M. de Hirsch et la ICA, voir D. (...)
14Le baron Maurice de Hirsch (1831-1896), né dans une famille juive anoblie de la haute finance bavaroise, alla s’établir à Paris après avoir fait ses armes chez le banquier bruxellois Bischoffsheim, dont il épousa la fille Clara. Constructeur des Chemins de Fer de l’Orient, il amassa une fortune immense sur laquelle il s’interrogea : « La possession d’une grande fortune crée un devoir à son détenteur, celui de contribuer au soulagement de la souffrance de ceux qui sont durement accablés par le sort. » En 1891, il fonda, en association avec les grands de la finance juive, la ICA, un projet visionnaire, créant des colonies agricoles juives dans les Amériques, au Proche-Orient et en Europe de l’Est. À la mort de son fils unique, celui qui entra dans la légende comme le « Moïse des Amériques » fit de son œuvre philanthropique son héritière24.
- 25 S.-A. Rozenblum, op. cit., p. 254.
15Les statuts de la Jewish Colonization Association, signés le 24 août 1891, stipulent prioritairement « d’assister et promouvoir l’émigration de Juifs de toute la partie d’Europe et d’Asie où ils sont opprimés par des lois restrictives spéciales et où ils sont privés de droits politiques, vers toute autre partie du monde où ils peuvent jouir de ceux-ci et d’autres droits relatifs à l’homme. À cet effet, l’association établira des colonies en diverses régions d’Amérique du Nord et du Sud ainsi que dans d’autres territoires » à « des fins agricoles, commerciales et autres » (article 1)25. La ICA se propose « d’acheter ou acquérir par donation ou autrement, auprès de tout gouvernement, État, municipalité, ou autorité locale, corporation, société ou personne, tout territoire, terre ou autre propriété en toute partie du monde, et toute concession, pouvoir et privilège pouvant être nécessaire ou utile au développement de leurs ressources, et les rendant disponibles aux fins de colonisation » (article 2). Toute une infrastructure est bien entendu prévue, dont une école, des ateliers d’apprentissage, etc.
- 26 Ibid., partie II, « L’Amérique du Sud ».
16Sous la houlette de la ICA, des colonies agraires voient le jour un peu partout dans le monde. En Argentine, vu l’affluence désordonnée de nouveaux arrivants, leurs origines et professions diverses et souvent urbaines, et le manque de préparation des directeurs, la ICA comme les colons connaissent de nombreux et fâcheux déboires26. À l’avenir, il va falloir faire mieux. Pour résumer la naissance de la colonie Philippson, reprenons Léon Bach, sous-directeur de l’École horticole et professionnelle du Plessis-Picquet, qui fut appelé à devenir instituteur à la colonie Philippson en juin 1908, après avoir appris le portugais à Lisbonne. Hautement apprécié par ses élèves, il partit, avec son épouse brésilienne, pour Porto Alegre, d’où il continua à aider les émigrants juifs à s’installer.
- 27 L. Bach, « A Imigração judaica », dans Enciclopédia Rio Grandense, Canoas, Editora Regional, 1956, (...)
« Au cours des dernières années du siècle dernier, M. Narcisse Leven, alors président de la ICA, et Avocat à la Cour d’Appel de Paris, suggéra au Vice-président, M. Franz Philippson, banquier belge, président de la Compagnie des Chemins de fer de l’Argentine et du Rio Grande do Sul, qu’il conviendrait à la société d’acheter des terres dans le Rio Grande do Sul. Il vanta l’esprit d’hospitalité, de justice et de tolérance régnant au Brésil, les qualités de la terre et du climat du sud du pays ainsi que le grandiose avenir qui, décidément, est réservé à cette vaste république. Le Conseil qui alors était en train d’étudier des projets d’achat de davantage de terres en Argentine, approuva l’idée de M. Philippson. Il envoya, en 1900, une commission d’études dans le Rio Grande do Sul. Celle-ci revint avec un avis favorable. C’est suite à cela que, en 1902, l’agronome Lapine visita plusieurs zones gaúchas et finit par acheter des terres à Pinhal, sur la commune de Santa Maria, à 25 km de cette ville. C’est là que fut établie la première colonie judaïque du Rio Grande do Sul, qui reçut le nom du Vice-Président de la JCA, “Colônia Philippson”, aujourd’hui Filipson. »27
- 28 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de E. Lapine, 26.07.1903.
- 29 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettres de M. Abravanel, 18.06.1905 et 28.07.1905.
17La petite histoire, encore toujours colportée dans le peu de littérature produite sur le sujet au Brésil, veut que, depuis Bruxelles et d’un geste impérial, Franz Philippson ait indiqué les terres qui porteraient son nom. Or, la suggestion du nom à donner à la colonie part d’Eusèbe Lapine28. L’agronome Eusèbe Lapine, détaché depuis la colonie d’Entre Rios, en Argentine, connaît son affaire. Il a pour mission d’acheter les terres de la future colonie. Son rêve : faire pousser du blé sur les « campos » (terres naturellement peu boisées, réservées au bétail) du plateau central. Ce qui serait expérimental : le Brésil fait venir son blé d’Argentine, n’en produit quasiment pas, ni son sol ni son climat ne s’y prêtant. Mais ici, le climat est presque tempéré, et des colons italiens arrivent à des résultats. Lapine est persuadé que le blé assurera la prospérité des colons. « La colonie est la première de tout l’état du Rio Grande do Sul à mettre en valeur du terrain de montagne dit campos. »29 Expérience à laquelle l’État s’intéresse de près.
- 30 Actes du gouvernement, Décret nº 655, Archives du 1ø Regimento de Cavalaria, Brigada Militar do Est (...)
- 31 Exigence de la législation brésilienne de colonisation, loi nº 28, art.76.
- 32 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de E. Lapine, 8.10.1903.
- 33 AIU, rapport annuel de la ICA, année 1905 pour 1904.
18Après l’achat de quatre terrains contigus totalisant 4.472 ha, le dernier pas est franchi : l’approbation, le 31 août 1903, des statuts de la ICA par le président de l’État, Borges de Medeiros30. Avec l’appui de Gustave Vauthier, qui, en tant que directeur de la Compagnie, a ses entrées auprès des autorités locales, Lapine obtient plusieurs exemptions de taxes et impôts. Il procède à l’arpentage compliqué des lieux : la subdivision en parcelles de 25 à 30 ha, qui doivent disposer, chacune et de façon équitable, d’un pâturage, d’une part de bonne terre à cultiver, d’un terrain boisé, le tout coupé par un ruisseau31. Il y fait construire des maisonnettes en bois. Il veut tout terminer pour le mois de mai 1904 de façon à ce que les colons arrivent à temps pour les semailles, après avoir fêté Pâque une dernière fois chez eux32. Il estime encore que la colonie est conçue pour quarante familles. Il en arrivera trente-sept en trois petits contingents, entre août et octobre 1904, soit 267 âmes33.
- 34 AIU, rapport annuel de la ICA, année 1906 pour 1905. Ces rapports sont fidèles à la correspondance (...)
19Ici encore, et sur plusieurs points, intérêts et intentions du gouvernement brésilien, de la Compagnie auxiliaire des Chemins de Fer au Brésil et de la ICA convergent. L’aspect expérimental n’est pas un facteur négligeable dans cette bonne entente tripartite, ce qui jouera une fois de plus en faveur des colons : « Notre colonie est l’objet de la sympathie des autorités et des notables du pays. M. le Dr. Fernando Abbott, un des hommes les plus marquants de l’État, s’y intéresse vivement et la visite souvent. Il en est de même de M. Lassance, directeur de l’agriculture, de M. Vauthier, directeur des chemins de fer, de M. Ramos, etc. »34 Que d’anges gardiens !
20En théorie du moins, comparativement aux colonies brésiliennes en général comme à celles de la ICA en Argentine, l’établissement de la colonie Philippson s’est fait sous des augures particulièrement propices à l’installation des colons. C’est ainsi qu’ils arriveront tous en même temps, pour se mettre au labeur ensemble et se livrer à une même expérience : faire pousser du blé. Ils recevront tous une parcelle offrant des avantages équivalents, des maisonnettes identiques, etc. Conçue pour une quarantaine de familles seulement (elle ne comptera jamais plus de 300 habitants), cette modeste colonie devrait être facile à gérer.
21Même si cela ne se passera pas exactement comme prévu, la ICA met, de toute évidence, tout en œuvre pour que cela se passe au mieux. Reste à voir qui sont, d’où viennent ces « Russes » qui débarquent au Brésil.
Singularités des colons
La Bessarabie : un grenier de l’empire russe
- 35 Entretien de l’auteur avec Rosa Barasz Bronstein (née en 1916 et décédée en 2010), 2008.
- 36 Entretien de l’auteur avec Abraão (dit aussi Isaac) Axelrud/Ackeselrod (86 ans, né à la colonie), S (...)
- 37 Voir E. Polack, Artisans et paysans du Yiddishland 1921-1938, Paris, 2006.
22Interrogée à Paris sur ses souvenirs d’enfance en Bessarabie, Rosa Barasz répond sans hésiter : « Des champs, des champs à perte de vue, et des hameaux, éparpillés. Rien d’autre. Je n’ai pas le souvenir d’une grande ville, et encore moins d’une cheminée d’usine. Il y avait beaucoup de Juifs. Si bien que les gens des environs venaient à nos fêtes. Et nous allions aux leurs. L’entente était bonne. Mon père exploitait une presse à huile. Huile de tournesol. »35 Le père d’Isaac Axelrud, colon de la première heure, avait également une petite huilerie en Bessarabie, mais selon son fils, d’huile d’arachide36. Et c’est bien l’impression que laissent images et cartes postales : la Bessarabie était un grenier de l’empire russe – blé, tabac, vignobles37. Ce que Lapine a l’intention de faire pousser à la colonie et qui manque au Brésil.
- 38 J. Schweidson, op.cit., p. 6.
23Les futurs colons de Philippson ne vivaient pas – comme on l’entend trop souvent dire sur place – dans les sinistres conditions que connaissaient certains de leurs coreligionnaires en Ukraine ou en Pologne. Jacques Schweidson aussi le précise : vivaient en Bessarabie « quelques centaines de milliers de Juifs, jouissant pour la plupart d’une situation économique régulière. Même les classes les plus modestes avaient un standard de vie loin de la condition de pauvreté commune à beaucoup de leurs frères d’autres provinces. »38 Quoique rigoureusement régie par des lois de restriction avilissantes, la situation des Juifs de Bessarabie était apparemment moins oppressante qu’ailleurs dans l’empire.
- 39 AIU, rapport annuel de la ICA, année 1902 pour 1901.
24Terres fertiles, récoltes abondantes donc. Des colonies agraires juives y étaient implantées, et plus particulièrement dans les environs de Soroki, sur les marges du fleuve Dniestr, où fonctionnaient une école horticole et des « jardins scolaires » de la ICA. Un jardin modèle abritait une pépinière de 40.000 arbres fruitiers, 80.000 ceps de vigne, un immeuble et une laiterie. On y faisait des conserves de fruits et légumes. Une soixantaine d’ouvriers israélites y travaillaient39. Et Schweidson, Bach, comme d’autres auteurs l’affirment : les candidats sélectionnés suivaient une formation à Soroki dans une « station expérimentale » dirigée par un agronome, Akiva Oettinger, qui faisait partie du comité de recrutement de la ICA à Saint-Pétersbourg.
- 40 J. Schweidson, op. cit., p. 6.
25Dès 1903, Oettinger – que l’on retrouvera au Brésil dix ans plus tard – est chargé d’opérer la sélection des candidats. « Quand apparurent les émissaires autorisés de la YCA pour choisir les candidats à l’émigration pour le Brésil, ceux-ci se présentèrent par centaines. Alors, l’ingénieur Ettiger, qui connaissait déjà bon nombre d’entre eux, coopéra avec justesse à la sélection. Ils choisirent les plus aptes quant à l’âge, à la robustesse et à l’intégrité morale. »40 Ce qui les démarque également des colons des autres colonies : pour peupler la colonie Philippson, Oettinger et les « émissaires » ne recrutent qu’en Bessarabie et dans une région déterminée.
26Les colons seront tous originaires du même endroit. Ils parleront les mêmes langues, auront les mêmes coutumes, les mêmes repères, les mêmes souvenirs.
Le recrutement : un métier lié à l’agriculture
- 41 AIU, rapport annuel de la ICA, année 1905 pour 1904.
- 42 E. Lassance da Cunha, op. cit., p. 251.
« Les familles expédiées au Brésil ont été choisies avec beaucoup de soin en Bessarabie. Les colons, habitués en général au travail et ayant une certaine expérience de l’agriculture. »41 Lassance da Cunha, directeur au Ministère de l’Agriculture, qui visiblement a fait le tour de nombreuses colonies et porte sur celles-ci un regard extérieur, relève lui aussi : « Tous les colons [de Philippson] manifestent une aptitude à l’agriculture et savent avantageusement utiliser les instruments de labour modernes. »42
- 43 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de M. Abravanel, 24.01.1906.
- 44 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de O. Leibowitz, datée de Quatro Irmãos, le 27.11.1909.
27Lapine demande expressément une préparation (formation) des colons qui quitteraient la Bessarabie après les trois premiers contingents. Plus tard, c’est Maurice Abravanel, ancien directeur de la ferme-école d’Or-Jehouda (Asie mineure), arrivé à la colonie en mars 1905 en tant que deuxième directeur, qui écrira à la ICA, lors de l’éventualité d’un envoi de nouveaux colons suite à l’achat complémentaire de terres, qu’il estime une condition indispensable : « Choisir parmi les émigrants ceux qui ont déjà travaillé dans les campagnes et qui se sont occupés de travaux agricoles. »43 Abravanel dit vouloir éviter le contact des gens venant de la ville, peu habitués au travail dur, avec les colons déjà aguerris, ce qui entraînerait inévitablement des inégalités et des frictions. Leibowitz, qui sera le troisième directeur, veut des colons de Bessarabie car ils connaissent l’agriculture, surtout celle du tabac44.
- 45 AIU, repris dans le rapport de la ICA, année 1908 pour 1907.
- 46 E. Nicolaiewsky, Israelitas no Rio Grande do Sul, Editora Garatuja, Porto Alegre 1975 (1e éd.), p. (...)
28David Cazès, administrateur en Argentine, dans son rapport après visite à Philippson en juin 1907, précise : « Les 42 colons actuels de Philippson sont tous originaires de Bessarabie, et même de trois ou quatre localités seulement (Resina, Dombroveni, Soroki). Quelques-uns d’entre eux avaient été planteurs de tabac dans leur pays, d’autres étaient petits marchands (quelques-uns en produits du sol). »45 Selon Eva Nicolaiewsky, petite-fille du colon du lopin nº 1, arrivé avec le premier contingent, et première sociologue à avoir écrit sur la colonie : « En Russie, les pionniers de Philippson avaient différentes occupations, parmi lesquelles celles de planteurs de tabac, de céréales, d’arbres fruitiers, médecin, chef religieux, professeur, fabriquant, commerçant, agent de banque, bijoutier, pâtissier. Certaines femmes tenaient de petites boutiques, ou étaient sages-femmes. Nombreux étaient ceux qui parlaient et écrivaient trois ou quatre langues : le russe, le roumain, le yiddish et l’hébreu […]. La culture des femmes n’était pas inférieure à celle des hommes. »46 Nicolaiewsky détient des informations de première main et les professions plus urbaines citées doivent être remises dans le contexte de l’époque et des lieux.
- 47 Ibid., p. 36.
29Tout porte à croire qu’au départ les chefs des trente-sept familles pionnières exerçaient tous des métiers directement liés à l’agriculture et/ou avaient effectué une formation. En outre, les candidats sont en bonne santé : « Pour ce qui est de leur physique, ils étaient blancs, et, en général d’aspect robuste. Quant à leur taille, elle était plus haute que moyenne et plutôt fort haute comparée à celle des gauchos. »47 Avantages notables : mêmes origines sociales, régionales, professionnelles et linguistiques, présence d’un rabbin, d’un médecin, communauté rurale, homogène, unie. Forte de l’expérience argentine, la ICA – et elle le dit clairement – tente de parer aux erreurs commises là-bas. Elle veille à ce que les colons de la « modeste » Philippson se trouvent sur pied d’égalité, aient tous des connaissances et compétences équivalentes et complémentaires de façon à ce qu’il n’y ait ni traînards, ni défavorisés. Cela permettra, en outre, de très bonnes relations avec le voisinage, avec les natifs : entre campagnards, on s’entend.
Des colons aux « origines aisées » ?
- 48 Ibid., pp. 36-37.
30« Même s’il avait entre les colons des différences, et pas des moindres, quant à leur niveau d’instruction ou à celui des ressources économiques de chacun, ils figuraient tous, sur l’échelle sociale, comme intégrants de la classe moyenne. »48 Classe moyenne rurale, s’entend. Nicolaiewsky se fie encore, pour l’affirmer, aux vêtements cossus dans lesquels les pionniers posent sur les photos qu’elle annexe à son ouvrage. Photos officielles, habits enfilés pour la circonstance, mais les femmes portent des boucles d’oreilles, des robes aux empiècements richement bordés, les hommes sont pour la plupart en costume trois-pièces.
- 49 Archives de l’Instituto Cultural Judaíco Marc Chagall, Porto Alegre : Chouraqui, Annexe lettre nº 8 (...)
31Monsieur Chouraqui, dans un article sur l’histoire de la ICA au Brésil, voit aussi un certain confort matériel chez les candidats au départ : « Voulant éviter les déboires des premiers moments de la colonisation argentine, on avait réclamé à chaque famille une certaine somme d’argent afin d’être assuré qu’elle vivrait jusqu’à la prochaine récolte. »49
- 50 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettres de D. Hassan, respectivement datées des 31.08 et 12.09.1904.
32Ce qui n’est pas rien ! Somme qui, selon d’autres sources, couvrait également la première traite de l’achat de leur parcelle, échelonné sur dix à vingt ans. L’auteur ajoute : « Les colons étaient habitués au travail relativement facile de Bessarabie. » Et quand Hassan, dans sa correspondance, raconte qu’il a dû dédouaner plus de trois tonnes de bagages à l’arrivée du deuxième groupe – groupe de huit familles – soit plus des 300 kg admis gratuitement par famille, on peut déduire qu’il y avait là excédent de bagages ! Et conclure que les futurs colons n’étaient pas des plus démunis. Hassan signale peu après que les Juifs « ne sont pas très frugaux », comme il pensait, « mais extravagants par rapport aux gens d’ici. […] Ils sont sophistiqués, devront apprendre à vivre avec moins. »50 Est-ce à dire qu’en Argentine, d’où venait Hassan, ils étaient plus rustres ?
- 51 La législation brésilienne précitée sur la colonisation ne favorise que les immigrants agriculteurs (...)
33Notons encore le fait, rapporté par Schweidson, Alexandr’ et certains directeurs, que les colons engageaient facilement de la main-d’œuvre locale pour effectuer les travaux les plus lourds ou qu’ils estimaient n’être pas des travaux pour des Juifs ! Et ici se pose une question particulière : pourquoi, de la part de la ICA, avoir recruté des familles relativement nanties ? Et qui semblent relativement mieux traitées en Bessarabie qu’ailleurs en Russie ? A priori, un étrange choix, alors que l’on s’attend à voir émigrer les populations juives les plus nécessiteuses. Parce qu’ainsi le souhaitait Lapine, l’agronome, si anxieux de faire pousser du blé au Brésil, et que ces candidats-là étaient préparés aux travaux des champs ? Parce que la législation brésilienne et le gouvernement de l’État de Rio Grande do Sul exigeaient que les nouveaux arrivants soient des agriculteurs ?51 Pour éviter les erreurs commises en Argentine où les Juifs de toutes conditions avaient afflué, où ceux d’origine citadine se débrouillaient moins bien que les autres, cause de bien des tiraillements entre eux, de ressentiments envers la ICA ?
Les motifs du départ : la part de la terreur et celle du rêve
- 52 Entretien précité avec I. Axelrud, faits longuement évoqués.
- 53 J. Schweidson, op. cit., p. 6.
- 54 E. Nicolaiewsky, op. cit., p. 25.
- 55 Entretien précité. I. Axelrud parle ici de Boris Wladimirsky, feldscher, arrivé plus tard, en juill (...)
34Nous l’avons vu, ce n’est pas la misère noire qu’ils fuient. Même si, comme ailleurs en Russie et en Europe, ils ont dû connaître des famines et des épidémies. Ce sont en premier lieu les pogroms, la terreur que leur inspirent les « cosaques, ces pilleurs, qui faisaient des razzias dans les villages, chez les Juifs »52. Il est à noter que la décision d’acheter des terres au Brésil (1900), que cet achat lui-même, que le recrutement des premiers candidats (début 1903) se sont passés avant le grand pogrom de Kichinev (Pâques 1903). Viennent ensuite les mesures discriminatoires bien connues et les restrictions de plus en plus humiliantes auxquelles sont soumises les communautés juives dans l’empire russe. « Ils voulaient la liberté d’être différents. »53 Enfin la guerre russo-japonaise qui vient d’éclater, en février 1904. Les jeunes Juifs sont astreints au service militaire et, en général, les premiers appelés. « Quelques familles qui avaient décidé de venir ici avaient des fils sur les champs de bataille. »54 « En Bessarabie, il y avait aussi la guerre contre le Japon. Mon grand-oncle s’est percé les tympans pour ne pas devoir partir. Et le Doutor Russo a servi l’armée russe pendant la guerre contre le Japon. »55
35Voilà ce à quoi ils tournent le dos. Mais vers quoi pensent-ils aller ? Que leur aura fait miroiter Oettinger, le « recruteur » ? Des « rivières de diamants » et la fortune ? Ou une vie communautaire et plus de dignité ? Leurs aspirations ne sont nulle part clairement explicitées, certaines transparaissent à peine entre les lignes.
- 56 Entretien accordé en décembre 2007, chez lui. Également membre de l’Académie brésilienne de lettres (...)
- 57 Repris par Khalili en 2010 sur http://www.shtetlinks.jewishgen.org/philippson/resources.html. Côté (...)
36Évoquée devant lui l’éventualité d’un « kibboutz avant l’heure », l’écrivain et médecin Moacyr Scliar, fils de colons de Quatro Irmãos, né en 1937 dans le quartier juif de Porto Alegre, s’est écrié : « Non, il n’y avait pas d’idée socialiste sous-jacente ! »56 Et pourtant… Si l’on analyse dans les détails le recensement effectué par Hassan en décembre 1904, on dénombre, parmi les 37 familles pionnières, 72 jeunes gens de 15 à 24 ans, soit plus d’un quart des 267 arrivants57. Ce qui fait une belle jeunesse. Que veut cette belle jeunesse ? Ne serait-ce pas elle qui aurait, en partie, poussé les parents à partir ? Parmi les jeunes, 3 célibataires de 19 ans, rattachés à une famille, mais indépendants. Quels rêves porte-t-on pour partir seul à 19 ans ? Quelles idées les animent-elles ? Celles du Bund (le tout récemment créé mouvement ouvrier révolutionnaire juif), même atténuées, même embryonnaires ? Si ces jeunes ont été scolarisés dans les écoles horticoles ou techniques juives, ça ne peut faire aucun doute. Les journaux de Russie arrivent par le train à la colonie. Ils sont attendus avec impatience. Quelles nouvelles colportent-ils ? On verra très vite cette jeunesse créer une coopérative laitière à Philippson, jeter les bases d’une coopérative de consommation, d’une caisse d’emprunt, etc.
- 58 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de E. Lapine, 12.06.1903.
- 59 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de M. Abravanel, 22.05.06.
37Mais les indices allant dans ce sens sont minces. Les idées « associatives » sont présentes au sein de la ICA, qui encourage les coopératives. Dans un courrier postérieur, le siège de Paris sermonne un régisseur de la colonie Quatro Irmãos : « N’oubliez pas que nos colons sont nos associés, pas nos employés ! » Les idées « collectivistes » sont dans l’air du temps, dans quelle mesure ont-elles gagné les directeurs sortis de diverses écoles d’agriculture juives ? Lapine se prononce pour ce qu’il appelle une « autogouvernance » (qui n’aura jamais lieu) : « À proprement parler, il n’y aura pas d’administration, toute administration étant un mal dans une colonie de la JCA58. » Il prévoit des pâturages et des champs communautaires. Abravanel dit « viser à détacher le petit colon de la tutelle de la Société, et leur apprendre à se gouverner eux-mêmes, une sorte de Self Government »59. Il favorisera les initiatives coopérativistes de certains colons.
38Ce seront aussi, très vite, ces jeunes-là qui, déçus par des tentatives avortées et surtout impatients de sortir de l’ornière, vont quitter la colonie pour regagner la ville, y tenter leur chance, et, avec peine souvent, réussir : la part du rêve et de l’aventure n’est jamais à négliger chez l’émigrant, elle est certainement un moteur décisif à l’heure de faire le choix d’un départ définitif.
Colonie exemplaire, donc ?
- 60 E. Lassance da Cunha, op. cit., p. 244.
- 61 S.-A. Rozenblum, op. cit., p. 252.
39Oui, dans sa conception. Lassance da Cunha s’en félicite : « J’ai ajouté une notice circonstanciée sur la toute nouvelle colonie Philippson, sans aucun doute celle dont la création a obéi au meilleur système, la rendant, pour cela même, digne d’être imitée. »60 Et également dans ses résultats finaux. Si l’on considère qu’après une bonne vingtaine d’années tous les colons s’étaient acquittés de leur dette, que la toute grande majorité d’entre eux, après avoir vendu leur parcelle, s’était fixée dans les villes (dont une partie à Santa Maria, où ses descendants forment aujourd’hui une petite communauté urbaine active qui se retrouve dans la synagogue construite en 1926) ; que, dès la deuxième génération, nombreux sont ceux qui firent des carrières universitaires ou devinrent des chefs d’entreprises florissantes, on peut dire que la colonie Philippson a donné lieu à un modèle d’émancipation et d’intégration réussi. Modèle qui a répondu aux vœux du baron de Hirsch : « J’essayerai de créer pour eux un nouveau foyer dans différents pays où, en tant que fermiers libres, sur leur propre sol, ils puissent se rendre utiles au pays. Si cela ne survient pas parmi la présente génération, la suivante sûrement réalisera cette attente. »61 Libres et utiles au pays, c’est bien ainsi que se sentent, et se veulent, les descendants rencontrés.
- 62 Entretien de l’auteur avec Abraão (dit aussi Isaac) Axelrud/Ackeselrod (86 ans, né à la colonie), S (...)
40L’épouse d’Isaac Axelrud dira pour conclure l’entretien accordé : « Cette vie a été creusée avec les ongles. » Mais le vieil homme la reprendra : « Personne de Philippson n’est resté pauvre. Trois de mes frères (nés à la colonie) ont été ingénieurs de la Petrobras. D’ici ont fleuri l’intelligence, la perspicacité, la force de volonté. »62 Colonie tremplin, alors, sans plus. Aujourd’hui, seule la Fazenda Philippson appartenant à l’arrière-petite-fille du rabbin, et occupant un tiers de l’ancien territoire, s’adonne encore à l’agriculture. Le soja pousse là où devait pousser le blé. Exemplarité toute théorique, à vrai dire. Car dans la pratique, au quotidien, la colonie a-t-elle été idyllique ? Certes non. Elle fut et est encore loin d’être perçue comme telle. Sur place, on parle d’échec de la ICA.
4110 août 1904. Sur le quai de la gare de Santa Maria, et dans une pagaille notoire, colons et bagages attendent la correspondance pour la colonie. Leur désappointement, à l’arrivée déjà, sera grand, et justifié. Frustrations, réclamations, revendications, mécontentements, malentendus : pourquoi ce qui avait si bien été mis au point n’a-t-il pas fonctionné comme prévu ?
II. Débuts, difficultés, déboires à la colonie Philippson (1904-1908)
« Filipson présentait, durant le jour, le beau paysage de la végétation des campos, champs, bois et taillis touffus. Des fleurs aux multiples couleurs embellissaient la prairie et parfumaient l’air, les oiseaux accordaient leurs chants. Les colons travaillaient la terre en de longues journées, avec effort, enthousiasme, soin et espérance.
Mais à la tombée de la nuit, quand l’obscurité enveloppait les bocages, un changement sensible se produisait. Ce ciel d’un autre hémisphère, le scintillement de constellations différentes, les innombrables lucioles luisant dans les ténèbres, le coassement insistant des crapauds plutôt que la voix mélodieuse du rossignol – tout cela leur rappelait combien ils étaient éloignés de la terre natale, de leurs parents et de leurs amis.
- 63 E. Nicolaiewsky, op.cit., p. 45.
À ces moments-là, ils sentaient monter la nostalgie, la douleur poignante causée par le mal du pays. Le vent leur apportait les sanglots profonds de la rivière Ibicuí. Étaient-ce bien les sanglots de la rivière ? »63.
- 64 Entretien de l’auteur avec Abraão (dit aussi Isaac) Axelrud/Ackeselrod (86 ans, né à la colonie), S (...)
- 65 J. Schweidson, op. cit., p. 17.
42Sur le quai de la gare de Santa Maria, dans le tohu-bohu général, Schaia Akselrud, qui n’a que 4 ans, ne peut cacher son excitation : on embarque pour la colonie Philippson !64 La locomotive poussive quitte très vite la plaine pour « serpenter entre montagnes et abîmes » et gagner le plateau central s’élevant de façon abrupte à quelque 460 mètres d’altitude. Elle se fraie un chemin dans une végétation hallucinante : une forêt dense, où palmiers couronnés disputent la lumière à de hauts arbres touffus qu’enlacent plantes parasites et lianes. Des verts de toutes les tonalités s’entrechoquent. Comment réagissent ces « Russes » devant un tel spectacle ? Comment les imaginent-ils, ces quelques arpents qui seront les leurs ? Peuvent-ils seulement les imaginer, eux qui n’ont connu que les terres ensemencées de Bessarabie ? On atteint les campos, ces « mamelons », comme dit Eusèbe Lapine, l’agronome chargé par la ICA d’acheter les terres de la colonie. Verdoyant, ondulant, coupé par des ravines au fond desquelles coule un ruisseau et que bordent broussailles et bosquets denses, le paysage de la colonie est tel qu’on le trouve encore actuellement. « À coup sûr, ils auraient immensément aimé trouver des évidences de la fertilité du sol. Des yeux, désespérément et inutilement, ils cherchèrent des vestiges d’anciennes plantations, témoignant de récoltes passées. Ils ne virent que des étendues nues et de l’herbe. »65
Déboires et autres avanies
L’habitat
- 66 Ibid., p 19.
43Halte. Le train stoppe en rase campagne. Pas encore de gare. À peine l’embranchement d’une voie de garage et un dépôt de marchandises signalent-ils l’endroit où s’élèveront la synagogue et l’école. On descend. « Une poignée d’immigrants et une montagne de bagages » sont installées sur des chariots. Non loin : une maisonnette en planches. Celle du lopin numéro 1. À quelques encablures, une deuxième, toute pareille, puis, régulièrement, distantes les unes des autres de 700 à 1.000 mètres, s’échelonnent des cabanes identiques. Les « Russes » comprennent : « Cœurs oppressés, lèvres serrées à la vue d’une très dure réalité, les immigrants pénètrent dans leurs masures respectives, faites de planches brutes et mal ajustées. Brèches abondantes. Deux pièces à peine. Tuiles apparentes. Sol de terre battue […]. S’il y eut du désespoir dans certains cœurs, ce fut en silence. S’il y eut des larmes, elles furent absorbées dans la tendresse de la terre que, au fil du temps et malgré d’amères désillusions, ils en viendraient à tant aimer. »66
- 67 Voir, par ex., E. Polack, Artisans et paysans du Yiddishland : 1921-1938, Paris, 2006.
- 68 E. Nicolaiewsky, op. cit., p. 38.
- 69 AIU, rapport annuel de la ICA année 1905 pour 1904.
- 70 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de M. Abravanel, 27.03.1905.
- 71 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de M. Abravanel, 27.03.1905.
44On leur a promis des maisons. On les entasse en famille dans d’étroites « masures contrastant avec le relatif confort des anciennes habitations de Russie ». Si l’on se fie aux photos d’époque prises dans les hameaux de Bessarabie, quitte à ce qu’une partie soit en rondins, les habitations sont en dur, robustes, trapues, bâties pour abriter plusieurs générations, hiver comme été67. Et voici qu’ils n’ont droit qu’à 35 m2 : « En ce qui concerne l’habitation, il est clair que les judéo-russes furent déçus quand ils eurent à occuper ces cases en bois brut, sans peinture, sans vitres. »68 Nous sommes en août, en hiver. Les températures peuvent être basses : le vent du sud, venant de l’Antarctique, a balayé les pampas argentines pour arriver jusqu’ici. Il s’infiltre entre les planches. Bâties au début de l’année, les maisonnettes ont été construites en bois frais. « Le bois de la construction des maisons a été pris dans la forêt existant sur le domaine même69. » Le bois a joué, laissant des interstices70. Maurice Abravanel, directeur arrivé en mars 1905, estimera que ces maisonnettes peuvent tout au plus abriter quatre ou cinq personnes, mais guère plus : « Non seulement ces malheureux sont obligés de vivre entassés les uns sur les autres comme des harengs encaqués, mais ils vivent dans une promiscuité et une saleté repoussantes. Le côté moral en souffre beaucoup. »71
- 72 E. Nicolaiewsky, op.cit., p. 38.
- 73 David Cazès dans son rapport repris par le rapport annuel de la ICA, 1908 pour 1907.
45Pourquoi ces cabanes, ces cases ? Le mot portugais casa, signifie au Brésil aussi bien maison que case. Lapine a fait construire le type d’habitation qu’il voit autour de lui. Il a, de plus, un budget serré et se tient aux directives de la ICA, pour laquelle il s’agit d’une sorte de point de chute que chaque colon aménagera, agrandira à sa façon, selon ses besoins, par ses propres moyens. La ICA ne peut ni ne veut favoriser personne. Les contrats sont identiques, les conditions de départ sont les mêmes pour tous : « C’est la règle pour tout le monde. » Très vite d’ailleurs, les colons se mettront à fabriquer des briques et des tuiles72. David Cazès, directeur des colonies de la ICA en Argentine, lors d’une inspection au Brésil, en 1907, note : « Actuellement, on ne voit plus à la colonie que sept ou huit maisons en bois. » Et de conclure : « À mesure qu’ils s’habituent au pays, ils remplacent par des murs en pisé le bois des parois. Quelques colons même ont bâti en pierres, et il semble, vu l’abondance de la matière, que ç’aurait dû être là le système à adopter dès le début. »73
- 74 100 Anos de Amor. A imigração judaica na Rio Grande do Sul, Ed. Centenário – FIRG, 2004, Porto Aleg (...)
46« Quand est arrivée la première levée ici, ils n’avaient pas de maison, ils n’avaient rien. Ils ont dû rester dans un hangar commun, tout le monde ensemble. Ils n’avaient pas où rester. On a partagé ces lopins : « Ce lopin-ci est à toi, celui-là à toi ». L’un était le 48, l’autre le 24. C’est sous un numéro qu’ils étaient connus. Les goïs ne disaient pas leurs noms compliqués, ils disaient : “Voilà le 24, c’est le fils du 24, c’est le fils du 23, c’est le fils du 19…”, tout par le numéro (du lopin) », témoigne Henry Wolff, fils d’immigrants, né en 1926 à Rio Grande et cité dans une publication sortie à l’occasion du centenaire de l’arrivée des pionniers de la colonie74.
- 75 Arquivo Histórico Municipal de la ville de Santa Maria, RS. O Estado du 10.08.1904 et O Combatente (...)
- 76 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de Abravanel, 30.05.05.
47Cette accusation d’avoir largué les nouveaux arrivants en pleine nature est encore portée aujourd’hui contre la ICA par des descendants. Or deux journaux locaux, le rapport annuel de la ICA, la correspondance de Lapine confirment l’existence de ces casas75. Il y en a même trop : Abranavel parle de maisons vides76. Schweidson et Nicolaiewsky critiquent ces « masures » sans les nier. « On assura la division en parcelles, la construction d’une résidence pour chaque famille sur son terrain respectif », dit encore Nicolaiewsky.
- 77 F. Alexandr’, op. cit., pp. 15-16.
48L’accusation va plus loin. À supposer qu’il n’y ait pas eu de maisons, ou pas assez, il a bien fallu loger des arrivants quelque part. « Pour abriter une partie des familles, on construisit un énorme hangar, en planches, peint en noir, car toutes les maisons n’étaient pas terminées au moment de l’arrivée des émigrants […], qui furent forcés à vivre sous le même toit, dans une complète promiscuité. »77 Ce fait m’a également été raconté de vive voix. D’où vient cette fable ? Il n’y a pas de fumée sans feu…
- 78 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de Hassan, 19.10.04. Hassan est le seul à s’exprimer en anglais : « Sp (...)
49Et, de fait, pour le troisième groupe, le plus gros de la troupe (19 familles, 145 personnes), que David Hassan, des bureaux de Buenos Aires de la Jewish Colonization Association (ICA), est allé accueillir à Rio Grande le 8 octobre 1904, soit deux mois après l’arrivée des deux premiers petits groupes, il n’existait pas dans cette ville d’hôtel pourvu d’autant de lits. Hassan réussit à les loger dans un dépôt transformé en dortoir improvisé, le temps du dédouanement des bagages78. Plusieurs bagages n’ayant pas pu embarquer sur le même bateau se sont en outre égarés. « Erreur cruelle », avouera Hassan, mais indépendante de la ICA. Bien que sur ce point, il reste malgré tout une part d’énigme, c’est très probablement là l’explication de l’histoire dudit « confinement dans un hangar ». On voit que la direction de la ICA sur place, plutôt que de créer des difficultés, essaie de trouver des solutions, quoique précaires. Il faut cependant admettre que ceux qui se sont retrouvés entassés pendant cinq jours dans un dépôt n’ont pas dû apprécier. Ils arriveront le 14 octobre 1904 à la colonie.
Nature du terrain et fertilité de la terre
- 79 J. Schweidson, op. cit., p. 25.
- 80 Rapport de David Cazès suite à son inspection à la colonie, repris dans le rapport ICA, année 1908 (...)
- 81 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettres de M. Abravanel, 23.02.07.
50Les voilà donc casés. Ils s’adonnent alors aux premiers travaux collectifs : poser des clôtures, ouvrir, pour chaque lot, un sentier menant à un ruisseau. Cela fait, le bétail peut être distribué. Vient l’heure des semailles. Problème : « Ces belles prairies servaient merveilleusement à l’élevage. Il n’avait jamais été constaté qu’elles étaient labourables. »79 « La roche se trouve souvent à peu de profondeur, parfois elle affleure la surface du sol […]. La nature du terrain, comme vous le voyez, ne permet pas l’emploi de machines agricoles perfectionnées ; les charrues à siège, les semeuses à disque, les moissonneuses, les faucheuses, seraient à chaque instant arrêtées et brisées par les pierres et les racines des arbres ; d’ailleurs les ondulations accentuées du terrain en rendraient l’emploi malaisé. »80 Les premières tentatives ne sont pas encourageantes. Les colons sont bien obligés de se plier aux instructions données par les premiers directeurs, Hassan et Abranavel. Ce dernier, ancien directeur de la ferme-école d’Or-Jehouda, expérimenté donc, suit à la lettre les consignes laissées par Lapine, bien qu’« à mon avis, je crois que nous nous trouvons dans une région qui, soit par son climat comme par la constitution de ses terrains, ne convient pas à la culture du blé »81.
- 82 J. Schweidson, op. cit., p. 12.
- 83 Ibid., p. 25-26.
- 84 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettres de M. Abravanel, 16.10.05 et 16.01.06.
51Dans les rangs des colons, on commence à s’interroger sérieusement : « Quant à la fertilité de la terre, qui aurait osé la mettre en doute ? N’avait-elle pas été acquise par des gens expérimentés de la grande et émérite JCA ? À coup sûr ses agronomes – et il y en avait tellement – avaient choisi ce qu’il y avait de meilleur. »82 « Comment expliquer une erreur aussi crasse [sic] de la part du fameux staff de spécialistes ? Cela reviendrait à ignorer que la fonction de cette puissante compagnie était essentiellement philanthropique […]. Il leur semblait inadmissible que la ICA se soit fourvoyée sur un plan d’une telle importance. Ce serait ressenti comme un véritable crime. » Dans ce chapitre intitulé « Realidade », l’ironie grince sous la plume de Schweidson83. De toute évidence et malgré sa bonne foi, puisqu’en 1903 il a lui-même réussi à faire pousser, de façon expérimentale, quelques mètres carrés de blé, Lapine s’est partiellement trompé sur la fertilité des campos. Abravanel complète le tableau par une note informant que les terres noires sont plus fertiles que les terres rouges, médiocres, ce qui cause de grands écarts dans les rendements obtenus par les colons ; que certains n’ayant reçu que des terres rouges veulent une compensation84. Afin de réduire ces inégalités, il procédera à un reclassement de ces colons-là sur les terres noires.
Le climat subtropical
52Un climat où les saisons sont assez marquées. Oui, mais… un climat versatile. Décembre, janvier et février sont les mois de plein été. Blé, orge et seigle constituent les semailles d’hiver ; maïs, haricots noirs, celles d’été.
- 85 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettres de M. Abravanel, 16.01.06.
53Été 1904-1905 : les pluies torrentielles de décembre ont partiellement emporté les tout premiers semis ou entravé la maturation des graines85.
- 86 Ibid.
- 87 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de M. Abravanel, 4.09.1905.
54Première année 1905 : « En 1905, les colons ont ensemencé 285 hectares, dont 80 en blé, 52 en haricots noirs, 131 en maïs et 22 en plantations diverses (pomme de terre, manioc, potirons, etc.). Malheureusement, à la fin de l’année, la récolte donnait peu d’espoir, la colonie ayant eu à subir une sécheresse très prolongée. Tout l’État de Rio Grande, et principalement la région où se trouve notre colonie, a eu à souffrir de la rareté des pluies et le gouvernement local a dû prendre des mesures pour venir en aide aux agriculteurs du pays, dont la situation était devenue critique. »86 Sans compter que seuls les deux premiers groupes de colons, arrivés en août 1904, ont bénéficié d’une mini-récolte. Le groupe 3 est arrivé trop tard pour préparer l’ensemencement, ce qui engendre des disparités et des tensions87.
- 88 Ibid., 29.11.1905.
- 89 Ibid.
- 90 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de M. Abravanel, 30.05.1905.
55Les paysans des environs, dont leurs proches voisins d’une colonie allemande, suggèrent aux Russes d’avoir recours au brûlis pour fertiliser la terre. L’ICA, se fiant à l’avis de ses agronomes, condamne cette méthode. Abravanel aussi88. Bien que conscient que cela entraîne un endettement croissant pour les colons, il demande des avances à la ICA, de façon à assurer leur subsistance jusqu’à ce que les produits de la terre leur procurent des ressources89. ll reçoit les premières menaces de quitter la colonie s’il leur faut manger du pain de farine de maïs plutôt que de la farine de blé90.
- 91 Ibid., 4.04.1906.
- 92 Ibid., 20.04.1906.
- 93 Ibid., 20.02.1906.
- 94 Ibid., 5.06.1906.
56Deuxième année 1906 : sécheresse plus effroyable encore91. La situation est si grave que des semences sont accordées par le gouvernement fédéral92. Et le gouverneur Abbott visite les colonies de l’État pour s’enquérir de la situation. On a peur de rapines qui ont lieu dans les environs. Gustave Vauthier, le responsable de la Compagnie auxiliaire de Chemins de Fer au Brésil, songe à accélérer certains travaux pour fournir du travail aux colons93. Grande déception de Maurice Abravanel de n’en avoir pas reçu de subsides de la ICA. Dans un plaidoyer de quatre pages, il prend admirablement la défense des colons94. La ICA n’est pas une société de bienfaisance, il le sait, mais les colons accumulent les déboires. Cherté de la vie et inflation sévissent.
- 95 AIU, rapport annuel de la ICA, année 1907 pour 1906.
57La ICA se décide enfin à intervenir : « Afin d’améliorer cette situation, le Conseil a décidé d’agrandir leur lot, de façon à ce que chaque famille de cultivateur dispose d’une cinquantaine d’hectares. Il a voté des crédits pour l’augmentation du bétail de croît et s’adonner en même temps à la culture de la terre et à l’élevage et grâce à cette double ressource leur situation sera mieux assurée. »95
- 96 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de M. Abravanel, 26.01.1907.
- 97 AIU, rapport annuel de la ICA, année 1908 pour 1907.
- 98 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de M. Abravanel, 29.01.07.
58Troisième année 1907 : le tabac, venu de Bessarabie, donne des résultats satisfaisants. Et le maïs, « vraie culture du pays », aussi. On procède à des tentatives de vignes. Malgré cela, début 1907, Abravanel déplore trois ans sans récoltes correctes96. Les colons exigent de pouvoir recourir au brûlis, que prônent les paysans voisins et qui semble donner des résultats partout ailleurs. Devant ces évidences, Abravanel cède et finit par obtenir gain de cause auprès de Paris97. De nouvelles terres sont acquises. Le forage d’un puits est décidé98.
- 99 J. Schweidson, op. cit., p. 31.
- 100 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de M. Abravanel, 5.01.08, ainsi que F. Alexandr’, op. cit., pp. 175-18 (...)
59« Ce ne fut qu’alors, au cours de la troisième année, quand l’amertume avoisinait le désespoir, et que la jeunesse, ayant perdu toute illusion, se mit à quitter la colonie pour chercher la prospérité en ville, que la YCA suspendit son interdiction99. » Et la première récolte faite selon la méthode du brûlis est alors abondante. Les colons n’ont pas eu tort de vouloir suivre les conseils des autochtones. Là-dessus, un étrange nuage noir s’annonce au loin, s’abat sur les plantations, fait une véritable razzia : les sauterelles. Des champs comme des potagers, il ne reste rien100.
- 101 AIU, rapport annuel de la ICA, année 1908 pour 1907.
60Encore que la colonie soit « un peu à l’état embryonnaire », ce n’est qu’à partir de 1909 que tout rentre petit à petit dans l’ordre, le climat comme les récoltes101. Mais l’époque des véritables obstacles est close. Et, même si d’autres difficultés surgiront, la vie des champs peut enfin prendre un cours normal.
Les problèmes du quotidien
- 102 Ibid., année 1906 pour 1905.
61Pas de médecin : « La santé publique n’a pas été tout à fait bonne au début ; comme il fallait s’y attendre, les colons de Russie transportés dans un climat peu semblable au leur ont eu à subir les conséquences de ce changement. Ils ont eu à souffrir surtout d’une attaque de goitre […]. Malheureusement, le service médical faisait défaut, et les malades étaient obligés d’aller se faire soigner à l’hôpital de Santa Maria, ce qui était à la fois pénible et coûteux. »102
- 103 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de M. Abravanel, 19.12.1905.
62Un colon dit être sorti plus malade de l’hôpital que lorsqu’il y est entré à cause du coût des soins et du déplacement ! Abravanel fait, auprès de la ICA, la demande d’un feldcher (pharmacien/médecin), pour mettre fin à cette situation103.
63Ajoutons à cela les morsures de serpents, les menaces de la phtisie, de la diphtérie, ainsi que de la scarlatine, qui frappent les enfants, et tuent. La petite variole, signalée à Rio Grande, pour laquelle une demande de vaccins est faite à Buenos Aires. La peste bubonique se déclare à Santa Maria en 1908, suivie de la fièvre typhoïde. On déplore plus de cent cas et les colons sont invités à ne pas se rendre en ville. Personne n’est atteint.
- 104 Rapport de David Cazès, repris dans le rapport ICA année 1908 pour 1907.
64Pas d’école : elle a été promise, elle fait partie des engagements pris par la ICA en Bessarabie. Pas de maître d’école, pas de classes. Et ce jusqu’en 1908. « Lors de la fondation de la colonie, on a bâti une maison en planches pour servir d’école, mais on en a bientôt fait une synagogue. […] La nécessité d’établir une école à Philippson est urgente, mais il est indispensable que le professeur sache, dès son arrivée à la colonie, le portugais et le jüdisch104. » Pendant des mois, des années même, la ICA ne trouve pas d’instituteur ayant ce profil. Le shochet, l’abatteur rituel, remplit le rôle de maître d’hébreu, les aînés assurent vaille que vaille l’instruction des plus jeunes jusqu’à ce le comptable d’Abravanel, Jacques Stourdzé, s’improvise instituteur, mais s’en fatigue et renonce. Les colons ressentent très mal cette faille de la ICA.
- 105 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de M. Abravanel, 28.07.1905.
65Pas de rabbin : en trouver un qui veuille bien faire le voyage, et se retrouver en pleine cambrousse, n’est pas évident. Heureusement, le shochet a un frère rabbin, originaire d’Ukraine, qu’il convainc de venir le rejoindre105. Un drame est resté célèbre dans les annales : la disparition de la Torah. Vol non élucidé à ce jour. Des soupçons pèsent encore ! Il a fallu en faire venir une nouvelle.
Et surtout : les directeurs se suivent, mais ne se ressemblent pas
66Citée par Cazès comme cause de conflits, cette succession trop rapide de directeurs, impliquant des façons de procéder et des tempéraments différents, n’est pas étrangère à maints tâtonnements et quiproquos, à maintes déconvenues. S’adapter à des directives nouvelles voire contradictoires s’avère déroutant pour les colons. L’agronome Eusèbe Lapine, tout feu tout flamme si l’on en juge au ton de sa correspondance, est une sorte de visionnaire, sans doute utopiste : « Ici, je ferai pousser du blé. » Il était destiné à être le premier directeur de la colonie. Il aurait probablement communiqué son enthousiasme, mais, malade, il rentre en Europe à la veille de l’arrivée des colons.
- 106 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettres de D. Hassan, respectivement du 20.09.1904, 12.10.1904 et 12.09.1904.
- 107 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettres de M. Abravanel, 13 et 30.05.1905.
67David Hassan, des bureaux de Buenos Aires, est désigné pour prendre la relève au pied levé. Il le fait mais, toujours d’après le ton de sa correspondance, avec des pieds de plomb. Il porte des jugements à l’emporte-pièce : « Ces gens sont pires que des enfants ou, du moins, ils agissent comme tels », ou encore : « Ce groupe (le troisième) ne m’a pas fait très bonne impression ». Il accuse les colons de mener un train de vie supérieur à leurs moyens et déplore leurs exigences sans borne106. Au cours des six mois qu’il passe à la colonie, il commet plusieurs erreurs tactiques. Dont une lourde de conséquences : à chaque mécontentement des colons, il les incite à signer une pétition, qu’il dit faire suivre au siège de la ICA, se retranchant ainsi derrière Paris. Aucune trace de ces pétitions. Maurice Abravanel, qui lui succède, se plaindra du procédé107. Dès son arrivée, il héritera d’une situation extrêmement tendue.
- 108 Ibid., 24.01.1906.
- 109 Ibid., 10.02.1908.
68Toujours soucieux que « ses » colons amortissent au plus vite leur dette, Abravanel intercède pour eux, avec assiduité, auprès de la ICA. Deux années consécutives de sécheresse, ce n’est pas une sinécure quand on commence à connaître le fichu caractère de ces colons ! Il doit faire face aux premiers départs de jeunes gens, ce qu’il vit mal, bien qu’il conçoive qu’« abandonner les champs pour la ville, c’est une conséquence fatale »108. En 1908, il quitte la colonie, exténué. Il rentre six mois en Europe avant d’être nommé en Argentine. Et il est remplacé par Adolfo Leibowitz, arrivé d’Argentine le 27 janvier109. Chargé par la ICA de l’achat de nouvelles terres pour la fondation d’une autre colonie dans l’État du Rio Grande do Sul, il s’y consacre et est souvent absent. Il a bien un assistant, avec qui le courant ne passe pas. Sous Leibowitz, des changements, des chambardements, interviennent : départ de plusieurs familles, certaines pour rejoindre des parents en Argentine ; arrivée de colons d’Argentine, non-Bessarabiens, souvent mécontents de leur sort et s’attendant à trouver mieux à Philippson ; admission de gens exerçant des métiers citadins. Des différences sociales et culturelles s’instaurent et perturbent l’homogénéité du groupe. Le visage de la colonie change.
Satisfactions
69Les rires ne manquent pas d’éclater, surtout dans les écrits de Schweidson et Alexandr’, qui les consignent, et évoquent avec ardeur le quotidien à la colonie. La clarté du petit matin, le tapage des oiseaux dans l’air qui sent bon l’herbe humide ou la fumée du voisin. Le meuglement d’une vache au pis trop lourd. Les fils du télégraphe qui chantent le long de la voie ferrée. Le sifflet du chef de gare, grand ami des enfants. La saveur d’un fruit chapardé en chemin (ou de préférence dans l’enclos de l’administration !). Les filles qui se tressent les cheveux sur le seuil de la maison et sous l’œil taquin des gamins. Les cavalcades à travers champs vers l’horizon bombé. La colonie endormie. Les chiens inquiets, qui aboient dans la nuit.
- 110 F. Alexandr’, op. cit., p. 21.
70Et, dans le soir, les ombres qui convergent vers la synagogue d’un pas pressé et vacillant, vu les bosses du terrain, en se souhaitant un bon sabbat. « Autour du temple, des arbres séculaires embrassés par de grosses lianes et desquels pendaient de longues franges mousseuses et blanchâtres, rappelaient de vieux juifs à la barbe grisonnante, attifés de châles de feuillage vert, dans l’attente, à travers les temps, de la réalisation de rêves millénaires. »110
71On y observe avec ferveur les fêtes religieuses qui jalonnent l’année. On s’y retrouve en toute occasion, comme lors du passage de la comète de Halley, en 1910.
Petit à petit, l’oiseau fait son nid
- 111 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de A. Leibowitz, 23.06.1908.
- 112 Sur Léon Bach, voir ci-dessus.
72Et la solution à bien des problèmes est source de réjouissances. L’arrivée du maître d’école se fera en juin 1908111. Une nouvelle maison abritera les salles de classe. L’ouverture pour 65 élèves se fera dans les festivités. Léon Bach dispensera aussi des cours du soir pour adultes et adolescents112. Il est adulé. Il ne restera que peu de temps, mais les suivants laisseront également une forte impression, jouant un rôle très important pour l’union de la communauté : place est enfin donnée à l’étude.
- 113 E. Nicolaiewsky, op. cit., p. 47.
- 114 J. Schweidson, op. cit., p. 50.
« Conformément aux instructions de la ICA, les élèves, presque tous nés en Europe, devaient être éduqués en tant que Brésiliens. Pour cela, l’école suivait les programmes et adoptait les livres des établissements publics. À l’école, on n’admettait que l’emploi de la langue portugaise, à l’exception de l’hébreu, enseigné pendant les classes d’instruction religieuse. »113 Précisons : d’autres colonies, surtout allemandes, n’ont été obligées d’adhérer au programme scolaire officiel qu’à partir de 1937. La ICA a eu la main heureuse quant au choix des instituteurs envoyés à la colonie et au type d’enseignement dispensé. « L’unique fait louable de la part de la ICA fut la sélection des professeurs. »114
- 115 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de M. Abravanel, 25.07.1906.
- 116 F. Alexandr’, op. cit., p. 29.
73Autre sujet de satisfaction, l’arrivée du médecin-feldcher, qui débarque en juillet 1906 avec les dix membres de sa famille115. Le « docteur russe », Boris Wladimirski, originaire d’Odessa, est un homme « imposant, martial », à qui il avait été concédé le privilège, rare en ces temps d’antisémitisme féroce, de servir pendant cinq ans dans l’armée russe où, vu ses qualités, des médecins militaires lui avaient permis de mener à terme un cours de pharmacie116. Figure de proue, il sera la providence non seulement des colons, mais encore de tous les paysans des environs. Ici aussi, la ICA a vu juste : il est l’homme de la situation.
- 117 AIU, rapport annuel de la ICA, année 1907 pour 1906.
- 118 AIU, rapport annuel de la ICA, année 1906 pour 1905.
74La création d’une coopérative s’avère une initiative heureuse : « Les colons de Philippson ont constitué définitivement une société coopérative comprenant deux services : un magasin pour l’achat en gros des objets de consommation et la vente aux colons ; une petite caisse de prêts », qui « visent à détacher petit à petit le colon de la tutelle de la Société. »117 « De plus l’administrateur, voulant montrer par expérience les avantages que les colons pourraient retirer d’une institution coopérative de consommation, a installé […] un magasin de provisions, achetant en gros les principaux articles de consommation dans les grandes villes ou dans les lieux de production et les vendant aux colons au prix coûtant, leur faisant ainsi réaliser une économie de 20 à 40 %118. » Les bénéfices du magasin couvrent les frais de la communauté.
- 119 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de A. Leibowitz, 1.06.1908.
75La mise sur pied d’une crèmerie, qui fonctionne grâce au bon vouloir de deux jeunes gens, envoyés auparavant à la ville de Bagé pour y faire un stage, est tout aussi bienvenue119. En novembre, on produit déjà 1.200 bidons de lait par jour. Les produits laitiers, fromage maigre fabriqué avec le petit-lait, et le beurre sont vendus à Santa Maria. La jeunesse s’y emploie avec enthousiasme.
- 120 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de A. Leibowitz à la ICA, 10.02.1908.
76Autre raison de satisfaction : l’inauguration des bains, pour la construction desquels Abravanel reçoit, en janvier 1906 un crédit120. Sur leur proposition, les colons paieront une contribution annuelle et pourront ainsi, à la longue, en devenir les propriétaires. Une bâtisse est construite à la hauteur d’un barrage naturel dans la rivière : le bain des hommes (auquel il manque encore des fonds pour ajouter un four-chaudière et des installations rituelles). Les femmes se baignent en amont, protégées du soleil et des indiscrets par d’épais feuillages.
- 121 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de A. Leibowitz à la ICA, 7.12.1908.
77La construction du moulin est bien accueillie. Les colons ont des kilomètres à parcourir pour faire moudre leur grain. Les subsides pour la construction d’un moulin hydraulique ou à vapeur n’arrivant pas, deux colons entreprenants, B. Wolf et M. Chassavomeister, décident de le construire et de l’exploiter eux-mêmes121. Il sera à traction animale. « Ces associés construisirent un moulin où était apporté le blé récolté dans les colonies [avoisinantes] auparavant moulu à Val de Serra. » Pour la première fois, un colon prend l’initiative de s’adresser par écrit directement à la ICA pour exposer sa proposition.
- 122 F. Alexandr’, op. cit., p. 33.
78Les bals des grandes occasions fournissent une occasion de réjouissance. Lors d’un mariage, du passage d’un envoyé de la ICA ou d’une autorité locale, les colons juifs sont heureux de recevoir et ont la réputation de savoir le faire. On ouvre la grande salle de l’école, on recule bancs et chaises, on accroche des lanternes chinoises. Toute la jeunesse est présente. « Par les chemins poussiéreux, allaient de joyeux groupes de jeunes filles et jeunes gens portant leurs vêtements de fête sur le bras, ils ne s’habilleraient qu’une fois arrivés, peu avant le début du bal. »122 Les jeunes filles se parent des bijoux de leur mère. Les hommes endimanchés vont accueillir les invités d’honneur qui arrivent en tilbury, mais aussi paysans et fermiers des environs. Sans oublier le chef de police, chargé d’ouvrir le bal avec son épouse.
Les petits bonheurs sont aussi au rendez-vous
- 123 J. Schweidson, op.cit., p. 18.
79À commencer par les réunions autour du four. « Le four filipsonnien a été le précurseur, à l’envers, du réfrigérateur moderne. Le samedi a toujours été un jour sanctifié à Filipson. Personne ne travaillait, pas même les peões (journaliers goïs). Personne ne montait à cheval. Personne ne fumait. Le simple acte de frotter une allumette représentait une infraction. D’où l’inestimable service rendu par le four : le repas du samedi y était gardé sous un énorme couvercle empêchant l’évasion de la chaleur. »123 C’est là aussi que l’on confectionne les gâteaux rappelant le pays. Que de joyeux bavardages auprès du four russe qui épate les autochtones !
- 124 Ibid., p. 47.
80Il faut aussi évoquer les rassemblements à la gare124. Le train, dont le sifflement rythme la journée de travail et dont le passage, deux fois par jour, est attendu avec impatience : il apporte la valise postale et les journaux de Russie et des États-Unis, où les colons ont de la famille. La gare, le soir, devient le lieu de rendez-vous de la jeunesse, qui se conte fleurette, et celui des plus âgés, qui y échangent des idées sur la politique et les travaux des champs.
- 125 F. Alexandr’, op. cit., p. 131.
81Et comment oublier les soirées. On se retrouve les uns chez les autres. On joue de l’harmonica, de l’accordéon, à l’oreille « la musique et la poésie vivaient en eux ». Une voisine à l’esprit jovial vient raconter des histoires de fées et de sorcières qui fascinent l’imagination des petits. Une jeune fille lit deux ou trois chapitres d’un roman prêté aux élèves de l’école « par le jeune bibliothécaire, Ide-Leib Averbruch, un garçon cultivé et très sympathique, qui était adoré comme une idole »125.
- 126 Ibid., p. 78.
82Autre raison de se réjouir : le retour des fils prodigues. Les jeunes gens qui ont soit quitté tôt la colonie pour travailler à la ville ou sur un chantier de chemin de fer, soit pour faire des études secondaires, laissent parfois leurs parents sans nouvelles pendant des mois. Pour leur retour, les poches pleines ou vides mais toujours des cadeaux plein les bras, ce n’est pas le veau gras, c’est du gibier braconné, attrapé au collet ou à la fronde qui est servi126. Les soirées sont alors interminables : le revenant est bombardé de questions sur la vie urbaine.
Et la vie suit son cours : l’installation de nouveaux colons
- 127 Rapport de la ICA. 1906 pour 1905, p. 58.
- 128 AIU /ICA, Brésil 1.1, lettre de Abravanel à la ICA, 6.11.1905.
- 129 « Colons » [sic]. On doit sans doute comprendre : « Chefs de famille ».
83On assiste vite à des mariages entre enfants de colons. Les jeunes couples sont installés, comme prévu, en lots séparés et avec les mêmes droits que leurs parents (terrain à crédit, outillage, bétail). « Le nombre d’établissements de colons qui était, à la fin de 1904, de 37, comptant 267 personnes, s’est augmenté de 4 émigrants que nous avons installés dans les mêmes conditions. En outre, nous avons séparé de leurs parents et établi à part quatre fils de colons dont les familles étaient trop grandes pour le terrain dont elles disposent. »127 La publicité se fait : « Bon nombre de colons reçoivent des lettres de leurs parents de Russie, demandant des renseignements. » Les nouveaux candidats qui se présentent via le comité de la ICA à Saint-Pétersbourg doivent faire leurs preuves. Ils sont logés soit chez des parents, soit dans une grange. S’ils s’avèrent être de bons travailleurs, ils pourront rester, mais sans les avantages des pionniers : ils ne seront que locataires d’une parcelle et construiront eux-mêmes leur maison128. Ou alors, c’est le cas d’une famille : ils arrivent « l’escarcelle pleine » avec de quoi acheter leur terrain cash. Tous doivent attendre l’autorisation de Paris pour s’établir. Selon les rapports, la colonie ne comptera jamais beaucoup plus de 45 colons et 300 âmes129.
La « grande famille brésilienne »
- 130 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de A. Leibowitz, 4.11.1908.
- 131 Entretien précité de l’auteur avec I. Axelrud (86 ans, né à la colonie), Santa Maria, le 8.12.2007.
84Fin 1908, l’inscription au registre de l’état civil est envisagée par Leibowitz, qui constate que les colons sont hors-la-loi130. En tant que colons agriculteurs ayant travaillé dans une même colonie pendant deux ans, ils ont, selon la législation concernant l’immigration, droit à la nationalité brésilienne. « Du village de São Martim, un tabellion venait à cheval voir qui naissait et qui mourait. Mais il buvait, c’est ainsi qu’il a inversé des dates de naissance. Ma sœur, née après moi, a reçu ma date de naissance et moi la sienne. Ce sera comme ça jusqu’à sur nos tombes ! »131 Et on en profite pour adopter un prénom portugais, c’est-à-dire prononçable.
- 132 E. Nicolaiewsky, op. cit., p. 46.
- 133 J. Schweidson, op. cit., p. 28.
85Sur d’autres plans, les colons, et surtout leurs grands enfants, sont déjà “brésilianisés” ! Monter à cheval est l’un des premiers critères de l’intégration. Les jeunes garçons mettent un point d’honneur à devenir d’excellents cavaliers. « Peu d’années plus tard, hommes faits, accompagnés d’amis brésiliens, dans leurs habits de gauchos, montés sur de forts chevaux et bavardant en portugais, ils galopaient avec plaisir jusqu’à la rivière Ibicuí, pour en apprécier la beauté et plonger dans ses eaux. L’intégration des immigrants qui étaient venus pour rester s’était effectuée. »132 Aux champs, « petit à petit, ils adaptèrent également leur vestiaire au travail et au climat. Grands chapeaux de paille, sabots, pantalons de tissus léger, particulièrement pour les jeunes, remplacèrent les bons habits européens. Nombreux furent ceux qui apprécièrent très vite le churrasco et le chimarrão. »133 Le churrasco : de grandes pièces de bœufs grillées sur la braise, à l’air libre. Le chimarrão : ce maté amer et bouillant que boivent les hommes réunis autour du feu.
- 134 Ibid., p. 12.
- 135 Ibid., p. 95.
- 136 F. Alexandr’, op. cit., p. 79.
86Quant à la nourriture, on doit bien se faire à cette farine de manioc qui accompagne tous les plats, à ces haricots noirs qui en font l’essentiel. Mais le lard, le saindoux sont partout… « Eux, les Juifs, ne toucheraient jamais à un porc, aussi fabuleuse que soit la rente à en tirer. Le seul fait d’en voir provoquait chez eux une réelle contraction de l’estomac. Un frisson dans la sensibilité religieuse. »134 Malgré tout, comment résister à une bonne feijoada, plat des grands jours chez les voisins, les “chrétiens”135, à une course de taureaux ou une partie de pêche organisées un samedi ? Si la jeunesse se permet ce genre d’infraction, le repos du sabbat, en revanche, est imposé au voisinage par la force des choses : lorsqu’il n’y a pas d’activités à la colonie, ceux qui en dépendent n’ont plus qu’à se tourner les pouces. L’intégration est telle que « Luís s’enthousiasma pour le football, entra dans un des clubs de Uruguaiana, où il devient connu sous le nom de Turquinho et abandonna complètement les études »136. Il fit carrière dans ce sport au plus grand dépit de ses parents, mais à la plus grande joie de ses jeunes supporters juifs.
- 137 E. Nicolaiewsky, op. cit., p. 51.
- 138 Ibid., p. 38.
- 139 J. Schweidson, op. cit., p. 26.
87De nombreuses connaissances et amitiés entre chrétiens et Juifs résultèrent des contacts avec les immigrants des environs et perdurèrent longtemps, dit Nicolaiewsky, qui ajoute : « Les Israélites évoluèrent lentement et, avec le temps, se mirent à exercer les fonctions les plus variées, parfaitement intégrés à la vie nationale. »137 « De diverses façons, les Israélites ont contribué au progrès de la région. »138 « Né à Philippson, j’ai vécu depuis ma plus tendre enfance parmi des enfants juifs et chrétiens. Au cours de nos jeux et de nos disputes, jamais je n’ai entendu un seul mot empreint de préjugés […]. La religion, pour les gauchos, n’entrait pas en ligne de compte. »139
88En choisissant comme pays d’accueil le Brésil, où est favorisé le brassage des populations, des races, des religions et, surtout dans le Sud, celui des nouvelles idéologies importées par les immigrants européens, la ICA a misé juste.
Voler de leurs propres ailes
- 140 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de A. Leibowitz, 21.06.1909.
89Fin 1908, dans un long rapport, Leibowitz se permet d’affirmer : « En un mot, la colonie est entrée dans une période florissante, de telle sorte que l’on peut affirmer que les colons sont maintenant à même de se suffire à eux-mêmes. Même si cette colonie devra toujours donner plus d’importance à l’industrie laitière, ne pouvant faire de l’agriculture que sur une petite échelle.140 » Sur ce dernier point, il se trompe lui aussi, l’agriculture prendra des proportions importantes. Il s’agit maintenant pour les colons de signer le contrat d’achat définitif de leur lot, déduction faite du dépôt effectué en Russie. L’heure est venue de commencer à rembourser les dettes, la colonie prend sa vitesse de croisière. Que la ICA ait donné l’impression aux colons d’être laissés pour compte, livrés à eux-mêmes, peut se comprendre. Néanmoins, si l’on se penche de plus près sur son action, ce ne fut jamais par manque de bonne volonté, mais plutôt par un excès de rigueur, et par manque de psychologie, de tact.
- 141 D. Frischer, entretien avec l’auteur, juin 2010, ainsi que Id., Le Moïse des Amériques. Vie et œuvr (...)
90Les descendants évoquent, à la fois et de façon contradictoire, le fiasco de la ICA et la chance qu’ils ont d’être là. Ils font souvent un amalgame avec ce qui se raconte à propos d’autres types de colonies implantées dans le Sud du pays, amalgame qui explique en partie que c’est, aujourd’hui encore, entre larmes et rires qu’ils évoquent les conditions de vie endurées par leurs aïeux. D’autre part, ils considèrent que le but de la ICA était de les fixer à la terre, qu’elle leur devait assistance à tout moment. Or, comme l’explique très bien Dominique Frischer, le but de la ICA était de les arracher à la Russie, à une vie en perpétuel péril, et de les placer là où serait reconnu leur métier d’agriculteur, les colonies constituant une étape possible vers un envol nouveau141. La ICA visait à associer les colons à son œuvre, qui n’était pas une œuvre de charité, mais une œuvre constructive d’avenir. On peut certes parler des maladresses de la ICA, mais d’un échec ? À la question subsidiaire : « En quittant la Bessarabie, vos ancêtres ont-ils gagné au change ? », la réponse est un oui unanime.
- 142 Casa de Memória Edmundo Cardoso, Santa Maria – Archives personnelles contenant les copies-carbone d (...)
91Au cours de l’année 1926, José Pontremoli, dernier instituteur faisant fonction de directeur local (la direction des colonies brésiliennes ayant été transférée à la colonie Quatro Irmãos dès 1911), est chargé par le siège de Paris de clore le gros des activités de la ICA à la colonie Philippson142. S’étant tous acquittés de leurs dettes, les colons se sont, dans leur grande majorité, éparpillés. Ceux qui restent sont entièrement indépendants. Mission accomplie, se dit probablement Pontremoli. En un peu plus de vingt ans, des dizaines de familles juives ont échappé au sort que leur réservaient les décrets des tsars, les deux révolutions russes et la Première Guerre mondiale. Elles se sont émancipées, intégrées à la vie de leur nouvelle patrie sans jamais, pour autant, renier ou oublier leurs origines, leur identité. À la question : « Vous sentez-vous brésilien ? », Isaac Axelbrud a pris le temps de réfléchir avant de répondre : « Les Brésiliens me considèrent comme un des leurs. Je vis tout à fait comme eux. Je vous reçois même chez moi sans façon [en maillot de corps, short et tongs] ! Déjà à la colonie, nous avions de très bonnes relations avec le voisinage, avec les natifs. Personne ne savait ce que c’était, un Juif. […] Mes meilleurs souvenirs sont bien la convivialité […]. Dans les habitudes, il y a peu de différences. Dans la façon de penser, il y a certaines différences. De vraiment brésilien, je n’ai pas grand-chose. Chacun reste du pays d’origine. Au fond de moi, je sais que je suis autre… »
Annexe
Enfants juifs et chrétiens de l’école de la colonie Phillippson (1908) (paru dans J. Schweidson, Judeus de...)
Notes
3 Arquivo Histórico Municipal de la ville de Santa Maria, Rio Grande do Sul (RS).
4 Dans ses écrits, à plusieurs reprises, J. Schweidson (Isaac Schwetsky) se dit né à la colonie. Cependant son nom figure sur le tout premier recensement comme enfant de 2 ans.
5 J. Schweidson, Judeus de bombachas e chimarrão, José Olympio Editora, Rio de Janeiro, 1985, pp. 8-10.
6 L’Association est désignée sous les sigles de JCA, YCA et surtout ICA, forme courante que je maintiendrai ici (sur la ICA, voir ci-dessous).
7 Archives de l’Alliance israélite universelle, Paris, AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de E. Lapine (sur qui voir ci-dessous), adressée au siège de la ICA à Paris, datée du 8.11.03, détaillant les frais d’installation et de matériel pour chaque colon (le voyage en train de Rio Grande à la colonie coûtera 80.000 Reis par famille outre les gratuités), – ainsi que lettre de D. Hassan à la ICA datée du 31.08.1904. Toute la correspondance citée provient des archives ICA, Brésil, 1.1 de de Paris.
8 J. Schweidson, op. cit., p. 19.
9 Les pionniers de la première heure, arrivés en août et octobre 1904 sont : Akselrud (3 familles), Averbuck (2 familles), Burd, Chaiut, Druch, Goldman, Groissman, Lifschitz, Nicolaievsky, Nudelman, Rosenberg, Russovsky, Satkovitch, Schneider (3 familles), Schwedsky, Seligman, Silbenberg, Slipak (accompagné de Gruspaum), Soibelman, Steinbruck (2 familles, dont le rabbin), Stifelman, Teitelroit, Waissman, Wolff, Zelmanovich. Cette liste obtenue par recoupement entre plusieurs auteurs peut comporter des inexactitudes. L’orthographe des noms varie selon chaque auteur.
10 Elles ne le seront qu’entre 1900 et 1912 grâce au baron de Rio Branco, diplomate, ministre des Affaires étrangères, qui les négocia pour ainsi dire kilomètre par kilomètre avec certains pays limitrophes, sous l’arbitrage des États-Unis.
11 Voir J. Roche, A Colonização Alemã e o Rio Grande do Sul, Globo, Porto Alegre, 1969.
12 E. A. Lassance da Cunha, Rio Grande do Sul, Imprensa Oficial, Rio de Janeiro, 1908, p. 22. Cet auteur commente l’économie de l’État dans le détail, commune par commune.
13 Voir M. Van Languendonck, Uma colônia no Brasil, Edunisc-Mulheres, Florianópolis, 2002 (1e éd. 1862).
14 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de M. Abravanel, 28.07.1905, et autres documents : la ICA veut une colonie modeste.
15 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de Lapine, 23.06.03. La gratuité du passage du port européen jusqu’à celui de Rio Grande a apparemment été négociée par Lapine auprès du gouverneur Abbott. Par ailleurs, le gouvernement brésilien affrétait régulièrement les vapeurs de la Hamburg Südamerikanische Dampfschiffahrts-Gesellschaft (tels que le Paranaguá et le Desterro, qui amenèrent les deux premiers contingents de colons depuis les ports de Kiel et Hambourg respectivement) pour faire venir les colons officiellement recrutés.
16 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de M. Abravanel à la ICA, 20.02.06.
17 Bilan annuel du 31 décembre 1897.
18 À propos de Franz Philippson voir notamment : In memoriam Franz Philippson (1851-1929), s. l. n. d. ; A. Marchal, « Franz Philippson », dans Biographie coloniale belge – Biographie Belge d’Outre-Mer, Bruxelles, t. III, 1952, col. 688-689 ; J. Philippson, « The Philippsons. A German-Jewish Family, 1775-1933 », dans Leo Baeck Year Book, vol. VII, Londres, 1962, pp. 95-118 ; J. Bolle, « Franz Philippson », dans Biographie nationale, Bruxelles, t. XLI, 1979-1980, col. 632-639 ; J.-Ph. Schreiber, Politique et religion. Le Consistoire Central Israélite de Belgique au XIXe siècle, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 1995, pp. 114-115, 198-199 ; J.-Ph. Schreiber : « F. M. Philippson », dans G. Kurgan – S. Jaumain – V. Montens (Éds.), Dictionnaire des patrons en Belgique, Louvain, 1996, pp. 506-508 ; Ch. Allègre, Franz Philippson, banquier : 1871-1914, mémoire de licence, ULB, section d’histoire, 1997-1998 ; J.-Ph. Schreiber, Dictionnaire biographique des Juifs de Belgique. Figures du judaïsme belge. XIXe-XXe siècles, Bruxelles, 2002, pp. 276-281.
19 Bilan du 31 décembre 1900.
20 Voir J. R. de Souza Dias, Caminhos de Ferro no Rio Grande do Sul, Editora Rios, São Paulo, 1986, chap. 4 et 5, et E. A. Lassance da Cunha, op. cit., 2e partie : Viação Ferrea do Rio Grande do Sul.
21 Ch. Allègre, op. cit., mémoire de licence en histoire, ULB, 1997-1998, p. 64.
22 AIU/ICA, Brésil, 1.1, rapports de F. Nonnenberg à F. Philippson, 11.01.1902 et 15.01.1902.
23 AIU/ICA, Brésil, 1.1, rapport de G. Vauthier à F. Philippson, 8.10.1902.
24 Sur M. de Hirsch, voir J.-Ph. Schreiber, op. cit., pp. 166-167. Sur M. de Hirsch et la ICA, voir D. Frischer, Le Moïse des Amériques. Vie et œuvres du munificent baron de Hirsch, Paris, 2002, et S.-A. Rozenblum, Le baron de Hirsch. Un financier au service de l’Humanité, Paris, 2006.
25 S.-A. Rozenblum, op. cit., p. 254.
26 Ibid., partie II, « L’Amérique du Sud ».
27 L. Bach, « A Imigração judaica », dans Enciclopédia Rio Grandense, Canoas, Editora Regional, 1956, p. 272.
28 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de E. Lapine, 26.07.1903.
29 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettres de M. Abravanel, 18.06.1905 et 28.07.1905.
30 Actes du gouvernement, Décret nº 655, Archives du 1ø Regimento de Cavalaria, Brigada Militar do Estado do Rio Grande do Sul, Santa Maria. Cette brigade militaire loua en 1929, puis acheta en 1933 un tiers des terres de la colonie pour y faire paître ses chevaux. Qui y sont encore.
31 Exigence de la législation brésilienne de colonisation, loi nº 28, art.76.
32 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de E. Lapine, 8.10.1903.
33 AIU, rapport annuel de la ICA, année 1905 pour 1904.
34 AIU, rapport annuel de la ICA, année 1906 pour 1905. Ces rapports sont fidèles à la correspondance des directeurs, et les faits relatés sont en général confirmés par d’autres documents locaux.
35 Entretien de l’auteur avec Rosa Barasz Bronstein (née en 1916 et décédée en 2010), 2008.
36 Entretien de l’auteur avec Abraão (dit aussi Isaac) Axelrud/Ackeselrod (86 ans, né à la colonie), Santa Maria, le 8.12.2007.
37 Voir E. Polack, Artisans et paysans du Yiddishland 1921-1938, Paris, 2006.
38 J. Schweidson, op.cit., p. 6.
39 AIU, rapport annuel de la ICA, année 1902 pour 1901.
40 J. Schweidson, op. cit., p. 6.
41 AIU, rapport annuel de la ICA, année 1905 pour 1904.
42 E. Lassance da Cunha, op. cit., p. 251.
43 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de M. Abravanel, 24.01.1906.
44 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de O. Leibowitz, datée de Quatro Irmãos, le 27.11.1909.
45 AIU, repris dans le rapport de la ICA, année 1908 pour 1907.
46 E. Nicolaiewsky, Israelitas no Rio Grande do Sul, Editora Garatuja, Porto Alegre 1975 (1e éd.), p. 35.
47 Ibid., p. 36.
48 Ibid., pp. 36-37.
49 Archives de l’Instituto Cultural Judaíco Marc Chagall, Porto Alegre : Chouraqui, Annexe lettre nº 834, Londres, 11.01.1960, p. 4.
50 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettres de D. Hassan, respectivement datées des 31.08 et 12.09.1904.
51 La législation brésilienne précitée sur la colonisation ne favorise que les immigrants agriculteurs ou qui se destinent à l’agriculture.
52 Entretien précité avec I. Axelrud, faits longuement évoqués.
53 J. Schweidson, op. cit., p. 6.
54 E. Nicolaiewsky, op. cit., p. 25.
55 Entretien précité. I. Axelrud parle ici de Boris Wladimirsky, feldscher, arrivé plus tard, en juillet 1906.
56 Entretien accordé en décembre 2007, chez lui. Également membre de l’Académie brésilienne de lettres, Moacyr Scliar est décédé en février 2011.
57 Repris par Khalili en 2010 sur http://www.shtetlinks.jewishgen.org/philippson/resources.html. Côté hommes, 12 chefs de famille sur 37 ont moins de 40 ans, tous les autres ont la quarantaine, hormis les 10 qui ont 50 ans et plus, dont 6 plus de 55 ans. On compte 162 femmes et enfants.
58 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de E. Lapine, 12.06.1903.
59 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de M. Abravanel, 22.05.06.
60 E. Lassance da Cunha, op. cit., p. 244.
61 S.-A. Rozenblum, op. cit., p. 252.
62 Entretien de l’auteur avec Abraão (dit aussi Isaac) Axelrud/Ackeselrod (86 ans, né à la colonie), Santa Maria, le 8.12.2007.
63 E. Nicolaiewsky, op.cit., p. 45.
64 Entretien de l’auteur avec Abraão (dit aussi Isaac) Axelrud/Ackeselrod (86 ans, né à la colonie), Santa Maria, le 8.12.2007.
65 J. Schweidson, op. cit., p. 17.
66 Ibid., p 19.
67 Voir, par ex., E. Polack, Artisans et paysans du Yiddishland : 1921-1938, Paris, 2006.
68 E. Nicolaiewsky, op. cit., p. 38.
69 AIU, rapport annuel de la ICA année 1905 pour 1904.
70 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de M. Abravanel, 27.03.1905.
71 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de M. Abravanel, 27.03.1905.
72 E. Nicolaiewsky, op.cit., p. 38.
73 David Cazès dans son rapport repris par le rapport annuel de la ICA, 1908 pour 1907.
74 100 Anos de Amor. A imigração judaica na Rio Grande do Sul, Ed. Centenário – FIRG, 2004, Porto Alegre, p. 102.
75 Arquivo Histórico Municipal de la ville de Santa Maria, RS. O Estado du 10.08.1904 et O Combatente du 11.08.1904.
76 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de Abravanel, 30.05.05.
77 F. Alexandr’, op. cit., pp. 15-16.
78 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de Hassan, 19.10.04. Hassan est le seul à s’exprimer en anglais : « Special arrangements had been made at the hotel Veneza, a large deposit with wooden flooring was made into a bedroom with extra beds, etc. This families are very discontented with their treatment on board and were glad to leave this steamer. »
79 J. Schweidson, op. cit., p. 25.
80 Rapport de David Cazès suite à son inspection à la colonie, repris dans le rapport ICA, année 1908 pour 1907.
81 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettres de M. Abravanel, 23.02.07.
82 J. Schweidson, op. cit., p. 12.
83 Ibid., p. 25-26.
84 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettres de M. Abravanel, 16.10.05 et 16.01.06.
85 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettres de M. Abravanel, 16.01.06.
86 Ibid.
87 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de M. Abravanel, 4.09.1905.
88 Ibid., 29.11.1905.
89 Ibid.
90 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de M. Abravanel, 30.05.1905.
91 Ibid., 4.04.1906.
92 Ibid., 20.04.1906.
93 Ibid., 20.02.1906.
94 Ibid., 5.06.1906.
95 AIU, rapport annuel de la ICA, année 1907 pour 1906.
96 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de M. Abravanel, 26.01.1907.
97 AIU, rapport annuel de la ICA, année 1908 pour 1907.
98 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de M. Abravanel, 29.01.07.
99 J. Schweidson, op. cit., p. 31.
100 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de M. Abravanel, 5.01.08, ainsi que F. Alexandr’, op. cit., pp. 175-180.
101 AIU, rapport annuel de la ICA, année 1908 pour 1907.
102 Ibid., année 1906 pour 1905.
103 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de M. Abravanel, 19.12.1905.
104 Rapport de David Cazès, repris dans le rapport ICA année 1908 pour 1907.
105 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de M. Abravanel, 28.07.1905.
106 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettres de D. Hassan, respectivement du 20.09.1904, 12.10.1904 et 12.09.1904.
107 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettres de M. Abravanel, 13 et 30.05.1905.
108 Ibid., 24.01.1906.
109 Ibid., 10.02.1908.
110 F. Alexandr’, op. cit., p. 21.
111 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de A. Leibowitz, 23.06.1908.
112 Sur Léon Bach, voir ci-dessus.
113 E. Nicolaiewsky, op. cit., p. 47.
114 J. Schweidson, op. cit., p. 50.
115 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de M. Abravanel, 25.07.1906.
116 F. Alexandr’, op. cit., p. 29.
117 AIU, rapport annuel de la ICA, année 1907 pour 1906.
118 AIU, rapport annuel de la ICA, année 1906 pour 1905.
119 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de A. Leibowitz, 1.06.1908.
120 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de A. Leibowitz à la ICA, 10.02.1908.
121 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de A. Leibowitz à la ICA, 7.12.1908.
122 F. Alexandr’, op. cit., p. 33.
123 J. Schweidson, op.cit., p. 18.
124 Ibid., p. 47.
125 F. Alexandr’, op. cit., p. 131.
126 Ibid., p. 78.
127 Rapport de la ICA. 1906 pour 1905, p. 58.
128 AIU /ICA, Brésil 1.1, lettre de Abravanel à la ICA, 6.11.1905.
129 « Colons » [sic]. On doit sans doute comprendre : « Chefs de famille ».
130 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de A. Leibowitz, 4.11.1908.
131 Entretien précité de l’auteur avec I. Axelrud (86 ans, né à la colonie), Santa Maria, le 8.12.2007.
132 E. Nicolaiewsky, op. cit., p. 46.
133 J. Schweidson, op. cit., p. 28.
134 Ibid., p. 12.
135 Ibid., p. 95.
136 F. Alexandr’, op. cit., p. 79.
137 E. Nicolaiewsky, op. cit., p. 51.
138 Ibid., p. 38.
139 J. Schweidson, op. cit., p. 26.
140 AIU/ICA, Brésil, 1.1, lettre de A. Leibowitz, 21.06.1909.
141 D. Frischer, entretien avec l’auteur, juin 2010, ainsi que Id., Le Moïse des Amériques. Vie et œuvres du munificent baron de Hirsch, Paris, 2002.
142 Casa de Memória Edmundo Cardoso, Santa Maria – Archives personnelles contenant les copies-carbone de toute la correspondance de Pontremoli adressée à la ICA.
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Légende | Enfants juifs et chrétiens de l’école de la colonie Phillippson (1908) (paru dans J. Schweidson, Judeus de...) |
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Légende | Franz Philippson (1851-1929) |
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Titre | Les colonies Philippson |
Légende | Carte localisant les colonies Philippson et Quatro Irmãos le long de la ligne des chemins de fer du Rio Grande do Sul (paru dans Atlas des colonies et domaines de la Jewish Colonization Association en République argentine et au Brésil, Paris, 1914) |
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Titre | Le cimetière de la colonie Philippson aujourd’hui |
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Pour citer cet article
Référence papier
Evelyne Heuffel, « Philippson : une colonie juive exemplaire ? », Les Cahiers de la Mémoire Contemporaine, 10 | 2011, 35-76.
Référence électronique
Evelyne Heuffel, « Philippson : une colonie juive exemplaire ? », Les Cahiers de la Mémoire Contemporaine [En ligne], 10 | 2011, mis en ligne le 01 décembre 2019, consulté le 21 septembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cmc/443 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cmc.443
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