La caserne Dossin à Malines (1942-1944)
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- 1 Laurence Schram, La caserne Dossin à Malines 1942-1944 - Histoire d’un lieu, thèse de doctorat inéd (...)
- 2 Voir : J. Hakker, La mystérieuse caserne Dossin à Malines, le camp de déportation des Juifs, Anvers (...)
1La contribution ci-après se veut une présentation de la thèse de doctorat que j’ai menée sous la direction de Pieter Lagrou1, et qui avait pour objectif principal de combler le vide historique qui entoure la « mystérieuse caserne Dossin à Malines », comme la décrivait un témoin de l’époque2. Bien que ce lieu ait constitué l’un des rouages essentiels de la mise en œuvre du programme nazi d’élimination systématique et totale des Juifs d’Europe, son histoire est mal connue et n’a jamais été étudiée dans sa globalité. Son existence en tant que lieu de mémoire est récente et n’est pas encore intégrée dans la mémoire collective, au contraire du Fort de Breendonk, situé non loin de son implantation.
2Le 27 juillet 1942, la Sipo-SD (Sicherheitspolizei-Sicherheitsdienst), la police de sécurité du régime nazi, ouvre le camp de rassemblement pour Juifs (SS-Sammellager für Juden) dans la caserne Dossin à Malines. Sa fonction est uniquement génocidaire : rassembler les victimes des persécutions raciales en vue de leur “évacuation” à l’Est. Entre le 4 août 1942 et le 31 juillet 1944, 25.249 déportés de Belgique et du nord de la France (24.895 Juifs et 354 Tsiganes) sont envoyés à Auschwitz-Birkenau, qui est à la fois un centre de mise à mort et un complexe concentrationnaire. Etna Kolender, 92 ans, et Jacob Blom, 90 ans, faisaient partie des déportés les plus âgés. La plus jeune enfant juive déportée avait quarante jours, elle s’appelait Suzanne Kaminsky ; Jacqueline Vadoche, une petite Tsigane, n’avait quant à elle que 35 jours lorsqu’elle quitta Malines pour une “destination inconnue”. En 1945, seuls 1.252 de ces déportés raciaux ont survécu, soit plus ou moins 5 %.
3Malines est donc l’antichambre de la mort. Mais c’est également le lieu dans lequel il convient d’enraciner l’histoire du judéocide en Belgique et dans le nord de la France. Dans cette histoire habituellement désincarnée et délocalisée, on a accordé beaucoup d’attention à la réalité concentrationnaire d’Auschwitz-Birkenau. Pour plus de deux tiers des déportés, tout se passe entre la rampe de débarquement et les installations de gazage de Birkenau, entre l’arrivée et la mise à mort, et cette histoire-là tient en quelques heures. Or, le SS-Sammellager für Juden à Malines, à mi-chemin entre Bruxelles et Anvers, et à deux pas de l’Archevêché, est le lieu concret où les trajectoires de tous les déportés raciaux du territoire national ont convergé. Cette histoire méritait davantage d’attention qu’elle n’en avait suscité jusqu’ici.
4Les archives du camp n’ayant pas été conservées, à l’exception des listes de déportation et des enveloppes-reliques (documents personnels pris aux Juifs arrêtés et qui ont été conservés depuis avril 1943), la question de l’existence de sources relatives à l’histoire du SS-Sammellager s’est d’emblée posée. Cependant, tout au long de ma recherche, j’ai découvert une masse de documents inexploités, négligés et parfois inédits. Les sources indirectes (archives, témoignages oraux ou publiés, documents photographiques, objets, œuvres d’art), dispersées dans plus de trente centres de documentation ainsi que chez de nombreux particuliers, se sont révélées extrêmement riches, dépassant de loin toutes mes espérances.
5Cette profusion de sources multiformes m’a permis de rendre compte de l’histoire du SS-Samellager für Juden dans toute la diversité de ses aspects, et avec la nuance nécessaire.
La caserne Dossin : genèse du camp de rassemblement
6Jusqu’à la veille de l’invasion, la caserne Dossin abritait des bataillons d’infanterie de l’armée belge. Après la débâcle, le bâtiment est occupé par des militaires allemands et la Wehrmacht y parque pendant peu de temps des prisonniers de guerre alliés.
7À partir du mois de juin 1942, les décisions relatives à l’organisation de la déportation génocidaire se succèdent. À Berlin, Heinrich Himmler et Adolf Eichmann planifient les déportations des Juifs en concertation avec les responsables de la « solution finale » : Kurt Asche (Belgique), Theodor Dannecker (France) et Willy Zoepf (Pays-Bas).
8Le 11 juin 1942, chacun se voit conférer la mission de déporter son “quota” de Juifs. Kurt Asche est chargé de déporter, dans une première phase, 10.000 Juifs des deux sexes, âgés de 16 à 40 ans. On prévoit de pouvoir intégrer 10 % d’inaptes au travail (enfants et vieillards) aux transports. Le 22 juin, Eichmann communique l’ordre de Himmler d’entamer les déportations entre la mi-juillet et la mi-août. Le 9 juillet, Eggert Reeder, chef de l’Administration militaire en Belgique, obtient l’exemption temporaire des Juifs de nationalité belge de la déportation. Ces derniers représentent moins de 10 % de la population juive du pays. Le 15 juillet 1942, l’administration militaire charge le major-SS Philip Schmitt, commandant du camp répressif de Breendonk, d’installer dans la caserne Dossin à Malines le camp de rassemblement pour les Juifs. Vers le 20 juillet, avant même l’ouverture du camp, le quota des 10 % d’inaptes au travail est abandonné et les enfants et vieillards peuvent être incorporés sans restriction dans les transports de Belgique. La caserne Dossin est, pour l’utilisation prévue, un lieu évident et idéal. Ce bâtiment est une énorme construction organisée autour d’une cour carrée, où plusieurs camions peuvent aisément stationner. Il est assez vaste pour accueillir quelque 2.000 détenus. Situé à mi-chemin entre Bruxelles et Anvers, où résident plus de 90 % des Juifs du pays, il est longé par une ligne de chemin de fer. La proximité du SS-Auffanglager de Breendonk a sans doute aussi pesé dans ce choix. Malgré l’implantation du SS-Sammellager au cœur d’un quartier populaire de Malines et à deux pas du siège de l’Archevêché, l’occupant considère que ceci ne devrait susciter aucun émoi particulier parmi les habitants. La disposition des bâtiments formant la caserne permet aux gardiens d’exercer aisément un contrôle des détenus. En outre, en face de Dossin se trouve une caserne dans laquelle logent les hommes de la Wehrmacht, membres de la première garde extérieure du camp.
9Le camp de rassemblement est fonctionnel dès le 27 juillet 1942, jour où arrivent les premiers prisonniers.
Le commandement de Philipp Schmitt
10À Breendonk, Philipp Schmitt, membre du parti nazi depuis 1925, s’était forgé une réputation de terreur et de violence. Les SS louent son efficacité, mais cette position n’est pas partagée par l’Administration militaire, qui s’inquiète à l’idée des remous que pourrait susciter « l’enfer de Breendonk ».
Le commandement de Philipp Schmitt.
Le commandant Schmitt dans la cour de la caserne.
© Stadhuis Willebroek.
11Les cinq hommes désignés pour seconder Schmitt dans la mise sur pied du SS-Sammellager sont tous des membres de la Sipo-SD de Bruxelles et policiers judiciaires professionnels. De Breendonk, Schmitt emmène le SS-Obersturmführer (lieutenant) Rudolf Steckmann, qui fait office de commandant en second. Steckmann aide Schmitt à organiser le camp de rassemblement de Malines et, après son ouverture, en devient le commandant effectif en l’absence de Schmitt. Les autres hommes sont le SS-Untersturmführer (sous-lieutenant) Karl Meinshausen, les SS-Hauptscharführer (adjudants) Hans Rodenbusch et Hermann Reimann, le SS-Sturmscharführer (sergent-chef) Walter Kaiser et le SS-Sturmscharführer Max Boden. Deux SS allemands subalternes, Stark et Probst, complètent le cadre allemand du camp de rassemblement.
12Très peu nombreux, les SS allemands s’appuient d’abord sur la Wehrmacht pour assurer la garde extérieure du camp et, dès la fin novembre 1942, sur le SD-Wachgruppe (équipes de 24 à 36 hommes en rotation). Une douzaine de SS flamands du SD-Wachgruppe sont chargés de la surveillance interne du camp et du poste de garde. Ils font régner l’ordre parmi les internés depuis leur arrivée au camp jusqu’à leur embarquement dans les transports, et régissent la vie quotidienne. En tout, une soixantaine de SS allemands et flamands suffit à gérer le camp.
Les premiers prisonniers
13Le 22 juillet, au moins 160 voyageurs juifs, dont des femmes, sont arrêtés à la gare d’Anvers et envoyés à Breendonk. Ils sont transférés au camp de Malines le 27 juillet, quelques heures avant l’arrivée des premiers Juifs convoqués pour le “travail obligatoire”. Un certain nombre de ces personnes raflées sont intégrées à l’administration du camp de rassemblement.
14Le travail d’inscription des nouveaux arrivants sur les listes de transport, confié à des secrétaires juives, polyglottes, généralement jeunes et jolies, nous permet aujourd’hui de connaître avec précision les réalités de la déportation de Malines à Auschwitz.
15Le 4 août, le premier convoi quitte le camp pour Auschwitz-Birkenau. En l’espace de cent jours, deux tiers des Juifs du territoire qui sont déportés, convoqués pour le travail ou raflés lors d’opérations de masse, transitent par Malines avant d’être envoyés à Auschwitz. Leur passage par la caserne Dossin est d’abord souvent bref (une semaine en moyenne) mais, à partir de novembre 1942, la Sipo-SD met beaucoup plus de temps à former les transports. Les internés restent alors environ trois mois en moyenne au camp.
La Aufnahme
16Dès leur arrivée, les hommes, femmes et enfants juifs sont pris en charge par la Aufnahme, le bureau d’“accueil”, dirigé par Max Boden. Les prisonniers sont répartis en diverses catégories :
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les Transportjuden, immédiatement inscrits sur les listes de déportation ;
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les Juifs affectés à l’administration du camp, désignés par la lettre P (Stammpersonal) ;
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les travailleurs juifs (personnel d’entretien, porteurs de colis, électriciens), identifiés par la lettre W (Werkleute) ;
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les Juifs de nationalité belge, exemptés de la déportation jusqu’en septembre 1943, marqués de la lettre B ;
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les Mischlingen, considérés par l’occupant comme demi-juifs, et les Mischehen, des Juifs ayant contracté des mariages mixtes, respectivement identifiés au camp par les lettres ML et M ;
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les « cas douteux » (fausses cartes d’identité, faux certificats de mariage, de naissance, de nationalité, de baptême, d’aryanité), identifiés par un Z, signifiant Zweifelhaft (doute), ou par un E, pour Entscheidung (décision).
17Ces derniers sont soumis à une enquête du Bureau des Enquêtes raciques et généalogiques, annexe de la Sipo-SD, qui décide de leur déportation ou non.
18À la Aufnahme, les prisonniers reçoivent, en guise de document d’identité, une pancarte à porter autour du cou avec une ficelle, indiquant les informations relatives à leur transport ou à leur statut dans le camp.
- 3 J. Hakker, op. cit., p. 19.
19Les employées juives de la Aufnahme dressent les fiches individuelles, recopient les informations sur des listes de transport, saisissent les papiers des prisonniers. Certains témoignages font état de la destruction systématique des papiers d’identité, des documents personnels et des photos de famille pendant la période de commandement du major Schmitt. Jos Hakker, un évadé du XVIIIe convoi du 15 janvier, témoignait déjà dans la presse clandestine de 1943 : « J’ai vu, et c’est peut-être bien plus odieux, que toutes les photographies de femmes, d’enfants, de pères, de mères furent détruites ; tous les papiers d’identité, passeports, lettres, attestations furent saisis et déchirés. »3
20Dans une partie de la Aufnahme, isolée par des paravents, les hommes de la Brüsseler Treuhandgesellschaft (BTG) sont chargés de la saisie des biens des Juifs. Les nouveaux internés sont contrôlés jusque dans les moindres détails : les objets, bijoux ou valeurs dissimulés doivent être retrouvés. Cet examen corporel n’est pas systématique. Il s’applique à ceux que les SS soupçonnent de cacher des biens ou des valeurs ou qui leur apparaissent comme de fortes têtes, à mettre au pas dès le début. Les femmes constituent aussi des cibles privilégiées. Certaines internées doivent se dévêtir complètement afin de subir un examen approfondi. Au cours de cette fouille, les humiliations sont nombreuses. Leur registre est vaste : des insultes jusqu’aux attentats à la pudeur et aux attouchements. Le dirigeant corrompu de ce bureau est Erich Crull, un expert-compable allemand, qui n’est pas un SS, pas plus que son assistant, Albert Aelbers, un militant nazi flamand.
Conditions de vie
21Les Juifs sont parqués dans des chambrées. Les privilégiés (employés au sein de l’organisation de la caserne) ou les catégories spéciales (Stammpersonal, Werkleute…) occupent des salles encore équipées des meubles de l’armée belge (lits de fer, petites étagères, longue table et quelques chaises ou bancs). Ces chambrées comptent une soixantaine de personnes, le double de la capacité prévue, mais une population qui reste limitée en comparaison avec les chambrées des Transportjuden, qui s’y entassent à quatre-vingts ou cent. Lorsque le camp est surpeuplé, les internés dorment sur des paillasses à même le sol, et lorsque la chambrée est pleine, certains couchent dans les couloirs. La saleté règne et la vermine prolifère. Par mesure d’hygiène, fin 1942-début 1943, Schmitt fait construire des couchettes en toile sur encadrement en bois.
22Les conditions d’hygiène au SS-Sammellager sont mauvaises. Les installations sont largement insuffisantes, en particulier lorsque la population des internés s’accroît et que la durée moyenne d’internement s’étend à trois mois. Se laver, aller aux toilettes, faire la lessive, tout est réglementé. L’accès aux sanitaires est limité et gardé. De surcroît, la promiscuité y est constante. Tous ces éléments rendent compliqué et humiliant le maintien d’une hygiène élémentaire.
23Dans la seconde phase de l’histoire du camp de Malines, le commandant Frank tente d’améliorer les conditions de détention des Juifs. Mais avec l’espacement des convois et la surpopulation croissante, les problèmes d’hygiène et d’hébergement s’aggravent, de même que les maladies respiratoires, de peau et infantiles se répandent.
24La faim sévit dans la caserne Dossin. Les repas se composent généralement comme suit : le matin, un ersatz de café, un quart de pain, un peu de sucre, très peu de confiture ou de miel. À midi, les internés reçoivent la moitié à trois quarts de litre d’une soupe peu épaisse avec de rares légumes, souvent des choux, des pommes de terre et très peu de viande, quand il y en a. Enfin, le soir, la ration est de 225 gr. de pain par personne, avec soit « une cuillerée à dessert de sucre et une cuillerée de confiture avec du café », soit de la soupe. Les SS rognent encore davantage sur les rations prévues.
25Pour résoudre les problèmes d’approvisionnement, après les deux premières grandes rafles anversoises de fin août 1942, l’Association des Juifs en Belgique (AJB), la communauté obligatoire des Juifs créée sur ordre de l’occupant fin novembre 1941, est chargée par la Sipo-SD d’organiser un service-colis. Les internés juifs sont autorisés à demander des colis à l’extérieur du camp par le biais d’un formulaire que l’AJB transmet aux destinataires trois fois par semaine. Mais les détenus ne reçoivent jamais leurs colis intacts après le contrôle opéré au camp et il n’est pas rare que les paquets arrivent au camp après la déportation des demandeurs. À partir du 8 mai 1943, l’intervention du Winterhulp, le pendant flamand du Secours d’Hiver, améliore fortement le régime alimentaire, la soupe du soir étant bien plus consistante. Ces suppléments de nourriture sont indispensables aux internés.
26Les journées sont organisées selon un planning strict, mais les Juifs sont la plupart du temps confinés dans les chambrées : à 6 h., lever et passage aux Waschräume (les douches ou les lavabos) avant la distribution de nourriture. De 8 h. à 8 h. 30, il y a l’appel, la promenade et, souvent, la gymnastique. À 11 h. 30 est prévu le second repas avant le retour dans les chambrées. Trois heures plus tard, à 14 h. 30, encore un appel, puis le nettoyage des salles, des couloirs et des escaliers. Ensuite, à 16 h. 30, de nouveau la promenade pendant une demi-heure avant le dernier repas à 17 h. et le retour dans les chambrées. Enfin, entre 19 h. 30 et 21 h. 30, le coucher et l’extinction des feux.
27Quand les séjours se prolongent, les détenus luttent contre l’ennui et s’occupent comme ils le peuvent. Les livres et les jeux de cartes ou d’échecs sont très convoités. Des conférences, des concerts, des cours, des animations se tiennent, surtout dans les chambrées des privilégiés. Les artistes s’expriment, la vie religieuse s’organise clandestinement, des mariages sont célébrés, les enfants jouent.
Violence et humiliations
28Au SS-Sammellager, les humiliations et les mauvais traitements font partie du quotidien des détenus. Dès leur arrivée, les Juifs sont brisés moralement et physiquement, désindividualisés, déshumanisés, rendus dociles. Après la fouille à la Aufnahme, les insultes, les bousculades et les coups sont si fréquents qu’ils en deviennent banals pour les internés. Sous le commandement de Philipp Schmitt, les gardiens s’adonnent sans limites et en toute impunité à leurs instincts sadiques. La situation s’améliorera un peu sous le commandement de Frank. Les femmes et les Juifs religieux sont les victimes toutes désignées des SS. Les unes subissent des violences sexuelles, des attouchements et des attentats à la pudeur tandis que les autres sont molestés, rasés et tondus. À la veille du départ du VIIIe convoi du 8 septembre 1942, Schmitt organise une humiliation publique de Juifs religieux. Les SS rasent la moitié de leurs barbes et leurs papillotes avant de les affubler de croix gammées, de salir leurs vêtements rituels et de les obliger à danser et chanter. Cet événement est immortalisé sur quatre des rares photographies prises à l’intérieur du camp.
29À l’occasion d’une séance de gymnastique imposée aux prisonniers, Schmitt lâche son chien sur Hermann Hirsch, 20 ans, désigné pour le convoi XVIII. Le jeune homme gravement blessé sera hospitalisé pour une courte période à l’O.L.V. Gasthuis de Malines, où il sera amputé d’une jambe. Encore convalescent, il sera déporté par le convoi XXI, le 15 janvier 1943. Curieusement, Hermann Hirsch sera sélectionné pour le travail à son arrivée à Auschwitz et recevra le matricule 117.039. Il ne survivra pas à sa déportation.
30Paradoxalement, le seul décès causé par des mauvais traitements est enregistré alors que Frank est à la tête du camp. Bernard Vander Ham, un Juif « mixte » (Mischling) belge de 49 ans, est le souffre-douleur du SS Boden. Dans la nuit froide du 4 au 5 mars 1943, Vander Ham subit un contrôle des pieds à l’issue duquel il est battu et aspergé d’eau glacée par Boden et le SS flamand Poppe, tous les deux pris de boisson. Après quelques jours d’agonie dans sa chambrée, il est enfin admis à l’infirmerie du camp, où il succombe à une pneumonie le 5 avril 1943.
31Au SS-Sammellager, les SS peuvent humilier, battre ou torturer les internés, les faire souffrir impunément, mais pas les assassiner. Cet acte-là doit être perpétré au loin, à Auschwitz-Birkenau, à 1.200 km de Dossin. Le nombre de décès au camp (35) et à l’hôpital de Malines (22) est particulièrement bas : 57 morts sur près de 26.000 personnes en transit.
32Parmi eux, on compte les victimes d’un incident dramatique survenu au cours de l’arrestation de 145 Juifs belges à Anvers. Transportés dans un camion hermétiquement fermé, les prisonniers suffoquent. Une panne, au cours de laquelle les deux convoyeurs SS flamands abandonnent leur camion pour aller boire un verre, transforme le voyage en tragédie. Le trajet dure plus de deux heures au lieu des trente minutes prévues. À l’arrivée à Dossin, neuf personnes de 17 à 70 ans sont mortes.
33Soulignons donc que Dossin n’est ni un lieu de mort ni un cimetière juif. Le SS-Sammellager s’inscrit entièrement dans la procédure d’extermination, mais il n’en est que la salle d’attente.
Une résistance à Dossin ?
34S’il n’y a vraisemblablement pas de grand fait de résistance à l’intérieur du camp, la vie quotidienne des internés est parsemée de petits gestes plus ou moins risqués. La possibilité d’aider ses codétenus dépend évidemment de la durée de l’internement, du statut et de la fonction de l’interné au camp, de ses relations avec la hiérarchie SS et avec les autres internés. Dans le chef des privilégiés du SS-Sammellager, différentes attitudes vis-à-vis des simples internés sont constatées. Si certains font preuve de zèle dans les missions confiées par les Allemands, d’autres tentent, autant qu’ils le peuvent, d’alléger les souffrances des Transportjuden, parfois même de les aider dans leur tentative d’évasion. L’aide de non-Juifs extérieurs au camp se révèle par moment déterminante.
35Les attitudes vont de l’insoumission à la résistance : pratiquer le culte clandestinement, faire passer des courriers, fournir un surplus de nourriture, des soins ou des médicaments, saboter le travail, dissimuler des pièces compromettantes tirées des dossiers de cas douteux, falsifier la liste du Transport XX, laisser passer des objets “suspects” dans les colis, porter des coups aux SS, organiser des évasions en procurant des outils, en fermant mal les portes des wagons, en fournissant de l’argent aux candidats à l’évasion, etc.
36Malgré tout, il ne semble pas qu’une organisation de résistance formelle ait existé à l’intérieur du camp de rassemblement.
Les transports
37Le SS-Sammellager für Juden constitue le maillon entre l’Office central de Sécurité du Reich de Berlin, la Sipo-SD en Belgique et Auschwitz-Birkenau, le lieu de l’extermination des Juifs de l’Ouest. Car le camp de Malines n’a été organisé que dans un seul but : le rassemblement des Juifs en vue de leur assassinat. Au SS-Sammellager, la règle est la déportation. Le maintien ou le fait d’être relâché du camp est l’exception.
38Les dix-neuf premiers convois de Malines vers Auschwitz-Birkenau sont constitués de voitures de troisième classe. En réaction aux nombreuses évasions, notamment du XXe Transport, les déportations sont réorganisées. Les SS utilisent désormais, sous escorte renforcée, des wagons de marchandises ou des wagons à bestiaux et les départs se font le soir.
39Le trajet dure deux à trois jours, pendant lesquels les déportés souffrent de l’extrême promiscuité, de la faim et de la soif.
40Si pour la grande majorité des déportés, Auschwitz-Birkenau est la destination finale, 218 Juifs de nationalités particulières (Turcs, Hongrois, Espagnols) sont quant à eux déportés par des petits transports exceptionnels vers Ravensbrück, Buchenwald, Bergen-Belsen ou Vittel. Soumis à la déportation, ils sont cependant épargnés par la « solution finale ». 143 d’entre eux survivront à l’épreuve.
Les Tsiganes
41Au sein de la population d’internés, les Tsiganes occupent une place particulière. Les premières mesures visant à contrôler les populations tsiganes ne sont pas des inventions nazies. Elles relèvent de la politique intérieure menée par les gouvernements. La Sûreté de l’État, créée en 1839, ainsi que les polices locales et la gendarmerie sont chargées de cette tâche. En 1934, la Belgique participe d’ailleurs à la réalisation d’une grande banque de données européenne établie sur base des empreintes digitales.
42Les Tsiganes ne subissent pas de mesures spécifiques au début de l’Occupation, bien que l’arrêté de police du 12 novembre 1940 instaure un contrôle administratif et policier sur la population et interdit la présence d’étrangers, et donc des Tsiganes, dans des lieux stratégiques de Belgique. En avril 1941, leur présence à Anvers et dans les Flandres orientale et occidentale est proscrite, ce qui entraîne leur transfert dans d’autres provinces de Belgique ou leur expulsion du territoire. Les frontières se ferment et les activités économiques liées à leur nomadisme en pâtissent.
43En janvier 1942, les autorités belges contraignent tous les Tsiganes de plus de 15 ans à se munir d’une « carte de nomade/Zigeunerkaart », censée résoudre les fraudes au ravitaillement dont les Tsiganes se rendent fréquemment coupables. Ce document ne sera d’ailleurs abrogé qu’en 1975...
44Lorsqu’à partir de l’automne 1943, les nazis entament les déportations des Tsiganes de Belgique et du nord de la France, la « carte de nomade » permet d’identifier les Tsiganes, de repérer leurs lieux de campement et, dans un second temps, de procéder à leur arrestation, souvent avec l’aide des forces de police locales. Dès la fin octobre 1943, tous les Tsiganes pris au cours de ces actions sont amenés au SS-Sammellager.
45À la caserne Dossin, 351 Tsiganes sont inscrits sur la Transportliste Z (Z correspondant à Zigeuners). Deux femmes sont ajoutées au transport sans être répertoriées sur la liste.
46Exceptionnellement, la liste est réalisée par la Kripo, la police criminelle, spécialement venue à Dossin, ce qui ne constitue pas la seule particularité liée au sort réservé aux Tsiganes.
47Ils sont cantonnés dans une ou deux salles du premier étage, totalement isolés des autres détenus. Leur salle surpeuplée est fermée à clé et gardée par un SS. Leur promenade quotidienne est limitée à une heure. Une heure pénible, violente, humiliante : trois musiciens sont contraints de jouer alors que les femmes sont battues par les SS. À la fin de la promenade, ils sont ramenés et enfermés dans leurs chambrées. Privés des colis extérieurs de l’AJB, ils sont affamés. À plus de 100 par salle, ils dorment sur des paillasses et ne peuvent que rarement se rendre aux douches. Pour faire leurs besoins, ils ont des seaux. Une jeune femme enceinte sera tout de même transférée à l’hôpital Onze-Lieve-Vrouw Gasthuis de Malines pour y accoucher.
48Le 15 janvier 1944, 353 Tsiganes embarquent dans les wagons à bestiaux qui les déportent à Auschwitz-Birkenau. Le transport est joint au Transport XXIII de Juifs. Les déportés tsiganes ne sont cependant pas mêlés aux Juifs, les deux transports restant bien distincts. Le voyage dure trois jours dans des wagons à bestiaux sans sanitaires, avec trop peu d’eau et de nourriture. Une femme et un bébé meurent pendant le trajet et ce sont donc 351 Tsiganes qui sont enregistrés à Auschwitz-Birkenau. Contrairement aux Juifs, les Tsiganes ne passent pas de sélection, tous entrent au Zigeunerfamilienlager (camp pour familles tsiganes) de Birkenau après avoir été immatriculés. Ils sont tous inscrits dans un registre qui leur est réservé, le Zigeunerbuch.
49Le Zigeunerfamilienlager n’en reste pas moins un véritable mouroir constitué de trente-deux baraques où sont logés les Tsiganes et de six baraques sanitaires pourvues d’installations très rudimentaires. L’accès à l’eau est difficile et se procurer de l’eau potable est presque de l’ordre de l’impossible. Les Blocks sont surpeuplés. Les baraques en bois laissent passer les courants d’air et protègent à peine du froid. Le sol en terre battue se transforme en boue ou en glace. L’été, la chaleur y devient rapidement accablante. S’ajoutent à cela la saleté, la famine, les maladies, la férocité des Kapos, les expériences médicales, l’isolement et les travaux exténuants. Plus de la moitié de l’effectif du Transport Z est décimé en six mois. En moyenne, près de trente Tsiganes déportés de la caserne Dossin meurent chaque mois.
50En avril et en mai, les Tsiganes les plus résistants sont transférés de Birkenau vers Buchenwald, Ravensbrück ou Flossenburg. Les plus faibles restent à Birkenau jusqu’à la liquidation finale du Zigeunerfamilienlager, les 2 et 3 août 1944. Cette décision est visiblement prise dans le cadre de la déportation massive des Juifs de Hongrie. Le 8 mai 1945, il ne reste que trente-deux survivants, dont, fait exceptionnel, cinq enfants de moins de 15 ans.
51Steven Caroli est le 354e Tsigane passé par Dossin. Son parcours est tout à fait atypique. Né à Metz en 1925, il exerce les professions de vannier et de marchand de chevaux. Lors de son arrestation, le 2 mars 1944, il est curieusement domicilié au n° 2 de la place Poelaert, l’adresse du Palais de justice de Bruxelles. Sa famille a déjà été déportée le 15 janvier 1944. Il possède une fausse carte d’identité au nom d’Eduard Cogai. Soupçonné de mener des activités antiallemandes, il est pris par la Section V de la Sipo-SD et interné à la prison de Saint-Gilles. Finalement, la section V donne l’ordre de procéder le plus rapidement possible à sa déportation. Livré à Malines le 15 avril 1944, il en est déporté avec le Transport XXV, sur une liste tout à fait indépendante où seul son nom figure. Il y est identifié comme Tsigane. À l’arrivée à Auschwitz-Birkenau, il reçoit le matricule Z9.936 et est interné dans le Zigeunerfamilienlager. Transféré de Birkenau à Buchenwald le 3 août 1944, il passe encore par les camps de Dora, Ellrich et Bergen-Belsen avant d’être libéré par les troupes britanniques en avril 1945. Il est rapatrié en Belgique le 27 avril 1945.
L’univers concentrationnaire d’Auschwitz
52Auschwitz est le nom collectif désignant un ensemble de camps de concentration qui s’étend sur environ 40 km² et comprend 39 camps et Kommandos. Le camp principal est installé à Auschwitz, dans une ancienne caserne de l’armée polonaise. Il est principalement occupé par des prisonniers masculins.
53À Auschwitz comme ailleurs, les détenus sont répartis à l’intérieur du camp de concentration selon les motifs de leur détention. Un triangle de tissu de couleur les identifie : rouge pour les prisonniers politiques, vert pour les prisonniers de droit commun, rose pour les homosexuels, noir pour les asociaux, violet pour les Témoins de Jéhovah et jaune pour les Juifs.
54Au départ, les SS confient la direction à l’intérieur des camps de concentration aux détenus de droit commun, criminels et délinquants retirés du système pénitentiaire pour être versés dans le système concentrationnaire. Formant le sommet de la hiérarchie au sein des détenus, ces hommes constituent le premier groupe de Kapos. Les Kapos sont des prisonniers privilégiés chargés de faire respecter l’ordre et la discipline à l’intérieur du camp, là où les SS ne côtoient pas directement la masse des détenus. Les prisonniers de droit commun, choisis pour leur brutalité et leur corruptibilité, deviennent donc les auxiliaires des SS.
55À Birkenau, diverses catégories de déportés sont parquées dans un énorme camp de concentration essentiellement composé de baraquements de bois (1.000 personnes par baraque) : une partie est réservée aux hommes, une autre aux femmes (7.000 au Kommando Mexiko), une autre aux Tsiganes (23.000), plus tard des baraques sont réservées aux Juifs hongrois ainsi qu’aux 17.500 déportés amenés de Theresienstadt. Avec une capacité de l’ordre de 100.000 concentrationnaires, Birkenau-Auschwitz II fait également office de camp de concentration. Des médecins-SS y sélectionnent, dès l’arrivée des déportés, ceux qui seront immédiatement gazés et ceux destinés à l’extermination par le travail. À côté de ce camp, en dehors de son enceinte, se trouvent le centre de mise à mort et les installations de gazage.
56Le Bunker I (« Maison rouge ») est la première chambre à gaz de Birkenau. Environ 400 personnes pouvaient y être gazées en une Sonderaktion. Du printemps 1942 à l’été 1943, plusieurs dizaines de milliers de Juifs y ont été assassinés. Le Bunker II (« Maison blanche ») est la deuxième chambre à gaz de Birkenau, mise en route en juin 1942. 1.200 personnes pouvaient y être assassinées en une seule Sonderaktion.
57Les grandes chambres à gaz-crématoires II, III, IV et V, bien plus perfectionnées, ont fonctionné à partir de la fin mars 1943. Elles comprennent chacune une salle de déshabillage, une chambre à gaz et un four crématoire. Les installations IV et V avaient une capacité de gazage de 1.900 personnes par Sonderaktion, les installations II et III, de 3.000 personnes.
58De mars 1942 à mai 1944, quelque 500.000 déportés de toute l’Europe débarquent sur la, située en rase campagne entre les camps d’Auschwitz et de Birkenau. C’est à cet endroit que les déportés juifs subissent la sélection. Vingt-six des vingt-huit convois au départ de Malines se sont arrêtés là.
59Au printemps 1944, en prévision de la déportation massive de plus de 400.000 Juifs hongrois, la voie ferrée de la Judenrampe est prolongée jusqu’à l’intérieur du camp. Tous les convois arrivés entre mai et septembre 1944 à Birkenau, dont les deux derniers partis de Malines, se sont arrêtés sur cette nouvelle Bahnrampe, la plus connue.
60Sur les 1.100.000 victimes d’Auschwitz, on compte au moins 960.000 Juifs, soit 91 % du total, 70.000 Polonais, 21.000 Tsiganes, 15.000 prisonniers de guerre soviétiques et 15.000 de toutes autres nationalités et confessions.
61Auschwitz-Birkenau fait figure d’exception parmi les autres centres de mise à mort. Les Juifs qui y sont déportés ne sont pas tous immédiatement tués. Les revers militaires après la guerre éclair et la mondialisation du conflit forcent l’administration économique de la SS à utiliser la population des camps de concentration pour les besoins de l’économie de guerre. L’unité SS Totenkopf organise cette extermination par le travail.
62Une partie des déportés juifs aptes au travail sont envoyés dans le camp de concentration d’Auschwitz, où ils ne restent généralement pas plus de trois mois. Régulièrement, des sélections sont encore organisées parmi la population du camp. S’ils n’ont pas succombé aux conditions de vie extrêmes, ils sont envoyés dans d’autres Kommandos de travail ou transférés dans d’autres camps de concentration.
63Environ 130.000 détenus du camp de concentration d’Auschwitz-Birkenau sur 360.000 sélectionnés pour le travail sont décédés entre mai 1940 et janvier 1945. Le taux de mortalité moyen est de 36 %. À certaines périodes, le taux de mortalité atteint presque les 50 %, quand les prisonniers sont exploités au maximum ou quand la surpopulation aggrave les épidémies, entraînant une véritable hécatombe parmi les détenus.
64Mais ce sont les évacuations des camps et les marches de la mort qui constituent la période la plus meurtrière de l’histoire concentrationnaire. Devant l’avancée de l’Armée rouge, entre le 15 et le 18 janvier 1945, la direction du camp d’Auschwitz décide de l’évacuer.
65Tous les prisonniers en état de se déplacer doivent participer à la marche vers l’Ouest. 7.000 prisonniers environ sont abandonnés par les SS dans le complexe d’Auschwitz. La plupart (90 %) d’entre eux survivent jusqu’à la libération, le 27 janvier 1945.
66À l’heure où de larges parties d’Europe occidentale goûtent déjà à la Libération, les marches de la mort entraînent les déportés dans différents camps de concentration de l’intérieur. Du fait de la débâcle de l’Allemagne nazie, du dérèglement du système concentrationnaire, du manque d’approvisionnement, de la surpopulation et des épidémies, les déportés subissent lors de ces évacuations les plus terribles épreuves de leur captivité. Nombre d’entre eux n’y résistent pas et meurent avant les libérations d’avril et de mai 1945.
La libération du camp de Malines
67Dans la nuit du 3 au 4 septembre 1944, fuyant l’entrée des troupes britanniques dans la ville, les SS et leurs auxiliaires quittent à la hâte le camp de Malines. Les réactions devant cette soudaine liberté sont diverses. Les uns ne pensent qu’à sortir le plus vite possible. Des internés, qui se sont aventurés durant la nuit hors du bâtiment, y reviennent quelques heures plus tard après avoir croisé des soldats de la Wehrmacht ou assisté à des accrochages entre Allemands et Alliés. D’autres sont surpris, ne comprenant pas tout de suite qu’ils sont enfin libres. Si le soulagement et la joie n’éclatent pas en effusions, des détenus se rassemblent dans certaines chambrées pour prier. Des règlements de compte ont lieu. Des bagarres se déclenchent, des détenus privilégiés accusés d’accointance avec les SS subissent des représailles. Ceux qui se trouvent dans les cachots doivent encore patienter jusqu’à l’aube.
68Mais, cette nuit-là, nombreux sont les détenus qui préfèrent rester dans le camp. Ils ont peur et, désemparés, ne savent où aller. Leur entourage est dévasté, leurs biens confisqués et leur logement mis sous scellés et parfois déjà occupé par d’autres locataires. Rester à Dossin apparaît alors comme une solution sûre. À l’abri des murs de la caserne, ils se sentent plus en sécurité qu’à l’extérieur, où retentissent des échanges de tirs. Les réserves en nourriture du camp sont encore relativement bien garnies, les SS n’ayant pu tout emporter avec eux.
69Beaucoup ne quittent Dossin que dans la journée du 4 septembre. Des Malinois leur apportent de l’aide, les invitent chez eux. Ils offrent aux Juifs un lieu où loger, un repas. Le couvent de la Nokerstraat et l’hôpital Onze-Lieve-Vrouw Gasthuis accueillent, réconfortent, soignent et nourrissent les ex-détenus. Le matin du 4 septembre, des membres du Comité de Défense des Juifs (CDJ, groupe de résistance civile non armée au sein du Front de l’Indépendance) et de l’AJB arrivent en délégation, distribuent un peu d’argent pour que les ex-détenus puissent rentrer chez eux. Le lendemain, ils envoient des camions pour les ramener à Anvers ou à Bruxelles.
70Le camp n’a donc pas été libéré stricto sensu : aucun soldat, aucun résistant n’a libéré les détenus. Plus de 550 internés sont abandonnés, livrés à eux-mêmes par les SS sans qu’aucun combat n’ait été nécessaire. À l’exception de quelques membres du CDJ, personne ne s’est soucié du sort des internés.
71Enfin, la joie, les acclamations des Alliés et la fête de la Libération ne concernent pas les Juifs au même titre que les autres citoyens. Ils ignorent toujours ce qu’il est advenu de leurs proches qui ont été déportés. Très vite s’impose le constat de la dévastation de leur “monde” : leur famille est décimée, leurs biens spoliés, leur santé ruinée… Ils doivent tenter de se rétablir tant physiquement que psychologiquement. Traumatisés et affaiblis, ils doivent, avec des aides limitées, reprendre pied dans la vie sociale et économique, reconstruire une famille et une communauté.
Notes
1 Laurence Schram, La caserne Dossin à Malines 1942-1944 - Histoire d’un lieu, thèse de doctorat inédite, Université libre de Bruxelles, 2015 (directeur : Pieter Lagrou).
2 Voir : J. Hakker, La mystérieuse caserne Dossin à Malines, le camp de déportation des Juifs, Anvers, 1944.
3 J. Hakker, op. cit., p. 19.
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Titre | Le commandement de Philipp Schmitt. |
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Légende | Le commandant Schmitt dans la cour de la caserne. |
Crédits | © Stadhuis Willebroek. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cmc/docannexe/image/331/img-1.png |
Fichier | image/png, 394k |
Titre | La caserne Dossin à Malines dans les années 1950. |
Crédits | © Stadsarchief Mechelen |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cmc/docannexe/image/331/img-2.png |
Fichier | image/png, 458k |
Pour citer cet article
Référence papier
Laurence Schram, « La caserne Dossin à Malines (1942-1944) », Les Cahiers de la Mémoire Contemporaine, 12 | 2016, 99-117.
Référence électronique
Laurence Schram, « La caserne Dossin à Malines (1942-1944) », Les Cahiers de la Mémoire Contemporaine [En ligne], 12 | 2016, mis en ligne le 05 novembre 2019, consulté le 21 septembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cmc/331 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cmc.331
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