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Les dichotomies en histoire des femmes : un défi

Challenging Dichotomies : Perspectives on Women’s History
Gisela Bock
Traduction de Sébastien de Villèle
p. 53-88

Résumés

L’article traduit pour Clio HFS est le premier chapitre de Writing Women’s History : International Perspectives (1991), premier ouvrage édité par La Fédération internationale pour la recherche en histoire des femmes née en 1987. Il dissèque six dichotomies qui ont permis ou permettent encore de penser les relations entre hommes et femmes et l’écriture de leur passé. Si les trois premières (nature/culture, travail/famille, public/privé), profondément inscrites dans la culture occidentale moderne et source de hiérarchies et d’exclusions, ont été à la fois utilisées et contestées par les historiennes des années 1970 et 1980, trois nouvelles ont surgi des débats intellectuels et politiques (sexe/genre, égalité/différence, intégration/autonomie). Ces nouvelles dichotomies doivent être aussi déconstruites et dépassées, pour aller de l’avant sur le plan politique et historiographique.

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Notes de la rédaction

Traduit ici pour Clio HFS, « Challenging Dichotomies » de l’historienne allemande Gisela Bock a été publié en 1991 dans Writing Women’s History : International Perspectives1, premier ouvrage édité par La Fédération internationale pour la recherche en histoire des femmes, organisation née en 1987 après de longs efforts menés par plusieurs chercheuses de divers pays2. Précieux témoignage et jalon dans l’histoire de l’histoire des femmes, cet ouvrage rassemble des contributions théoriques et méthodologiques, ainsi que des articles présentant un état des lieux historiographique dans les dix-neuf pays présents à la Conférence de Bellagio organisée en 1989. Permettant une lecture comparative, il souligne le caractère international du champ de recherche et l’importance des réseaux transculturels de chercheuses. Il met aussi en évidence la portée critique de l’histoire des femmes et du genre, qui a toujours réfléchi à son mode d’écriture.
Premier chapitre de l’ouvrage, la contribution de Gisela Bock s’appuie sur une large connaissance des controverses féministes et des historiographies occidentales en histoire des femmes. Elle dissèque six dichotomies qui ont permis ou permettent encore de penser les relations entre hommes et femmes et l’écriture de leur passé. Si les trois premières (nature/culture, travail/famille, public/privé), profondément inscrites dans la culture occidentale moderne et source de hiérarchies et d’exclusions, ont été à la fois utilisées et contestées par les historiennes des années 1970 et 1980, trois nouvelles ont surgi des débats intellectuels et politiques (sexe/genre, égalité/différence, intégration/autonomie). Elles doivent être aussi déconstruites et dépassées, programme inachevé à ce jour. Particulièrement stimulant intellectuellement et politiquement, le propos, qui a fait date, a été repris dans d’autres ouvrages anglophones3 et traduit en plusieurs langues4.

Texte intégral

  • 5 Lerner 1979 : 3. Ce travail reprend une communication présentée à la conférence « Strategies for W (...)

1L’histoire des femmes a déjà parcouru un long chemin. Il y a une vingtaine d’années, Gerda Lerner écrivait que « le trait saillant de l’historiographie des femmes est que les historiens négligent en général de s’intéresser à ce sujet »5. Le savoir historique, loin d’avoir été « objectif » ou « universel », a longtemps reposé sur l’expérience masculine. L’homme en constituait le centre et était la mesure de tous les faits humains, ce qui excluait de fait la moitié de l’humanité. Au cours des vingt dernières années, la situation a beaucoup changé. Les femmes sont maintenant au cœur d’un nombre considérable, et sans cesse croissant, de publications qui les ont rendues visibles. Elles y sont placées au centre, et leurs activités, leurs devoirs et leurs aspirations ont été reconsidérés au gré de changements sociaux, politiques et culturels, dans la perspective d’une amélioration de leur condition et, plus généralement, d’une évolution qui leur octroie davantage de liberté et de justice. Pour être plus précis encore, en faisant des femmes un sujet d’étude, on a rendu historiquement visible leur sujétion. On a également mis au jour leur subjectivité – parce que les femmes ne sont pas seulement des victimes et qu’elles façonnent activement leur propre destin, ainsi que la société et l’histoire.

2Une grande partie de ces recherches, en particulier en histoire, se sont inscrites, ces deux dernières décennies, dans trois cadres conceptuels ou théoriques dont les grandes lignes seront exposées dans la première partie de ce travail. Ces cadres conceptuels mettent en évidence trois dichotomies dans la pensée traditionnelle des relations de genre, toutes trois à la fois mises en œuvre et profondément remises en question. La seconde partie de cet article présentera trois autres dichotomies, issues des récents développements de l’histoire des femmes, qui semblent actuellement dominer et orienter ce champ d’étude. Chacune de ces dichotomies a fait débat au niveau international, à des degrés divers. Pourtant, à l’échelle nationale, subsistent certaines spécificités intéressantes dans la teneur comme dans la chronologie des débats. On notera en particulier que certaines évolutions terminologiques en découlent directement. Ces variations sont, bien entendu, différentes suivant les pays, mais elles montrent aussi à quel point l’histoire des femmes et les études sur les femmes ont réussi à traverser les frontières.

Les femmes comme sujets, la sujétion des femmes et leur subjectivité

  • 6 Ortner 1974 : 72 ; la citation est de Pateman 1987a : 110.
  • 7 Voir Pomata 1983 ; Strathern 1987.

31. Nature versus culture. C’est surtout aux États-Unis, au début des années 1970, que les relations entre les sexes ont été examinées en termes de rapport, ou plutôt de dichotomie entre « l’inné et l’acquis » ou entre « la nature et la culture ». Jusqu’alors, on pensait que les hommes et leurs occupations relevaient de la culture et avaient une valeur culturelle, tandis que les femmes et leurs occupations étaient perçues comme naturelles, immuables, situées hors de l’histoire et de la société et, par conséquent, qu’elles n’étaient pas dignes d’intérêt ni susceptibles de susciter des recherches universitaires, politiques ou théoriques. Les relations entre les sexes et plus particulièrement leurs rapports de pouvoir et de soumission étaient attribués à la nature. Dans ce contexte, la « nature » désignait le plus souvent la sexualité entre les hommes et les femmes, le corps des femmes et leur prédisposition à la grossesse et à la maternité. La paternité, elle, n’était généralement pas vue comme naturelle mais comme « sociale ». Des chercheuses ont toutefois remis en question cette dichotomie traditionnelle. Elles ont affirmé que la référence à la « nature » permettait surtout une dévaluation de tout ce que la femme représentait, que la « ‘nature’ a toujours une signification sociale »6, que la signification des deux termes « nature » et « culture » a beaucoup varié selon les époques, les endroits et les sexes, et que le corps des femmes avec ses attributs n’a pas toujours été considéré en tout lieu comme un handicap, mais qu’il a également constitué le fondement de certaines formes de pouvoir informel et d’activités publiques7. La dichotomie nature/culture a ainsi été reconnue comme une façon spécifique – et peut-être spécifiquement occidentale – d’exprimer les hiérarchies entre les sexes. Les termes binaires de cette dichotomie ne sont antagonistes et indépendants qu’en apparence ; ils font en fait référence à une hiérarchie de réalités sociales et de significations culturelles entre des termes fortement interdépendants. Autrement dit : il n’y a pas de nature sans culture, pas de culture sans nature. L’une des conséquences langagières de ce type d’intuition pour l’histoire des femmes, c’est qu’aujourd’hui, on écrit presque toujours « nature » avec des guillemets.

  • 8 Knibiehler 1980 ; Laget 1982 ; Thébaud 1986 ; Suleiman 1986.
  • 9 Voir, par exemple, le numéro hors-série de Signs. Journal of Women in Culture and Society, 6-1, 19 (...)
  • 10 Perrot 1984 ; Dauphin et al. 1986.

4De nombreux travaux importants se sont consacrés à l’étude de domaines spécifiquement féminins comme l’identification des femmes à la nature, leur corporéité et leurs activités corporelles (accoucher, allaiter et s’occuper des enfants). Ce sont des chercheur-e-s français-es qui, les premier-e-s, ont écrit sur l’histoire de la maternité. Plus récemment, on a montré à quel point la recherche sur le corps féminin est conditionnée par le contexte historique et combien elle dépend du contexte culturel8. C’est précisément à partir de la spécificité de cette expérience féminine que certaines philosophes féministes, surtout en France, ont construit des cadres théoriques et leur approche suscite un grand intérêt et de nombreuses controverses aux États-Unis9. Face à cela, certaines historiennes françaises, et d’autres, avancent l’idée que cette attention accordée à la « nature » des femmes pourrait avoir un effet contre-productif d’un point de vue politique, parce qu’elle semble renforcer les stéréotypes traditionnels selon lesquels les femmes seraient exclusivement définies par leur corps, par la maternité et par leur sexe, et parce qu’elle sous-estime l’importance des dimensions politiques de l’histoire des femmes10.

  • 11 Dalla Costa & James 1975 ; Malos 1980 ; Goldschmidt-Clermont 1982 ; Cass 1985. L'analyse du travai (...)
  • 12 Deacon 1985 ; Higgs 1987 ; à propos des recensements français, voir Martin 1987 ; sur les revendic (...)

52. Travail versus famille. Un second cadre théorique a permis de rendre les femmes visibles et de démonter le processus de leur identification avec ce qui est naturel, immuable et par conséquent sans intérêt. Il s’agit de la question du travail. Le débat trouve davantage ses origines en Europe qu’aux États-Unis, en particulier en Italie, en Grande-Bretagne, en Allemagne et en France. Alors que l’on avait considéré jusqu’alors que mettre au monde, élever et s’occuper des enfants, prendre soin d’une famille et d’un mari qui ramène de l’argent au foyer, relevait de la nature, on s’est mis à envisager qu’il s’agissait d’un travail. Qualifier ces activités de « travail » revient à mettre en cause la dichotomie « travail/famille » (puisque la famille peut être synonyme de travail pour les femmes), mais aussi celle de « travail/loisir » (puisque les loisirs des hommes peuvent s’avérer être du travail pour les femmes), et celle d’« hommes au travail/épouses entretenues » (puisque les épouses épaulent leur mari par leur travail). Cela veut dire qu’il faut remettre en question l’idée selon laquelle seule la tâche que l’on effectue en échange d’un salaire est un véritable travail. Les femmes ont toujours travaillé et, s’il y a eu un travail qui n’était pas payé, et ne l’est toujours pas, c’est bien le travail des femmes. De toute évidence, on valorise beaucoup plus le travail des hommes que celui des femmes. D’un point de vue économique et théorique, on a démontré la sous-évaluation du travail des femmes par les théoriciens (hommes) du travail et de l’économie et l’on a mis en évidence les raisons pour lesquelles ils lui ont accordé si peu d’importance ; de ce fait, on s’est mis à débattre de la valeur ou « productivité » du travail domestique11. D’un point de vue historique, on a montré à quel point le travail domestique a évolué à travers le temps et selon les cultures. Jusqu’à la fin du xixe siècle, dans les recensements effectués en Grande-Bretagne et en Australie, par exemple, les femmes au foyer étaient comptabilisées dans la catégorie « population active », puis elles en furent exclues ; à peu près à la même époque, en Allemagne et dans d’autres pays, les féministes radicales demandèrent que leur travail soit pris en compte dans l’estimation du Produit National Brut12.

  • 13 Kessler-Harris 1982 ; Matthaei 1982 ; John 1986 ; Curthoys 1988.
  • 14 Voir la recension de publications récentes sur la Grande-Bretagne et les États-Unis par Regina Mor (...)
  • 15 Hilda Scott 1984 ; Fischer 1982 ; Cass 1988.

6On a découvert que la division sexuelle du travail n’est pas seulement une division du travail, mais aussi une hiérarchie et une division sexuelle de la valeur et des récompenses attachées au travail. Aujourd’hui, la dévalorisation du travail des femmes perdure dans les emplois extérieurs à la sphère domestique, en raison de facteurs économiques et culturels. Alors que les femmes ont toujours travaillé, elles ne gagnaient que 50 % à 80 % du salaire des hommes dans les pays occidentaux aux xixe et xxe siècles, avec des variations dans le temps et l’espace13. L’emploi des femmes dans les professions sanitaires et sociales, où elles représentent une écrasante majorité, ne leur garantit généralement pas un revenu décent14 : la grève récente des infirmières en Allemagne de l’Ouest (1989) en est un exemple parmi d’autres. Dans tous les pays, l’augmentation récente du nombre de mères célibataires a conduit à une « féminisation de la pauvreté », qui dépasse le niveau traditionnellement élevé de la pauvreté féminine15.

7La dichotomie apparente entre travail et famille, entre hommes travailleurs et femmes « qui ne travaillent pas » se révèle être une dichotomie entre le travail non-payé et le travail payé, entre le travail sous-payé et le travail décemment payé, entre la valeur supérieure accordée au travail masculin et la valeur inférieure accordée au travail féminin. L’hypothèse sous-jacente d’une supériorité et d’une infériorité mutuellement exclusives semble être une autre caractéristique commune à de telles dichotomies liées au genre. Le fait que les études sur les femmes remettent en question cette opposition est, bien entendu, lié à des enjeux politiques et économiques qui consistent à faire rétribuer le travail des femmes jusqu’ici non-payé, à augmenter leurs salaires dans les emplois faiblement rémunérateurs, et à faire croître la part des femmes au sein des professions bien payées. Cela entraîne également des changements lexicaux. Même si, en anglais, les termes working women et working mothers sont toujours réservés aux seules femmes qui ont un employeur, tandis que les femmes qui n’en ont pas sont encore qualifiées de non-working, les termes « travail » et « famille » sont maintenant souvent remplacés par « travail payé » et « travail non-payé ». En allemand, les historiens des femmes ont toujours fait une distinction entre « travail » et « activité rémunérée », Arbeit et Erwerbstätigkeit. Aussi le terme Arbeitslosigkeit [le chômage, littéralement : « le fait d’être privé de travail »] a-t-il été remplacé par celui d’Erwerbslosigkeit [« le fait d’être privé de salaire »].

  • 16 Pateman 1988, surtout le premier chapitre.
  • 17 Davidoff & Hall 1987 ; Prochaska 1980 ; Sachße 1986.
  • 18 Pateman 1987b. Voir également Lewis 1983 ; Baldock & Cass 1983 ; Holter 1984 ; Dale & Foster 1986  (...)
  • 19 Pour cette théorie politique, les auteurs de la loi de stérilisation nationale-socialiste de 1933 (...)

83. Public versus privé. Un troisième cadre conceptuel de l’histoire des femmes renvoie à la relation entre le public et le privé, ou entre le politique et le personnel, ou entre la sphère du pouvoir et celle des affaires domestiques. Là encore, la théorie politique classique considère que ces termes sont dichotomiques et qu’ils s’excluent mutuellement, renvoyant respectivement à une « sphère » féminine et à un « monde » masculin. Les études sur les femmes remettent radicalement en cause cette perspective, en mettant en évidence que cette théorie traditionnelle est dans l’incapacité de donner des clefs de compréhension de la politique et de la société. Le slogan « le privé est politique » donne à entendre que la question du pouvoir n’est pas confinée dans les « hautes sphères politiques », mais qu’elle est également présente dans les relations sexuelles. Alors que les hommes habitent et commandent les deux sphères, les femmes n’auraient leur place que dans la seule sphère domestique et dans la sujétion au père ou au mari. D’une part, cette dichotomie ne porte pas sur deux sphères autonomes, symétriques et équivalentes, mais plutôt sur une relation complexe qui oscille entre domination et subordination, entre pouvoir et impuissance16. D’autre part, le « monde » public repose avant tout sur la « sphère » domestique. Les hommes, qu’ils soient ouvriers, hommes politiques ou chercheurs, n’accomplissent leurs tâches que parce qu’ils ont été mis au monde, élevés et choyés grâce au travail des femmes. Les frontières entre public et privé varient de manière significative dans le temps et selon les cultures, comme cela fut le cas au moment de la transition historique entre la charité privée et l’assistance publique, au sein desquelles les femmes ont joué des rôles importants17. Les politiques étatiques n’ont pas laissé les femmes de côté, mais elles ont façonné leurs situations personnelles par le biais de politiques publiques, par exemple avec la législation sur le viol et l’avortement, mais aussi par l’absence de lois. Les États-providence modernes ont établi des discriminations envers les femmes qui touchent des pensions de retraite ou des indemnités de chômage ; pour les femmes qui travaillent, ils ont instauré des congés de maternité sans compensation de salaire – en Europe, cela a changé en grande partie grâce aux luttes menées par les mouvements féministes à partir des années 1900 – tandis que les réformes de l’impôt sur le revenu ont constitué un soutien pour les maris et les pères, mais pas pour les épouses ni pour les mères18. L’État-providence n’a pas rejeté la sphère des femmes, mais il l’a assimilée à la sphère privée, la plaçant de facto sous l’autorité du mari. Le régime nazi est allé bien plus loin puisque sa politique tendait à détruire la sphère privée ; non pas toutefois, comme on le dit souvent, en encourageant la maternité, mais en prônant exactement le contraire : une politique de stérilisation de masse des femmes et des hommes que l’on jugeait « de race inférieure ». Cette politique antinataliste reposait de manière explicite sur la doctrine suivant laquelle « le privé est politique » et soutenait que la définition de la frontière entre le politique et le privé était un acte politique19. Pour les nazis, c’est cette politique de stérilisation qui établissait et affermissait « la primauté de l’État dans les domaines de la vie quotidienne, du mariage et de la famille ».

  • 20 Offen 1984 et 1987 ; Blair 1980 ; Epstein 1981 ; Baker 1984, en particulier : 646 ; Ladd-Taylor 19 (...)
  • 21 Lamphere & Rosaldo 1974 : 37-38 ; Smith-Rosenberg 1985 ; Kerber 1988 ; Banner 1985.

9L’histoire des femmes a également établi que ce qui est perçu comme « privé » par certains peut être considéré comme « public » par d’autres. Au début du mouvement féministe, beaucoup de femmes soutenaient que mettre au monde et élever les enfants, par exemple, revêtaient une importance publique. Elles demandaient que ces tâches domestiques soient réévaluées et beaucoup d’entre elles fondaient leur aspiration politique à devenir des citoyennes égales aux hommes précisément sur cette conception d’une « sphère séparée », comprise non pas comme une dichotomie entre des termes hiérarchisés et mutuellement exclusifs, mais comme une source d’égalité de droits et de responsabilités pour le sexe féminin à l’égard de la société civile20. Ce n’est pas tant la division sexuelle du travail que la division sexuelle du pouvoir qu’elles contestaient. Dans le même ordre d’idée, l’anthropologue Michelle Zimbalist Rosaldo (aujourd’hui décédée) faisait remarquer que les femmes étaient en mesure de remettre en cause la domination masculine – ce qu’elles ont fait –, soit en cherchant à pénétrer la sphère spécifiquement masculine, soit en réaffirmant la valeur de leur propre sphère, et parfois en adoptant les deux approches. Les historiennes des femmes observent également que la version traditionnelle du xixe siècle – ou version victorienne – de la sphère féminine séparée ne peut être uniquement décrite comme une forme d’oppression dans la mesure où elle laissait une place importante à l’amitié entre les femmes et au développement d’une culture féminine qui était une expression de la subjectivité des femmes21.

10Ces trois dichotomies semblent avoir d’importantes caractéristiques communes. Elles sont éminemment liées au genre et, comme telles, elles plongent leurs racines dans un passé européen et occidental lointain. Elles ont été adoptées et ont servi de cadres conceptuels essentiels à l’histoire des femmes de ces dernières décennies alors même que, simultanément, leur apparente validité et pérennité dans la perception des relations de genre étaient profondément remises en cause. Cette remise en cause concerne l’analyse, l’historicisation et la déconstruction de la nature et de la signification de ces trois couples de catégories, ainsi que leurs connexions ; elle interroge également la légitimité de l’hypothèse traditionnelle selon laquelle ces dichotomies sont des expressions – naturelles et nécessaires – de la différence sexuelle.

  • 22 Par exemple, Habermas 1962.

11Une question se pose : celle de savoir si ces dichotomies ne constituent que quelques exemples parmi de nombreux cas similaires d’oppositions binaires et de modes dualistes de pensée de la tradition occidentale en général, ou si le fait qu’elles soient liées au genre leur donne un statut particulier. Bien entendu, d’autres dichotomies classiques, comme « subjectif/objectif » ou « rationnel/émotionnel », possèdent également des significations qui sont liées au genre, même si toutes n’ont pas joué un rôle central dans le cadre d’analyses historiques. D’un autre côté, les dichotomies dont il est question plus haut peuvent également être étudiées dans des contextes qui ne sont pas d’emblée liés au genre22. Cependant, il semble qu’à chaque fois qu’elles sont utilisées pour décrire les relations de genre, ces dichotomies ne font pas tant référence à deux sphères équivalentes, séparées et autonomes, qu’à des relations de hiérarchie : hiérarchies de sphères, de significations, de valeurs, d’infériorité et de supériorité, de subordination et de pouvoir – bref, des relations où la « culture » assujettit la « nature », où le monde du « travail » règne sur celui de la « famille » et où le « politique » domine le « privé ».

  • 23 Jay 1981 : 44

12Si l’on se réfère aux règles de la logique, ces dichotomies apparentes ne sont pas composées de termes contradictoires qui s’excluraient mutuellement, comme lorsque A n’est pas B et B n’est pas A (la femme n’est pas l’homme, et vice versa). Au lieu de cela, ces dichotomies apparentes sont (vraiment) des contraires, en ce sens qu’elles peuvent coexister librement, et/ou coexister avec C (comme alternatives aux attributions dichotomiques) et que toutes peuvent avoir une réalité concrète. Les théoriciens du patriarcat ont construit ces dualismes à partir d’un modèle dont les termes sont des opposés contradictoires logiques : il y est impossible de combiner A et non-A, car ce qui définit non-A, c’est sa privation par rapport à A, c’est-à-dire son manque de A. Par leur rigidité, ces termes opposés contradictoires n’autorisent aucune des deux alternatives (tertium non datur) [le troisième n’est pas donné] ; ni d’interversions, comme l’attribution de non-A à l’homme et de A à la femme. Par exemple, quand la notion de genre est construite selon un modèle d’opposés binaires qui s’excluent mutuellement, si les hommes sont définis par leur caractère rationnel, alors les femmes sont définies par une absence de rationalité. Dans cette construction, pour que la femme adopte la rationalité, elle doit commencer par assimiler la norme masculine et doit donc commencer par cesser d’être une femme. En revanche, les contraires permettent de multiples alternatives. Des féministes comme Nancy Jay font remarquer que « de simples distinctions contraires ne sont pas éternellement liées à une structure dichotomique et, qu’en tant que dichotomies, elles ont une portée limitée »23. Par conséquent, il semble utile de faire une distinction plus claire entre les dichotomies qui impliquent hiérarchie et exclusion mutuelle et les contraires, distinctions ou différences, qui ne sont ni hiérarchisés ni exclusifs l’un de l’autre. Par dessus tout, il est nécessaire de se garder des pièges historiques et politiques qu’une certaine sensibilité à la primauté d’oppositions binaires de type dichotomique engendre dans les discours sur le genre.

Égalité de genre, différence sexuelle et autonomie des femmes

13De manière ironique, le processus par lequel les femmes sont devenues visibles dans le champ de l’histoire (mais pas seulement là) au travers de la critique de ces termes contradictoires est en quelque sorte le même que celui qui a débouché sur un certain nombre de dichotomies nouvelles, dont on ne parlait guère quand se sont développées les premières études sur les femmes et qui, plus tard, ont été mises en avant dans le contexte du savoir féministe lui-même. Ces dichotomies sont en partie le fruit de travaux antérieurs qui ont tenté de résoudre les anciens modes binaires de pensée en s’appuyant sur des concepts et des cadres théoriques nouveaux. Il est probable que l’histoire des femmes trouvera de nouvelles voies précisément en prenant acte de la possibilité et de la nécessité de remettre en cause ces nouvelles dichotomies.

  • 24 Oakley 1972 ; Rubin 1975 ; Joan Scott 1986.
  • 25 Voir, par exemple, Grosz, 1986b : 194. Sur « l’histoire des hommes », voir Morgan 1989 ; Banner 19 (...)

141. Sexe versus genre. C’est dans les années 1970 que le concept de « genre » a été introduit dans l’histoire des femmes et les etudes sur les femmes comme une catégorie sociale, culturelle, politique et historique, afin d’exprimer l’idée que la subordination, l’infériorité et l’impuissance des femmes ne sont pas dictées par la nature, mais sont des constructions sociales, culturelles, politiques et historiques. Le « genre », un terme qui, jusque-là, renvoyait surtout à des constructions linguistico-grammaticales, est devenu un cadre théorique de tout premier ordre24. Ce qui explique en partie la substitution réussie du mot « sexe » par le mot « genre », c’est que ce dernier permet d’insister sur le fait que les études sur les femmes s’occupent non seulement de la sexualité, de la condition des femmes mariées et de la maternité, mais qu’elles s’intéressent à tous les autres aspects de leur vie. Ces études ne concernent pas seulement la moitié de l’humanité, mais sa totalité, parce que les femmes ne sont pas les seules à être genrées : les hommes le sont également, et ces derniers sont donc loin de représenter l’humanité tout entière. Par conséquent, une « histoire des hommes » et des « études sur les hommes », deux disciplines qui étudient les hommes en tant qu’« hommes », ont vu le jour. Le concept de « genre » a radicalisé et universalisé les efforts qui visent à améliorer la visibilité des femmes, et l’idée que le genre est une structure fondamentale mais flexible de la société signifie que les études sur les femmes et le genre s’intéressent, en principe, à n’importe quel champ ou objet du savoir historique (et non-historique)25.

  • 26 Stoller 1964 ; voir en particulier Haraway 1991 (consulté avant publication).

15Mais cette nouvelle terminologie a également fait surgir des problèmes majeurs qui résultent du fait que le concept de genre a d’abord été introduit sous la forme d’une dichotomie avec une distinction nette entre genre et sexe – « sexe » référant au « biologique » et « genre » au « social » et culturel, les deux se combinant dans un « système sexe/genre » où le « sexe biologique brut » est en quelque sorte transformé en un « genre social ». La structure dichotomique de ces deux termes est évidente depuis la fin des années 1950, époque à laquelle, avant même d’être reprise par les études féministes, elle a été théorisée par des chercheurs hommes qui ont étudié les personnes intersexuées et les transsexuels26. Mais cette dichotomie entre le « biologique » et le « social » ne résout pas la vieille querelle nature vs culture : elle se contente de la reformuler. Là encore, elle relègue la dimension du corps de la femme, de la sexualité, de la maternité et de la différence sexuelle physiologique à une soi-disant sphère présociale. Elle résout moins encore le problème de savoir précisément quelle est la part du « biologique » et la part du « social », ou du « culturel », dans l’expérience et l’activité des femmes.

  • 27 Voir Bock 1986 : 33-34, 76 et 326 et Bock 1989 : 11-15

16En outre, la nouvelle dichotomie se démarque de la dichotomie traditionnelle sur un point important. Elle ne réduit plus la corporéité de la femme à une nature traditionnelle, mais à une « biologie » moderne. Il est surprenant de constater que le terme « biologie » est aujourd’hui couramment utilisé par les universitaires féministes et qu’il renvoie presque toujours au corps des femmes, et notamment à la maternité. Alors que le terme nature est souvent mis entre guillemets, celui de « biologie » semble aller de soi. Pourtant, ce terme est loin d’être évident dans la mesure où, historiquement et culturellement, il a lui-même été une catégorie socioculturelle, un discours et une stratégie d’intervention. Apparu seulement vers 1900, il a été rapidement adopté à droite comme à gauche pour signifier, avant tout, « l’infériorité »27. Dans le discours traditionnel, la « biologie » n’est pas plus évidente que la « nature », mais elle a probablement davantage d’effets délétères sur les études sur les femmes et sur la libération des femmes, notamment en raison de virulentes attaques invoquant la nature de la part des sciences naturelles (et en particulier de la biologie).

  • 28 Voir Pateman 1988 : 225.

17L’utilisation néo-féministe de la « biologie » comme une entité distincte et opposée au genre social a fait de ce dernier une arme de radicalisation dans le débat intellectuel mais aussi un instrument qui rend de nouveau les femmes invisibles. Le genre s’est parfois prêté à un discours au neutre, qui sous-entend que les femmes et les hommes ne feraient pas partie d’un sexe mais d’un « genre », qu’ils ne seraient en réalité rien d’autre que des « individus » globalement identiques et que leur sexe n’aurait pas d’importance parce qu’il serait « biologique » et n’aurait donc pas de pertinence sociale28. Là aussi, la dichotomie exprime encore une hiérarchie : le « genre » semble être plus important que le « sexe ». D’un autre côté, certaines féministes tentent d’inverser cette hiérarchie et voient dans le corps féminin une ressource dont disposent les femmes pour lutter contre la culture omnipotente des hommes (mais, en général, en se référant moins à la « biologie » qu’à la bonne vieille « nature »). Les deux points de vue ont tendance à attribuer cette « biologie » aux femmes exclusivement, sans remettre en question ni analyser la « biologie » masculine. Ils omettent également d’historiciser non seulement le genre mais aussi le sexe.

  • 29 Midgley 1988 : 38-39.

18Même si les chercheur-e-s féministes sont conscient-e-s de ces lacunes, ils/elles insistent en général sur la dichotomie « sexe vs genre » ou « biologie vs culture » parce que cela semble utile politiquement et tactiquement judicieux, compte tenu des attaques incessantes visant à réduire les femmes à leur sphère « biologique », position adoptée la plupart du temps par les antiféministes qui croient au « déterminisme biologique ». Cependant, il s’agit simplement d’une attitude défensive et certainement pas d’une avancée intellectuelle. On devrait plutôt penser qu’aucun progrès ne verra le jour, au niveau intellectuel, historique et politique, tant que des idées intellectuelles et historiques seront rejetées pour des raisons qui sont davantage dictées par les antiféministes que par l’expérience des féministes et des femmes elles-mêmes. Mary Midgley a ainsi avancé l’idée que ce que l’on appelle « déterminisme biologique » n’est « pas plus une attaque contre la liberté que le déterminisme social ou économique accepté dans toutes les branches des sciences sociales » ; pour elle, ce qui est vraiment dommageable, c’est « le fatalisme, la croyance erronée que les problèmes dont nous avons le contrôle se trouvent hors de notre sphère d’action et sont insolubles »29.

  • 30 Di Cori 1987 : 548-549 ; Les Cahiers du Grif : 1988

19Enfin, la distinction dichotomique entre sexe et genre est surtout spécifique à la langue anglaise. D’autres langues ont essayé de l’adapter – sesso vs genere en italien, sexe vs genre en français – mais leurs dynamiques et leurs connotations linguistiques sont très différentes (par ailleurs, la controverse traditionnelle entre l’inné et l’acquis a eu moins d’impact en Italie et dans d’autres pays de langue latine que dans les pays ou l’on parle anglais ou allemand, ainsi que dans les pays scandinaves). Par exemple, l’anglais gendered being [être genré] continue d’être traduit par essere sessuato en italien30. Certains spécialistes turcs du féminisme préfèrent garder les deux termes anglais car, dans leur langue, les relations entre les sexes sont exprimées de multiples manières. En allemand, il n’existe qu’un seul concept pour les deux mots : le terme ancien Geschlecht qui renvoie au genre grammatical, à la physiologie sexuelle, aux sexes, aux familles, aux générations et à la race telle qu’elle apparaît dans « la race humaine », Menschengeschlecht. Avec cette terminologie, les chercheurs de langue allemande se trouvent par conséquent dans la position, à la fois délicate et encourageante, d’être dans l’incapacité de distinguer clairement, même de manière problématique, entre physiologie et culture.

  • 31 Le genre a aussi été utilisé de manière non-dichotomique, du moins de manière occasionnelle, à des (...)

20Dans ce cas, ce n’est pas le concept de genre qui devrait être remis en cause – position qui semble actuellement avoir la faveur de certain-e-s historien-ne-s féministes – mais la dichotomie théorique et linguistique sexe/genre. Celle-ci pourrait être remise en cause, notamment en histoire, en lettres et en sciences sociales, grâce à une méthode qui a porté ses fruits dans des recherches conduites en histoire : se débarrasser du terme « biologie » au sens du corps de la femme, de ses perceptions et de ses activités (il existe pléthore d’autres termes mieux adaptés), utiliser « genre » dans un sens large (qui pourrait inclure la dimension physiologique et la dimension culturelle) et « sexe » dans le même sens que « genre », laissant ainsi place aux continuités plutôt qu’aux polarités du signifiant31.

212. Égalité versus différence. Les problèmes soulevés par la dichotomie sexe/genre sont étroitement liés à ceux d’une autre dichotomie à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui dans le cadre d’un débat international qui a pris différentes formes et a atteint différents degrés de maturité selon les pays : la dichotomie « égalité vs différence ». Les études sur les femmes se sont largement appuyées sur le concept d’une égalité sexuelle (ou de genre) comme outil d’analyse, et la « différence » physiologique a été minorée tant elle a servi à justifier les discriminations dont les femmes sont victimes. C’est dans cette perspective que l’on a exigé que les femmes soient traitées de la même manière que les hommes, exactement comme si elles étaient des hommes, et que des termes sexuellement neutres soient utilisés dans la rédaction de nouvelles lois et réformes (ce qui s’est produit, par exemple, lors des débats récents de la commission des droits des femmes au Parlement européen), dans le but d’éliminer la différence sexuelle et de neutraliser la masculinité et la féminité au niveau politique. Cependant, certaines chercheuses féministes soutiennent que des questions délicates telles que le viol, l’avortement ou la violence conjugale ne peuvent être traitées de manière adéquate en termes sexuellement neutres, que la « différence » des femmes, physiologique mais aussi sociale, ne doit pas être effacée mais reconnue en termes historiques, philosophiques et juridiques, qu’elle n’a jamais été en mesure de déboucher sur des formes politiques et culturelles autonomes hormis dans des niches sociales et en s’opposant aux cultures dominantes. À leurs yeux, l’accent devrait être mis sur une évaluation critique des besoins et des activités propres aux hommes et sur la mesure des besoins et des activités propres aux femmes, afin de proposer des alternatives tant à l’infériorité des femmes qu’à l’assimilation des femmes aux hommes.

  • 32 Firestone 1970.
  • 33 Gilligan 1982.

22L’ouvrage le plus connu défendant la première approche est La Dialectique du Sexe de Shulamith Firestone, écrit à une époque où le terme « genre » n’était pas encore répandu. Il suggérait d’utiliser les moyens offerts par les technologies modernes, comme la fécondation in vitro et l’éducation des enfants par d’autres que la mère « biologique », pour abolir la « biologie féminine » et la différence sexuelle, la grossesse et la maternité32. L’autre position est illustrée par l’important travail de la psychologue Carol Gilligan paru dans les années 1980 sur la « voix différente » des femmes. Ce travail évite l’écueil d’une réduction au seul « biologique » et avance l’idée que, chez les femmes, le jugement moral se développe de manière spécifique, en donnant plus d’importance à des valeurs comme l’attention, la responsabilité et la connectivité qu’à celles des droits et de la propriété individuels. Il souligne aussi qu’on ne devrait pas juger ces valeurs inférieures à celles de justice et de droits, mais leur accorder une importance égale dans le développement des deux sexes ; qu’elles devraient être respectées et appliquées également par les hommes33.

  • 34 Controversée surtout dans le contexte de l’échec de l’« Equal Rights Amendment », du jugement « U. (...)
  • 35 Wright 1972 : 608.
  • 36 Voir, par exemple, Cavarero et al. 1987.
  • 37 Pateman 1988 : 187.
  • 38 Voir les références dans la note 18 ci-dessus. À propos du débat féministe et juridique sur les dé (...)

23L’intérêt du public et des chercheuses a glissé du thème de « l’égalité » à celui de la « différence », évolution qui est particulièrement nette aux États-Unis où elle est, en même temps, controversée34. Pourtant, un tel glissement n’est en aucun cas complètement nouveau. Dans les années 1960, cette question avait déjà été soulevée dans le mouvement des femmes et dans les études sur les femmes où l’on contestait l’hypothèse – qui prévalait alors –que seule l’égalité des droits pourrait entraîner la libération des femmes. En outre, on avait alors parfois considéré que cette hypothèse était spécifique à la culture blanche. C’est en ces termes qu’en 1968, la féministe afro-américaine Margaret Wright avait formulé la question : « Dans le mouvement de libération des femmes noires, nous ne revendiquons pas l’égalité avec les hommes, tout comme dans le mouvement de libération des Noirs, le but n’est pas de devenir l’égal de l’homme blanc. Nous nous battons pour le droit d’être différentes et de n’être pas punies pour cela »35. En Italie, l’histoire féministe, la philosophie féministe et le féminisme tout court sont désignés, par les féministes comme dans la langue courante, comme il pensiero della differenza sessuale qui renvoie au fait de penser et d’agir en termes de différence sexuelle, d’affirmer une subjectivité féminine qui refuse d’être assimilée (« rendue homologue ») à des versions masculines de la subjectivité, telles que les valeurs et les droits attachés à la compétition, à la possession, à la domination. Il s’agit d’affirmer qu’une « différence » n’est en aucun cas le signe d’une faiblesse et d’une résignation, mais peut constituer une arme redoutable pour la libération des femmes, et qu’il existe une distinction entre ce type de féminisme et « l’émancipationnisme » (emancipazionismo) qui se contente d’exiger les mêmes droits et le même traitement que les hommes – c’est-à-dire trop peu36. La philosophe féministe australienne Carole Pateman fait remarquer que « les femmes sont victimes de phénomènes curieux lorsque l’on émet l’hypothèse que la seule alternative à la construction patriarcale de la différence sexuelle est l’individu soi-disant neutre sexuellement »37. Un de ces phénomènes curieux est l’argument, utilisé par la Cour suprême des États-Unis dans les années 1970, selon lequel la discrimination dont sont victimes les femmes enceintes et les jeunes mères qui se voient refuser l’octroi de congés de maternité et de prestations sociales ne peut être considérée comme une discrimination fondée sur le sexe parce qu’un grand nombre de femmes ne sont ni enceintes, ni mères : ce qui revient à dire que la maternité n’aurait rien à voir avec la féminité. Les politiques d’aide sociale en sont un autre exemple. En Europe, il est vrai qu’on accorde des prestations de maternité plus facilement qu’aux États-Unis, mais on le fait au motif que la grossesse et l’accouchement sont une maladie38. Ces arguments et ces pratiques ont été mis en place par des hommes politiques paternalistes qui ont tenté de faire une homologie entre l’expérience de la maternité vécue par les femmes et la politique androcentrée de l’assurance maladie qui ne reconnaissait pas les droits propres des femmes et des mères ; ils résultent également des tentatives des femmes et des féministes d’assurer une aide financière aux mères qui travaillent en utilisant le système de sécurité sociale en vigueur.

  • 39 Hoff-Wilson 1987 : 36.
  • 40 Joan Scott 1988 : 43.
  • 41 Pour une discussion sur le « dilemme de la différence » voir Joan Scott 1988 : 48 ; cf. aussi : 39 (...)
  • 42 Voir Pateman 1988 : 3 et chapitre 4.

24Certaines chercheuses ont tendance à penser que la dichotomie « égalité vs différence » est en réalité une fausse dichotomie, qui serait davantage issue de malentendus que d’une réelle compréhension des choses. Mais d’autres insistent sur le fait que les deux notions s’excluent mutuellement et donc sur la nécessité d’un choix entre l’une ou l’autre notion. L’historienne Joan Hoff-Wilson exhorte notamment les leaders féministes à opérer un choix entre une « égalité entre les sexes fondée sur les normes sociales masculines en vigueur » et une « justice entre les sexes fondée sur la reconnaissance de modèles de comportement socialisés, égaux mais différents »39. L’historienne Joan Scott, quant à elle, pense qu’il s’agit d’un « choix impossible » et remet en question la dichotomie elle-même40. Je suis également d’avis que cette thèse est inacceptable, entre autres raisons parce que le « dilemme de la différence » (le terme de différence étant utilisé, de manière explicite ou implicite, pour confirmer l’infériorité des femmes par rapport aux hommes) ainsi que le « dilemme de l’égalité » (le terme d’égalité étant utilisé, de manière explicite ou implicite, pour effacer les différences de genre en vue de l’assimilation des femmes aux normes masculines de la société) sont loin d’avoir été suffisamment explorés41. Cette exploration doit être mise au programme de l’histoire des femmes à venir. Comment se fait-il, par exemple, que les termes d’« égalité » et de « justice » semblent se compléter dans le cas des hommes, mais s’opposent l’un à l’autre dans le cas des femmes ? Comment se fait-il qu’une « différence » soit uniquement attribuée à une moitié de l’humanité et non à l’autre ? Comment se fait-il que, depuis la Révolution française, mais aussi dans la pensée politique antérieure42, « l’égalité » soit si intimement liée à la « fraternité », et non à la « sororité » ?

  • 43 Adriana Cavarero 1992 (communication au colloque tenu en décembre 1988 à l’Institut universitaire (...)

25Encore une fois, la seule issue semble passer par une remise en question de la dichotomie elle-même, grâce à une analyse et à un démantèlement de la construction sexiste de la différence et de l’égalité : une égalité qui pourrait seulement « reposer sur les normes sociétales masculines en vigueur » et une différence (féminine) qui correspondrait seulement à « des modèles de comportements socialisés ». La philosophe italienne de la differenza sessuale, Adriana Cavarero, soutient que « différent et égal peuvent cohabiter », si l’égalité ne revient pas à « faire disparaître l’une des deux entités dans l’autre », si « chacune des deux parties est libre, et si le concept d’égalité abandonne une fois pour toutes son fondement logique dans l’universalisation classifiante, répétitive et abstraite de la partie masculine ». Carole Pateman s’est penchée sur cette dichotomie et l’a remise en cause en faisant une critique de la construction traditionnelle de l’égalité qui se réduit essentiellement à des relations entre « individus » de sexe masculin, et qui rejette toute différence soit, en l’occurrence, les femmes. De plus, elle remet en question cette dichotomie par une critique du concept traditionnel de différence, qui ne se définit pas en des termes naturels, mais en des termes politiques tels que la subordination, l’infériorité et l’absence de pouvoir43.

  • 44 Bock 1992 (colloque 1988).
  • 45 Offen 1986 et 1988 ; Buttafuoco 1988 ; Rendall 1987.
  • 46 Kelly 1982. Marie de Gournay, dans L’Égalité des hommes et des femmes (1622), fut la première à em (...)
  • 47 Lewis 1987 ; Fleming 1986 ; Cott 1987 ; Ladd-Taylor 1986 ; Friesen & Collins 1983 : 294-298 et 472 (...)

26Le débat semble avoir une importance particulière pour l’histoire des femmes et du genre : non seulement l’étude des femmes et des relations entre les sexes est importante dans les situations où les femmes et les hommes ont, dans le passé, été traités de façon différenciée, mais aussi quand ils ont été traités de la même manière, comme c’est le cas des victimes de l’antisémitisme et du racisme nationaux-socialistes44. Aujourd’hui, l’histoire pourrait se révéler un outil efficace pour ceux qui œuvrent à une remise en cause de la dichotomie. Trois sujets historiques éclairent la manière dont ces questions ont été débattues par les générations précédentes. Pour Karen Offen, les mouvements des femmes occidentales du xixe et du début du xxe siècle ont tenté de résoudre ces dichotomies de manière théorique et pratique en cherchant à établir une nouvelle relation entre leurs termes hiérarchisés et apparemment exclusifs l’un de l’autre. Aux États-Unis et en Europe, les féministes radicales et modérées ont revendiqué une citoyenneté politique égale pour tous, un accès équitable aux métiers bien rémunérés ainsi qu’une reconnaissance égale de la valeur des contributions spécifiques (« différentes ») des femmes dans la division sexuelle du travail. Leur approche intègre les concepts d’égalité, d’équivalence, d’équité et « d’égalité dans la différence » ainsi que, peut-être, « de différence dans l’égalité »45. Le débat sur le rapport entre l’égalité et la différence trouve certaines de ses origines dans la Querelle des femmes de l’époque moderne en Europe, période pendant laquelle ceux et celles qui visaient à améliorer la condition des femmes ont commencé à mettre en avant le concept d’égalité, surtout en France, en Italie et en Angleterre46, supplantant ainsi la controverse plus ancienne sur la supériorité (ou la « préexcellence ») comparée du sexe féminin ou du sexe masculin. De nouvelles formulations, parfois dichotomiques, de leur relation ont vu le jour au cours du xixe siècle et au début du xxe siècle : elles étaient souvent liées aux idées féministes nouvelles et aux politiques menées notamment en faveur des mères les plus pauvres (allocations de maternité versées par l’État, lois de protection de travail). Depuis les années 1920, et cela est plus manifeste aux États-Unis et en Grande-Bretagne, les mouvements des femmes se sont divisés sur l’importance respective de la « différence » et de « l’égalité »47. Les termes de ce débat historique n’ont pas encore été suffisamment étudiés, mais il semble clair que, dans ce cas précis, nous avons affaire à un héritage féminin et féministe qui doit être à la fois accepté et dépassé puisque nous ne pouvons nous permettre de rester enfermés dans un choix impossible.

27Un autre exemple historique renvoie aux questions soulevées plus haut par Margaret Wright : de qui voulons-nous être l’égal ? Quel est le rapport entre le droit à l’égalité et le droit à la différence ? Qu’est-ce qu’une « égalité » légitime et qu’est ce qu’une « différence » légitime ? Ces dernières années, les hypothèses et les usages du concept d’égalité fondés sur le genre ont été étudiés en détail, particulièrement dans le contexte de la Révolution française. L’avancée des femmes vers l’objectif premier d’une égalité de droits politiques durant le xixe siècle a souvent été comparée à un événement plus ancien : l’élargissement du droit de vote de la classe possédante masculine à la classe ouvrière masculine. Mais une autre comparaison paraît plus éclairante : la comparaison avec l’émancipation de groupes (minorités ethniques, hommes et femmes victimes du racisme) qui, à l’instar des femmes, ont été exclus d’un accès à l’égalité des droits politiques et sociaux, mais sur un mode différent de la classe ouvrière masculine.

  • 48 Volkov 1983 : 339 ; Kaplan 1979 et 1982.

28Par exemple, le concept d’émancipation juive au xixe siècle en Allemagne, formulé la plupart du temps par des hommes allemands qui n’étaient pas juifs, reposait sur une égalité qui excluait ouvertement la différence. Les hommes juifs pouvaient être acceptés comme citoyens allemands avec les mêmes droits que les Allemands s’ils renonçaient, au moins officiellement, à leur judéité, c’est-à-dire s’ils acceptaient d’être assimilés aux Allemands non-juifs. Chez les Juifs eux-mêmes, la situation fut parfaitement résumée dans cette phrase qui renvoie de manière caractéristique à l’une des dichotomies mises en avant dans la première partie de notre exposé : « Sois un être humain (ou plutôt : sois un homme) en société et un Juif à la maison » [sei draußen ein Mensch und zu Hause ein Jude]. Les hommes juifs étaient obligés de devenir égaux aux hommes allemands pour être acceptés comme leurs pairs. Durant le premier tiers du xxe siècle, entre autres mouvements (par exemple, certains courants de renouveau culturel et politique juifs), le mouvement des femmes juives allemandes remit en question cette conception de l’égalité. Établissant souvent des parallèles entre l’émancipation des Juifs et l’émancipation des femmes, ces femmes juives insistaient avec une égale vigueur sur le droit d’être des égales et sur le droit d’être différentes, tant dans les rapports femmes/hommes que dans les rapports Juifs/non-Juifs48. Plus tard, le racisme national-socialiste, et plus particulièrement l’antisémitisme, allait dénier aux Juifs non seulement le droit à l’égalité avec les Allemands non-juifs, mais aussi le droit à la différence en tant que Juifs.

  • 49 Guggisberg 1983 et 1984, surtout : 9-11 ; Horton & Mendus 1985 ; Sheils 1984 ; Jay 1981 : 54.

29Un troisième exemple historique nous renvoie à notre héritage spécifiquement européen de pensée politique. Depuis l’époque de la polis grecque, les mouvements démocratiques et socialistes ont poursuivi leurs objectifs sous la bannière de l’égalité – et les mouvements réactionnaires les ont attaqués pour cette raison. Ceci explique que l’égalité des sexes (malgré le risque potentiel d’une assimilation à des normes sociétales androcentriques dominantes et non débattues qui ne sont pas forcément partagées par toutes les femmes – ni tous les hommes) semble être la seule arme efficace et la seule stratégie favorable à la libération des femmes et aux études sur les femmes. Ce concept n’est donc pas seulement l’un des plus précieux héritages de la pensée politique occidentale mais il s’agit également de l’un de ses concepts les mieux établis et les mieux acceptés. Cependant, un autre héritage s’avère tout aussi précieux : l’idée de tolérance telle qu’elle est apparue après les sanglantes Guerres de religion de l’époque moderne en Europe. La notion de tolérance a mis en avant, du moins lors de ses premières formulations radicales, la liberté, la justice et le respect mutuel, compris comme une reconnaissance à la fois de la différence et de l’égalité. La tolérance et la liberté, tout comme l’égalité, étaient alors, bien entendu, des valeurs réservées aux hommes ou aux groupes dominés par les hommes, et elles devraient être analysées et historicisées dans cette perspective. Mais peut-être la mise en question de la dichotomie « égalité vs différence » pourrait-elle et devrait-elle passer (en idée et en acte) par une nouvelle conceptualisation de la tolérance plutôt que d’insister sur le fait que les deux termes s’excluent mutuellement49. Autrement dit, la tâche pourrait consister à reconnaître et à déconstruire « l’égalité », ainsi qu’à déconstruire et à reconnaître la « différence ».

  • 50 Citation tirée de Hausen 1986 : 38-39.

30L’idée et la mise en pratique de la tolérance vis-à-vis de la « différence » ont été interprétées de multiples manières et ont eu des répercussions importantes pour les femmes et les études sur les femmes dans les milieux universitaires. Dans les années 1900, en Allemagne, lorsque fut débattue la question de l’admission des femmes à l’Université, une enquête menée auprès d’une centaine de professeurs révéla qu’un bon nombre d’entre eux pensaient que l’apprentissage du travail universitaire était un « travail d’homme » [Männerwerk] et que les femmes n’y avaient pas leur place. D’autres étaient d’accord pour que l’Université ouvre ses portes aux femmes, à la condition qu’il soit démontré que ces dernières possédaient des compétences égales à celles des hommes. Seul un universitaire juif se dit favorable à l’admission des femmes, précisément parce qu’il pensait que les femmes pourraient non seulement présenter des aptitudes égales à celles des hommes, mais en posséder d’autres, qui seraient différentes ; il espérait que les femmes contribueraient à un « renouveau d’institutions devenues rigides » et qu’elles « s’attaqueraient aux méthodes et à l’exercice de l’autorité d’une manière autre que les hommes, tous élevés depuis leur plus jeune âge dans une discipline de fer »50.

  • 51 Yeatman 1986 : 177 ; pour une discussion éclairante sur la relation entre autonomie, intégration e (...)
  • 52 « Allein das rechtfertigt schon unser Interesse [Cela seulement justifie notre intérêt] » : Ulrich (...)
  • 53 Pollmann 1989 : 165.
  • 54 Wehler 1987 : 716 et 733 ; Flora 1983 : 91 (« suffrage masculin »).

313. Intégration versus autonomie. On pourrait appliquer une argumentation analogue pour analyser les problèmes que posent « l’intégration » et/ou « l’autonomie » des études sur les femmes au sein du savoir universitaire en général et celles des femmes au sein des institutions universitaires. Malgré le développement des études sur les femmes, et même si ce champ de recherche commence à être reconnu comme une « spécialité à part entière »51, leur impact et leur intégration aux disciplines universitaires restent modestes ; ce que l’on appelle « mainstreaming » est encore loin d’être une réalité, même si l’on constate d’importantes différences selon les pays et les disciplines. Un auteur allemand, qui a signé un essai sur Edith Stein, a pu par exemple encore justifier l’intérêt qu’il portait à cette philosophe catholique d’origine juive assassinée par les nazis en ces termes : « Edith Stein était non seulement une femme exceptionnelle, mais aussi un grand être humain »[ein großer Mensch]52. Les femmes, semble-t-il, ne sont pas encore en elles-mêmes dignes d’intérêt, elles ne sont même pas nécessairement des Menschen [êtres humains] sauf quand elles se tiennent aux côtés d’« hommes illustres ». Dans le même temps cependant, l’histoire des femmes est en mesure d’exercer une influence sur l’étude d’autres champs historiques, même si le processus est lent et le chemin tortueux. Par exemple, certains historiens parlent encore de « suffrage universel » quand ils se réfèrent à la période où les femmes étaient exclues du droit de vote53. Mais beaucoup d’autres utilisent aujourd’hui l’expression « suffrage universel masculin » et cela ne fait que renforcer l’hypothèse selon laquelle seules les activités masculines sont considérées comme universelles. En revanche, quand l’expression « suffrage masculin », la seule qui convienne, est utilisée, on s’aperçoit qu’une prise en compte de plus en plus importante de l’histoire des femmes conduit aussi à prendre en compte les hommes en tant qu’hommes54. Mais ce fait ne suffit pas encore en lui-même pour que la lutte des femmes pour le droit de vote soit intégrée aux ouvrages généraux d’histoire politique. Séparation et ségrégation marquent toujours ce champ de recherche.

  • 55 Un exemple de cette pratique est décrit par Magaray 1987 : 5-12 ; des pratiques similaires ont cou (...)

32De toute évidence, les études sur les femmes doivent être reconnues comme partie intégrante du savoir dans son ensemble. Mais une telle « intégration » court aussi le risque de faire à nouveau disparaître les femmes du débat. Aujourd’hui, dans un certain nombre de cas, on oppose de manière dichotomique « l’histoire du genre » et « l’histoire des femmes » ; on résiste avec force à la création de chaires universitaires en « histoire des femmes » et, dans le même temps, on favorise les chaires en « histoire du genre »55. Comme il s’agit d’un problème institutionnel, on règle cette situation selon les circonstances institutionnelles, mais le problème théorique reste entier. Il est principalement dû à une définition spécifique du « genre » qui exclut la différence « sexuelle » (c’est-à-dire les femmes), en la qualifiant de « biologique », lui ôtant de ce fait sa pertinence sociale et historique. Une telle perspective radicale – espérer que l’histoire du genre s’inscrive comme un prolongement de l’histoire des femmes – risque de transformer l’histoire des femmes, une fois de plus, en un simple appendice d’une histoire du genre prétendument plus « générique ». Encore une fois, les femmes ne sont pas considérées comme un sujet aussi universel que d’autres, notamment que les sujets qui ont les hommes comme objet central.

  • 56 Sur des tentatives de redéfinition, voir Midgley 1988 : 39, et Pateman 1988.
  • 57 Jill Stephenson nous en donne un exemple dans son ouvrage de 1981 (The Nazi Organisation of Women) (...)

33Par conséquent, pour s’épanouir pleinement, l’histoire des femmes se doit aussi d’être autonome par rapport à un savoir universitaire dominé par les hommes, sur le plan institutionnel et, surtout, sur le plan intellectuel. Mais il faut également redéfinir la notion « d’autonomie », une autre vertu centrale que nous ont léguée la Renaissance et les Lumières56. En pratique, la difficulté est de distinguer la marge étroite, qui est aussi une fracture profonde, entre l’autonomie et la ségrégation, et d’admettre que, dans bien des cas, les études sur les femmes se retrouvent enfermées dans un ghetto. Il semble qu’il soit impossible d’aborder le problème « autonomie vs intégration » de façon satisfaisante en jouant sur les nuances terminologiques entre histoire des femmes, histoire féministe et histoire du genre ou, pour utiliser la terminologie des débats français, entre histoire des femmes, histoire féminine, histoire féministe et histoire des sexes, ou entre tous ces éléments et l’histoire tout court. Le problème ne coïncide pas davantage avec le débat pour ou contre « l’institutionnalisation » qui a été la principale question théorique et politique dans le débat ouest-allemand à propos des études sur les femmes depuis plus d’une décennie. Des recherches importantes sur les femmes et le genre ont été entreprises sous toutes ces étiquettes, et même en dehors de ces étiquettes57, dans les Universités, dans des institutions féministes comme en dehors des institutions dominées par les hommes ou celles réservées aux femmes.

34Il semble que la remise en cause des dichotomies sera à l’avenir un enjeu majeur pour l’histoire des femmes et du genre, ainsi que pour les études sur les femmes en général, tant du point de vue intellectuel que politique. Le défi que représente cette remise en question nécessite, bien entendu, que l’on étudie la nature précise des catégories qui s’opposent, les particularités et les dynamiques de la relation dichotomique, ainsi que la forme et le caractère du défi lui-même.

35Quant à la nature des dichotomies fondées sur le genre, il y a de toute évidence une différence importante entre les trois premières qui ont été évoquées dans la première partie de cet article, et les trois dernières. Cette différence reflète, entre autres, le caractère de plus en plus complexe des catégories avec lesquelles on examine et l’on étudie les relations de genre. Les dichotomies nature/culture, travail payé/travail non-payé et public/privé sont construites selon le schéma d’une séparation bien marquée entre femmes et hommes, ces catégories à forte homogénéité interne désignant soit les femmes, soit les hommes. Dans le cas des dichotomies sexe/genre, égalité/différence et intégration/autonomie, chaque terme (apparemment) opposé renvoie aux deux sexes à la fois. Par conséquent, nous ne sommes pas seulement confrontés à des relations entre les sexes, mais à des relations entre des catégories relationnelles ; et pas uniquement des catégories (apparemment) contradictoires, mais à des conceptualisations des relations de genre et à des pratiques qui sont opposées ou apparemment opposées. De ce fait, les études sur les femmes et la recherche de nouvelles conceptions du genre nous ont conduit – malgré, ou plutôt grâce à des approches parfois radicalement différentes – à au moins un consensus : les questions de genre sont des questions qui concernent des relations humaines complexes, des relations qui se développent aussi bien entre les sexes qu’à l’intérieur de chacun des sexes.

36Que pourrait ou devrait être la nature de ce défi ? La réponse à une telle question nécessitera un long travail de démantèlement, historicisation et déconstruction des significations apparentes des diverses catégories. Je crois que cela impliquera également le rejet des catégories hiérarchisées qui s’excluent l’une l’autre, et surtout le rejet des solutions du type « celle-ci ou celle-là », en faveur de solutions du type « celle-ci et celle-là » ; cela implique aussi le rejet du principe tertium non datur. Dans le cas des deux derniers dilemmes dont nous avons parlé, il faudrait surtout remettre en cause le fait que l’une des catégories exclue l’autre et réclamer « l’égalité dans la différence » et « la différence dans l’égalité », « l’autonomie dans l’intégration » et « l’intégration dans l’autonomie ». À propos de ces deux dilemmes, on pourrait objecter – et certains n’ont pas manqué de le faire – que les femmes ne peuvent pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Mais, pendant trop longtemps, en bonnes crémières, elles ont baratté ce beurre mais n’ont jamais pu en manger qu’une partie infime.

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Notes

1 Le titre complet de l’article est : Gisela Bock, « Challenging Dichotomies : Perspectives on Women’s History », in Karen Offen, Ruth Roach Pierson, Jane Rendall (eds), Writing Women’s History : International Perspectives, Houndsmill Basingstoke, Macmillan, 1991, p. 1-23. Ce chapeau a été rédigé par Françoise Thébaud.

2 Karen Offen, « International Federation for Research in Women’s History / Fédération internationale pour la recherche en histoire des femmes », Bulletin d’information, 2, Association pour le développement de l’histoire des femmes et du genre-Mnémosyne, p. 9-17 (Mnémosyne est la section française de cette Fédération).

3 Notamment dans la seconde, troisième et quatrième édition de Mary Beth Norton & Ruth M. Alexander (eds), Major Problems in American Women's History : Documents and Essays, Boston, Houghton Mifflin, 1996-2007.

4 Notamment en bulgare (1995), grec (1993) et portugais (2008).

5 Lerner 1979 : 3. Ce travail reprend une communication présentée à la conférence « Strategies for Women’s Studies in the Humanities » des Nordic Research Councils (Helsinki, mai 1989) et publiée, dans sa version originale, dans Framtidsstrategier för humanistis kvinneforskning, Helsinki 1991 et dans Working Paper n° 89/396 de l’Institut universitaire européen de Florence. Il a donné lieu également à une version publiée en 1990 dans la revue Jaarboek voor Vrouwengeschiedenis (11, p. 79-98) sous le titre : « Women, gender, and dichotomies in history ». Je remercie tout particulièrement Ida Blom, Mineke Bosch, Rosi Braidotti, Annarita Buttafuoco, Sara Matthews Grieco, Karen Offen, Ruth Roach Pierson, Marjan Schwegmann et Heide Wunder pour leurs commentaires pertinents.

6 Ortner 1974 : 72 ; la citation est de Pateman 1987a : 110.

7 Voir Pomata 1983 ; Strathern 1987.

8 Knibiehler 1980 ; Laget 1982 ; Thébaud 1986 ; Suleiman 1986.

9 Voir, par exemple, le numéro hors-série de Signs. Journal of Women in Culture and Society, 6-1, 1980, et 7-1, 1981 ; cf. Grosz 1986a.

10 Perrot 1984 ; Dauphin et al. 1986.

11 Dalla Costa & James 1975 ; Malos 1980 ; Goldschmidt-Clermont 1982 ; Cass 1985. L'analyse du travail domestique des femmes a aussi permis de remettre en question l’utilisation dichotomique des catégories de « production » et « reproduction » qui ont de multiples facettes.

12 Deacon 1985 ; Higgs 1987 ; à propos des recensements français, voir Martin 1987 ; sur les revendications des féministes allemandes, voir leur Memorandum auprès du Bureau impérial des Statistiques, Die Frauenbewegung, 3 (1er février 1901). Sur l'histoire du travail domestique voir, par exemple, Bock & Duden 1977 ; Hausen 1987 ; Meyer 1982 ; Davidson 1982 ; Strasser 1982 ; Cowan 1986 ; Matthews 1987.

13 Kessler-Harris 1982 ; Matthaei 1982 ; John 1986 ; Curthoys 1988.

14 Voir la recension de publications récentes sur la Grande-Bretagne et les États-Unis par Regina Morantz-Sanchez, 1989. Peu de temps après la grève des infirmières ouest-allemandes, il y eut un nombre considérable d’infirmières parmi les personnes qui quittèrent l’Allemagne de l’Est, principalement parce que les salaires y étaient trop bas.

15 Hilda Scott 1984 ; Fischer 1982 ; Cass 1988.

16 Pateman 1988, surtout le premier chapitre.

17 Davidoff & Hall 1987 ; Prochaska 1980 ; Sachße 1986.

18 Pateman 1987b. Voir également Lewis 1983 ; Baldock & Cass 1983 ; Holter 1984 ; Dale & Foster 1986 ; Hernes 1987 ; Sassoon 1987 ; Koven & Michel 1989.

19 Pour cette théorie politique, les auteurs de la loi de stérilisation nationale-socialiste de 1933 se référaient au philosophe Carl Schmitt : Bock 1986 : 87 ; voir également : 369-465.

20 Offen 1984 et 1987 ; Blair 1980 ; Epstein 1981 ; Baker 1984, en particulier : 646 ; Ladd-Taylor 1986.

21 Lamphere & Rosaldo 1974 : 37-38 ; Smith-Rosenberg 1985 ; Kerber 1988 ; Banner 1985.

22 Par exemple, Habermas 1962.

23 Jay 1981 : 44

24 Oakley 1972 ; Rubin 1975 ; Joan Scott 1986.

25 Voir, par exemple, Grosz, 1986b : 194. Sur « l’histoire des hommes », voir Morgan 1989 ; Banner 1985 : 119-120 ; « Book Review », Signs. Journal of Women in Culture and Society, 14, 3, 1989 : 703-708 ; Lake 1986.

26 Stoller 1964 ; voir en particulier Haraway 1991 (consulté avant publication).

27 Voir Bock 1986 : 33-34, 76 et 326 et Bock 1989 : 11-15

28 Voir Pateman 1988 : 225.

29 Midgley 1988 : 38-39.

30 Di Cori 1987 : 548-549 ; Les Cahiers du Grif : 1988

31 Le genre a aussi été utilisé de manière non-dichotomique, du moins de manière occasionnelle, à des périodes antérieures ; voir par exemple Joan Scott 1986 : 1053 ; Karen Offen m’a très gentiment orientée vers des textes français, par exemple La Requête des Dames à l’Assemblée nationale (1789), in Amédée Lefaure, Le Socialisme pendant la Révolution française, Paris, Dentu, 1863, p. 139 (« 2. Le sexe féminin jouira toujours de la même liberté, des mêmes avantages, des mêmes droits et des mêmes honneurs que le sexe masculin. 3. Le genre masculin ne sera plus regardé, même dans la grammaire, comme le genre le plus noble, attendu que tous les genres, tous les sexes et tous les êtres doivent être et sont également nobles »), et Madame d’Épinay, Les conversations d’Émilie, Paris, 1776, p. 11. Voir également Strathern 1987, Introduction : 6 et 31, note 4.

32 Firestone 1970.

33 Gilligan 1982.

34 Controversée surtout dans le contexte de l’échec de l’« Equal Rights Amendment », du jugement « U.S. Equal Employment Opportunity Commission v. Sears and Roebuck » (cf. Signs, 11, 1986, p. 751-779 et 13, 1988, p. 897-903), et du litige à propos des congés de maternité et des indemnités compensatrices pour les femmes qui travaillent ; voir Hoff-Wilson 1987.

35 Wright 1972 : 608.

36 Voir, par exemple, Cavarero et al. 1987.

37 Pateman 1988 : 187.

38 Voir les références dans la note 18 ci-dessus. À propos du débat féministe et juridique sur les décisions de la Cour suprême des États-Unis, de son histoire et des évolutions dans les années 1980, voir Williams 1982 et 1984/85 ; Law 1984 ; Kay 1985 ; Finley 1986.

39 Hoff-Wilson 1987 : 36.

40 Joan Scott 1988 : 43.

41 Pour une discussion sur le « dilemme de la différence » voir Joan Scott 1988 : 48 ; cf. aussi : 39. À propos du « dilemme de Wollstonecraft », voir Pateman 1987b : 252 (1988 : 195).

42 Voir Pateman 1988 : 3 et chapitre 4.

43 Adriana Cavarero 1992 (communication au colloque tenu en décembre 1988 à l’Institut universitaire européen de Florence) ; Carole Pateman 1988 et 1992 (colloque 1988) ; voir également Elshtain 1975 ; Rae et al. 1981.

44 Bock 1992 (colloque 1988).

45 Offen 1986 et 1988 ; Buttafuoco 1988 ; Rendall 1987.

46 Kelly 1982. Marie de Gournay, dans L’Égalité des hommes et des femmes (1622), fut la première à employer l’« égalité » dans un titre d'ouvrage comme concept clé. Sur les textes de la « querelle » antérieure, voir Zancan 1983 : 236-64 ; Doglio 1988 : 113-125 ; Albistur & Armogathe 1977, chapitres 4 et 5 ; Lazard : 1985, chapitre 1 ; Ferguson 1986.

47 Lewis 1987 ; Fleming 1986 ; Cott 1987 ; Ladd-Taylor 1986 ; Friesen & Collins 1983 : 294-298 et 472-477 ; Kent 1988 ; Bock & Thane 1991.

48 Volkov 1983 : 339 ; Kaplan 1979 et 1982.

49 Guggisberg 1983 et 1984, surtout : 9-11 ; Horton & Mendus 1985 ; Sheils 1984 ; Jay 1981 : 54.

50 Citation tirée de Hausen 1986 : 38-39.

51 Yeatman 1986 : 177 ; pour une discussion éclairante sur la relation entre autonomie, intégration et « mainstreaming » dans l'histoire des femmes, voir Tilly 1989 et les réponses de Gullickson & Bennett 1989, dans le même numéro de Social Science History ; voir également Lerner 1988 : 17-20.

52 « Allein das rechtfertigt schon unser Interesse [Cela seulement justifie notre intérêt] » : Ulrich von Hehl, « Edith Stein und die Deportation der katholischen Juden aus den Niederlanden [Edith Stein et la déportation des juifs catholiques des Pays-Bas] », Frankfurter Allgemeine Zeitung, 30 mars 1987.

53 Pollmann 1989 : 165.

54 Wehler 1987 : 716 et 733 ; Flora 1983 : 91 (« suffrage masculin »).

55 Un exemple de cette pratique est décrit par Magaray 1987 : 5-12 ; des pratiques similaires ont cours dans certains pays d’Europe, en Allemagne de l'Ouest par exemple.

56 Sur des tentatives de redéfinition, voir Midgley 1988 : 39, et Pateman 1988.

57 Jill Stephenson nous en donne un exemple dans son ouvrage de 1981 (The Nazi Organisation of Women). Elle souligne le fait que ce livre n’est pas « destiné à être rangé dans la catégorie “histoire des femmes” » (p. 11).

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Pour citer cet article

Référence papier

Gisela Bock, « Les dichotomies en histoire des femmes : un défi »Clio, 32 | 2010, 53-88.

Référence électronique

Gisela Bock, « Les dichotomies en histoire des femmes : un défi »Clio [En ligne], 32 | 2010, mis en ligne le 31 décembre 2012, consulté le 06 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/9818 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.9818

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Auteur

Gisela Bock

Professeure émérite de l’Université Libre de Berlin. Elle a également enseigné à l’Institut universitaire européen de Florence et à Bielefeld, et séjourné à Harvard, Paris (ehess) et Budapest (Central European University). Ses recherches portent sur l’histoire européenne du xvie au xxe siècle, notamment sur le régime et le racisme nazis. Ses articles méthodologiques sur l’histoire des femmes et du genre ont été traduits en plusieurs langues, de même que son ouvrage Frauen in der Europäischen Geschichte, vom Mittelalter bis zur Gegenwart (Munich, Beck, 2000). Gisela.Bock@fu-berlin.de

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Droits d’auteur

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