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AccueilClio. Histoire‚ femmes et sociétés32Sur les traces de Joan Kelly

Sur les traces de Joan Kelly

Pouvoir, amour et courtoisie (xiie-xvie siècles)
In the footsteps of Joan Kelly : Women, power and courtly love (xiith-xvith centuries)
Sophie Cassagnes-Brouquet, Christiane Klapisch-Zuber et Sylvie Steinberg
p. 17-52

Résumés

Lorsque parut en 1977 l’article de Joan Kelly Gadol, « Did women have a Renaissance ? », on commençait à parler de gender. Dans sa formulation, qui appelait évidemment une réponse négative, c’était bien une question « renversante » : elle soumettait à interrogation une notion rarement mise en doute, la Renaissance, et introduisait comme critère possible de sa pertinence, le Féminin. Cet article a profondément marqué les générations suivantes d’historiens, spécialistes de l’histoire des femmes et du genre, suscitant de profondes remises en question, des controverses et une multitude de textes reprenant ce questionnement des fondamentaux de nos disciplines. Trois historiennes, deux médiévistes et une moderniste tentent ici, plus de trente ans après, une relecture faisant le point sur les apports et les remises en question de ce texte fondateur.

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Entrées d’index

Mots-clés :

amour courtois, cour

Géographique :

Europe

Chronologique :

Moyen Âge, Renaissance
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Texte intégral

  • 1 L’article de Joan Kelly, contribution à l’ouvrage codirigé par Bridenthal & Koonz (1977 : 21-47), (...)
  • 2 Davis 1976.

1Lorsque parut en 19771 l’article de Joan Kelly Gadol, « Did Women have a Renaissance ? », on commençait à parler de gender du côté des historiennes2. L’heureuse surprise que fut une telle question pour celles et ceux qui le lirent alors ! Dans sa formulation lapidaire, qui appelait évidemment une réponse négative, c’était bien une question « renversante » : elle soumettait à interrogation une notion rarement mise en doute, la Renaissance, et elle introduisait comme critère possible de sa pertinence cet Autre féminin sur lequel l’historiographie, dans son ensemble, ne posait encore qu’un regard hésitant. Associer les femmes à cette réflexion, mieux : les y placer au centre, voilà qui était neuf, peut-être en effet « renversant ».

  • 3 Wiesner-Hanks 2008b.

2Cet article a profondément marqué les générations suivantes de médiévistes et de modernistes, spécialistes de l’histoire des femmes et du genre, suscitant, comme tout texte fondateur, de profondes remises en question, des controverses et une multitude de textes reprenant ce questionnement des fondamentaux de nos disciplines. De Joan Kelly à Merry E. Wiesner-Hanks qui lui répond à presque trente années de distance avec son « Do Women need the Renaissance ? », le questionnement a été fécond, non seulement pour l’histoire des femmes et du genre, mais aussi pour l’histoire tout court3.

  • 4 Par exemple, Smith 2001.
  • 5 Wiesner-Hanks 2008b : 539.

3Le premier apport indiscutable de Joan Kelly a, sans aucun doute, été de mettre en cause les schémas de périodisation de l’histoire occidentale, cette « sacro-sainte » division des époques, particulièrement dogmatique en France, et de rappeler que cette chronologie en tranches – Antiquité, Moyen Âge, Temps Modernes et Époque contemporaine – n’est finalement qu’une expression de la conception masculine de l’histoire, un parcours imposé par l’historiographie positiviste du xixe siècle et qui n’a peut-être rien à apporter aux historien(ne)s des femmes et du genre4 ; c’est aussi de mettre en garde contre l’idée sous-jacente de progrès qu’elle contient et qui ne correspond pas forcément à celui de l’émancipation des femmes. Comme le souligne M. Wiesner-Hanks, les trois dernières décennies ont été marquées par cette remise en cause des catégories chronologiques5.

4Le terme de Renaissance avec toutes ses connotations positives situe le Moyen Âge comme un faire-valoir dans une perspective d’infériorité, de stagnation, c’est cette idée que Joan Kelly a voulu combattre. Notons du reste que les historiens anglophones l’ont finalement délaissé pour le terme plus neutre et plus général d’early modern, dont la traduction de « première modernité » a plus de mal à s’imposer en France. Quant à la réponse donnée par Joan Kelly à la question posée en titre, elle est tout à fait nette, c’est un non tranché. Les femmes n’ont pas eu de Renaissance ; bien au contraire, leur situation a connu un déclin marqué par une perte d’émancipation sur le plan politique et un contrôle toujours plus rigide de leur sexualité, une sexualité bourgeoise opposée à la sexualité aristocratique et courtoise de la Dame médiévale.

  • 6 Burckhardt 1958 [1860].

5À vrai dire, Joan Kelly envisageait d’autres pistes de recherche embrassant l’ensemble du champ historique, les aspects économiques et juridiques ayant pu affecter la vie des femmes, mais elle proposait plusieurs limites à ses analyses : une limite méthodologique, d’abord, en cherchant à montrer comment les conceptions de l’amour et des relations entre hommes et femmes telles que les formulaient les textes littéraires s’étaient modifiées entre la période médiévale et celle désignée comme la Renaissance ; une limite temporelle, ensuite, en choisissant de comparer le Moyen Âge central au xvie et au début du xviie siècle ; une limite sociale, enfin, en se concentrant sur les élites. Passé le choc provoqué par sa brillante entrée en matière, la lecture de l’article suscitait par là une certaine déception. Certes, elle incitait à explorer dans d’autres directions l’évolution négative qu’elle voulait mettre en lumière, mais sans vraiment offrir de lignes directrices. Dans une perspective tributaire de la vision de Jacob Burckhardt (1860)6 largement acceptée outre-Manche et outre-Atlantique, tout en se démarquant fortement de lui, le cœur de sa thèse revenait à valoriser l’autonomie féminine au Moyen Âge et, par contraste, à insister sur la régression de la capacité des femmes de s’affirmer en tant qu’individus à la Renaissance, concluant ainsi à l’inexistence d’une « renaissance » pour les femmes.

  • 7 Voir par exemple Herlihy 1985.

6L’article provoqua un branle-bas de combat dans les années qui suivirent sa parution. Dans une perspective d’histoire des pratiques religieuses, notamment, la discussion de la périodisation qu’elle proposait de réviser de façon aussi provocante suscita réactions et réajustements, chacun sur son terrain d’enquête trouvant matière à nuancer ou révoquer son argument. Ainsi, sur la place des femmes dans les pratiques dévotes de la fin du Moyen Âge et sur la sainteté féminine, David Herlihy en nuança l’impact7. De ses analyses, ressortait la constatation que, si Joan Kelly touchait juste, il fallait admettre que la chronologie n’était en rien unilinéaire et que l’époque de la courtoisie triomphante propre aux élites avait aussi connu son nadir en matière de sainteté féminine. Si, avec lui, on admet que le plus grand nombre des mystiques et saintes charismatiques témoigne de la prise de parole par les femmes et d’un individualisme féminin plus grand, ou mieux admis, alors l’évolution de la fin du Moyen Âge contredirait tout à la fois et Burckhardt et Kelly. Car vues du côté des saints, ce ne fut ni à l’époque féodale et courtoise ni à la Renaissance au sens burckhardien que la visibilité et l’autonomie des femmes auraient atteint leur apogée.

  • 8 Brown & Goodman 1980 ; Brown 1986, 1989.

7Mais ce fut surtout chez les historiens et historiennes de la vie économique que la contradiction se dessina. Le type de documentation exploitée – la littérature courtoise essentiellement – laissait sur leur faim ceux et celles qui s’étaient frottés de près aux réalités sociales et économiques du monde médiéval. Diverses études éclairaient, certes, les importantes fonctions économiques remplies par les femmes au Moyen Âge, mais en mettant surtout en lumière la récession dès le xive siècle, de leur autonomie économique, de leur présence dans la production industrielle et dans les relations commerciales des grandes villes. Emblématiques de ces révisions de la thèse de Kelly les études que Judith Brown, une historienne de la société toscane des xvie-xviie siècles, publia dans les années 19808. Prenant l’exemple de Florence, elle repoussait l’idée que les femmes n’aient alors assumé que des fonctions très réduites dans l’économie commerciale et industrielle de cette ville. Si l’on considère que le travail est source d’autonomie pour les femmes, et que leur (ré)apparition dans l’atelier constitua pour elles un progrès, ou du moins la reconnaissance de leurs capacités, alors oui, contrairement à Joan Kelly, on devait parler d’une renaissance pour les femmes dans un arc de temps englobant mais excédant la « Renaissance » traditionnelle.

8Mais reprocher à notre auteure de ne pas avoir traité de ces aspects serait lui faire un mauvais procès. Car, fondant sa démonstration sur des sources essentiellement littéraires, Joan Kelly soulignait bien qu’elle souhaitait parler non pas de la réalité quotidienne des femmes de l’aristocratie, mais de l’idéologie véhiculée par l’écrit. Venons-en donc au fond de ses arguments, qui confrontent les rapports entre les sexes et le pouvoir des femmes dans les sociétés de cour après 1500 à ceux de la société courtoise.

La Dame et l’amour courtois

9Joan Kelly fit le choix, critiquable mais assumé, de ne parler que des femmes des élites au travers de questionnements bien précis : la régulation de la sexualité féminine, le rôle politique et culturel des femmes et l’idéologie dominante des identités sexuées. Une longue première partie de son article est consacrée à un tableau de l’amour et de la Dame au Moyen Âge, c’est en cela qu’elle a profondément marqué les médiévistes. Dans un premier temps, le médiéviste ne peut, à la lecture de ces lignes, qu’éprouver un sentiment de soulagement et, pourquoi ne pas le dire, une certaine fierté. En effet, faire le tableau d’un Moyen Âge qui n’aurait rien à envier à la Renaissance n’était pas si courant dans les années 1970. Certes, l’école historique française menée par Georges Duby et Jacques Le Goff ainsi que par des historiens de la littérature comme Paul Zumthor, puis Michel Zink, avaient déjà mis en avant « une autre histoire » du Moyen Âge : une certaine réhabilitation de cette période se faisait jour, mais elle n’en était encore qu’à ses débuts. À ce titre, il ne fait pas de doute que Joan Kelly a suscité des vocations de médiévistes et d’historien(ne)s des femmes et du genre. Et si, en trente ans, cette contribution a, bien entendu, été amendée et critiquée, elle reste fondamentale dans la mesure où elle pose les bases d’une relecture, adressée non seulement aux historiens, mais aux historiens de la littérature.

10Selon Joan Kelly, l’amour courtois, étroitement lié aux valeurs dominantes du féodalisme, a permis dans un certain sens une expression féminine de la sexualité dans l’amour, limitée bien entendu aux femmes de l’aristocratie. Le code féodal avec ses notions de vassalité, d’hommage et de foi mutuelle a fait entrer dans les relations hétérosexuelles de nouvelles valeurs qui se traduisent par l’amour courtois. Dans son expression, il reprend au contrat vassalique les notions de fidélité et de constance ainsi que la réciprocité des droits et des obligations propre à la société féodale. Joan Kelly souligne que l’amour courtois est détaché, sinon antithétique au mariage, et rappelle combien le discours clérical a dévalorisé celui-ci, considéré par l’Église comme un degré inférieur sur l’échelle du salut, et mis en avant d’autres formes d’amour, la caritas chrétienne. Le point commun entre ces formes d’amour religieux et l’amour courtois est l’accent mis sur la soumission à la destinée et sur la souffrance procurée par l’état amoureux. Elle n’hésite donc pas à voir dans l’amour courtois une libération idéologique des pouvoirs sexuels et affectifs des femmes, une libération qui devait avoir une référence sociale. Encore une fois, il s’agissait pour Joan Kelly de s’attarder non pas sur la réalité quotidienne des femmes, mais sur l’idéologie qui porte cette notion d’amour courtois, considéré comme une relation sexuelle hors mariage dans laquelle les femmes entraient, selon elle, librement. Toutefois, le succès de l’amour courtois n’est compréhensible que s’il ne remettait pas en cause la domination masculine, une réalité historique. La société médiévale demeure patriarcale, même si, Joan Kelly tenait à le souligner, des femmes, comme Aliénor d’Aquitaine, avaient à l’occasion exercé le pouvoir. Si la société chrétienne féodale avait pu promouvoir l’amour courtois, une idéologie qui tolère la parité sexuelle, c’est qu’elle ne menaçait pas la société patriarcale et que les hommes pouvaient en bénéficier. Joan Kelly trouvait encore une autre raison à sa diffusion dans l’activité culturelle des femmes, en tant qu’auteures, avec les trobairitz du sud de la France ou avec Marie de France, et comme mécènes, par exemple Aliénor d’Aquitaine ou Marie de Champagne, des femmes qui avaient aussi joué un rôle politique.

11De façon très schématique, certes, on peut donc revenir sur trois points fondamentaux de la démonstration de Joan Kelly : l’amour courtois, le personnage littéraire de la Dame et sa réalité politique et, enfin, la participation des femmes à la vie culturelle comme auteures ou comme mécènes.

L’amour courtois, une idéologie de libération ou un leurre ?

  • 9 Dès 1965, la revue Romance Notes avait consacré un numéro spécial à « l’idéologie courtoise » (Bur (...)
  • 10 Monson 1995.

12Lorsque Joan Kelly écrit son article, le débat est déjà vif à propos du rôle de l’amour courtois dans la société du xiie siècle9. Des critiques américains contestaient le concept, considéré comme un mythe d’origine récente qui devrait être banni du discours savant tant il oppose une barrière à la compréhension des textes médiévaux10.

13Selon l’opinion générale, la poésie courtoise serait née sous la plume du duc Guillaume de Poitiers, le premier des troubadours à la fin du xie siècle. Cependant, le Moyen Âge ignore totalement le terme d’amour courtois, une notion inventée en 1883 par Gaston Paris pour caractériser l’amour entre Lancelot et Guenièvre chez Chrétien de Troyes. Il le définit comme une liaison illicite, extraconjugale, qui place l’amoureux au service d’une dame capricieuse mais qui lui inspire aussi de hauts faits. Les troubadours parlent quant à eux de fin’ amors, de cortesia et les trouvères, de courtoisie, en des termes qui n’ont pas forcément de rapport avec l’amour.

14La création d’un concept littéraire d’amour courtois par les historiens de la fin du xixe et du début du xxe siècle, centré sur l’homme amoureux, résulte de l’élaboration d’un corpus hétéroclite de textes littéraires considérés comme l’illustrant parfaitement : les poèmes lyriques occitans, ceux des trouvères, un groupe de romans, dont les romans arthuriens, et des ouvrages didactiques comme le traité De amore d’André Chapelain, la traduction d’Ovide et le Roman de la Rose ; soit des textes couvrant sur deux siècles, les xiie et xiiie siècles, deux cultures et trois langues – la langue d’oïl, la langue d’oc et le latin – et qui vont de la lyrique vernaculaire jusqu’à la prose romancée ou en vers et aux allégories en passant par les traités en latin. Ce choix très subjectif, il faut l’avouer, conduit à des lectures forcément variées, pour ne pas dire contradictoires. Si certains textes comme l’Erec et Enide de Chrétien de Troyes mettent l’accent sur l’amour dans le mariage, d’autres au contraire, comme le Tristan en prose, privilégient l’amour adultère. Le corpus de ces textes qui appartiennent à l’évidence à des genres très divers et des catégories spatio-culturelles hétérogènes, peut donc amener à des interprétations tout à fait opposées de l’amour courtois.

15Si l’on se restreint au groupe de textes « standards » émerge en effet une vision de l’amour courtois comme une idéologie du service amoureux masculin avec ses caractéristiques principales : une hiérarchie de genre renversée, avec un suppliant masculin souffrant physiquement d’amour, un désir qui fétichise la Dame désirée, qui a seule le pouvoir de guérir le malheureux, et un art raffiné de courtiser marqué par la persuasion rhétorique du poète et la prouesse du chevalier selon un schéma hautement codifié en termes de règles de conduite décidément genrées. Par exemple, l’amoureux du traité d’André le Chapelain qui tombe malade, ne peut ni manger ni dormir, ou le troubadour malade d’amour que fut Bernard de Ventadorn.

16Tous les débats, les discussions et les tentatives de définir l’amour courtois se heurtent par conséquent à des lectures très différentes : expression d’un désir insatiable, forme d’adoration religieuse, ou encore signe d’une discorde sociale. Ils butent aussi sur le hiatus avec la réalité historique du monde féodal.

  • 11 Burns 2001.
  • 12 Köhler 1974 ; Duby 1964.

17Les critiques féministes ont souvent rejeté le concept d’amour courtois comme le précurseur de la misogynie moderne de l’amour romantique, se concentrant sur les hommes aux dépens des femmes. En effet, ce sont les sentiments des hommes qui y sont exprimés ainsi que la prouesse de l’homme et son statut social11. Erich Köhler et Georges Duby ont tous deux analysé l’idéologie de l’amour courtois comme une stratégie littéraire, comme une médiation destinée à apaiser les tensions sociales entre hommes en compétition dans les cours féodales du xiie siècle12. Avec les juvenes de Duby opposés aux sires châtelains, avec le troubadour pauvre du sud de la France, il ne s’agit plus d’histoire de jalousie et de désir amoureux, mais d’un conflit entre le jeune ou le pauvre et le seigneur bien établi.

  • 13 Benton 1968.

18La première remise en cause a donc porté sur le corpus de textes qui définissent l’amour courtois et le fondent en réalité historique indiscutable et, selon les termes de Joan Kelly, en idéologie13. L’amour adultère, souligné par Joan Kelly comme un trait important de l’amour courtois, était en réalité sévèrement puni par la loi et critiqué par les poètes, en particulier dans les pays du Sud, terres des troubadours où c’était un crime pour un vassal de commettre l’adultère avec la femme de son seigneur. Au début du xiie siècle, le troubadour catalan Ramon Vidal décrivit dans l’un de ses poèmes la traque d’un vassal adultère par les serviteurs du seigneur dans le but de le tuer. Ainsi, les troubadours ne parcouraient pas tous le pays en plaidant pour l’adultère et en adressant des chansons suggestives aux femmes des seigneurs locaux, lesquels ne voyaient pas forcément une menace dans les poèmes adressés à leurs dames. Pour le troubadour allant de cour en cour et chantant son amour pour la Dame, il ne s’agissait pas de la courtiser, mais de se montrer courtois. Le troubadour Guilhem Montanhagol dans Amor mon castitatz opposait clairement l’amour d’amitié à l’amour charnel.

La Dame, un miroir sans tain

  • 14 Huchet 1987 ; Kristeva 2005.

19La grande absente est en effet la Dame. Dans la littérature du xiie siècle du nord comme du sud de la France, la Dame semble être prise entre les deux paradigmes formatifs de Narcisse et de Pygmalion. Les féministes des années 1980 et 1990 ont bien montré qu’elle n’est que le sujet putatif de l’amour courtois, et qu’elle reste sujette à des règles sociales et à des systèmes de régulation stricts car c’est l’homme qui parle, désire, est le véritable sujet de l’échange amoureux14.

  • 15 Bennett 2006.

20La Dame est alors considérée comme la construction de forces culturelles qui la fixent et la limitent, faisant d’elle un objet utilisé pour promouvoir des désirs amoureux, des aspirations littéraires, la supériorité maritale ou encore la mobilité sociale. Pour Joan Kelly, l’amour courtois médiéval permettait d’une certaine manière l’expression d’une sexualité féminine. Judith Bennett met au contraire en avant la permanence du système patriarcal pendant toute la période15.

  • 16 Goldin 1967.

21Une relecture plus attentive des textes suggère une attitude plus ambiguë envers la Dame : au mieux, elle est souvent dépeinte comme indifférente, au pire, comme menaçante, voire dangereuse. Même dans les textes les plus courtois, la vieille tradition misogyne n’est jamais très loin. L’amour masculin est toujours considéré comme supérieur à celui de la femme. Les troubadours jouent en effet souvent sur l’ambivalence entre la Dame et la Femme, entre la bonne et la mauvaise Vénus, la chaste et la luxurieuse. La Dame des troubadours n’est qu’un idéal désincarné, sans guère de rapport avec les vraies femmes. Sans émotion, immobile, manquant de traits individualisés, elle n’est que le miroir réfléchissant du poète Narcisse ou sa créature comme celle d’un Pygmalion. Le troubadour tombe amoureux d’une image idéalisée de la femme qu’il a lui-même façonnée16. Le personnage de la Dame littéraire forme un diptyque avec le deuxième grand mythe de la femme idéalisée façonné par les hommes du xiie siècle, celui de la Vierge. À une époque où le pouvoir politique et juridique des femmes tendait à décliner, la Vierge devient Notre-Dame et la Dame du troubadour, un idéal inaccessible, mais valorisant.

22Le poète chante davantage pour acquérir statut social et renommée que pour l’amour de la Dame. Son propos n’est pas seulement de séduire, mais de se mettre en valeur. Comme la Dame, la Vierge est louée pour son pouvoir d’intercession auprès du Seigneur. La Dame des poètes courtois n’est pas une femme, mais une projection de leurs désirs, tout autant que le reflet de leurs frustrations et de leurs peurs. Une argumentation convaincante et diamétralement opposée à celle que fait Joan Kelly de la lecture du corpus canonique des textes courtois.

  • 17 Richard de Fournival 1978.
  • 18 Guillaume de Lorris et Jean de Meun 1997.
  • 19 Heldris de Cornüalle 1991.

23Plus récemment, cependant, sans nier cette vision masculine de l’amour courtois, de nouvelles lectures montrent qu’il s’agit bien d’une affaire entre hommes et femmes où celles-ci peuvent émerger, acquérir une position de sujet, par des réponses novatrices au discours normatif. Des preuves de cette participation féminine sont présentes dans des textes moins conventionnels, comme Le bestiaire d’amour de Richard de Fournival17, où la Dame répond à l’amour courtois et prend la défense des femmes. Dans le Roman de la Rose18, les figures clés de la Vieille et de Nature mettent en question le stéréotype de la femme bavarde, tout en maniant parfaitement le discours rhétorique. Le modèle hétérosexuel de l’amour courtois se complique par une série de relations d’amour entre femmes ou encore par l’intervention d’héroïnes travesties comme dans le Roman de Silence19. Dans bien des textes, les femmes déploient de nombreuses formes de résistance à la domination hétéro-normative de l’amour courtois. Elles se montrent capables de penser, d’agir et de s’exprimer.

  • 20 Erler & Kowaleski 1998 ; Evergates 1999.
  • 21 Duby 1981.

24Les historiens des femmes et du genre sont peut-être aujourd’hui plus proches des théories avancées par Joan Kelly que ceux de la littérature. Les récentes études consacrées aux femmes de l’aristocratie au Moyen Âge remettent en cause la théorie mise en avant par Jo Ann McNamara et Suzanne Wemple, en accord sur ce point avec Georges Duby, selon laquelle la réassurance de l’autorité monarchique face aux puissances féodales au xiie siècle aurait signifié la fin de la présence des femmes sur la scène politique française20. Longtemps, l’absence d’études de cas précis et l’idée préconçue d’un manque de sources ont soutenu cette affirmation. Il n’est plus possible aujourd’hui de décrire les femmes de l’aristocratie comme dénuées de tout pouvoir économique ou politique. Elles ne sont pas seulement des instruments passifs au cœur des stratégies matrimoniales, comme le voulait Georges Duby21, mais, pour nombre d’entre elles, des participantes actives à la vie de la seigneurie comme les comtesses de Champagne ou de Flandre.

  • 22 Duby 1995-1996.
  • 23 Duby 1983.
  • 24 Voir Livingstone 1998 ; Farmer 1998.
  • 25 Lo Prete 1995 ; Greene 2004.

25Dans Dames du xiie siècle22, Duby reprend l’idée maintes fois exprimée que l’on ne peut connaître les femmes qu’au travers d’un regard masculin et que l’on ne sait pas grand-chose de l’amour au XIIe siècle23. Des médiévistes, plus proches de Joan Kelly, ont critiqué son pessimisme et sa vision d’un Mâle Moyen Age24. Kimberly Lo Prete lui reproche de ne pas tenir compte de l’évidence documentaire. Nombreuses sont les chartes qui témoignent d’une présence active dans la vie politique et religieuse des femmes de l’aristocratie25. Des femmes qui jouent également un rôle culturel indiscutable comme le soulignait Joan Kelly.

Une expression féminine : femmes auteurs et femmes mécènes

  • 26 Cheyette 2006.

26La cour d’Ermengarde de Narbonne en fournit un bon exemple26. Une soixantaine de documents illustrent son parcours, elle n’est donc pas une inconnue inaccessible à l’historien, cette Dame du xiie siècle. Elle succède à son père en 1134 comme vicomtesse jusqu’à son exil forcé par son neveu en 1192-1193 et meurt à Perpignan en 1196. La vicomtesse apparaît dans les chansons des meilleurs troubadours, de Bernard de Ventadorn, Peire d’Alvernhe, en passant par Azalais de Porcairagues, Giraut de Bornelh ou Peire Rogier. Patronne des poètes, cette femme exerce son pouvoir d’une main de fer, mène des armées et joue un rôle diplomatique important.

  • 27 Huchet 2006.
  • 28 Bogin 1976.

27Mécènes, les femmes sont aussi créatrices, comme le souligne Joan Kelly en mettant en valeur l’existence des trobaïritz. La redécouverte de ce petit groupe de poétesses de langue occitane n’a cessé d’alimenter les controverses27. Une lecture politique de leur poésie met en évidence des différences avec celle des hommes et souligne l’émergence d’une écriture au féminin qui fait de la trobaïritz un sujet actif28. Ces poétesses seraient même comme unies par une volonté commune. Pierre Bec a pourtant bien montré que ce serait une erreur historique de les considérer comme un groupe structuré ; le mot même de trobaïritz n’apparaît que bien après la composition de leurs pièces principales, dans le roman de Flamenca vers 1250. L’un des seuls points sur lesquels s’accordent les critiques est leur faible nombre : une vingtaine de noms connus, une quarantaine de pièces conservées. Elles présentent la même diversité sociale que les hommes, depuis des dames de la haute aristocratie comme la comtesse de Die ou Marie de Ventadour jusqu’à la roture, en passant par la petite noblesse avec Na Castelloza. Elles composent surtout des dialogues poétiques, tensos et partimens, des pièces écrites au féminin, mais où la voix féminine est surtout un contre-chant, une réponse au chant dominant masculin. Les mots employés sont les mêmes que ceux des hommes, les formes reprennent les mêmes topiques, les mêmes schémas. Elles composent dans le cadre de la cour selon des conventions bien établies.

  • 29 Tomaryn Bruckner 1965.

28Cependant dans le roman Flamenca, où l’héroïne est décrite en trobairitz écrivant un poème, on ne saurait nier l’émergence d’un « je » féminin. La femme doit pourtant passer par les structures rhétoriques et les thématiques masculines. Dans ses poèmes, Na Castelloza adopte une posture à la fois offensive et défensive, elle signale et défend l’anomalie de son rôle, celui d’une femme qui chante l’amour ; en cela elle diffère de la comtesse de Die, qui l’assume sans difficulté. Comme les hommes, Na Castelloza fait une grande utilisation du code féodal dans les relations amoureuses, en se présentant comme une humble vassale, promettant fidélité, à la différence de la comtesse de Die. Plus que le genre, la place dans la hiérarchie féodale semble souvent jouer un rôle primordial29. En cela, la démonstration de Joan Kelly qui gomme volontairement les hiérarchies sociales, souhaitant uniquement s’intéresser à l’idéologie du genre, est délicate car l’idéologie repose toujours sur une pensée de genre, mais aussi sur une construction sociale.

29On voit ainsi que, débattu, combattu, discuté comme tout article fondateur, par les médiévistes, spécialistes de l’histoire des femmes ou de la littérature, le texte de Joan Kelly a été et demeure une source féconde pour les générations suivantes d’historiennes et historiens. Il a permis une relecture des textes canoniques et un élargissement considérable du champ de la recherche, mettant en question l’idée d’un Mâle Moyen Age. Mâle, il le fut sans aucun doute, mais pas seulement.

Les femmes des sociétés de cour à la Renaissance

  • 30 Catherine Sforza (1462-1509), fille illégitime du duc de Milan Galeas Maria Sforza, se fit connaît (...)
  • 31 Élisabeth Gonzague, duchesse d’Urbino (1471-1526), épouse de Guidobaldo de Montefeltre, est connue (...)

30La seconde partie de l’argumentation de Joan Kelly porte sur l’affaiblissement du pouvoir des femmes, ou plus exactement des femmes des élites, à partir du début du xvie siècle. Le contraste entre la figure de Catherine Sforza30 et celle d’Élisabeth Gonzague31 lui permet d’illustrer et de préciser le sens de cette évolution. La première qui fut une « virago » de la Renaissance incarne les possibilités dont pouvait se saisir une femme déterminée à l’époque où les États italiens se donnaient à des seigneurs nouveaux venus, conquérants sans scrupule qui comptaient sur la violence et la « fortune », au sens machiavélien du terme, pour imposer leur tyrannie. La seconde est la parfaite épouse d’un prince déjà établi, réduite à un rôle esthétique de joyau de cour et de patronne des arts et des lettres.

  • 32 Castiglione 1955. La première traduction française remonte à 1537, l’une des plus récentes est cel (...)
  • 33 Sur ces derniers aspects du Courtisan, voir notamment Chemello 1980 ; Kolsky 2003b [1990] ; Ricci (...)

31L’examen du Livre du Courtisan de Baldassar Castiglione (1528) complète l’analyse : dans ce nouveau système de cour, la séduction courtoise n’est plus adressée aux dames mais au prince lui-même32. La relation entre le courtisan et la dame de cour (donna di palazzo) en serait profondément modifiée. À l’exaltation de l’amour adultère, présente dans l’idéal de la fin’amors, succèderaient, chez Castiglione, une défense et illustration de l’amour conjugal, une exigence de chasteté et de réserve féminine où la dame n’aurait d’autre horizon que de servir les ambitions de son époux. Simple « ornement » de la cour, suivant l’expression utilisée par Castiglione, son rôle se réduirait à policer les mœurs et à civiliser le courtisan, ce qu’illustre la place réduite des protagonistes féminins dans le dialogue du Courtisan, leurs silences, même lorsque sont évoqués, au troisième livre, les principaux arguments pro et contra de la « querelle des femmes »33.

32Ce n’est cependant pas à propos de l’évolution des doctrines de l’amour que les réflexions de Joan Kelly sont aujourd’hui très fréquemment évoquées : la question du « pouvoir des femmes », au sens le plus politique du terme, suscite en effet, surtout depuis une dizaine d’années, un très grand nombre de publications. Alors que ce point est resté longtemps doublement aveugle à l’histoire politique classique et à l’histoire des femmes, la recherche s’attache plus qu’autrefois à mettre à l’épreuve le noyau même de la thèse de Joan Kelly, l’affaiblissement du pouvoir des femmes appartenant aux élites de la Renaissance.

Femmes de pouvoir

  • 34 Synthèse bibliographique et historiographique à l’échelle européenne par Poutrin & Schaub 2007.

33C’est d’abord aux gouvernantes que la majeure partie des études sont consacrées34, puisque, à la Renaissance, certaines exercèrent le pouvoir suprême, soit par dévolution héréditaire (Isabelle de Castille, Mary Tudor et Elizabeth Ire d’Angleterre, Marie Stuart d’Écosse), soit par délégation en exerçant la régence durant l’absence du roi ou à sa mort quand l’héritier était encore mineur, soit encore par désignation – ce qui fut le cas des gouvernantes des Pays-Bas, Marguerite d’Autriche, Marie de Hongrie, Marguerite de Parme, respectivement tante, sœur et fille naturelle de Charles Quint, dans le cadre très particulier du système étroitement familial mis en place par l’empereur Habsbourg.

  • 35 Cosandey 2000.

34Si l’approche biographique reste dominante dans ce domaine de recherche, elle tend peu à peu à se détacher du genre romanesque qui a été longtemps sa caractéristique essentielle, tant la biographie des femmes de pouvoir fut mêlée à la légende (rose ou noire) qu’elles eurent parfois à affronter de leur vivant. Hors des sentiers biographiques, la recherche s’est orientée vers des réflexions sur les aspects institutionnels du pouvoir exercé par les reines. La possibilité d’exercer le pouvoir suprême a bien sûr varié en fonction des coutumes d’héritage, la France de la loi salique qui excluait les femmes de la continuité dynastique faisant plus figure d’exception que de norme en matière de succession féminine. Cependant, même en France où les femmes ne pouvaient être souveraines, les reines épouses ont fait partie intégrante du système monarchique, comme l’a montré Fanny Cosandey en étudiant à la fois la théorie politique, les rouages institutionnels ou le cérémonial étatique dans lesquels s’inséraient les reines35.

  • 36 Cité par Autrand 1999 : 22.
  • 37 Exemples de biographies de dames françaises du xvie siècle, Allag 1995 sur la comtesse de Sault ou (...)

35Si les études sur les femmes souveraines se sont peu à peu élargies à d’autres figures de princesses que les gouvernantes et se sont aussi intéressées à l’éducation des princesses dauphines et infantes, aux stratégies matrimoniales et aux alliances dynastiques, au rôle des reines épouses (que les Anglais n’hésitent pas à appeler queens consorts) et des mères de rois, on sait beaucoup moins de choses sur les femmes de l’aristocratie. Qu’en est-il des « dames et damoiselles » hors des familles régnantes, de celles au sein desquelles Christine de Pisan distinguait différents rangs, depuis celles qui vivent à la cour (demoiselles d’honneur, suivantes, épouses de grands serviteurs) jusqu’aux gentilfemmes demeurant en cités closes, en passant par les « baronesses et grandes terriennes »36 ? Le genre biographique est là aussi prédominant bien que très peu de portraits récents aient passé au feu de la critique les matériaux anciennement collationnés dans les recueils anciens de femmes illustres ou les travaux des érudits du xixe siècle et du début du xxe siècle37. On possède donc peu d’études sociales et même peu de portraits de groupe à l’exception de celui qu’a dressé Barbara Harris pour l’Angleterre en étudiant les testaments, les lettres, les papiers de famille et les actes judiciaires des femmes de la haute aristocratie anglaise des années 1450-1550. Plus limité, le travail mené à l’initiative d’Helen Nader sur huit femmes de la famille Mendoza, l’un des lignages les plus puissants d’Espagne, entre 1450 et 1650, permet de situer quelques femmes déjà connues comme María Pacheco ou la princesse d’Ebolì dans le cadre des valeurs et des stratégies propres à leur milieu et à leur lignage. Des études prosopographiques et des études de réseaux manquent encore assurément pour répondre convenablement à la question de Joan Kelly. Un certain nombre de résultats viennent cependant d’ores et déjà infléchir sa thèse.

  • 38 Wanegffelen 2008. Autre synthèse utile, notamment pour son répertoire biographique : Bennassar 200 (...)
  • 39 Synthèse des travaux sur ces avènements par Poutrin & Schaub 2007 : 25-28.

36Incontestablement, dans l’Europe de la Renaissance, quelle que soit la forme qu’il prend, le pouvoir exercé par une femme est… « contesté », suivant l’expression retenue par Thierry Wanegffelen comme titre d’une des rares synthèses sur le sujet parue en français38. Même lorsqu’elles possèdent une légitimité certaine du point de vue des règles de la dévolution dynastique, leur avènement n’a rien de simple ou assuré : Isabelle de Castille, Mary Tudor comme Elizabeth Ire durent leur accession au trône aux aléas démographiques répétés qui frappèrent les mâles de leurs familles, à d’habiles aménagements institutionnels et à de forts soutiens politiques39. L’installation des régentes françaises, si elle relevait de la volonté du roi en cas d’absence temporaire, nécessitait, lorsqu’il s’agissait de la tutelle d’un roi mineur, que les reines mères négocient avec les princes du sang, les États généraux et, à partir de 1610 et la régence de Marie de Médicis, convoquent, pour plus de sûreté, des lits de justice au Parlement.

  • 40 Sur Isabelle de Castille : Liss 2005. Sur Elizabeth, la bibliographie est immense. En Deborah : Mc (...)

37Dans ce contexte assez périlleux, la production de discours et d’images apparaît comme un élément essentiel de la propagande monarchique en faveur des souveraines. Elle a fait l’objet de nombreuses recherches récentes montrant comment le panthéon biblique et mythologique s’est trouvé mobilisé par les artisans de la propagande royale. C’est à Esther et Déborah qu’est comparée la protestante Elizabeth d’Angleterre. La figure de Marie sous-tend l’image d’Isabelle de Castille mais aussi celle de la même Elizabeth, la Virgin Queen, comblant le vide laissé par la désacralisation réformée de la mère du Christ. Faisant endosser les attributs régaliens de la guerre à Marie de Hongrie, Catherine de Médicis, Elizabeth à Tilbury, les discours et les images qui sont produites sur elles jouent sur la figure mythologique des Amazones, revivifiée par les grands voyages de découverte et popularisée au sein des aristocraties européennes par la littérature chevaleresque et les arts picturaux. Construites à l’aide de topoi imaginaires médiévaux et renaissants, les représentations des gouvernantes allient vertus féminines et valeurs masculines, de manière à rendre acceptable un exercice du pouvoir, qui, au fond, reste indu. En ce sens, le pouvoir suprême est bel et bien, à la Renaissance, un attribut masculin, même si une reine comme Elizabeth se prévaut de posséder, sous son enveloppe de « faible femme », le « cœur et l’estomac d’un roi »40.

  • 41 Wiesner-Hanks 2008 : 277.
  • 42 Arcangeli & Peyronel 2008.
  • 43 Antenhofer 2008.

38Comment donc qualifier le pouvoir qu’exercent les dames à la Renaissance ? Comme le note Merry Wiesner-Hanks, les recherches récentes tendent à distinguer l’exercice de l’autorité, formellement reconnue comme légitime – et que peu de femmes exercent –, du pouvoir qui consiste à influer sur les événements de différentes manières (conseil, patronage, relations épistolaires, voire rébellion)41. Dans leur introduction au recueil Donne di potere nel Rinascimento, Letizia Arcangeli et Susanna Peyronel font l’inventaire des différents qualificatifs attribués au « pouvoir » des femmes des élites qui y sont étudiées, patriciennes, feudataires, dames de cour et princesses des petits états autonomes italiens42. Elles notent que les chercheur-e-s s’attachent à distinguer le pouvoir « formel », qui est éventuellement conféré aux dames par leur naissance et leur statut social, du pouvoir « informel », lié à des formes de sociabilité politique ou à des formes de patronage ou de clientélisme. Dans ce jeu, les « opportunités » qu’ont les dames d’exercer un pouvoir varient en fonction du type de gouvernement auquel elles appartiennent (République, régime seigneurial, Monarchie), des circonstances dans lesquelles elles sont placées, des relations personnelles qu’elles sont capables de nouer, exerçant parfois un « pouvoir discursif » ou un « pouvoir des émotions »43, identifiable à travers l’usage des mots et des sentiments qu’elles font dans leurs correspondances, l’une des sources principales du renouveau de ce type d’études. Se pose de nouveau ici la pertinence de la séparation du public et du privé, en définitive vite révoquée en doute, tant éclate avec force l’importance de l’assise familiale de tout pouvoir politique à l’époque de la Renaissance.

Ornements des cours

  • 44 Welch 2008.
  • 45 Segura Graíño : 1994.
  • 46 En français, Gil 2002, pour le récit de la vie d’Isabelle d’Este, objet d’une immense bibliographi (...)
  • 47 Boutier et al. 1984.

39Les femmes ont-elles été ravalées au rang de simples ornements de la cour, comme le pensait Joan Kelly ? Ornementales, les souveraines le sont indiscutablement par elles-mêmes. La magni-ficence de leur train de vie et de leurs biens apparents (vêtements, bijoux, pierreries, etc.) est l’indice de la puissance de leur lignage d’origine tout comme de la dynastie qui les accueille. Elle est aussi un élément de leur « crédit », aux deux sens de leur réputation et de leur capacité d’emprunt, si souvent sollicitée dans le cas des princesses des petites principautés italiennes44. Le rôle politique que joue la magnificence de la maison de la reine a été particulièrement mis en avant par Barbara Harris pour l’Angleterre des années 1450-1550. Les demoiselles et dames d’honneur ne sont acceptées à ces charges qu’à la condition qu’elles puissent en effet en devenir les ornements : d’où l’importance de leur beauté, de la grâce et de l’agilité corporelle qu’elles manifestent (dans la danse en particulier), de leur maîtrise des arts d’agrément (la musique, la conversation) mais aussi parfois de leur culture chevaleresque et humaniste. Ce dernier trait est sensible dans l’entourage d’Éléonore d’Aragon, épouse d’Henry viii, comme il l’était pour sa mère Isabelle de Castille45. Vouées à témoigner pour leur maître et maîtresse du haut niveau de raffinement de la cour, leur présence aux banquets, aux ballets, aux cérémonies religieuses ou séculières est destinée à impressionner les peuples lors des déplacements de la cour et les ambassadeurs étrangers, qui ne manquent pas de faire des rapports sur les vêtements, les bijoux et la grâce des dames de la reine. Apparemment frivoles, ces détails ont ainsi une grande importance politique, en un temps où gouverner, c’est aussi paraître. Isabelle d’Este se servit à plusieurs reprises de ses suivantes pour manœuvrer sur un terrain diplomatique périlleux qui la faisait osciller entre l’alliance française et impériale46. La grandeur de la maison de la reine Catherine de Médicis contribua au succès du « tour de France royal » qu’elle entreprit en 1564-1566 pour montrer son fils à ses peuples divisés47. Dans cette mise en scène de la puissance, cependant, la valeur ornementale des hommes de cour jouait un rôle tout à fait similaire, qui en fit moquer certains sous les termes de « pimpets » ou de « mignons ».

  • 48 Harris 2002 : 216-227.

40Bien qu’elles aient une fonction « ornementale », les dames qui ont des charges en cour n’en possèdent pas moins un certain nombre de privilèges en tant que représentantes de leurs maisons. Cependant, leur réussite personnelle dépend parfois de leur expérience et de leur habileté politique, comme c’est le cas de plusieurs suivantes de la maison de la reine sous Henry viii qui réussissent à maintenir leur position malgré les divorces répétés du roi, menant de véritables « carrières ». Barbara Harris montre ainsi qu’à partir des charges qu’elles occupent, elles servent les intérêts de leur lignage, négociant des alliances avantageuses pour leurs enfants, obtenant des récompenses, des places, des grâces pour leurs parents et leurs alliés48. En ce sens, la maison de la reine est un centre politique, qui mériterait d’être étudié avec davantage de précision, notamment en France, de façon à rendre compte des stratégies politiques des lignages qui peuplent la cour par l’intermédiaire de leurs représentants aussi bien masculins que féminins.

  • 49 Wilson-Chevallier 1999.
  • 50 Cloulas 1997.
  • 51 Pour la période 1350-1485 à Milan, Rimini et Ferrare, voir Ettlinger 1994.
  • 52 Murphy 2005.
  • 53 Feci 2008.

41Vu sous l’angle du fonctionnement curial, le commerce sexuel entre le prince et sa maîtresse ou sa favorite n’est qu’un des aspects de ces échanges de dons qui se nouent entre les souverains et les gens de cour, commerce qui commence à être traité autrement que sur le ton badin qui lui a été longtemps attaché. Preuve de leur valeur ornementale, les favorites étaient parfois les dédicataires des grandes réalisations artistiques des princes : ce fut par exemple pour la duchesse d’Étampes que François Ier fit peindre de nouveaux appartements à Fontainebleau par Primatice49. Mais, souvent issues de très hauts rangs, les maîtresses pouvaient non seulement favoriser leurs parents et alliés – et parfois mêmes leurs maris légitimes –, mais espérer tirer profit de cette relation, telle Diane de Poitiers qui, en accédant au rang de duchesse du Valentinois, devint l’une des plus puissantes dames feudataires de France50. Toutes ne pouvaient avoir l’espérance – qui s’avèrera funeste – de suivre le destin d’Anne Boleyn, Jane Seymour et Katherine Howard, anciennes demoiselles d’honneur des reines précédentes, devenues successivement les épouses d’Henry viii. Mais, en Italie, il leur était possible de voir leurs fils bâtards accéder aux affaires51 et, ailleurs, de les voir occuper de hautes fonctions et conclure des alliances avantageuses – qu’on songe aux destins de don Juan d’Autriche ou Marguerite de Parme. Partout en Europe, l’extension du régime dynastique, l’obsession des princes pour la continuité dynastique, l’importance des liens familiaux au sein du système de gouvernement, ont donné aux maîtresses ainsi qu’aux bâtards et aux bâtardes une place stratégique que l’on retrouve jusques à la curie romaine, et pas seulement au travers des figures emblématiques de César et Lucrèce Borgia ou de celle, moins connue, de Felice della Rovere52. Même un pouvoir par définition masculin comme celui du pape s’est appuyé sur des intermédiaires féminins et a recouru à des stratégies matrimoniales pour s’assurer des soutiens dans la noblesse romaine et les dynasties qui dominaient les cités périphériques de l’État pontifical53.

Patron(ne)s et mécènes

  • 54 Kettering 1989.
  • 55 Welch 2000 et plusieurs articles dans Arcangeli & Peyronel 2008.
  • 56 Stephenson 2004.
  • 57 Harris 2002 : 199-205.

42Un autre caractère fondamental de l’exercice du pouvoir à la Renaissance est mis en valeur par les recherches sur le rôle des dames dans les relations de patronage et de clientèle, essentielles dans un système politique où la distribution des faveurs par le souverain redoublait voire, dans certains cas, remplaçait le système de fidélités mis en place dans la féodalité, et dans lequel le gouvernement des provinces passait par des réseaux de fidélités emboîtées. On doit à Sharon Kettering d’avoir intégré la variable de genre dans ses travaux plus généraux sur les clientèles en France aux xvie et xviie siècles54. Pour l’Italie, de très nombreuses études s’intéressent au patronage politique des princesses, des dames de l’aristocratie comme à celui, moins visible, des femmes de patriciens urbains italiens, qui cherchaient à s’aristocratiser en entrant dans ce système du don de faveurs/contre-don de fidélités55. Les femmes de l’aristocratie exercèrent différentes formes de patronage, endossant le rôle que les historiens anglo-saxons qualifient de brokers (intermédiaires) entre des demandeurs et demandeuses et les hommes de leurs familles de naissance et d’alliance. Au même titre que celui exercé par les hommes, le patronage féminin fut un instrument de domination sociale qui s’inscrivait dans une série de cercles de sociabilités où s’inséraient parents, amis et voisins ; il permettait aux grandes familles de redistribuer les bienfaits reçus de plus haut tout en s’assurant la fidélité de leurs obligés. Ainsi, le patronage exercé par Marguerite de Navarre, sœur de François Ier, en tant que duchesse de Berry n’obéit pas à d’autres règles, ce qui explique que, tout en ayant été notoirement proche des évangélistes, elle ait aussi patronné des maisons religieuses et des prédicateurs tout à fait orthodoxes56. En Angleterre, les femmes de la nobility, en recevant les épouses de la gentry, en leur accordant des faveurs, en engageant leurs filles comme suivantes, en jouant les intermédiaires pour l’obtention d’offices ou de grâces, renforçaient les positions de leurs familles (d’origine et d’adoption) sur le pays, servant d’intermédiaires entre court et country57.

  • 58 Tornabuoni, 1993.
  • 59 Tomas 2003.

43Le patronage féminin fut parfois un instrument d’ascension des dynasties. À l’époque où les Médicis n’étaient encore que des gouvernants de facto de la République florentine, les mères, sœurs, épouses et filles Médicis exercèrent des formes de patronage local qui confortaient le pouvoir des hommes de leur famille58. Avec l’avènement des papes Médicis, Léon x (1513-1521) et Clément vii (1523-1534), elles furent en partie investies des relations clientélaires romaines, répondant aux demandes d’ecclésiastiques, négociant pour assurer à l’un de leur fils le chapeau de cardinal, aux autres des mariages avantageux dans la noblesse romaine, ce qui affermit le pouvoir et la légitimité des Médicis à Florence59.

  • 60 Lawrence 1997 ; King 1998 ; Matthews-Grieco & Zarri 2000 ; Reiss & Wilkins 2001 ; Wilson-Chevallie (...)
  • 61 Lazard 1999.
  • 62 Ce qui est vrai sur la longue durée ainsi que l’a montré Catherine King en étudiant les commandes (...)
  • 63 Wilson-Chevallier 2007 : 39-40.
  • 64 Kolsky 2003a [1984].

44« Patrons », les femmes de la Renaissance le furent donc, et non seulement dans le sens où Joan Kelly l’avait envisagé, comme protectrices des arts et de la littérature, mais comme intermédiaires politiques. Le mécénat des dames (que l’historiographie anglo-américaine désigne du même terme de patronage mais aussi de matronage) a lui-même fait l’objet de recherches nouvelles et de réinterprétations60. Qu’elles aient constitué des collections d’œuvres d’art ou de manuscrits, fait bâtir des châteaux61 ou des tombeaux, protégé des artistes ou des littérateurs, les femmes qui exerçaient un mécénat œuvraient aussi pour donner à contempler un certain pouvoir. La célébration dynastique et la commémoration de l’époux défunt sont l’un des premiers desseins des dames mécènes62. Mais ce mécénat féminin pouvait être un moyen d’activer les images légitimantes du pouvoir même de la souveraine : certaines reines possédaient et commandaient des manuscrits consacrés à la « défense des femmes » ou faisaient peindre des « galeries de femmes fortes », destinées à les rattacher à de glorieuses ancêtres, femmes savantes, guerrières, gouvernantes, bâtisseuses d’église, saintes etc.63. Enfin, certaines utilisèrent le mécénat pour façonner leur propre image. Infatigable collectionneuse, parfois peu regardante sur les moyens d’acquérir telle ou telle pièce, Isabelle d’Este est la figure la plus emblématique de cette volonté : son studiolo et sa grotta donnaient à voir aux visiteurs son image de femme cultivée, la représentant comme une espèce d’Apollon au féminin, femme-musique qui, par la grâce de Mantegna, se montrait victorieuse du chaos et prêtresse de l’harmonie, prima donna del mondo64.

Droits patrimoniaux et continuité dynastique

  • 65 Guerra Medici 2005.
  • 66 Voir le tableau synoptique présenté par Poutrin & Schaub 2007 : 60-61.
  • 67 Cosandey 2000 : 297.

45Si les relations de clientèle se développèrent à la Renaissance, elles ne supplantèrent pas celles qui s’appuyaient sur les fidélités lignagères et la défense de droits patrimoniaux hérités ou conquis.De ce point de vue, le pouvoir exercé directement par une femme a presque toujours obéi à ce type de logique, qu’il s’agît d’une héritière ou d’une veuve douairière. Étudiant la régence dans les monarchies occidentales sous l’angle du droit, Maria Teresa Guerra Medici a montré que, dans le régime dynastique qui est alors devenu dominant, la survie des dynasties passait par la possibilité laissée aux reines-épouses de recevoir par délégation le pouvoir de régner pour assurer la passation de pouvoir à leur fils, tendant à la généralisation de la régence féminine65. C’est bien pour assurer la continuité dynastique au profit de leurs enfants mineurs que les régentes exerçaient le pouvoir dans l’Europe de la Renaissance, y compris, et contrairement à ce que pensait Joan Kelly, dans les principautés italiennes où ce genre d’intérim semble plutôt s’être multiplié aux xvie et xviie siècles66. À partir de la fin du xve siècle en France, les régences ne furent plus confiées à des princes du sang, encore moins à des barons, mais aux femmes de la famille67. Légitimée par l’amour « naturel » que la princesse porte à son fils, la régence féminine apparaît là comme un rempart contre l’usurpation, tout comme elle est un indice de la montée en puissance des régimes dynastiques.

  • 68 Sur ce sujet voir Dubost 2007 : 247-262.
  • 69 Nassiet 2007 : 135-138.

46Les grandes dames étaient donc sommées d’appartenir au lignage de leur époux, tout comme les princesses de se dépouiller de leur attachement à leur famille et à leur pays d’origine, en abandonnant soit progressivement, soit brusquement le costume propre à leur nation68. Cependant, toutes ne se départaient pas aisément de leurs attaches de naissance. Et surtout, toutes n’abandonnaient pas aisément les droits patrimoniaux qu’elles avaient hérités. La tentative d’Anne de Bretagne de conserver son duché indépendant en le léguant au cadet de France est tout à fait caractéristique de cet attachement même si elle échoua en raison des habiles menées matrimoniales de François Ier, des hasards démographiques qui font naître des filles et mourir des cadets… mais aussi de la double appartenance dynastique de sa fille Claude, duchesse de Bretagne et fille de France69.

  • 70 En particulier Nassiet 2000 ; Haddad 2009.
  • 71 Hanley 1989.
  • 72 Harris 2002 : introduction.

47Ainsi, les positions de pouvoir des femmes continuèrent, à la Renaissance, d’être liées aux droits patrimoniaux qu’elles exerçaient à divers titres et à différents moments de leur vie : certaines héritaient de terres (et certaines, filles sans frère, du fief principal, du nom et des armes), certaines géraient des domaines en l’absence de leur époux, d’autres veillaient aux biens des enfants dont elles avaient la tutelle, pratique qui eut tendance à se généraliser. Avec les fiefs venaient le pouvoir sur les hommes, les droits seigneuriaux, les pouvoirs de justice, les devoirs militaires. De ce point de vue, le renouveau des études sociales sur la noblesse ouvre des perspectives sur l’exercice des prérogatives seigneuriales par les héritières ou encore sur les stratégies qu’elles mettent en œuvre pour conserver leur patrimoine, matériel ou symbolique70. La thèse de Sarah Hanley, formulée à propos de la situation française, selon laquelle les droits des femmes de la noblesse auraient connu, à partir du xvie siècle, un recul parallèle à l’émergence d’un État centralisé et fort, s’inscrit dans la droite ligne des thèses de Joan Kelly71. Tout en étant, comme le souligne la spécialiste de l’Angleterre Barbara Harris, intuitivement séduisante72, elle mérite d’être discutée. On peut émettre l’hypothèse que la solution juridique qui fut privilégiée dans de nombreuses régions européennes à partir de la fin du xve siècle pour assurer la continuité des lignages dominants, à savoir s’en remettre à la substitution d’une femme à un homme – fille héritière ou veuve survivante –, fut une solution qui offrait à celles qui pouvaient ou voulaient s’en saisir des occasions d’exercer un pouvoir réel.

Autonomie de conscience ?

  • 73 Viennot 2003 ; Allag 1995 ; Steinberg 2001 : 213-226.
  • 74 Sur Renée de Ferrare, voir Gil 1990 et Puaux 1997.

48De facto chefs de famille, ce sont surtout les veuves qui se trouvent en position d’exercer un véritable pouvoir, ce qui est particulièrement visible dans la manière dont certaines d’entre elles interviennent dans les affaires publiques, par le biais de procès, de négociations, de campagnes publiques voire de conflits ouverts. Durant les Guerres de religion en France, la plupart des femmes qui prirent la tête de factions ou participèrent aux combats étaient des veuves, qu’il s’agît des veuves de la maison de Guise (Antoinette de Bourbon, Anne d’Este et la fameuse duchesse de Montpensier) ou de dames de la noblesse provinciale comme la comtesse de Sault ou Madeleine de Miraumont73. Lorsqu’elle revint en France en 1560 après la mort de son époux, c’est en tant que dame possessionnée (à Montargis) que Renée de France exerça son pouvoir de protection seigneuriale et, tout comme les hommes qui participèrent aux luttes religieuses, c’est à partir de son fief qu’elle s’intégra politiquement à son camp religieux, avec ses vassaux et ses clients74.

  • 75 Roelker 1974.
  • 76 Harris 2002 : 238.

49Ce dernier exemple, pour être celui d’une femme d’exception (fille de France, mariée à un “petit” souverain étranger, héritière spoliée du duché de Bretagne), pose le problème de l’autonomie de conduite de ces grandes dames. En dehors des fidélités lignagères et des logiques patrimoniales, trouve-t-on des indices que leurs engagements politiques aient procédé d’une autonomisation intellectuelle ou moraleplus avancée ? À partir des années 1520, c’est bien par conviction personnelle que de très grandes dames passèrent à la Réforme, comme Jeanne d’Albret ou Renée de France75. En Angleterre, certaines dames de la cour d’Henry viii, suivantes de Catherine d’Aragon, résistèrent au contraire aux changements religieux. Pour avoir désapprouvé la répudiation de la reine, Anne Grey fut emprisonnée et, après sa relaxe, son soutien ostensible à la rébellion du Lincolnshire contre la dissolution des monastères (1536), entraîna la condamnation de son mari, Lord Hussey, pourtant fidèle au roi, pour trahison76. Déjà ces choix sonnent le glas de la grande Renaissance : l’âge tragique commence, avec son cortège de délibérations douloureuses et d’engagements obligés face à la montée des violences. Mais il resterait beaucoup à dire sur les implications politiques de ces choix-là.

Le sens d’une évolution

  • 77 Tomas 2003 : 164-198.
  • 78 Processus à l’œuvre dans les alliances conclues par les Médicis avec les souverains de l’Europe en (...)

50Negotiating power, agency, self-fashioning sont les termes essentiels que l’historiographie anglo-américaine ajoute à ceux déjà évoqués plus haut pour cerner le pouvoir des dames à la Renaissance. Le grand mérite des recherches générées par le questionnement de Joan Kelly a finalement été d’offrir des éclairages nouveaux sur la nature du pouvoir souverain à la Renaissance. Largement domestique, ce pouvoir s’est fondé sur des relations mimétiques des relations de sang, d’où l’importance des alliances matrimoniales, de la descendance (y compris illégitime), du patronage (où l’on interpelle significativement les uns et les autres par des termes familiaux comme « ma mère », « mon cousin », « ma cousine »). Dans ce régime, le rôle des femmes est d’assurer la continuité dynastique et de participer à certaines formes de clientélisme. De ce point de vue, l’évolution générale des principautés italiennes tend plutôt à consacrer le pouvoir des femmes que le contraire : alors qu’il n’y a pas d’espace institutionnel pour les femmes dans les Républiques, les dynasties princières, nouvelles ou anciennes, leur ménagent un rôle en tant que filles à échanger, « consortes » et régentes. Le cas de Florence est en tous points significatif : le gouvernement d’Alfonsina Orsini (« régente » de fait de 1515 à 1519 à la mort de son fils Laurent, duc d’Urbino et petit-fils de Laurent le Magnifique), sera a posteriori très critiqué par ceux qui chasseront les Médicis de la Toscane entre 1527 et 1530. Ils considéreront qu’elle a bafoué les institutions florentines et gouverné la cité à la manière des femmes des régimes seigneuriaux et des Monarchies77. Contrairement à ce que soutenait Joan Kelly, le fait que les dynasties qui s’imposèrent à la tête des cités italiennes aient été de noblesse incertaine ou d’origine marchande, que les princes aient parfois été de naissance illégitime, qu’ils se soient imposés par la violence avec l’aide de la « fortune », n’est pas la condition indispensable pour qu’émergent des figures féminines d’exception car a contrario, l’enracinement à long terme de ces dynasties ne signe manifestement pas l’effacement des femmes. On assiste plutôt à un alignement sur des modèles européens de gouvernement dans lesquels les femmes ont leur place et auxquels elles s’intègrent d’autant mieux qu’elles sont amenées à s’allier par mariage aux familles régnantes européennes, ce qui consacre la légitimité locale de leur dynastie d’origine78.

  • 79 De Backer 2004.

51Dans les grandes monarchies française, anglaise et espagnole, le pouvoir royal n’a pas les moyens de s’appuyer sur une bureaucratie suffisamment nombreuse ni sur un système fiscal suffisamment efficace pour se passer des aristocraties. Le processus qui mènera à une plus grande centralisation et à un pouvoir plus absolu du souverain est loin d’être achevé – s’il le fut jamais. En outre, il suscite de fortes oppositions et résistances au sein des groupes nobiliaires qui défendent généralement une monarchie « mixte » c’est-à-dire un gouvernement princier contrebalancé par un pouvoir aristocratique. En ce sens, la question de savoir si les femmes des élites ont profité des périodes de désordre que l’Europe a connues au xvie siècle est un problème sans doute mal posé, comme l’a relevé Barbara Harris qui a noté tout au contraire l’absence des femmes dans la Guerre des deux roses. Ce n’est sans doute pas pour la raison qu’elles remplacent leurs époux partis à la guerre que les dames exercent un pouvoir visible, mais parce qu’elles participent – à l’ordinaire de façon invisible – à un régime où des aristocraties puissantes peuvent encore exercer leur « devoir de révolte » quand le souverain nie leurs fonctions de conseil ou bafoue leurs prérogatives. De ce point de vue, la figure de María Pacheco est sans doute tout aussi emblématique que celles de Catherine Sforza et Élisabeth Gonzague : « héroïne » de la révolution des communidades à Tolède en 1520-1521, elle reprend le flambeau de son mari, Juan de Padilla, décapité pour son engagement contre le gouvernement de Charles Quint. Membre du lignage des Mendoza, elle endosse la tradition aristocratique portée par sa tige, traditionnellement attachée à la dynastie Trastamare et farouchement opposée à la monarchie bureaucratique et étrangère imposée par le souverain Habsbourg après l’effacement de Jeanne la Folle79. Tout ensemble femme protectrice de l’orphelin et femme virile, veuve éplorée et meneuse d’hommes qui décide, organise et galvanise le peuple, María Pacheco illustre bien toutes les ambiguïtés de la grande dame qui exerce un pouvoir à la Renaissance, borne témoin d’un idéal aristocratique de gouvernement, menacé en Castille, en pleine efflorescence en Italie.


***

  • 80 Comme en témoigne la bibliographie des ouvrages cités, à environ 70 % issus de plumes féminines.

52On le voit, les questionnements liés aux arguments de Joan Kelly ou nés de ses propositions n’ont pas manqué dans la trentaine d’années qui a suivi son article. Beaucoup d’études, plus souvent œuvres de chercheuses que de chercheurs80, se sont positionnées par rapport à elle, au moins de façon implicite. Si la nécessité, au reste alimentée par d’autres types de critiques, de réviser nos vieux schémas chronologiques fait l’unanimité, c’est surtout vers le pouvoir des femmes qu’elles ont orienté le regard et affûté la recherche. Le double versant des observations de Joan Kelly – la place de la sexualité féminine dans les rapports entre hommes et femmes et les changements affectant leurs relations dans l’exercice du pouvoir politique – a cependant privilégié ce second aspect, le premier s’en tenant comme Kelly elle-même à l’idéologie plus qu’à la pratique et demeurant davantage dépendant de la littérature dont étaient discutées les facettes et les intentions. Toutefois, même sur ce terrain, les travaux d’un Georges Duby ont suscité à leur tour des débats sur le « Mâle Moyen Âge » qui répondaient de façon directe ou indirecte aux conclusions de Kelly, pour s’y opposer ou les confirmer. Dans une large mesure, ces différentes approches se sont accordées à donner une interprétation moins positive que la sienne de l’amour courtois, révélateur des « frustrations et peurs masculines », « projection des désirs des hommes » plus que reconnaissance de l’autonomie des choix féminins.

53Reste que c’est surtout en disséquant les figures du pouvoir féminin, heureusement sorties de la galerie romanesque des femmes illustres ou des ornières du « pouvoir domestique », que le réexamen des formes féminines d’accès à la vie publique a mis en question la thèse de Joan Kelly. Si les considérations sur leur lien avec la consolidation des États modernes offrent encore matière à discussion, les études de cas, désormais nombreuses et fouillées, situent mieux les possibilités d’insertion ouvertes aux femmes des milieux dirigeants dans les stratégies politiques des grandes familles et des principautés de l’époque « prémoderne ». La détérioration du statut des femmes à la Renaissance que Joan Kelly voulait mettre en lumière est aujourd’hui combattue par nombre de recherches, on l’a vu, sur leurs responsabilités politiques et dynastiques (et pas seulement sur leurs ventres féconds et leur gouvernement de la sphère domestique). Des aspects jadis considérés comme frivoles ou secondaires, tels que leurs parures, leurs mécénats, leur accès à l’écriture, les clientèles qu’elles acquéraient et utilisaient dans leur propre intérêt ou celui de leurs proches, ont ainsi trouvé des interprétations neuves et un cadre d’interprétation considérablement élargi. Enquêtes qui, avec les réinterprétations qu’elles ont suscitées, ne diminuent en rien l’importance des réflexions de Joan Kelly, l’une des premières à avoir voulu replacer dans l’histoire générale des sociétés européennes l’amour et le pouvoir des femmes.

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Notes

1 L’article de Joan Kelly, contribution à l’ouvrage codirigé par Bridenthal & Koonz (1977 : 21-47), faisait suite à une conférence prononcée sur le même thème dès 1972 ; il a été plusieurs fois réédité, y compris dans le volume de ses essais (Kelly 1984) paru après sa mort en 1982, mais n’a jamais été traduit en français.

2 Davis 1976.

3 Wiesner-Hanks 2008b.

4 Par exemple, Smith 2001.

5 Wiesner-Hanks 2008b : 539.

6 Burckhardt 1958 [1860].

7 Voir par exemple Herlihy 1985.

8 Brown & Goodman 1980 ; Brown 1986, 1989.

9 Dès 1965, la revue Romance Notes avait consacré un numéro spécial à « l’idéologie courtoise » (Burns & Krueger 1965) ; voir aussi Erler & Kowaleski 1998.

10 Monson 1995.

11 Burns 2001.

12 Köhler 1974 ; Duby 1964.

13 Benton 1968.

14 Huchet 1987 ; Kristeva 2005.

15 Bennett 2006.

16 Goldin 1967.

17 Richard de Fournival 1978.

18 Guillaume de Lorris et Jean de Meun 1997.

19 Heldris de Cornüalle 1991.

20 Erler & Kowaleski 1998 ; Evergates 1999.

21 Duby 1981.

22 Duby 1995-1996.

23 Duby 1983.

24 Voir Livingstone 1998 ; Farmer 1998.

25 Lo Prete 1995 ; Greene 2004.

26 Cheyette 2006.

27 Huchet 2006.

28 Bogin 1976.

29 Tomaryn Bruckner 1965.

30 Catherine Sforza (1462-1509), fille illégitime du duc de Milan Galeas Maria Sforza, se fit connaître en 1488 en s’imposant à la tête de la principauté de Forlì, alors que son époux, Girolamo Riario, venait d’être assassiné par des rebelles. Une seconde fois, elle fit face à l’adversité, sans succès, quand, en 1500, César Borgia la força à abandonner la place forte de Forlì.

31 Élisabeth Gonzague, duchesse d’Urbino (1471-1526), épouse de Guidobaldo de Montefeltre, est connue pour avoir été une femme dévouée à son mari, bien que leur union fût restée stérile, et pour avoir refusé de se séparer de lui lorsque le duché fut pris par le même César Borgia. Elle est mise en scène dans le Courtisan comme l’hôtesse des autres personnages illustres qui s’y disputent (Julien de Médicis, Pietro Bembo etc.)

32 Castiglione 1955. La première traduction française remonte à 1537, l’une des plus récentes est celle d’Alain Pons (d’après la version de Gabriel Chapuis, 1580) : Castiglione 1991.

33 Sur ces derniers aspects du Courtisan, voir notamment Chemello 1980 ; Kolsky 2003b [1990] ; Ricci 2009 : 317-319.

34 Synthèse bibliographique et historiographique à l’échelle européenne par Poutrin & Schaub 2007.

35 Cosandey 2000.

36 Cité par Autrand 1999 : 22.

37 Exemples de biographies de dames françaises du xvie siècle, Allag 1995 sur la comtesse de Sault ou Réchou 1996 sur la maréchale de Retz. Sans doute le dictionnaire en ligne lancé par la Siefar offrira-t-il, à l’avenir, des matériaux propres à reconstituer des profils et des destinées-types des aristocrates françaises.

38 Wanegffelen 2008. Autre synthèse utile, notamment pour son répertoire biographique : Bennassar 2006.

39 Synthèse des travaux sur ces avènements par Poutrin & Schaub 2007 : 25-28.

40 Sur Isabelle de Castille : Liss 2005. Sur Elizabeth, la bibliographie est immense. En Deborah : Mc Laren 1999 : 23-30 ; en Esther : Ephraïm 2001 ; en Vierge Marie : Hackett 1995 ; en guerrière à Tilbury : Frye 1992 ; plus généralement, sur les représentations “androgynes” de la reine : Frye 1993, Levin 1994. Sur le mythe des Amazones : Steinberg 1999.

41 Wiesner-Hanks 2008 : 277.

42 Arcangeli & Peyronel 2008.

43 Antenhofer 2008.

44 Welch 2008.

45 Segura Graíño : 1994.

46 En français, Gil 2002, pour le récit de la vie d’Isabelle d’Este, objet d’une immense bibliographie.

47 Boutier et al. 1984.

48 Harris 2002 : 216-227.

49 Wilson-Chevallier 1999.

50 Cloulas 1997.

51 Pour la période 1350-1485 à Milan, Rimini et Ferrare, voir Ettlinger 1994.

52 Murphy 2005.

53 Feci 2008.

54 Kettering 1989.

55 Welch 2000 et plusieurs articles dans Arcangeli & Peyronel 2008.

56 Stephenson 2004.

57 Harris 2002 : 199-205.

58 Tornabuoni, 1993.

59 Tomas 2003.

60 Lawrence 1997 ; King 1998 ; Matthews-Grieco & Zarri 2000 ; Reiss & Wilkins 2001 ; Wilson-Chevallier 2007.

61 Lazard 1999.

62 Ce qui est vrai sur la longue durée ainsi que l’a montré Catherine King en étudiant les commandes passées par des femmes italiennes de différents milieux entre 1300 et 1500 (King 1998).

63 Wilson-Chevallier 2007 : 39-40.

64 Kolsky 2003a [1984].

65 Guerra Medici 2005.

66 Voir le tableau synoptique présenté par Poutrin & Schaub 2007 : 60-61.

67 Cosandey 2000 : 297.

68 Sur ce sujet voir Dubost 2007 : 247-262.

69 Nassiet 2007 : 135-138.

70 En particulier Nassiet 2000 ; Haddad 2009.

71 Hanley 1989.

72 Harris 2002 : introduction.

73 Viennot 2003 ; Allag 1995 ; Steinberg 2001 : 213-226.

74 Sur Renée de Ferrare, voir Gil 1990 et Puaux 1997.

75 Roelker 1974.

76 Harris 2002 : 238.

77 Tomas 2003 : 164-198.

78 Processus à l’œuvre dans les alliances conclues par les Médicis avec les souverains de l’Europe entière : voir Calvi & Spinelli 2008.

79 De Backer 2004.

80 Comme en témoigne la bibliographie des ouvrages cités, à environ 70 % issus de plumes féminines.

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Pour citer cet article

Référence papier

Sophie Cassagnes-Brouquet, Christiane Klapisch-Zuber et Sylvie Steinberg, « Sur les traces de Joan Kelly »Clio, 32 | 2010, 17-52.

Référence électronique

Sophie Cassagnes-Brouquet, Christiane Klapisch-Zuber et Sylvie Steinberg, « Sur les traces de Joan Kelly »Clio [En ligne], 32 | 2010, mis en ligne le 31 décembre 2012, consulté le 12 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/9804 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.9804

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Auteurs

Sophie Cassagnes-Brouquet

Professeure d’histoire médiévale à l’Université de Toulouse II-Le Mirail et membre de l’UMR 5136 Framespa. Ses recherches portent sur les milieux artistiques au Moyen Âge en France et en Angleterre ainsi que sur les représentations des héroïnes féminines au Moyen Age. Elle a codirigé avec Mathilde Dubesset le n° 31 de la revue Clio « Héroïnes » (2009). brouquet@sfr.fr

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Christiane Klapisch-Zuber

Directrice d’études honoraire à l’ehess où elle a enseigné l’histoire sociale, l’histoire de la famille et l’anthropologie historique de l’Italie médiévale. Elle a édité le t. II : Moyen Âge de l’Histoire des femmes en Occident, dirigée par Georges Duby et Michelle Perrot(1990) et coédité l’Histoire de la famille (1986). Elle a récemment publié Retour à la cité. Les magnats de Florence 1340-1440 (2006). Christiane.Klapisch-Zuber@ehess.fr

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Sylvie Steinberg

Maîtresse de conférences à l’Université de Rouen. Elle a publié en 2001 La confusion des sexes. Le travestissement de la Renaissance à la Révolution (Fayard). Outre son intérêt pour l’histoire des femmes et du genre, elle mène des recherches sur le corps, la sexualité et la filiation en France à l’époque moderne. Son principal projet actuel porte sur l’histoire de la bâtardise en France aux xvie et xviie siècles. sylvie.steinberg@univ-rouen.fr

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