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Clio a lu

Robert Muchembled, L’orgasme et l’occident. Une histoire du plaisir du XVIe siècle à nos jours

Le Seuil, 2005, 383 pages
André Rauch
p. 3000-302
Référence(s) :

Robert Muchembled, L’orgasme et l’occident. Une histoire du plaisir du XVIe siècle à nos jours, Le Seuil, 2005, 383 pages.

Texte intégral

1L’objet de ce livre est le plaisir, son histoire, bien sûr. L’auteur a limité celle-ci à la sexualité, au plaisir sexuel. D’emblée, il se positionne contre les thèses de Michel Foucault, pour qui, résume-t-il, « une très puissante répression des appétits charnels s’est installée au cœur même de notre civilisation vers le milieu du xvie siècle, ne cédant réellement du terrain qu’à partir des années 1960 ». Or, pour Robert Muchembled, qui ne conteste pas cette périodisation, celle-ci, loin de composer une unité envahissante qu’interromprait le mouvement libératoire des années soixante, comporte au contraire des cycles où alterneraient libération et contrainte. Sa critique se réclame donc de ce mouvement pendulaire, qui illustrerait le dynamisme général de l’Europe. L’accumulation de désirs inassouvis durant les périodes de frustration conduirait à une demande d’émancipation croissante qui aurait engendré, par exemple, le défoulement libertin. C’est sans doute pourquoi, loin de s’en tenir aux seules questions de la sexualité, l’auteur avance une interprétation large. Elle concerne la totalité des relations humaines, sur le principe que la sublimation des pulsions érotiques constitue le soubassement de l’originalité de l’Europe depuis la Renaissance.

2Se référant par ailleurs à Max Weber, qui lie le développement du capitalisme à l’éthique calviniste, Robert Muchembled s’accorde à dire que notre « fabrique » collective tient à un effort accru de contrôle et de réorientation du plaisir sexuel (qualifié de charnel, dans certains épisodes). Il ne se satisfait donc pas d’une simple morale issue du protestantisme, mais veut montrer « une production de l’ensemble des forces vives à l’œuvre pendant près de cinq siècles ».

3S’inscrivant ensuite dans le mouvement de pensée initié par Norbert Elias, qui, à la lumière de la « civilisation des mœurs », décrit la dynamique culturelle en termes de sublimation au service d’un progrès global, Muchembled pense qu’il conviendrait de combiner une histoire de la jouissance sexuelle, une interrogation sur le corps et une enquête sur le sujet humain. Grande ambition, on le reconnaîtra.

4Le cadre historique du livre couvre la période qui va de la Renaissance à nos jours, et s’articule sur l’étude de la France et de l’Angleterre, d’une part, et sur les États-Unis pour la dernière période. Sensiblement différents, par la religion au moins, les deux premiers pays ont en commun d’avoir été de vastes empires coloniaux. Promoteurs de prestigieuses traditions, ils se révèlent, en dépit de leurs différences, proches en matière de perception et de gestion de l’orgasme. À la fin du parcours, les États-Unis serviront de troisième jalon pour évaluer les écarts récents entre le Nouveau monde et le Vieux continent hédoniste.

5Quatre périodes sont envisagées. La première court sur deux siècles, le xvie et le xviie. Les péchés, charnel et mortel, dressent leurs interdits, générant en contrecoup, au-delà des privations et des frustrations, des passions interdites. L’érotisme paysan en Somerset ou la culture grivoise en France servent alors de terrain expérimental à la démonstration. Suit une durée plus longue, de 1700 à 1960. Elle commence avec l’érotisme des Lumières, mais à la littérature libertine succède bientôt la tempérance de l’orgasme et la lutte contre l’onanisme, avant que ne se dévoile un nouvel art du « je ». Dès 1800 se sont imposés les voiles victoriens. Contrôle du sexe, honte de la maladie vénérienne, enfer de la pornographie deviennent les figures diabolisées que brandit la répression. Une quatrième phase s’ouvre enfin avec ce que l’on appelle désormais les sixties. Entre 1960 et aujourd’hui, le rapport Kinsey, la reconnaissance de l’orgasme féminin, ou de son droit à l’existence, le droit à la jouissance et le mariage gay, l’égalité érotique – c’est-à-dire l’orgasme simultané – composent les événements marquants de la « révolution » sexuelle.

6L’ouvrage se conclut sur les valeurs du narcissisme. La perpétuelle renégociation du lien communautaire implique que chacun prenne en compte la chose la mieux cachée depuis l’origine de la civilisation chrétienne : le plaisir charnel. Elle occupe désormais une position centrale dans la relation d’amour ou de plaisir et dans la découverte de soi.

7On pourra contester les interprétations avancées de l’œuvre de Michel Foucault sur le même sujet, souhaitant que Robert Muchembled s’explique plus longuement sur les thèses qu’il critique, mais le lecteur ne manquera pas d’apprécier l’érudition de l’ouvrage et, plus particulièrement sa contribution à la connaissance de la littérature anglaise ou américaine.

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Pour citer cet article

Référence papier

André Rauch, « Robert Muchembled, L’orgasme et l’occident. Une histoire du plaisir du XVIe siècle à nos jours »Clio, 31 | 2010, 3000-302.

Référence électronique

André Rauch, « Robert Muchembled, L’orgasme et l’occident. Une histoire du plaisir du XVIe siècle à nos jours »Clio [En ligne], 31 | 2010, mis en ligne le 21 juin 2010, consulté le 17 septembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/9760 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.9760

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