Isabelle Poutrin & Marie-Karine Schaub (dir.), Femmes et pouvoir politique. Les princesses d’Europe, XVe-XVIIIe siècle
Texte intégral
1« Un livre de plus sur les princesses ! », ne manquera-t-on pas de s’écrier en découvrant cette synthèse qui s’est, de plus, parée d’une couverture mi-partie rose vif, accentuant à l’envi l’effet « paillettes » de son sujet ! Le thème est effectivement à la mode depuis quelque temps, avec une floraison d’ouvrages signés Fanny Cosandey, Bartolomé Bennassar, Denis Crouzet ou Thierry Wanegffelen, pour ne citer que les plus récents. Ces « oubliées de l’Histoire » resurgissent à la faveur d’une historiographie qui a le vent en poupe : travaux sur les femmes, recherches sur le genre, regain d’intérêt pour le politique, tel est le contexte d’un renouvellement des approches qui voit l’émergence de thématiques inventives, comme celle proposée ici par Isabelle Poutrin et Marie-Karine Schaub. Ce livre est, en effet, le fruit d’un colloque qui s’est tenu à l’université de Paris XIII en 2003, sous l’intitulé « Princesses et pouvoir politique à l’époque moderne ». Venus de Vienne, Saint-Pétersbourg, Posnan, Barcelone ou Little Rock, pas moins de dix-sept chercheurs, historiens et juristes pour la plupart, ont été invités à présenter leurs travaux en cours afin d’expérimenter l’approche comparée de leurs premiers résultats.
2La synthèse issue de cette œuvre collective n’est pourtant pas un simple recueil d’actes, car les éditrices se sont efforcées de faire un vrai livre ; elles ont offert à leurs lecteurs une introduction en forme de mise au point, suivie d’un développement structuré mettant en valeur l’efficacité des confrontations. Le tout est accompagné d’extraits de textes judicieusement choisis, mais aussi de généalogies et de tableaux, de portraits, sans oublier un glossaire final, autant de documents utiles à ceux qui souhaitent aller plus loin. Seule la bibliographie est peut-être un peu pointilliste, trop peu actualisée depuis 2003, date du colloque, et disséminée au fil des articles ; on aurait sans doute préféré ici une bibliographie synthétique, enrichie des toutes dernières publications sur le sujet et rassemblée en fin de volume.
3Les princesses – filles ou femmes de membres de familles souveraines – sont-elles vraiment des « oubliées de l’histoire » ? La question peut surprendre tant on a plutôt l’impression d’une surenchère biographique à leur propos. À y regarder de près, il est pourtant indéniable qu’elles n’occupent souvent que des places de second rang, aussi bien dans les livres d’histoire que dans les séries télévisées… Même l’imprécision du vocabulaire employé à leur égard – de reine à queen ou tsaritsa – révèle une historiographie inapte à considérer les monarchies autrement qu’au masculin. Princesses et reines jouent un rôle souvent interstitiel dans le récit historique, coincées entre deux rois. Leur personnalité est, en outre, chargée de stéréotypes négatifs : on ne prête jamais aux reines, encore moins aux régentes, de vision politique d’ensemble. Leurs desseins sont commandés par leur instinct maternel, leur intuition féminine, leur caractère plus ou moins passionné, quand elles n’agissent pas tout simplement sous influence. « Déterminées par leur fonction reproductrice, les femmes, lorsqu’elles exercent le pouvoir, s’en saisissent comme d’une affaire domestique », notent I. Poutrin et M.-K. Schaub. La dévalorisation du féminin – contrepoint de la survalorisation masculine – est la norme. Le plus bel éloge qu’une femme de pouvoir puisse espérer est d’être admirée à l’égal d’un « grand roi » ! L’inventaire de ces représentations négatives a été réalisé pour un certain nombre d’entre elles, des princesses de la Ligue à Marie-Antoinette ; il demeure un préambule indispensable à toute entreprise historiographique.
4Les travaux actuels sur les femmes au Moyen Age et à l’époque moderne confirment le retour du politique, avec un engouement pérenne pour le genre biographique, mais aussi un intérêt croissant pour l’histoire du pouvoir au féminin, celui-ci étant envisagé dans ses acceptions les plus larges. La question du genre est inégalement abordée par les chercheurs : on ne s’étonnera pas de la voir s’épanouir dans le monde anglo-saxon, alors que les recherches françaises sont encore balbutiantes (ou l’étaient en 2003).
5De fait, longtemps négligées en France, aussi bien par les historiens des femmes et du genre que du politique, Isabelle Poutrin et Marie-Karine Schaub ont souhaité ici insérer les recherches sur les relations des princesses avec le pouvoir dans une historiographie européenne dynamique, récemment mise à jour par l’édition de travaux collectifs initiés en Italie, en Allemagne ou en Grande-Bretagne.
6La démarche choisie est donc délibérément celle de l’histoire comparée et s’organise en cinq forts chapitres qui soulignent l’énoncé principal : ces vies sont inscrites dans l’ordre politique. Éclairages nationaux et approches monographiques s’articulent tout d’abord autour de la notion de mariages dynastiques, du droit des héritières, des princesses dans leurs réseaux.
7José Maria Perceval et Alain Hugon analysent tous deux l’échange des femmes à travers l’exemple des mariages royaux – franco-espagnols notamment – pour lesquels la circulation des princesses constitue l’une des principales clés de la diplomatie européenne. Celle-ci peut être mise en péril par une mésalliance, comme le montre l’échec du mariage de Renée de France avec Hercule d’Este, duc de Ferrare (C. Zum Folk), ou celui de Marie-Louise d’Orléans avec Côme de Médicis (J.-Cl. Waquet). Si l’épouse d’un roi constitue un bel enjeu politique, une reine souveraine l’est sans doute encore davantage. Lorsqu’elle se marie, quelle est alors sa marge d’initiative ? Telle est la question posée par Michel Nassiet dans son étude des reines héritières, d’Anne de Bretagne et Elizabeth d’Angleterre à Marie Stuart. La gouvernance des femmes et la remise en cause du « droit masculin » sont des questions qui ne concernent pas seulement les familles royales, mais font également l’objet de débats et procès dans les grandes familles, comme chez les Longueville, cas exemplaire choisi par Sarah Hanley.
8Les réseaux constitués par les femmes ont été quasiment ignorés jusqu’ici par l’histoire diplomatique. Quatre historiens proposent un faisceau d’études en forme d’invitation à la recherche : Katrin Keller tisse le réseau de correspondance d’Anne de Saxe (1532-1585). Bénédicte Lecarpentier évoque les liens de Marie de Médicis avec l’élite italienne, toujours grâce à sa correspondance. Maciej Serwanski suit les destins de Marie de Gonzague et Marie-Casimire de la Grange d’Aquien qui épousèrent au XVIIe siècle deux rois de Pologne. Enfin, Thomas E. Kaiser s’intéresse au problème de la maternité et au statut particulier de Marie-Antoinette en tant que parent perverti dans l’imagination politique de l’époque révolutionnaire. Cet article annonce le volet ultime de l’ouvrage consacré à l’histoire des représentations – dans lequel il aurait été sans doute mieux placé, mais ceci n’est qu’un détail –, avec des éclairages suggestifs tant sur le corps et l’étiquette que sur les images négatives véhiculées par l’entourage et/ou par les historiens de ces femmes de pouvoir. Rites, vêture et préséances à la cour de France, sans oublier les querelles qui vont avec, sont déclinés par Monique Chatenet et Fanny Cosandey, tandis que Jean-François Dubost revient sur Marie de Médicis, dont le corps, intime et chaste, est aussi un objet politique. Quant aux figures dénigrées, on pouvait légitimement attendre Christine de Suède et Marie-Antoinette – ici étudiées par Marie-Louise Roden et Annie Duprat –, cependant que Marianna G. Mouravieva nous offre aussi un original portrait de groupe des impératrices russes vues par les historiens.
9Depuis l’aube du troisième millénaire, les « femmes de pouvoir » ne sont donc plus vraiment des « oubliées de l’Histoire », au moins pour l’époque moderne, et l’ouvrage coordonné par Isabelle Poutrin et Marie-Karine Schaub, par la variété et le croisement des regards, par la qualité des pistes de recherche envisagées, constitue l’un des jalons les plus stimulants de l’historiographie européenne récente en ce domaine.
Pour citer cet article
Référence électronique
Sylvie Mouysset, « Isabelle Poutrin & Marie-Karine Schaub (dir.), Femmes et pouvoir politique. Les princesses d’Europe, XVe-XVIIIe siècle », Clio [En ligne], 31 | 2010, mis en ligne le 17 juin 2010, consulté le 08 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/9733 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.9733
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