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Le Siècle du sexe ? Genre, corps et sexualité au dix-huitième siècle (vers 1650-vers 1850)*

The century of sex? Gender, bodies, and sexuality in the long eighteenth century
Karen Harvey
p. 207-238

Résumés

Ces vingt dernières années ont vu le développement de l’histoire du corps et de la sexualité. Cherchant à historiciser les différences entre les sexes, les historiens ont pour la plupart intégré l’étude du corps et de la sexualité à l’histoire des femmes et du genre. L’objet de cet article est la place du corps et de la sexualité dans l’histoire des femmes et du genre. De récents travaux avancent l’idée que le xviiie siècle – envisagé dans des bornes chronologiques larges –, a été le siècle du changement dans les conceptions du corps, de la sexualité et de l’activité sexuelle. Cependant, l’incorporation de sujets d’études aussi nouveaux revigore aussi des scénarios plus anciens ayant trait aux transformations économiques et politiques. L’article passe en revue ces travaux récents, en soutenant la thèse que certains éléments clés de l’historiographie doivent être réexaminés. Les modèles d’explication du changement historique doivent incorporer des questions telles que les changements observables dans les cycles de vie et la notion de permanence historique. Des études sur les échanges culturels doivent se développer, approches qui prendraient en compte la diversité culturelle et la complexité de la transmission culturelle. Enfin, des analyses du contexte concret dans lesquels sont insérés le corps et la sexualité – tant sur le plan corporel que textuel – doivent être entreprises.

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Notes de la rédaction

L’article qui suit est paru en 2002 sous le titre A century of Sex : gender, bodies and sexuality in the long eighteenth-century dans The Historical Journal (vol. 45, 4, p. 899-916). Il fait le point sur la réception de la thèse de Thomas Laqueur par les historiens britanniques. Il présente également les principaux ouvrages consacrés au corps et à la sexualité au xviiie siècle depuis les œuvres pionnières de Lawrence Stone et Edward Shorter jusqu’à celles parues au début des années 2000, attirant ainsi l’attention sur la continuité et la vitalité de l’historiographie anglaise sur la question.

Traduction Sébastien de Villèle, avec l’aide de Florence Cabaret (Eriac, Université de Rouen)

Texte intégral

  • 1 *Je remercie Sandra Cavallo, Mark Jenner, feu Roy Porter, Lyndal Roper, Nick Stargardt, et particul (...)
  • 2 Porter 1982a : 278.
  • 3 Porter 1982b : 5. Voir Stone 1979 : 328.
  • 4 Wagner 1988 ; Hunt 1993.
  • 5 Darnton 1995a et 1995b. Voir également Chartier 1993.
  • 6 Voir, par exemple, Jordanova 1989 ; Merchant 1980.

1L’engouement pour le dix-huitième siècle – un “long” dix-huitième siècle compris dans des bornes chronologiques larges – peut en partie être mis sur le compte d’« un mythe britannique étrangement persistant » : cette période « aurait offert un terrain de jeu sexuel dénué de culpabilité, peuplé de belles jeunes filles et de coureurs fanfarons prêts à se rouler dans le foin dès qu’un mouchoir tombait au sol »1. Pour les historiens professionnels également, il s’agit du siècle du sexe et du corps. Roy Porter a intégré la sexualité dans sa désormais classique histoire sociale de la période, indiquant que « parmi les riches et les oisifs, la sexualité se dégelait. La libido se libérait »2. L’historiographie anglaise décrit le dix-huitièmesiècle comme l’un des temps forts de la libération sexuelle. Roy Porter a aussi avancé l’idée, dans des travaux ultérieurs, qu’à l’époque des Lumières la mise en valeur du corporel a généré une prodigieuse « libération hédonistique de la libido », reprenant ainsi une formulation antérieure de Lawrence Stone selon laquelle « la liberté d’expression sexuelle a été l’un des nombreux effets induits de la quête du bonheur au dix-huitième siècle »3. Certes, on a tendance à penser que les genres littéraires intuitivement perçus comme les expressions les plus significatives des attitudes sexuelles d’une culture donnée, à savoir la littérature érotique et la littérature pornographique, font partie intégrante de l’époque des Lumières en Angleterre et en Europe4. Robert Darnton a soutenu la thèse que la littérature clandestine – y compris pornographique – avait largement contribué à la Révolution française5. Une grande partie des travaux sur les idées nouvelles des Lumières repose sur la place centrale qu’occupe la catégorie de genre. La révolution scientifique, les disciplines ethnographiques et médicales, par exemple, ont été en partie construites sur (et renforcées par) les notions de différence sexuelle et de rôles sexués ; les travaux qui démontrent le caractère sexué des nouvelles formes de connaissances et de pratiques ont intégré les études sur le corps et sur sa signification culturelle6. Le corps est non seulement incorporé à l’historiographie des Lumières mais, dans certains cas, il est présenté comme typique de la modernité du dix-huitième siècle.

  • 7 Pour l’Ancien régime voir Clark J.C.D. 1985 et 2000. Pour des études historiques qui mettent l’acce (...)
  • 8 L’évaluation du livre de Laqueur est tirée de Jenner & Taithe 2000 : 191. Laqueur 1992 : 18 (en ang (...)
  • 9 Laqueur 1992 : 17. Voir pour plus de détails p. 41-54 (en anglais Laqueur 1990 : 4 et 23-35).
  • 10   Ibid. : 21-22 (en anglais : 8).

2En effet, l’historiographie de la sexualité et du corps est aujourd’hui un terrain où sont débattues des questions anciennes propres à la période – en particulier, celles qui concernent la modernité et l’Ancien régime7. Les histoires du corps et de la sexualité se concentrent sur la période qui court de 1650 environ à 1850 et insistent tout particulièrement sur le dix-huitième siècle ; par ailleurs, elles décrivent cette période comme le siècle du changement : la conception du corps, la construction de la sexualité, l’activité sexuelle ont alors été soumises à des bouleversements. Décrit comme « l’ouvrage d’histoire médicale qui a probablement eu le plus d’influence au cours des vingt dernières années », La Fabrique du sexe (1992 ; 1990 pour la version originale en anglais) de Thomas Laqueur intègre l’histoire du corps et de la sexualité à une vision modernisante du dix-huitième siècle. Laqueur soutient qu’« à la fin ou vers la fin du dix-huitième siècle »8, s’est produit un changement dans la façon dont le corps humain a été conçu. Avant le dix-huitième siècle, les hommes et les femmes étaient placés sur un axe vertical, hiérarchique, au sein duquel leurs corps étaient perçus comme deux variantes comparables d’un seul et même type. Le système humoral était le socle de ce « modèle unisexe » et, dans ce système, le corps était représenté comme une combinaison de quatre humeurs de qualités différentes – froide, chaude, humide et sèche. Selon cette conception physiologique du corps, les individus présentaient des variations dans leur composition humorale. En conséquence, bien que les femmes fussent toujours dominées par des humeurs froides et humides, et les hommes par des humeurs chaudes et sèches, les différences de sexe étaient appréhendées comme des différences de degré. C’est dans les homologies structurelles des parties génitales masculines et féminines qu’on en trouve l’exemple le plus frappant : « le vagin est imaginé comme un pénis intérieur, les lèvres sont l’équivalent du prépuce, l’utérus du scrotum et les ovaires des testicules »9. C’est après le dix-huitième siècle que, d’après Laqueur, le « modèle des deux sexes » s’imposa. Les femmes et les hommes furent alors disposés horizontalement : on souligna leurs différences d’anatomie et l’on se mit à considérer leurs corps comme qualitativement distincts. De plus, un changement se produisit non seulement dans la proportion relative des différences ou des similitudes, mais aussi dans la conception de la nature qualitative des corps. Ainsi, dans le monde du sexe unique, « il faut à mon sens comprendre le sexe, ou le corps, comme l’épiphénomène, tandis que le genre, ce que nous prendrions pour une catégorie culturelle, était premier ou “réel” […]. Autrement dit, avant le dix-septième siècle, le sexe était encore une catégorie sociologique et non ontologique »10, écrit Thomas Laqueur. C’est au dix-huitième siècle que le sexe moderne est né et, au dix-neuvième siècle, la différence des sexes est désormais perçue comme le produit des nerfs, de la chair et des os.

  • 11 Ibid. : 37 (en anglais : 21).
  • 12 Ibid. : 260-282 (en anglais : 227-243).
  • 13 Ibid. : 18, 42, 176 (en anglais : 5, 25, 154).
  • 14 Ibid. : 186 (en anglais : 163).
  • 15 Ibid. : 24 (en anglais : 10).

3Thomas Laqueur a pris soin de préciser que le changement ne s’est pas fait sans à-coup ni de manière définitive, et il a rassemblé des preuves qui attestent de « la permanence du modèle unisexe »11 aux dix-neuvième et vingtième siècles. Mais peu d’historiens de la période moderne s’intéressent aux derniers chapitres de La Fabrique du sexe, qui soulignent la vigueur de la pensée unisexe dans les débats sur la masturbation et la prostitution ainsi que dans les thèses de Freud sur la sexualité clitoridienne et vaginale. Si l’ouvrage en vient peut-être à faire une place trop grande au changement intervenu au dix-huitième siècle, les derniers chapitres de La Fabrique du sexe occupent non seulement une part relativement peu importante du livre, mais ils présentent des études de cas qui contrastent avec la vue d’ensemble plus riche et plus ample qui est tracée de la pensée qui était dominante durant la période moderne12. Un certain nombre de formulations stipulant qu’un modèle unisexe a perduré « jusqu’aux alentours de 1700 », que « le modèle un seul sexe/une seule chair a dominé la réflexion de la différence sexuelle de l’Antiquité classique jusqu’à la fin du dix-septième siècle » et qu’« à la fin du dix-septième siècle et au dix-huitième siècle, la science donna une substance […] aux catégories de “mâle” et “femelle” envisagés comme des sexes biologiques opposés et incommensurables », présentent sans aucun doute la période comprise entre 1700 et 1800 comme une étape clé dans cette évolution chronologique13. Par conséquent, ce qui ressort de La Fabrique du sexe, c’est une thèse vigoureuse sur le changement. Alors que les conclusions de Thomas Laqueur reposent en grande partie sur la lecture d’ouvrages médicaux et philosophiques et, en particulier, de ceux qui étudient l’anatomie et la physiologie reproductrice, l’auteur réfute avec force le fait que des progrès scientifiques aient pu être à l’origine du glissement du modèle unisexe vers le modèle des deux sexes. Il faut attendre le dix-neuvième siècle pour qu’interviennent plusieurs découvertes fondatrices. Comme Thomas Laqueur l’explique, « après la révolution scientifique, la différence sexuelle ne procéda pas plus de l’anatomie que ça n’avait été le cas dans le monde du sexe unique »14. En fait, « différence et identité, plus ou moins mystérieuses, sont partout ; mais c’est hors des limites de l’investigation empirique que se déterminent lesquelles comptent et à quelles fins »15. Discutant la notion de changement, Laqueur explique que :  

  • 16 Ibid. : 25-26 (en anglais : 11).

[…] en eux-mêmes, les changements politiques et sociaux n’expliquent pas la réinterprétation des corps. L’essor de la religion évangélique, la théorie politique des Lumières, le développement de nouveaux espaces publics au dix-huitième siècle, les idées lockéennes sur le mariage envisagé comme un contrat, les possibilités cataclysmiques de changement social qu’entraîna la Révolution française, le conservatisme postrévolutionnaire, le féminisme postrévolutionnaire, le système des fabriques avec sa restructuration de la division sexuelle du travail, l’essor d’une économie de marché de services et de marchandises, la naissance de classes, isolément ou de manière solidaire, rien de tout cela ne fut la cause de la formation d’un nouveau corps sexué. Le fait est plutôt que la reformation du corps se trouve intrinsèquement inscrite en chacune de ces évolutions16.

  • 17 Ibid. : 221-238 (194-207).
  • 18 Schiebinger 1993 : 143. Voir aussi ead. 1989 : 216.

4Laqueur propose donc une explication à multiples facettes. Pourtant, dans La Fabrique du sexe, il apparaît que l’élément déclencheur du changement est un impératif politique – adopté par les scientifiques – destiné à réévaluer les corps afin de stabiliser et de préserver un ordre social fondé sur l’inégalité de genre. Alors qu’au dix-huitième siècle, les penseurs politiques ont de plus en plus eu recours à un discours porteur d’une égalité potentielle, fondé sur le droit naturel, la définition de la “femme” se devait de la poser comme qualitativement différente des hommes afin de tenir le pouvoir politique hors de sa portée17. La science a arbitré un débat politique sur les droits de l’homme, démontrant qu’il y avait des différences fondamentales au sein du genre humain qui justifiaient l’inéquité entre hommes et femmes dans l’accès au pouvoir. Comme Londa Schiebinger l’a également indiqué, « les droits naturels de l’homme n’ont pu être contrecarrés que par la preuve qu’il y avait des inégalités naturelles »18.

  • 19 Scott 1988 : 2 (« Introduction »).
  • 20 Laqueur 1992 : 22 (en anglais  : 8).
  • 21 Laqueur 1986 : 3.
  • 22 McLaren 1985 : 326 ; Bullough 1973 : 485-501.
  • 23 Ainsi, on disait parfois que les femmes étaient capables de s’auto-féconder sans avoir recours à l’ (...)
  • 24 Laqueur 1992 : 67 (en anglais : 46).
  • 25 Cott 1978 : 219-236.
  • 26 Perry 1992 : 212.
  • 27 Merchant 1980 : 148.
  • 28 McLaren 1985 : 324, 330 et 340. Pour des exemples de commentaires sur la montée en puissance de la (...)
  • 29 George 1973 : 152-177 ; Armstrong 1987.
  • 30 Références incontournables : Clark Alice 1919, rééd. 1982 ; Hill 1989 ; Pinchbeck 1930, rééd. 1981  (...)

5Le travail de Laqueur peut être situé dans un large éventail de contextes historiographiques, mais il a eu beaucoup d’influence sur l’histoire du genre. Si le genre est défini comme « le savoir qui attribue des significations aux différences corporelles »19 (selon la formulation de Joan Scott), alors la cartographie de l’histoire des conceptions de la différence sexuelle dressée par Thomas Laqueur est perçue à juste titre comme une contribution majeure à l’histoire des hommes, des femmes et du genre. En effet, les historiens des femmes et du genre ont intégré le récit laqueurien à un tableau plus vaste des relations de genre et de l’expérience sexuée. Cela tient en partie au fait que Thomas Laqueur a élaboré son argumentation à partir d’hypothèses tirées de deux domaines : la sexualité féminine et la relation des femmes avec la sphère “privée”. Pour Laqueur, « la première étape incontournable » dans le passage du modèle unisexe au modèle des deux sexes au dix-huitième siècle est un changement dans les conceptions de la procréation20. Une des conséquences de ce changement est la « relégation de l’orgasme féminin » dans les discours médicaux du dix-huitième siècle21. Dans la théorie aristotélicienne traditionnelle de la génération, où il n’y a qu’une seule semence, les femmes ne produisent pas de semence si bien que l’éjaculation féminine n’est pas nécessaire ; la conception a lieu quand la substance active de l’homme agit sur la substance passive de la femme contenue dans son sang menstruel22. Ceci a été remis en cause plus tard par la domination de la théorie hippocratique et la théorie galénique des deux semences. Même si cette dernière attribue à la semence de la femme un rôle moins important, dans ces deux théories les deux semences sont nécessaires pour agir sur la matière secrétée par la femme23. Dans le modèle unisexe, les théories où il y a dualité de semence dominent : « les deux sexes éprouvaient au cours des rapports un violent plaisir en étroite relation avec une heureuse génération ; tous deux émettaient généralement quelque chose »24. Au cours du dix-huitième siècle, cependant, les théories où deux semences étaient nécessaires à la reproduction ont été remises en cause et l’on a fini par considérer que le plaisir sexuel de la femme –symbolisé par l’orgasme féminin – n’était pas essentiel à la conception. Ce qui participait d’un changement de perception de la nature passive de la sexualité des femmes, changement analysé par Nancy Cott dès 197825. Comme l’explique Ruth Perry, « Historiquement, les femmes ont été perçues comme des créatures lascives et avides […] ; au milieu du dix-huitième siècle, on les décrivit de plus en plus comme appartenant à un autre ordre d’existence : capables d’aimer mais sans besoins sexuels »26. Carolyn Merchant a établi un lien entre les changements intervenus dans la perception de la nature durant la révolution scientifique et la réaffirmation du rôle passif des femmes dans la reproduction, le refoulement simultané de la “passion sexuelle” et l’association croissante des femmes des classes moyennes et supérieures avec la vie domestique27. De la même manière, Angus McLaren a montré qu’aux descriptions présentes dans la littérature médicale des seizième et dix-septième siècles, où la sexualité féminine était perçue comme valide, nécessaire et bien « terrestre », ont succédé celles de « victoriennes passives, allongées sur le dos et ne pensant qu’à l’Empire ». Comme Carolyn Merchant, Angus McLaren établit un lien entre ce récit de l’évolution de la sexualité féminine et la création « d’une nouvelle image de la femme de la classe moyenne, respectable et asexuée »28. Depuis plusieurs décennies, les historiens des femmes rendent compte de l’émergence d’un nouvel idéal de féminité qui a confiné les femmes, devenues chastes, modestes et maternelles, au sein d’une famille de plus en plus privatisée29. Reprenant des travaux anciens sur l’expansion industrielle, les historiens des femmes ont avancé l’idée que l’expérience féminine s’est radicalement transformée quand les femmes ont été chassées du monde du travail et qu’elles ont été cantonnées à la sphère domestique de la maison30. Ainsi, les nouvelles interprétations de la sexualité féminine sont-elles intimement liées aux nouveaux rôles assignés aux femmes – et aussi aux attentes des femmes elles-mêmes. À la femme pleine d’appétit du début de l’époque moderne succède la prude du dix-neuvième siècle, évolution que recoupent les recherches sur le sort des femmes dans la sphère domestique et le monde du travail.

  • 31 Fletcher 1995 : 407.
  • 32 Ibid. : xvi-xvii, 291 et 402.
  • 33 Ibid. : 36.
  • 34 Ibid. : 41.
  • 35 Ibid. : 296.
  • 36 Ibid. : 41.
  • 37 Ibid. : 291.
  • 38 Ibid. : xxii.

6Un nombre croissant de recherches historiques sur les rôles sexués des femmes, la sexualité et celles, plus récentes, sur “le corps” ont contribué à produire un récit historique sur les femmes, depuis l’époque médiévale jusqu’à l’époque contemporaine, où le dix-huitième siècle joue un rôle pivot. De nombreuses histoires du genre intègrent, à des degrés divers, le corps dans leurs explications de la transformation qui est intervenue alors. Si certaines soulèvent des questions importantes sur le récit élaboré par Thomas Laqueur, toutes l’incorporent à leurs propres travaux. Le récit épique qu’Anthony Fletcher a donné dans Gender, sex and subordination in England, 1500-1800 (1995) est bâti sur l’idée que la période comprise entre 1660 et 1800 est un moment où se créent de « nouvelles relations de genre » au sein desquelles « les frontières entre les hommes et les femmes sont devenues plus nettes »31. L’ouvrage débute par un passage sur le corps ; Fletcher identifie des changements dans les relations de genre qui sont en partie fondés sur des changements intervenus dans la conception que l’on se faisait du corps : ce sont davantage les contrastes que la hiérarchie entre les corps qui sont alors mis en avant32. Le début du dix-septième siècle marque « la fin de l’homologie corporelle » dans les écrits médicaux, bien que la théorie des deux semences et les notions qui permettent d’établir une commensurabilité entre les sexes perdurent33. Toutefois, c’est pendant la Restauration, soit à partir des années 1660, que les auteurs commencent à concevoir les deux sexes comme incommensurables34. Anthony Fletcher prend soin de déclarer que le changement n’est pas nettement marqué35. De fait, le récit laqueurien perd ici un peu de sa vigueur : privilégiant les seizième et dix-septième siècles plutôt que le dix-huitième, Anthony Fletcher souligne que cette période constitue un « monde de transition qui n’est fait ni d’un seul sexe, ni de deux »36. Néanmoins, la thèse selon laquelle des changements sont intervenus dans la conception que l’on se faisait du corps avant 1800 semble renforcer l’idée que le dix-huitième siècle joue bien un rôle pivot et, dans ses grandes lignes, cette narration est en accord presque parfait avec celle de Laqueur37. De plus, bien qu’il ne retienne pas l’explication politique de Thomas Laqueur, Anthony Fletcher avance l’idée que les changements observés résultent de la redéfinition du patriarcat par les hommes qui cherchaient à en assurer la pérennité et à en renforcer les fondements38.

  • 39 Shoemaker 1998 : 85. Voir également : 31-35 et 313-314.
  • 40 Ibid. : 34.

7Robert B. Shoemaker, dans Gender in English society, 1650-1850: the emergence of separate spheres? (1998), propose une minutieuse histoire culturelle de la vie des hommes et des femmes, livrant une synthèse importante sur les pratiques sexuées et les représentations de genre. Il décrit la « valeur croissante qui a été accordée à des rôles sexuels distincts chez les hommes et les femmes » et relie ce constat au « développement du corps à deux sexes et à l’importance idéologique croissante accordée à l’acte sexuel avec pénétration vaginale »39. Bien que Robert Shoemaker prenne soin de souligner l’augmentation des opportunités dont pouvaient se saisir les femmes, dans le même temps, il note que le caractère régressif des idées que l’on s’en faisait était directement lié à celles qui avaient trait à leur corps. « À l’extérieur de la sphère domestique, les femmes ont pu profiter d’une palette d’opportunités plus large, écrit Robert Shoemaker, mais elles furent simultanément freinées par des critères moraux plus contraignants ainsi que par des croyances sur l’influence débilitante de leurs nerfs et de leurs fonctions biologiques »40. Comme dans beaucoup de travaux récents, la thèse majeure de Thomas Laqueur d’une évolution du modèle unisexe vers le modèle des deux sexes, s’intègre à un tableau beaucoup plus large qui incorpore à la fois le désir sexuel et les rôles sexués.

  • 41 Hitchcock 1997 : 48. On retrouve ces arguments dans Hitchcock 1996 : 72-90.
  • 42 Hitchcock 1996 : 77-78.
  • 43 Hitchcock 1997 : 57.

8Dans English sexualities, 1700-1800 (1997), Tim Hitchcock tente d’établir un lien entre les observations des taux de fertilité qui ont été faites par les démographes et les pratiques sexuelles. Pour lui, la révolution sexuelle a coïncidé, au tout début du dix-huitième siècle, avec une idéologie nouvelle qui établissait des sphères séparées, mais aussi avec le passage de la conception unisexe du corps humain à la conception des deux sexes : la conception médicale du corps des femmes qui a triomphé est celle dans laquelle « l’inégalité et les “sphères séparées” étaient inscrites dans une biologie irréfutable »41. Hitchcock parle « d’une transition entre l’époque moderne où des ouvertures et des possibilités nombreuses étaient offertes aux femmes à une situation dans laquelle […] la capacité des femmes à participer à la sphère publique s’est progressivement réduite ». Le glissement du modèle unisexe vers le modèle des deux sexes est une composante inséparable de ce changement, de même que les transformations des idées sur le désir féminin : « Initialement perçues comme sexuellement entreprenantes, écrit Hitchcock, les femmes sont devenues sexuellement passives »42. Bien que Tim Hitchcock souscrive au point de vue selon lequel il y a eu une « redéfinition du corps des femmes et des hommes à la fin du dix-huitième siècle », il précise néanmoins que cette redéfinition s’est déroulée sur une durée beaucoup plus longue que Laqueur ne l’admet43. Cependant, idéaux de genre, désir sexuel et comportement sexuel ont subi un changement radical :

  • 44 Ibid. : 111.

La sexualité elle-même a changé et […] les personnes qui pratiquent une sexualité hétérosexuelle restreignent de plus en plus leurs pratiques à des formes de rapports sexuels phallocentriques avec pénétration, au prétexte qu’elles sont procréatrices. De ce fait, les définitions de la “masculinité” et de la “féminité” changent aussi. Les hommes et les femmes ont été créés “naturellement” et biologiquement sexués, avec l’obligation croissante […] de limiter leur comportement à une norme hétérosexuelle, et de trouver l’autre sexe, nouvellement appelé sexe “opposé”, attirant44.

  • 45 Ibidem. Voir aussi : 24-41 et 58-92.

9Cette évolution a conduit à définir « un ensemble “naturel” de catégories hétérosexuelles bien déterminées » qui, à son tour, restreint le nombre de comportements et d’identités pour ceux qui sont attirés par des personnes de même sexe45. Le corps est l’un des éléments d’une transformation plus importante dans laquelle des formes de comportement sexuel et des catégories d’identité sexuelle se sont modifiées.

  • 46 Trumbach 1998 : 9.
  • 47 Trumbach 1991 : 186-203, et 1989.
  • 48 Trumbach 1998 : 322.
  • 49 Ibid : 394 et 424.

10Les arguments de Tim Hitchcock sont en grande partie étayés par l’ouvrage de Randolph Trumbach, Sex and the Gender Revolution: Heterosexuality and the Third Gender in Enlightenment London (1998). Pour Trumbach, une révolution sexuelle a produit un troisième genre – les « nouveaux adultes sodomites efféminés » – et a introduit pour les hommes une nette distinction entre un désir exclusivement hétérosexuel et un désir exclusivement homosexuel : ces bouleversements sont étroitement associés au modèle des deux sexes. Avant 1700, il y avait « trois sortes de corps (hommes, femmes et hermaphrodites) » mais « seulement deux sortes de genres (masculin et féminin) ». Après 1700, « il y a désormais deux sortes de corps (masculin et féminin) mais trois genres (homme, femme et sodomites) »46. Dans ce livre, et dans des articles antérieurs importants, Trumbach décrit un durcissement de la masculinité et de la féminité, la première se mesurant à l’aune des nouveaux sodomites efféminés, la seconde à l’aune de la prostituée47. Ce sont sans aucun doute les femmes pauvres qui, dans le scénario de Randolph Trumbach, sont les principales perdantes : « il est vraisemblable que ce sont elles qui ont le plus souffert de la construction du monde sexuel moderne »48. Accouchant souvent d’enfants illégitimes, n’ayant pas accès à l’idéal de l’amour romantique ni à celui de la vie de famille que les femmes de statut supérieur entretenaient pour adoucir les mauvais traitements que les hommes leur infligeaient, souffrant de ne pouvoir endosser le rôle respectable de la femme passionnée, leur réputation était des plus précaires. En effet, tandis que le désir sexuel des hommes était essentiel à « la nouvelle hétérosexualité masculine », les femmes étaient souvent punies quand elles prenaient l’initiative, et seules les prostituées étaient censées afficher « un désir sexuel exceptionnel »49. Selon Randolph Trumbach en effet, après la révolution sexuelle, les seules femmes qui purent exprimer une passion sexuelle étaient les prostituées, les domestiques séduites, les veuves remariées ou les femmes adultères.

11Le modèle des deux sexes, la désexualisation des femmes et la séparation des sphères apparaissent invariablement comme des évolutions concomitantes qui ont appauvri qualitativement la place des femmes. Comme l’écrit Janice F. Thaddeus :

  • 50 Thaddeus 1994 : 113.

Au début du dix-huitième siècle et auparavant, les femmes sont censées ressembler aux hommes. Même leur corps – bien que moins parfait, bien sûr – est censé ressembler à celui des hommes. De là, l’idée que les femmes sont fortes et sensuelles, qu’elles sont presque aussi indépendantes après le mariage qu’avant. En 1788, cet être féminin, défini essentiellement comme une version amoindrie de l’homme, a été redéfini comme un être séparé et opposé à l’homme, chaste et domestique par “nature”50.

  • 51 McLaren 1985 : 340-341.
  • 52 Hill 1989 : 46. Voir aussi Snell 1981 : 407-437.
  • 53 Hitchcock 1997 : 111.
  • 54 Shoemaker 1998 : 42.
  • 55 Ibid. : 317.
  • 56 Ibid. : 318.
  • 57 George 1973 : 159 ; Riley 1988 : 14 ; Hitchcock 1996 : 77.
  • 58 Cohen & Hichcock 1999 : 18 (Introduction).
  • 59 Voir, par exemple, Senelick 1990 : 33-67. Pour un exemple équivalent en Europe, voir Liliequist 199 (...)
  • 60 Haggerty1999 : 172.

12De la même manière, pour Angus McLaren, le changement dans la conception de la sexualité féminine a mis fin à cette « situation assez égalitaire » dans laquelle « le lit était un endroit où hommes et femmes étaient plus ou moins égaux ». Plus encore, « le droit des femmes au plaisir sexuel n’a pas été valorisé, mais déprécié »51. On trouve cette même idée dans certaines reformulations récentes des thèses sur la restriction des opportunités de travail pour les femmes ; ici, le déclin de l’économie familiale aurait altéré « une situation qui ressemblait à un partenariat de travail établi avec leurs maris » et qui se serait apparentée à une « égalité réelle »52. Tim Hitchcock indique que les changements observables en matière de sexualité et d’identité « ont annoncé une période d’intense oppression patriarcale. Mais, pour les hommes également, cela s’est traduit par une conception de plus en plus contraignante de la masculinité »53. Robert Shoemaker s’oppose avec vigueur à ce récit pessimiste, faisant valoir, qu’en dehors de la sphère domestique, les possibilités laissées aux femmes ont augmenté, malgré les images « de plus en plus contraignantes » véhiculées par les manuels de bonne conduite et la littérature54. Néanmoins, Shoemaker suggère que les images des femmes diffusées par la culture déterminent de plus en plus la vie des individus, et observe que « les rôles de genre de la période moderne étaient moins intériorisés et moins contraignants qu’ils ne le sont devenus à l’époque victorienne »55. Il conclut qu’une « accentuation » a eu lieu dans la construction et la pratique de la séparation sexuée – la constitution de sphères séparées – entre 1650 et 185056. De telles interprétations soulignent qu’il y a non seulement eu des changements dans la conception des rôles et des idéaux, mais aussi que la nature même de ces idéaux a été marquée par une plus grande rigidité et le rétrécissement des perspectives. De fait, des argumentations antérieures suivant lesquelles les producteurs d’image « définissaient les relations homme/femme avec une précision nouvelle » et les femmes enduraient « la longue marche des Empires du genre sur l’entièreté de la personne » ont trouvé un écho dans l’hypothèse récente qu’« une rigueur plus importante a été imposée à la définition des rôles de genre »57. Tim Hitchcock et Michèle Cohen écrivent, dans leur introduction à la collection English masculinities, 1660-1800 (1999) : « l’ancien modèle d’un renforcement progressif des frontières du genre est actuellement remis en question »58. Cependant, cette position n’a pas encore été étayée sur des travaux publiés et les études antérieures qui ont montré de quelle façon la conception de la masculinité s’était restreinte n’ont pas encore été revisitées59. L’attention récente que George Haggerty porte à l’amour entre hommes situe plutôt ces relations dans une culture « qui apprenait tout juste à codifier la différence sexuée et à marginaliser les comportements excessifs ; à construire une sexualité comme un système binaire rigide destiné à isoler le “non-naturel” ; et à construire une identité en enfonçant un coin entre le discours public et le discours privé »60. Dans la vision qui est ici proposée du changement, les individus ont été de plus en plus saturés de notions ayant trait à la différence de genre et le tableau de la période antérieure au dix-huitième siècle apparaît comme un âge d’or de liberté pour les identités de sexe et de genre.


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  • 61 Milligan 1993 : 109.
  • 62 Foucault 1976 : 91 (en anglais 1979 : 68). Sur Foucault et le discours, voir Thacker 1997 ; McNay 1 (...)
  • 63 Sur l’approche générale du corps de Foucault, voir McNay 1992 : 28 et 38-40.
  • 64 Butler 2006 : 69 (en anglais 1990 : 7). Voir également ead. 2009 (édition originale 1993).
  • 65 Newman 1991 : 62. Pour d’autres discussions utiles voir Riley 1988 ; Bennett 1989 : 251-272 ; Hall  (...)
  • 66 Voir en particulier Weeks 1989, qui soutient la thèse selon laquelle l’identité homosexuelle mascul (...)

13L’historiographie du corps et de la sexualité a apporté une contribution majeure à l’histoire des femmes et du genre en permettant d’historiciser les catégories et les identités sexuelles. Le constructionnisme social, qui se situe en opposition apparente à une approche biologique essentialiste, a ainsi joué un rôle important dans ces recherches. Comme l’a récemment précisé un chercheur, le constructivisme social « a produit, comme par magie, de nombreuses sexualités là où auparavant  il n’y en avait qu’une »61. L’héritage légué par Michel Foucault est également fondamental. Foucault a donné la priorité à l’efficience (agency) du discours et a établi que la sexualité était le « corrélatif de cette pratique discursive lentement développée » qu’est la science du sexe62. Dans son Histoire de la sexualité, il décrit le corps comme le produit d’une pratique discursive, comme un écran sur lequel le pouvoir non-discursif projette des effets63. Aujourd’hui, il faut aussi tenir compte de l’influence de Judith Butler, qui écrit que le genre est « l’ensemble des moyens discursifs/culturels par quoi “la nature sexuée” ou un “sexe naturel” est produit et établi dans un domaine “prédiscursif”, qui précède la culture »64. Cette thèse – selon laquelle les éléments qui apparaissent comme des distinctions naturelles ou biologiques sont en fait les produits de la culture et du langage – peut être facilement calquée sur l’argument de Laqueur, qui soutient que la différence sexuelle a été « fabriquée » au dix-huitième siècle. De plus en plus, les recherches sur le corps et la sexualité doivent beaucoup à une approche qu’on pourrait schématiquement qualifier de « poststructuraliste », dans laquelle la connaissance du passé vient « non pas de la reconstruction des expériences “objectives” mais d’une analyse des systèmes de signification qui, d’entrée de jeu, rendent possibles et construisent ces expériences »65. L’impact en est particulièrement perceptible dans les discussions sur l’homosexualité d’antan, où une question centrale demeure, celle de savoir si les historiens peuvent appréhender le comportement et l’identité homosexuels à des époques où ni le concept d’homosexualité – ni sa nomenclature – n’avaient encore été inventés66.

14Le fait que l’accent soit mis sur le discours a comme conséquence que l’histoire qui en découle est mieux outillée pour produire une description qu’une explication. Comme l’écrit Trumbach à la fin de l’introduction de son ouvrage récent :

  • 67 Trumbach 1998 : 22.

Il semble que nous ne sachions pas très bien pourquoi ou comment les systèmes culturels changent si rapidement au cours d’une seule et même génération, que l’on soit en 1700 ou en 1960. C’est aussi déroutant que d’essayer d’expliquer l’expansion et la régression des maladies – peste, syphilis, variole, SIDA. C’est pourquoi, dans ce livre, nous nous contenterons d’aborder l’analyse de la division du monde sexuel en une minorité homosexuelle et une majorité hétérosexuelle, division qui reste un des aspects les plus fondamentaux de la culture occidentale moderne telle qu’elle a été constituée par la génération de 170067.

  • 68 Shoemaker 1998 : 5 et 309.

15D’autres chercheurs qui travaillent sur le discours ont des difficultés à fournir des modèles de causalité. Tout en essayant de revenir « aux racines de l’analyse de genre dans l’histoire sociologique », Shoemaker reconnaît « les progrès théoriques de ces dernières années et l’importance du langage dans la construction des rôles de genre », ce qui l’oblige à tenir compte du « rôle des idées et des idéologies » dans l’expérience sexuée. Cependant, son travail cherche « principalement à consigner les différences plutôt qu’à les expliquer »68. L’attention particulière accordée au langage dans l’histoire de la sexualité et du genre, et de manière générale dans l’histoire culturelle, produit des études qui sont mieux équipées pour analyser la synchronie que la diachronie, mais aussi le sens que la causalité.

  • 69 Hitchcock 1997 : 112.
  • 70 Ibid. : 112-14. Citation : 114.
  • 71 Fletcher 1995 : 401.
  • 72 Ibid : 283 et 407.
  • 73 Ibid. : 407.

16Face aux difficultés rencontrées pour expliquer le changement, on a fait appel à des cadres explicatifs plus anciens, qui ont comblé les vides creusés par l’attention nouvelle portée à la culture. Même s’il critique le seul recours au réductionnisme économique, Tim Hitchcock écrit « que le changement économique et social peut expliquer la transformation de la culture sexuelle anglaise »69. Il suggère provisoirement que la croissance économique, l’industrialisation et l’urbanisation ont changé la culture sexuelle à travers deux mécanismes : la culture populaire de l’imprimé ; la philanthropie urbaine et la politique sociale. La culture de l’imprimé a remis en question l’autorité que détenaient les personnes âgées et les femmes en particulier, en mettant à la portée des individus de nouvelles sources du savoir sur la sexualité. De plus, une politique sociale a été instaurée pour orienter l’attribution des ressources aux paroisses urbaines en expansion, aux nouvelles institutions urbaines, aux hôpitaux caritatifs, et aux asiles. Cette politique sociale a construit une féminité qui a partie liée avec la notion de victime et une masculinité définie comme sexuellement irresponsable. Tandis qu’« un amalgame complexe de forces économiques et culturelles » a joué un rôle dans la révolution sexuelle du dix-huitième siècle, Hitchcock nous met en garde en précisant que ces deux mécanismes « ne remplacent pas le rôle plus large joué par le changement économique dans l’explication de la transformation historique »70. Le cadre explicatif tracé par Anthony Fletcher accorde plus d’efficience aux facteurs culturels : « À l’origine, il y avait le besoin des hommes de consolider les fondements et l’avenir du patriarcat »71. Leur réussite fut « d’adapter et de transformer le patriarcat en Angleterre en remplaçant sa base scripturaire et médicale ancienne […] par une nouvelle idéologie séculière du genre » ; le programme consistait à inculquer une conception « de la différence sexuelle qui soit fondamentale et incontournable »72. Initialement, c’est le bouleversement des systèmes de pensée qui entraîna une diminution de l’importance et de la signification de la « Grande Chaîne de l’Existence, du macrocosme et du microcosme, de la médecine humorale et de l’astrologie » ; ce bouleversement fut « la cause de l’effondrement du genre traditionnel et le signal de la quête d’un nouveau cadre pour les relations de genre »73. Le patriarcat fut réinventé alors qu’il menaçait de perdre de sa stabilité dans un contexte idéologique en pleine mutation.

  • 74 Crawford & Mendelson 1998 : 29-30 ; voir également l’exposé de Fletcher plus haut, 1995 : xxx.
  • 75 Fissell 1995 : 433-456.
  • 76 À propos de la sexualité féminine voir, par exemple, Nead 1988 ; Peterson 1986 : 569-590. Sur la se (...)
  • 77 Moscucci 1996 : 72.
  • 78 Alaya 1977 : 264 ; Russett 1989 : 2 et 10.

17Ces travaux se calquent sur des récits économiques et politiques reconnus et, en outre, ils ont servi à donner un second souffle à des modèles de changement plus anciens en absorbant le scénario laqueurien. Pourtant certaines objections ont été faites à ce scénario tel qu’il a été présenté dans des histoires récentes du genre. Certains travaux d’historiens sur des époques antérieures et postérieures mettent en doute l’affirmation selon laquelle le dix-huitième siècle a constitué un tel tournant. Les historiens des seizième et dix-septième siècles avancent l’idée que des changements importants dans la compréhension du genre et du corps ont commencé avant 170074. Mary Fissell décrit la manière dont les ouvrages médicaux en langue vernaculaire de la deuxième moitié du dix-septième siècle remettent en question l’hégémonie du modèle unisexe75. Ce travail, qui porte sur la période antérieure à 1700, suggère que l’accent est mis sur la différence des corps bien plus tôt que Laqueur ne l’admet. De plus, depuis quelque temps, les historiens qui travaillent sur le dix-neuvième siècle remettent en question le stéréotype de la femme victorienne asexuée, tandis que d’autres font remarquer que la sexualité masculine était également soumise à des règles76. Plus récemment, on a pu écrire que, dans sa façon d’appréhender le clitoris, la profession médicale victorienne a renforcé « l’hétérosexualité et les frontières du genre, plutôt qu’elle ne s’est engagée dans une répression de la sexualité féminine »77. Une telle affirmation n’est pas sans rappeler la caractérisation du dix-huitième siècle qui est faite par Trumbach et Hitchcock. Le caractère unique du dix-huitième siècle est également remis en question par ceux qui, dans le passé, ont soutenu que la science du dix-neuvième siècle a produit un schéma des différences sexuelles qui tentait de museler l’aspiration des femmes à participer à la vie politique au-delà de la sphère domestique78. Si un changement de fond s’est produit dans la façon dont la science et la médecine représentent le corps – changement motivé par un besoin de concentrer le pouvoir entre les mains de quelques-uns –, il n’est clairement pas achevé à la fin du dix-huitième siècle. Il est probable que toute cette transformation a suivi un très long processus.

  • 79 Crawford & Mendelson 1998 : 118-122 et 148-156.
  • 80 Hitchcock 1999 : 25-43 et 1997 : 28-38.
  • 81 Gowing 1996 : 28-29 ; Crawford & Mendelson 1998 : 29-30 ; Shoemaker 1998 : 20-21, 61et 86.
  • 82 Voir Harvey 2002 : 202-223.
  • 83 Tosh 1999 : 238 ; Gowing 1996 : 28-29.

18De plus en plus de voix discordantes revendiquent une autre approche du changement dans l’histoire du corps, de la sexualité et du genre. Il semble en effet que les modèles de changement établis pour une sphère donnée ne soient pas toujours transposables à une autre. Certains historiens pensent que les récits pertinents de changement ne sont valides que s’ils sont établis sur une période courte correspondant au cycle de vie d’un individu et non à l’échelle, beaucoup plus grande, des transformations historiques. Sara Mendelson et Patricia Crawford ont intégré leurs études sur le sexe, la contraception, la grossesse et l’accouchement à une recherche sur la vie des femmes, de l’enfance à l’adolescence et à l’âge adulte79. La notion de “cycle de vie” est précieuse également pour faire l’histoire de la masculinité. Les recherches de Tim Hitchcock sur la vie sexuelle de John Cannon montrent que les années qui suivent ses vingt ans jusqu’au début de sa trentaine sont des années cruciales de changement dans ses pratiques sexuelles80. En plus de cette attention portée au cycle de vie, les spécialistes prennent soin de rappeler que les continuités sont tout aussi présentes que les changements dans l’histoire du corps et de la sexualité81. Dans la littérature érotique, par exemple, les conceptions de la différence sexuelle ne peuvent être facilement emboîtées dans les modélisations spécifiques à chaque période. Au contraire, deux façons d’envisager la différence des sexes ont coexisté tout au long du dix-huitième siècle82. Chez les historiens des femmes et du genre, cet accent mis sur la durée dans l’histoire du corps participe d’un intérêt plus général tant pour la permanence que pour la transformation83.

  • 84 Un bon exemple de ce type de recherche est le travail de Robert Darnton sur les ouvrages interdits (...)
  • 85 Francis Mauriceau, The diseases of women with child: as also the best means of helping them in natu (...)
  • 86 Martensen 1994 : 107-133.
  • 87 Aristotle’s compleat master-piece: in three part: displaying the secrets of nature in the generati (...)

19L’intégration des arguments sur les cycles de vie et la permanence historique dans l’histoire du corps, de la sexualité et du genre modifie nécessairement les récits qui privilégient la longue durée et le caractère linéaire du changement. Les études sur les échanges culturels et sur la place des textes au sein de la société sont venues infléchir encore davantage le discours dominant. L’affirmation selon laquelle le corps, le genre et la sexualité sont redéfinis en fonction des débats sur la représentation politique tend à subsumer toute une série de phénomènes historiques sous le seul débat politique. La même remarque s’applique à l’utilisation des sources : des types d’informations différentes sont issus de documents de natures et aux fonctions diverses. Pour étayer l’affirmation selon laquelle, au même moment, les romans, les sermons et autres écrits didactiques, les pièces de théâtre, les dossiers judiciaires, les traités de philosophie, les traités scientifiques et les livres de médecine ont tous été traversés par les motivations des penseurs politiques, il faudrait pouvoir établir des liens entre ces sources et des réseaux de communication plus larges84. Les théories qui circulaient dans les textes médicaux ont pu influencer les ouvrages littéraires qui traitent de la différence sexuelle et du corps mais, en retour, ces théories s’en sont trouvées modifiées, elles aussi. Par exemple, à la fin du dix-septième siècle, l’ouvrage de Mauriceau destiné aux sages-femmes, Les maladies des femmes grosses, se révèle riche d’enseignements pour les auteurs de la littérature érotique, qui utilisent des métaphores botaniques et cartographiques pour décrire le corps humain. Mais, tout en s’inspirant largement des descriptions que fait Mauriceau de la conception humaine, ces auteurs participent aux discussions sur ses théories et les utilisent de manière sélective85. Les écrits médicaux et érotiques sont liés par leur intérêt commun pour certains thèmes, et même pour certains mots et certaines images, mais ils ne disent pas la même chose. En effet, un genre littéraire – et même un texte isolé – est rarement univoque et une seule lecture n’en épuise pas le sens. Les ouvrages scientifiques et médicaux spécialisés contiennent de multiples points de vue sur la différence sexuelle. Réexaminant les images contenues dans les textes médicaux de la période moderne, Robert Martensen conclut qu’ils présentent alternativement le modèle d’un sexe unique et le modèle des deux sexes86. L’ouvrage populaire de médecine Aristotle’s compleat master-piece déploie sans aucun doute les deux discours : on y déclare sans équivoque que « les femmes ne sont rien d’autre que des hommes retournés comme un gant », tout en informant les lecteurs que « la différence des sexes est un pré-requis à la conception »87.

  • 88 Jenner & Taithe 2000 : 194.
  • 89 Voir Jacob 1993 : 182.
  • 90 Crawford 1994 : 82-106.
  • 91 Foyster 1999 : 29.
  • 92 Gowing 1996 : 7.
  • 93 Ibid. : 80-82 ; Laqueur 1992 : 123-125 (en anglais : 96-98).

20Le travail de Laqueur a été critiqué non seulement parce qu’il a présenté « une interprétation trop schématique et simpliste des changements de la théorie médicale », mais aussi parce qu’il « n’a pas pris en compte les informations non-médicales issues de la compréhension populaire de la conception et de la différence sexuelle » telles qu’on les trouve dans la pornographie, les traités de vulgarisation médicale et les dépositions judiciaires88. La culture n’étant pas monolithique, une telle variété d’informations produit différents types de conceptions du corps. Les corps mis en scène dans la pornographie, au lieu d’être présentés comme opposés, fortement sexués et incomparables, peuvent être décrits comme « aussi semblables, égaux et dénués de genre que les atomes et les planètes »89. Dans certains ouvrages meilleur marché, la conception populaire de la sexualité « dévoie » les discours médicaux tandis que dans la culture féminine orale ou écrite, on trouve des mises en doute des théories qui ont cours chez les élites90. Si l’on a peu de travaux sur la façon dont les hommes vivaient leur corps et sur la manière dont ils percevaient la différence sexuelle, Elizabeth Foyster soutient malgré tout que, « par le passé, la revendication de la “différence” était aussi répandue chez les hommes que chez les femmes »91. Comme l’a démontré Laura Gowing à travers des pièces de procès qui ont eu lieu entre 1560 et 1640, les hommes et les femmes ordinaires avaient tendance à mettre plutôt l’accent sur la différence que sur la similitude entre les sexes. Le rôle central de l’orgasme des femmes dans la conception était chose communément admise mais l’idée selon laquelle « la femme et l’homme auraient été deux moitiés d’un même sexe ne semble pas avoir pris racine dans l’imagination populaire »92. Dans le langage courant, des termes assez différents étaient utilisés pour désigner les organes génitaux masculins et féminins, et cela à une époque où les écrits scientifiques et médicaux n’avaient pas encore mis au point une nomenclature distincte pour le corps féminin93. Un langage familier qui distingue ces parties du corps suggère que le corps féminin et le corps masculin étaient considérés comme structurellement, fonctionnellement et moralement distincts. On pouvait très bien faire référence à certaines parties du modèle unisexe sans pour autant adhérer à la vision d’ensemble.

  • 94 Laqueur 1990 : 68.
  • 95 Tim Hitchcock fait une distinction entre ce qui est « populaire » et « élitaire », mais aucune réfé (...)
  • 96 Jordanova 1999 : 3.
  • 97 Gowing 1996 : 7.
  • 98 Harvey 2002.

21Le « sentiment » qui fait dire à Laqueur que « médecins, auteurs profanes, ainsi qu’hommes et femmes, dans leur couche, partageaient grosso modo la même idée du fonctionnement du corps en matière de reproduction »94 ne semble pas devoir être suivi. La lecture croisée de la pornographie, des traités de vulgarisation médicale et des archives judiciaires révèle toute une gamme de conceptions de la relation homme-femme. Plutôt que d’établir une distinction entre une conception « populaire » et une conception « élitaire » du corps, cette variété de conceptions met l’historien au défi de déchiffrer quand, où, et pourquoi on a utilisé des modèles différents95. À la suite de Ludmilla Jordanova qui a inspiré les historiens de la culture, les historiens du corps et de la sexualité pourraient se demander en quoi le contenu et la forme des sources historiques « médiatisent les conditions sociales où elles prennent place »96. En d’autres termes, quelles fonctions remplissent les concepts de « différence » et de « similitude » corporelles dans les diverses occurrences où on les rencontre et comment sont-elles utilisées ? Bien qu’elle mette l’accent sur la différence entre les hommes et les femmes ordinaires, Laura Gowing pense aussi que l’idée de similitude corporelle a pu servir « à donner un sens à la sexualité : les corps de femmes et d’hommes ne s’emboîtent pas seulement sur le papier, mais aussi en pratique »97. Dans la littérature érotique du dix-huitième siècle, les auteurs utilisaient des homologies quand ils cherchaient à faire comprendre qu’il était question de pénétration vaginale ou de fertilisation. La différence pouvait alors être accentuée mais, dans le même temps, la similitude corporelle facilitait la compréhension de l’union des hommes et des femmes98.

  • 99 Roper 1994 : 17-18.
  • 100 Crawford & Mendelson 1998 : 18-30.
  • 101 Hitchcock 1996 : 77 et 78.
  • 102 Shoemaker 1998 : 5.
  • 103 Ibid. : 11.

22Du fait de cet intérêt pour le discursif, les contextes concrets de la sexualité sont restés largement inexplorés et certains historiens regrettent que cette focalisation ait exclu les corps physiques des documents historiques. Lyndal Roper déplore que « le corps » dans le travail historique soit « une irritante abstraction non-physique » et soutient, qu’au contraire, « nous avons besoin d’une compréhension de la différence sexuelle qui intègre le corporel au lieu de le combattre »99. La plupart des travaux existants mettent l’accent sur les changements intervenus dans le langage et le discours mais semblent rejeter les continuités établies par le corps physique. L’ouvrage de Sara Mendelson et Patricia Crawford fait exception et met l’accent sur les expériences typiquement féminines que sont la menstruation, la parturition, la lactation, expériences qui fondent très durablement l’insistance qui est mise, au plan culturel, sur l’infériorité du corps féminin100. Une autre direction de recherche pour l’étude de la sexualité reste encore très inexploitée : celle de la production et de la consommation d’ouvrages se rapportant au sexe, au désir et au corps. De nombreux travaux d’histoire de la sexualité considèrent que ces ouvrages suscitaient des réactions prévisibles chez les contemporains et qu’ils peuvent être utilisés comme des indicateurs des expériences que les gens ont pu vivre. Hitchcock reconnaît qu’il est difficile de savoir à quel point les individus ont été affectés par ces écrits mais il souligne que « la nature du cadre idéologique dans lequel les femmes agissaient était changeante, et que les attentes contenues dans les guides sur la sexualité et les manuels de bonne conduite étaient de plus en plus contraignantes ». Dans son étude des représentations des rôles de genre, Tim Hitchcock indique que « c’est aux femmes qu’on imposait le plus grand refoulement »101. Shoemaker commence par envisager « les rôles de genre vécus par chacun comme le produit de l’interaction entre des façons de penser le genre et une combinaison de forces sociales, économiques et politiques »102. Mais, en définitive, il semble douter de l’impact de l’idéologie sur la construction des rôles de genre : il montre la réduction des représentations et, malgré tout, un accroissement des opportunités103. Ce qui manque donc le plus à l’ouvrage, c’est une explication des réactions des individus (et de leur résistance, dont il est question dans le livre) face à des idées de plus en plus étriquées.

  • 104 Tosh 1999 : 227.
  • 105 Hitchcock 1997 : 49 ; Shoemaker 1998 : 60 ; Tosh 1999 : 227.
  • 106 Anna Clark se démarque en proposant une lecture de l’identité de la lesbienne Anne Lister. Elle ide (...)
  • 107 Kraakman 1994 : 547. Pour une des rares analyses de la pornographie française, voir Goulemot 1991 : (...)
  • 108 Laqueur 1992 : 38-39 (en anglais : 22).

23Ce qui fait certainement le plus défaut dans l’historiographie du corps et de la sexualité est une recherche qui tenterait d’évaluer jusqu’à quel point la vision de Laqueur correspond à l’expérience des hommes et des femmes. Comme John Tosh l’a fait remarquer, « cela vaut la peine de se demander si la polarisation sexuelle n’a pas été qu’une figure de rhétorique. Est-ce que cela reflétait la réalité des relations entre les hommes et les femmes ? »104. Tim Hitchcock et d’autres ont assurément soulevé la question du rapport entre les publications émanant des élites, les conceptions populaires et les expériences des hommes et des femmes105. Mais, face à une absence quasi complète de recherche sur la question de la réception, on a le sentiment que les hommes et les femmes ne sont que des éponges106. En multipliant les recherches sur la production, la lecture et la réception, on parviendrait probablement à une remise en cause fondamentale de l’interprétation que les historiens font de leurs données. Par exemple, Dorelies Kraakman soutient que la littérature érotique constitue une source utile « à l’historien de la sexualité, en particulier l’historien de la sexualité féminine », mais les travaux sur les conditions de production et de circulation de ces sources suggèrent que leur utilisation est plus appropriée pour l’étude de l’histoire de la masculinité107. Tandis qu’une grande partie des écrits sur le sexe à l’époque moderne semble surtout préoccupée par le corps féminin (intérêt que l’on retrouve dans « une histoire du corps » qui n’a pas grand-chose à dire sur les hommes), les préoccupations qui s’y font jour ont un rapport beaucoup plus direct avec les débats qui leur sont contemporains sur le corps et la sexualité des hommes. Si Laqueur écrit : « probablement est-il impossible d’écrire une histoire du corps de l’homme et de ses plaisirs parce que les archives historiques ont été créées dans une tradition culturelle où cette histoire n’était pas nécessaire », il n’est pas juste de dire que « c’est toujours la sexualité de la femme qui est constituée »108. De plus en plus, il semble qu’une grande partie de l’historiographie du corps et de la sexualité soit une historiographie de la masculinité et que l’histoire de la sexualité féminine reste encore à écrire.


***

24Quand un nouveau champ de recherche s’ouvre, il y a espoir de corriger les théories anciennes et de modifier les débats en cours. Dans La Fabrique du sexe, Laqueur a démontré que des catégories apparemment naturelles sont en fait spécifiques à la culture et à l’histoire, et a apporté à l’histoire du corps et de la sexualité un récit diachronique construit sur des thèses plus anciennes. L’ouvrage place l’histoire du corps sur la carte de l’historiographie et de nombreux historiens des femmes et du genre l’utilisent comme un ouvrage représentatif de l’histoire du corps. Et, pourtant, on voit surgir de plus en plus de questions sur la place de ce travail dans le champ de l’histoire des femmes et du genre, qui reprennent d’anciennes questions portant sur l’interprétation des sources, sur les limites de ce que les historiens peuvent raisonnablement défendre et, surtout, sur le changement. La diversité synchronique des conceptions du corps mise à jour par des recherches récentes, couplée à l’évidence de la permanence, vient miner le scénario dominant de l’histoire du corps et de la différence sexuelle. Les corps ne peuvent jamais être des incarnations de la seule modernité mais, en même temps, ils en constituent l’incarnation la plus durable. De plus, l’intégration harmonieuse de la thèse de Thomas Laqueur à des travaux récents de l’histoire du genre tend à éclipser la façon dont certains domaines de la vie – le travail, l’organisation de la vie de famille, la reproduction, le plaisir – sont soumis à des forces distinctes de changement et de permanence. Les historiens du genre doivent étudier ces tensions. De plus, les incertitudes sur la chronologie ou sur les sources laissent penser que le récit politique sous-jacent à la thèse laqueurienne ne constitue pas une explication satisfaisante pour une approche culturelle globale des corps, des sexualités et du genre. Si l’histoire des femmes a constitué antérieurement à celui-ci, un récit dont la chronologie – calquée sur l’histoire économique – était imparfaite, il semblerait qu’un récit fondé sur l’évolution des débats sur la représentation politique soit tout aussi imparfait. Les historiens du genre continuent d’être mis au défi d’élaborer des modèles pertinents et des cadres explicatifs qui permettent de comprendre les changements et les permanences.

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Notes

1 *Je remercie Sandra Cavallo, Mark Jenner, feu Roy Porter, Lyndal Roper, Nick Stargardt, et particulièrement Amanda Vickery et Penelope J. Cornfield pour leur lecture des premières ébauches. Ce travail a reçu le soutien de la William Andrews Clark Memorial Library et de la British Academy.

Tonkin 1996 : 2.

2 Porter 1982a : 278.

3 Porter 1982b : 5. Voir Stone 1979 : 328.

4 Wagner 1988 ; Hunt 1993.

5 Darnton 1995a et 1995b. Voir également Chartier 1993.

6 Voir, par exemple, Jordanova 1989 ; Merchant 1980.

7 Pour l’Ancien régime voir Clark J.C.D. 1985 et 2000. Pour des études historiques qui mettent l’accent sur la “modernité”, voir, par exemple, McKendrick, Brewer & Plumb 1982 ; Ogborn 1998.

8 L’évaluation du livre de Laqueur est tirée de Jenner & Taithe 2000 : 191. Laqueur 1992 : 18 (en anglais Laqueur 1990 : 5).

9 Laqueur 1992 : 17. Voir pour plus de détails p. 41-54 (en anglais Laqueur 1990 : 4 et 23-35).

10   Ibid. : 21-22 (en anglais : 8).

11 Ibid. : 37 (en anglais : 21).

12 Ibid. : 260-282 (en anglais : 227-243).

13 Ibid. : 18, 42, 176 (en anglais : 5, 25, 154).

14 Ibid. : 186 (en anglais : 163).

15 Ibid. : 24 (en anglais : 10).

16 Ibid. : 25-26 (en anglais : 11).

17 Ibid. : 221-238 (194-207).

18 Schiebinger 1993 : 143. Voir aussi ead. 1989 : 216.

19 Scott 1988 : 2 (« Introduction »).

20 Laqueur 1992 : 22 (en anglais  : 8).

21 Laqueur 1986 : 3.

22 McLaren 1985 : 326 ; Bullough 1973 : 485-501.

23 Ainsi, on disait parfois que les femmes étaient capables de s’auto-féconder sans avoir recours à l’homme. Voir Crawford 1994 : 90.

24 Laqueur 1992 : 67 (en anglais : 46).

25 Cott 1978 : 219-236.

26 Perry 1992 : 212.

27 Merchant 1980 : 148.

28 McLaren 1985 : 324, 330 et 340. Pour des exemples de commentaires sur la montée en puissance de la femme désexualisée dans des contextes très variés, voir Accati 1990 ; Crouch 1997 : 58-78 ; Schiebinger 1987 et ead. 1996 : 163.

29 George 1973 : 152-177 ; Armstrong 1987.

30 Références incontournables : Clark Alice 1919, rééd. 1982 ; Hill 1989 ; Pinchbeck 1930, rééd. 1981 ; Davidoff & Hall 1987. Pour un exposé critique de ces travaux, voir Vickery 1993 : 383-414.

31 Fletcher 1995 : 407.

32 Ibid. : xvi-xvii, 291 et 402.

33 Ibid. : 36.

34 Ibid. : 41.

35 Ibid. : 296.

36 Ibid. : 41.

37 Ibid. : 291.

38 Ibid. : xxii.

39 Shoemaker 1998 : 85. Voir également : 31-35 et 313-314.

40 Ibid. : 34.

41 Hitchcock 1997 : 48. On retrouve ces arguments dans Hitchcock 1996 : 72-90.

42 Hitchcock 1996 : 77-78.

43 Hitchcock 1997 : 57.

44 Ibid. : 111.

45 Ibidem. Voir aussi : 24-41 et 58-92.

46 Trumbach 1998 : 9.

47 Trumbach 1991 : 186-203, et 1989.

48 Trumbach 1998 : 322.

49 Ibid : 394 et 424.

50 Thaddeus 1994 : 113.

51 McLaren 1985 : 340-341.

52 Hill 1989 : 46. Voir aussi Snell 1981 : 407-437.

53 Hitchcock 1997 : 111.

54 Shoemaker 1998 : 42.

55 Ibid. : 317.

56 Ibid. : 318.

57 George 1973 : 159 ; Riley 1988 : 14 ; Hitchcock 1996 : 77.

58 Cohen & Hichcock 1999 : 18 (Introduction).

59 Voir, par exemple, Senelick 1990 : 33-67. Pour un exemple équivalent en Europe, voir Liliequist 1991 : 393-423.

60 Haggerty1999 : 172.

61 Milligan 1993 : 109.

62 Foucault 1976 : 91 (en anglais 1979 : 68). Sur Foucault et le discours, voir Thacker 1997 ; McNay 1992.

63 Sur l’approche générale du corps de Foucault, voir McNay 1992 : 28 et 38-40.

64 Butler 2006 : 69 (en anglais 1990 : 7). Voir également ead. 2009 (édition originale 1993).

65 Newman 1991 : 62. Pour d’autres discussions utiles voir Riley 1988 ; Bennett 1989 : 251-272 ; Hall 1991 : 204-210 ; Kent 1996 : 9-18 ; Purvis 1996 : 5-7.

66 Voir en particulier Weeks 1989, qui soutient la thèse selon laquelle l’identité homosexuelle masculine n’est apparue qu’à la fin du xixe siècle. Trumbach soutient au contraire que c’est au début du xviiie siècle qu’une sous-culture homosexuelle moderne a vu le jour. Voir Trumbach 1989 et 1991. Pour un exposé sur l’homosexualité avant le xviiie siècle, voir Bray 1982.

67 Trumbach 1998 : 22.

68 Shoemaker 1998 : 5 et 309.

69 Hitchcock 1997 : 112.

70 Ibid. : 112-14. Citation : 114.

71 Fletcher 1995 : 401.

72 Ibid : 283 et 407.

73 Ibid. : 407.

74 Crawford & Mendelson 1998 : 29-30 ; voir également l’exposé de Fletcher plus haut, 1995 : xxx.

75 Fissell 1995 : 433-456.

76 À propos de la sexualité féminine voir, par exemple, Nead 1988 ; Peterson 1986 : 569-590. Sur la sexualité masculine, voir Hall & Porter 1995 : 141-145.

77 Moscucci 1996 : 72.

78 Alaya 1977 : 264 ; Russett 1989 : 2 et 10.

79 Crawford & Mendelson 1998 : 118-122 et 148-156.

80 Hitchcock 1999 : 25-43 et 1997 : 28-38.

81 Gowing 1996 : 28-29 ; Crawford & Mendelson 1998 : 29-30 ; Shoemaker 1998 : 20-21, 61et 86.

82 Voir Harvey 2002 : 202-223.

83 Tosh 1999 : 238 ; Gowing 1996 : 28-29.

84 Un bon exemple de ce type de recherche est le travail de Robert Darnton sur les ouvrages interdits en France à l’époque de la Révolution. Voir Darnton 1995b : 181-197.

85 Francis Mauriceau, The diseases of women with child: as also the best means of helping them in natural and unnatural labours, (7e éd., trad. Hugh Chamberlain, 1736). Traduction de l’ouvrage français : François Mauriceau, Des Maladies des femmes grosses et accouchées avec la bonne et véritable méthode de les bien aider... , Paris, J. Hénault, 1668. Le plagiaire érotique est Philogynes Clitorides [pseud., alias Thomas Stretser ?], The natural history of the frutex vulvaria, or flowering shrub ([c. 1737] ; Arbor vitae: or, the natural history of the tree of life, 1741). Voir Harvey 2002 : 203-206.

86 Martensen 1994 : 107-133.

87 Aristotle’s compleat master-piece: in three part: displaying the secrets of nature in the generation of man (11e éd. [1725], p. 14 et 30). À propos des différentes éditions de ce manuel populaire, voir Porter 1987 : 1-21.

88 Jenner & Taithe 2000 : 194.

89 Voir Jacob 1993 : 182.

90 Crawford 1994 : 82-106.

91 Foyster 1999 : 29.

92 Gowing 1996 : 7.

93 Ibid. : 80-82 ; Laqueur 1992 : 123-125 (en anglais : 96-98).

94 Laqueur 1990 : 68.

95 Tim Hitchcock fait une distinction entre ce qui est « populaire » et « élitaire », mais aucune référence à des sources (prix, lectorat, marketing) ne vient valider cette distinction. Voir Hitchcock 1997 : 54.

96 Jordanova 1999 : 3.

97 Gowing 1996 : 7.

98 Harvey 2002.

99 Roper 1994 : 17-18.

100 Crawford & Mendelson 1998 : 18-30.

101 Hitchcock 1996 : 77 et 78.

102 Shoemaker 1998 : 5.

103 Ibid. : 11.

104 Tosh 1999 : 227.

105 Hitchcock 1997 : 49 ; Shoemaker 1998 : 60 ; Tosh 1999 : 227.

106 Anna Clark se démarque en proposant une lecture de l’identité de la lesbienne Anne Lister. Elle identifie les représentations culturelles comme l’une seulement des trois ressources mobilisées dans le passé par les individus pour construire leur identité sexuelle, les deux autres étant « leurs tempéraments et pulsions » et « leurs conditions matérielles ». Voir Clark Anna 1996 : 23-50. Citations : 27.

107 Kraakman 1994 : 547. Pour une des rares analyses de la pornographie française, voir Goulemot 1991 : 29-47 (en anglais 1994 : 13-29). Voir également Darnton 1995b : 217-231. Pour le lectorat de la littérature érotique anglaise, voir Harvey 2004, chap. 2.

108 Laqueur 1992 : 38-39 (en anglais : 22).

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Pour citer cet article

Référence papier

Karen Harvey, « Le Siècle du sexe ? Genre, corps et sexualité au dix-huitième siècle (vers 1650-vers 1850)* »Clio, 31 | 2010, 207-238.

Référence électronique

Karen Harvey, « Le Siècle du sexe ? Genre, corps et sexualité au dix-huitième siècle (vers 1650-vers 1850)* »Clio [En ligne], 31 | 2010, mis en ligne le 31 mai 2010, consulté le 08 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/9683 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.9683

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Auteur

Karen Harvey

Karen Harvey est Senior Lecturer en Histoire Culturelle à l’Université de Sheffield (RU). Ses recherches portent sur la Grande-Bretagne dans un “long” XVIIIe siècle avec un intérêt particulier pour le corps, le genre, la masculinité et la culture matérielle. Elle a publié, entre autres, Reading Sex in the Eighteenth Century: Bodies and Gender in English Erotic Culture (Cambridge: CambridgeUniversity Press, 2005) et The Kiss in History (ed.) (Manchester: ManchesterUniversity Press, 2005). Elle travaille actuellement sur les hommes et le foyer (home). k.harvey@sheffield.ac.uk

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