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Varia

La botanique antique et la problématique du genre

Gender and Botany in Antiquity
Marine Bretin-Chabrol et Claudine Leduc
p. 205-223

Résumés

Appliquée à la lecture des ouvrages de Théophraste sur les plantes, la notion de genre facilite l’analyse d’un de ses deux critères classificatoires : la distinction entre « mâles » et « femelles ». Le maitre de la botanique grecque projette sur le monde végétal les représentations culturelles du masculin et du féminin en pays grec. Les plantes étant chargées de sens différents selon les cultures, cette constatation invite à tenir compte du genre des plantes dans l’étude de leur symbolique, notamment dans la sphère du religieux.

Les agronomes romains n’emploient pas eux les qualificatifs « mâles » et « femelles » pour décrire deux plantes s’unissant en vue de leur reproduction. Plusieurs critères entrent en jeu dans le choix de ces dénominations : la ressemblance entre un aspect de la plante et une partie de l’anatomie féminine ou masculine ; l’analogie entre une caractéristique de la plante et une attitude culturellement considérée comme féminine ou masculine. En somme, ce sont majoritairement des critères relevant du genrequi déterminent la catégorisation des végétaux en « mâles » et « femelles ». Mais ces catégories sont rarement essentialisées. Elles fonctionnent comme un couple polarisé, permettant de distinguer deux espèces similaires en leur reconnaissant des qualités relatives et non absolues.

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Entrées d’index

Mots-clés :

botanique, genre, plantes, sexe

Keywords:

botany, gender, plants, sex

Chronologique :

Grèce ancienne, Rome antique
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Texte intégral

  • 1 Le texte « Le genre de l’olivier chez Théophraste » est de Claudine Leduc, celui sur « Plantes mâl (...)

1L’analyse des textes antiques traitant de botanique peut être facilitée, sur certains points, par la référence à la notion de genre. Alors que toute identification biologique des plantes est techniquement impossible à Théophraste comme à Pline et aux « agronomes » romains (comment pourraient-ils repérer les dioïques, les monoïques et les hermaphrodites ?), ces savants n’en distinguent pas moins, à l’intérieur d’un groupe végétal, des variétés mâles et des variétés femelles. Ils projettent en effet sur les plantes la représentation culturelle du masculin et du féminin qu’ont les sociétés antiques. Dans ses traités scientifiques, Théophraste reprend ainsi, avec quelques réserves, une perception courante du monde végétal que Pline et les "agronomes" romains, très au fait des recherches de l’école péripatéticienne en ce domaine, ont plus ou moins reconduite1.

Le genre de l’olivier chez Théophraste

  • 2 Théophraste, Recherches sur les plantes, texte établi et traduit par S. Amigues, Paris, Les Belles (...)
  • 3 Amigues 2002 : 11-43.
  • 4 Aristote, Minor Works, with an english translation by W.S. Hett, London, W. Heinemann LTD, Cambridg (...)

2Les deux traités de Théophraste2 (370-288 ou 285 av. J.C.), Recherches sur les plantes et Les causes des phénomènes végétaux sont les ouvrages fondateurs de la botanique grecque3 et, dans la mesure où ils ont été lus et relus par Pline l’Ancien et les agronomes latins, de la botanique antique. Disciple et successeur d’Aristote à la tête du Lycée, Théophraste n’est pas l’initiateur de la recherche botanique et de son enseignement. Le premier traité de l’école péripatéticienne Sur les plantes est l’œuvre d’Aristote, mais il ne nous est pas parvenu. Les deux Peri phytôn (I & II) insérés dans le corpus aristotélicien4 sont des compilations tardives, mais qui ne sont pas sans intérêt car elles attirent l’attention sur des points que l’école considérait comme importants. Le maître de la botanique grecque est un aristotélicien qui, pour rendre compte de l’observation des végétaux et des résultats des enquêtes de terrain, utilise la méthode analytique mise au point par Aristote, son procédé essentiel qui est la diairesis/la division, et ses concepts.

  • 5 Bonnier Gaston, Flore complète illustrée en couleurs de France, Suisse, Belgique, t. VII, article (...)
  • 6 Braudel 1990 : I, 280.   
  • 7 Vernet 1997 : 89-124.
  • 8 Sallares 1991 : 294-419 ; Brun 1997 : 70-71.
  • 9 Blitzer 1993 : 163-175.
  • 10 Kroll 2000 : 61-68.
  • 11 Amouretti 1986.

3Pourquoi choisir l’exemple de l’olivier pour mettre en évidence l’approche « genrée » des plantes par la science botanique naissante ? Pour nos flores5, l’espèce olea europaea appartient à la famille des oléinées. Elle comprend deux variétés : l’oléastre est la variété sylvestris, l’olivier, la variété domestique. Son « aire naturelle », la zone où elle se rencontre à l’état spontané, son « monde » comme dit F. Braudel6, ce sont les rivages de la Méditerranée. Les botanistes considèrent que l’oléastre est partie prenante d’une association thermo-méditerranéenne : l’oleolentiscum (oléastre, pistachier, lentis-que), dont la spontanéité même en Méditerranée occidentale n’est plus contestée7. Les fruits de l’oléastre, comme en atteste la découverte de petits tas de noyaux, sont utilisés depuis le néolithique. Suivant les plus récentes estimations, la domestication de l’olivier, sur les rivages de la Méditerranée orientale, date du bronze ancien (iiie millénaire av. J.C.) et son exploitation aurait commencé en Crète. Cette hypothèse, longtemps mise en doute par les tenants d’une utilisation prolongée des fruits de l’oléastre, bénéficie d’un certain consensus depuis les nombreuses analyses faites à l’occasion du colloque Minoans and Mycenians. Flavours of their Time (1999), organisé par le Musée national d’Athènes. En pays grec, l’olivier n’est pas un arbre comme les autres8. Il était déjà cultivé lorsque les Grecs sont arrivés sur les bords de l’Égée dans le courant du iie millénaire9. Sa domestication et la fabrication de l’huile sont à l’époque mycénienne (milieu xve s. av. J.C. – milieu xie s. av. J.C.) au centre de l’économie palatiale aussi bien en Crète que sur le continent. Dans ce que nous appelons, à partir du viiie-viie s. av. J.C., la Grèce des cités10, les orges de Déméter, la vigne de Dionysos et l’olivier d’Athéna fournissent la base de l’alimentation quotidienne. Il est donc dans l’ordre des choses que les sources soient intarissables sur cet arbre nourricier11. Elles le sont d’autant plus qu’il s’agit souvent de sources athéniennes et qu’à Athènes, l’olivier est l’arbre de la fondation. C’est en frappant le rocher de sa lance qu’Athéna Polias a fait jaillir l’olivier et pris possession du territoire. Lorsque Pausanias, au iie s. de notre ère, visite l’Acropole, l’olivier sacré de la déesse jouxte toujours le temple (l’Erechtheion) où réside sa statue de culte en bois d’olivier, celle qui reçoit l’hommage des Panathénées.

  • 12 Dans quelques articles publiés entre 1987 et 1994, j’ai abordé la question des rapports d’Athéna a (...)
  • 13 Chantraine Pierre, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, Paris, Klincksieck, 1990, artic (...)

4En français, l’olivier12 se dit au masculin. En grec, il se dit au féminin : c’est l’elaia glaukê, « l’olivier glauque », dont les feuilles à la phyllotaxie (leur position par rapport à la tige) et à la forme si reconnaissables accompagnent toujours l’image d’Athéna. Glaukê ? Cette épithète, à l’étymologie incertaine – le rapport avec glaux, la chouette n’est pas exclu par les philologues13 – et au sens instable, est en fait intraduisible en français dans la mesure où elle signifie à la fois la couleur – pâle/claire – et l’éclat. Le feuillage « glauque » de l’olivier est comme « les yeux glauques » d’Athéna glaukôpis, d’une étincelante clarté. Qui a vu, sur les bords de l’Égée, un olivier écrasé par le soleil de juillet, ne saurait être étonné par un tel qualificatif : pour lutter contre la fournaise, l’arbre, comme le dit Théophraste, retourne sa frondaison et, en découvrant la face inférieure de ses feuilles, blanche et vernissée, fulgure d’éclats de lumière. En pays grec, l’olivier n’est pas un fruitier, mais une fruitière au feuillage éblouissant et c’est cette fruitière paidotrophos – nourrice de nos enfants – que chante le chœur d’Œdipe à Colone (694 sq) :

– un plant indomptable qui se refait seul,
– un plant qui est la terreur des armes ennemies, et qui croît en ces lieux mieux que partout ailleurs
– l’olivier au feuillage glauque, le nourricier de nos enfants.

5Chez Théophraste, « la nourrice de nos enfants » ne se dit pas seulement au féminin. Elle est de sexe féminin, ou plus exactement de gender féminin !

  • 14 Amigues 2002 : 30-31.

6Dans sa classification le genos de l’olivier est un des moins différenciés (HP, III, 2, 1). Il ne comprend que deux eidê (HP,I, 4, 3-4), le kotinos, notre oléastre et l’elaia, notre olivier. Genos, eidos ? Les concepts utilisés sont délicats à traduire car ils ne correspondent pas exactement à la taxinomie actuelle, elle-même fluctuante. Ils le sont d’autant plus que, comme le fait remarquer S. Amigues14, leur rapport n’est pas constant et varie en fonction du principe posé. Division du genos de l’olivier, eidos est le terme fédérateur qui permet de regrouper les genê du chêne ! Dans le vocabulaire du Lycée, le terme genos/genre, tel que l’a défini Aristote (Métaphysique D XXVIII, 1024b6-9), a en effet plusieurs sens : « soit pour la production continue de la même forme (eidos), soit pour le moteur premier de la même forme, soit comme matière ». Lorsque Théophraste parle du genos de l’olivier, il entend par ce terme un groupement génétique qui rassemble des individus qui ont des caractères physiques communs (« la même forme ») et qui se croisent entre eux en transmettant ces ressemblances (« la reproduction continue »). Ce genos se divise en deux eidê/formes – le kotinos et l’elaia – qui rassemblent des individus qui présentent des caractères qui ne sont pas communs à tout le genos. Théophraste les oppose à plusieurs reprises (HP, I, 4, 1 ; I, 8, 1-2 ; I, 14, 4 ; III, 2, 1 ; III, 8, 1).Ce qui les différencie, c’est la domestication et le sexe : le kotinos est mâle (arrên) et sauvage (agrios) ; l’elaia est femelle (thêlus) et domestique (hêmeros).

7L’opposition entre les variétés sauvages et les variétés cultivées est une des idées directrices de la botanique de Théophraste. Ce qui les différencie essentiellement, c’est leur système de multiplication. Il y a dans le monde végétal deux systèmes de multiplication (HP, II, 1-2) : la genesis, la multiplication naturelle, et la technê qui suppose l’intervention de l’homme. La multiplication du sauvage oléastre relève de la genesis : il se reproduit naturellement à partir des graines, de la souche ou des racines. La multiplication de l’olivier domestique est technique. L’arbre, comme dit Sophocle, « se refait seul » : il repart du pied. Mais pour donner des olives qui parviennent bien à maturité, grosses et savoureuses, cette bonne fruitière exige toute une série d’opérations qui font appel au savoir faire, à l’expérience et à l’habileté de l’homme, bref à toutes les qualités de sa mêtis, de son intelligence pratique : les rejets ou les marcottes doivent être transplantés et surtout les plants doivent être greffés.

8L’oléastre et l’olivier se distinguent aussi par le sexe. Théophraste avoue lui-même que cette distinction est difficile à saisir (HP, III, 8, 1) et qu’elle s’apparente un peu à la distinction par la domestication ! Pour toute l’école péripatéticienne, la définition du mâle et de la femelle est celle qu’a proposée Aristote dans De la génération des animaux (GA, 716a20) :

Est mâle l’être capable d’engendrer dans un autre, femelle celui qui engendre en soi et de qui naît l’être engendré qui existait dans le générateur.

9Pour Théophraste, comme pour Aristote, si animaux (bêtes et hommes) et végétaux sont des êtres vivants qui s’insèrent dans la continuité du vivant, leur règne est bien séparé et il n’est pas question de les étudier en procédant par analogie. Ses Recherches sur les plantes s’ouvrent avec une mise en garde contre une telle divagation. Il n’en reste pas moins que la définition de la femelle dans le monde végétal est, comme dans le monde animal, celle qui « engendre en soi », celle qui porte des fruits. Distinguer mâle et femelle est facile lorsqu’il s’agit d’un genos comme celui du térébinthe (HP, III, 15, 3-4) où il y a des individus/femelles qui portent des fruits et des individus/mâles qui n’en portent pas. Ce sont les dioïques de nos flores : les individus différencient soit des gamètes mâles soit des gamètes femelles. En revanche l’identification sexuelle des sujets devient très problématique dès qu’il est question des groupes que nos flores qualifient de monoïques (le même individu est bisexué et élabore des gamètes de chacun des deux sexes) ou d’hermaphrodites (le même individu élabore à la fois des gamètes des deux sexes). Le genos de l’olivier est monoïque : tous les individus, qu’ils soient sauvages ou domestiques, portent des fruits. Comment, dans ces conditions, faire du kotinos, un mâle et de l’elaia, une femelle ?

10Pour affirmer la masculinité du kotinos et la féminité de l’elaia, Théophraste transpose dans le domaine végétal la procédure analytique qu’utilise Aristote dans ses traités de biologie pour distinguer le mâle et la femelle chez les zôa (bêtes et hommes), la procédure des catégories. Examinés dans la catégorie de l’ousia, la catégorie essentielle, les deux sexes se révèlent comme ayant la même substance, c’est-à-dire la même forme et la même matière. Les différences entre eux n’apparaissent que lors de leur examen dans les autres catégories et en particulier dans les catégories du poson (quantité) et du poion (qualité). Observée dans la catégorie du poson, la femelle est plus petite, plus frêle, moins résistante… Dans la catégorie du poion, elle fait preuve d’une coction interne inachevée, puisqu’elle ne fabrique pas de sperme… Pour Théophraste, le kotinos et l’elaia ont la même phusis/nature, la même forme et la même matière. C’est quantitativement et qualitativement qu’ils se distinguent. Le kotinos est plus grand, plus noueux, plus résistant. L’elaia, plus petite et plus fragile, est bien meilleure fruitière : alors que le kotinos fabrique des produits exécrables, petits et amers, qui parviennent rarement à maturité, l’elaia porte à leur terme de fructification de grosses olives, douces et savoureuses. C’est pour cette raison que lors de cette opération technique qu’est la greffe, il faut toujours utiliser un plant de kotinos comme porte-greffe et une branchette d’elaia comme greffon : le sujet ainsi obtenu cumulera les qualités de la variété sauvage et de la qualité cultivée. Bref, dans la classification de Théophraste le kotinos est mâle parce qu’il est conforme à la représentation du mâle en pays grec : il en a le physique et le même désintérêt pour le nourrissage de ses enfants. L’elaia est femelle parce qu’elle a un physique de femelle et parce qu’elle assure la nourriture de sa progéniture. Le discours savant sur la distinction sexuelle au sein du genos de l’olivier reprend donc les lieux communs sur la construction des genres en pays grec, ceux qu’énonce sentencieu-sement Ischomaque dans l’Économique (VII, 21-24) de Xénophon. Ce kaloskagathos, bien né, bien éduqué et pourvu d’un beau domaine, raconte à Socrate qu’il a dû se faire le pygmalion de son épouse de quinze ans. Dès son arrivée chez lui après l’avoir un peu apprivoisée, il lui a donc expliqué que si l’homme et la femme forment une communauté de biens, ils ont des dispositions différentes pour les exploiter. L’homme étant plus résistant, la femme plus faible, elle sera vouée à l’espace domestique tandis qu’il s’occupera de l’extérieur. Si la femme a naturellement « plus de tendresse pour les bébés », c’est qu’elle a « l’instinct et la charge de nourrir les enfants nouveaux nés »…

11Pourquoi Théophraste a-t-il conservé dans son analyse du genos de l’olivier la classification par le sexe alors qu’il reconnaît lui-même son caractère fallacieux dans le monde végétal ? Il semble que le raisonnement scientifique ait reconduit, sur ce point précis, une tradition solidement enracinée dans les profondeurs de la culture hellénique : le vivant est conçu comme un tout continu et les êtres qu’il englobe sont en relation d’analogie.

12La prégnance de cette façon commune d’appréhender le vivant a obligé Aristote à faire de l’établissement des frontières dans le monde vivant une préoccupation essentielle de ses traités de biologie, notamment dans l’Histoire des animaux (HA) et les Parties des animaux (PA). Si la nature ne sépare pas (HA, VIII, 2), elle n’en présente pas moins un net clivage entre les zôa (les animaux = les êtres dotés de mouvement), c’est-à-dire les bêtes et les hommes, et les végétaux :

…elle passe petit à petit des êtres inanimés aux êtres doués de vie, si bien que cette continuité de vie empêche d’apercevoir la frontière qui les sépare, et qu’on ne sait auquel des deux groupes appartient la forme intermédiaire. En effet, après le genre des êtres inanimés se trouve d’abord celui des végétaux. Et parmi ceux-ci une plante se distingue d’une autre parce qu’elle semble participer davantage à la vie. Mais le règne végétal pris dans son ensemble, si on le compare aux autres corps matériels, apparaît presque comme animé, mais en comparaison avec le règne animal, il paraît inanimé.

13Le traité De l’âme (TA, II, 2) pose les fondements de la distinction entre animaux et végétaux. L’âme (psuchê) est le souffle de vie, le principe vital. Comme il y a deux espèces d’âme, l’âme nutritive et l’âme sensitive, il y a deux espèces d’êtres vivants, les zôa qui possèdent l’âme nutritive et l’âme sensitive et les végétaux qui n’ont que l’âme nutritive. C’est donc seulement à l’intérieur du règne animal et du règne végétal qu’il est possible d’établir des relations d’analogie entre les espèces, notamment au niveau de leurs parties – « ce que la plume est à l’oiseau, l’écaille l’est au poisson » (HA, I, 1 et PA, I, 5) – et de leur psychologie (HA,VIII, 2). Théophraste suit rigoureusement ces instructions. Mais le maître de l’école et son successeur ne sont pas eux-mêmes exempts de quelques incartades. Aristote déclare que « pour les plantes, les racines font office de bouche et de tête » (PA, 686 b35) et Théophraste constate « que la croissance végétale a l’air d’un phénomène assez voisin de la reproduction ». L’identification « genrée » de l’oléastre et de l’olivier, qui transgresse les frontières préconisées par la recherche péripatéticienne entre le règne animal et le règne végétal peut donc être considérée comme une survivance de la façon traditionnelle en pays grec de penser la continuité du vivant et de projeter la forme socialo-culturelle du masculin et du féminin chez les zôa sur les végétaux.

  • 15 Monbrun 2007 : 67-80 (sur le palmier d’Artémis).

14C’est en préparant, il y a quelques vingt ans, une communication à une table ronde consacrée à ce qui n’était pas encore la problématique du genre, mais celle des « rapports sociaux de sexes » (Les rapports sociaux de sexes : problématiques, méthodologies, champs d’analyse, Actes de la table ronde internationale du 24-26 novembre, 1987, IRESCO Cahier n°7, 1988) que j’ai découvert, non sans un certain étonnement, que beaucoup de plantes étaient dotées, chez les botanistes grecs, d’ une identité masculine ou féminine qui ne devait rien à la biologie et tout à la culture. Conceptualisée de façon infiniment plus précise, la problématique du genre offre aujourd’hui de bien meilleurs outils pour analyser la coutume grecque de projeter les représentations du masculin et du féminin sur le monde végétal. Il va de soi qu’il ne s’agit pas seulement de relire les botanistes grecs, mais aussi, les plantes étant chargées de sens, d’introduire la problématique du genre, dans l’étude de leur symbolique. Un exemple ? La plupart des grands dieux du polythéisme hellénique ont des végétaux comme attributs : le genre des favoris a-t-il joué un rôle dans l’association ? L’olivier d’Athéna est de genre féminin, mais qu’en est-il du palmier d’Artémis15, de l’agneau chaste d’Héra et de sa belle floraison bleue, du laurier d’Apollon, de l’ache de Zeus….. ?

Plantes mâles et plantes femelles chez les « agronomes romains » : un couple de catégories polarisées

  • 16 Quoique leurs ouvrages soient hétérogènes d’un point de vue énonciatif, nous regroupons par commod (...)
  • 17 Le présent article prolonge une réflexion initiée dans deux précédentes contributions : Bretin-Cha (...)

15Héritiers des travaux de Théophraste, les agronomes romains16 ne comprennent pas le phénomène de la pollinisation, mode de la reproduction sexuée des végétaux. Pourtant, ils reprennent au botaniste grec les qualifications de « mâle » (mas, masculus, masculinus) et de « femelle » (femina, femineus, femininus) que celui-ci emprunte au monde animal pour décrire certaines espèces de plantes par analogie. Ce transfert de catégories, qui ne repose pas sur la compréhension d’un phénomène biologique interne, mais sur l’apparence extérieure des végétaux considérés, véhicule un ensemble de préjugés relevant de la représentation des sexes et des genres dans la culture romaine17.

  • 18 Raynal-Roques 1994 : 19-35. 
  • 19 Cf. Les Phytonymes grecs et latins, Centre de recherches comparatives sur les langues de la Médite (...)

16Les agronomes romains n’emploient pas en effet de phytonymes (noms de plantes) qui seraient le produit d’une construction scientifique comparable à la taxinomie de Linné18, mais ils reprennent aussi bien des termes traditionnels d’origine populaire qu’un lexique plus savant emprunté au grec19. C’est l’expérience des cultivateurs ou des coupeurs de racines qui favorise les distinctions entre espèces proches, et les critères de différenciation choisis obéissent à deux logiques pratiques conjointes : celle qui met en avant les qualités spécifiques d’une plante dont on tire usage (ou les défauts d’une espèce similaire avec laquelle on risquerait de confondre la première) et celle qui favorise une reconnaissance rapide de cette plante par celui que l’on a chargé de la cueillir. Le couple de qualificatifs mas et femina est principalement employé pour répondre à cette double fonction.

Une curiosité, les plantes à « mamelles » ou à « testicules » : jeux de formes

17L’un des critères d’attribution du qualificatif mas ou femina à une espèce de plantes (genus) est la reconnaissance, dans sa morphologie, d’une forme évoquant l’un des organes sexuels de l’homme ou de la femme. Dans un long développement consacré aux différentes variétés d’encens produites en Arabie, Pline distingue des boules d’encens « mâles » en forme de testicules et des boules d’encens de forme mammaire, qu’un tabou religieux local a peut-être empêché de nommer « femelles » :

  • 20 Plin. Nat. 12, 61. Sauf mention contraire, les traductions choisies sont celles de la C.U.F.

L’encens resté suspendu en larmes rondes porte le nom d’encens mâle (masculum), quoique partout ailleurs on n’emploie le mot « mâle » (mas) que pour l’opposer à « femelle » (femina). C’est sans doute par scrupule religieux, pour éviter une dénomination empruntée à l’autre sexe (sexus alter). Certains pensent qu’il doit ce nom (masculum) à sa ressemblance avec les testicules (a specie testium). Mais la faveur va surtout au mamelonné (mammoso), formé par la réunion de larmes venues se mêler à une première qui s’est arrêtée. Je lis qu’une seule de ces boules emplissait la main à l’époque où l’homme, moins avide au gain, lui laissait le temps de se former20.

  • 21 Plin. Nat. 12, 51-65. Cf. Detienne 1972 : 19-28.
  • 22 Cf. également Ps. Apul. Herb. 72 : Mercurialis mascula id est testiculata, « La mercuriale mâle, c (...)

18Les Romains ne connaissent de l’encens que le produit résineux qu’ils achètent à prix d’or. L’arbre ne leur est connu que par ouï-dire et les procédés de récolte sont jalousement gardés par les habitants d’Arabie qui en sont chargés21. Du fait de cette ignorance, les Romains distinguent les différentes variétés d’encens en se fondant non sur les qualités de l’arbre ou de la plante qui les produit, mais sur les caractéristiques de chaque type de résine parvenant sur leur marché. Par conséquent, la comparaison entre la forme de la boule de résine et celle d’un testicule ou d’une mamelle paraît fondée sur une ressemblance de taille et de forme purement superficielle des deux objets et ne prétend pas rendre compte de qualités essentiellement « masculines » ou « féminines » de la résine22.

  • 23 Theophr. HP, 9, 18, 3 ; Diosc. 3, 126 ; Gal. 12, 92 Kühn.
  • 24 On doit son élaboration à Gian Battista Della Porta (1540-1615), dans son traité Phytognomonica, 1 (...)

19Mais de telles observations peuvent servir de support à des croyances plus complexes. A la frontière entre médecine et magie, des savants comme Théophraste ou Dioscoride reconnaissent à une plante nommée Orchis (Orchis mascula L.) des vertus aphrodisiaques qui lui sont déniées par la science moderne23. La croyance ancienne ne repose que sur l’aspect des racines de ce végétal, qui, évoquant chez ces auteurs une analogie avec la forme des testicules animaux dont la plante a reçu le nom, leur a également suggéré l’existence d’un pouvoir médical de ces racines sur la partie du corps humain à laquelle elles ressemblaient. La « théorie des signatures », élaborée à la Renaissance24, puise ses origines dans ces croyances antiques.

20Dans les deux cas, celui de l’encens comme celui de l’orchis, la résine ou la racine en forme de testicule n’est pas considérée comme un organe de reproduction de la plante. Existe-t-il, pour les Romains, des végétaux mâles et femelles dotés d’organes sexuels voués à leur reproduction ?

Le « ventre » de la vigne et le « mariage » des palmiers : reproduction sans sexualité

21Chez les agronomes romains, le corps de la plante ou de l’arbre est parfois représenté comme un corps doté d’organes de reproduction. Lorsque Columelle s’interroge sur la meilleure partie de la vigne à utiliser comme bouture, il développe une longue analogie avec le corps humain visant à prouver que la partie reproductrice de la vigne se trouve, comme chez l’homme, au milieu du corps :

  • 25 Colum. Rust. 3, 10, 9-11 (traduction personnelle).

Et le raisonnement nous fait comprendre que cela est vrai sans aucun doute, si seulement, de la même façon que dans notre corps chacun des membres possède une fonction qui lui est propre, les parties des plantes à fruits possèdent elles aussi un rôle qui leur est propre […]. Même la faculté d’engendrer (generandi… facultas) n’a pas été donnée aux mains ou aux pieds, mais le géniteur de l’univers, voulant que cette partie restât cachée aux hommes, la dissimula dans leur ventre (uentre) […]. C’est selon cette loi que [l’ouvrière du monde] créa le bétail, qu’elle créa les végétaux et conçut les espèces de vignes25.

22Mais si Columelle reconnaît à la vigne une « partie » douée de la « faculté d’engendrer », celle-ci n’est en rien un organe sexuel, mâle ou femelle, destiné à s’unir avec l’organe complémentaire et opposé que présenterait une deuxième vigne. Le bouturage est une technique de reproduction végétative (l’ancêtre du clonage) dans laquelle un individu se multiplie seul, identique à lui-même, sans sexualité et sans fécondation.

23Dans tout le corpus des agronomes, seul un texte paraît décrire un phénomène de reproduction sexuée chez des plantes. Il s’agit d’une notice de Pline sur les palmiers. Mais comme Théophraste, à qui il reprend l’essentiel de son information dans ce dossier, Pline décrit le phénomène de pollinisation des palmiers sans le comprendre :

Les arbres, et, de surcroît, tous les êtres engendrés par la terre, herbes comprises, possèdent les deux sexes (utrumque sexum), selon ce qu’enseignent les observateurs de la nature les plus diligents. Qu’il suffise à cet endroit d’énoncer le fait en général, plus manifeste pourtant chez les palmiers que chez tous les autres arbres. Le dattier mâle (mas) fleurit sur la branche, le dattier femelle (femina) n’a pas de fleurs, mais seulement des germes disposés en épis. […]

  • 26 Plin. Nat. 13, 31 et 34-35 (trad. Ernout modifiée).

Du reste, on affirme (confirmant) que, sans les mâles, les femelles n’engendrent pas spontanément dans un bois naturel, que les femelles, entourant à plusieurs un seul mâle, s’inclinent en avant vers lui de leurs chevelures caressantes ; que lui, tout hérissé de ses feuilles dressées, les épouse toutes (maritare) de son souffle, de son regard même, voire de sa poussière, tandis que, si l’on coupe cet arbre, les femelles, dans leur veuvage (uiduuio), deviennent stériles. Il y a tellement représentation d’une relation sexuelle (ueneris intellectus) que les hommes ont même imaginé un coït (coitus etiam excogitatus) dans lequel les femelles sont saupoudrées de la fleur issue du mâle, de son duvet, et parfois même de sa seule poussière26.

  • 27 L’image du mariage est également employée pour décrire la technique de conduite de la vigne sur su (...)
  • 28 Beagon 1992 : 102-113 ; Naas 2002 : 62-65.

24L’encyclopédiste refuse de prendre à son compte la description du phénomène tel qu’il existerait dans la nature (confirmant). La relation sexuelle entre palmiers n’existe, aux yeux de Pline, que dans l’imaginaire des hommes (ueneris intellectus, coitus excogitatus) et cet anthropomorphisme est exprimé dans le texte au moyen de métaphores empruntées au corps humain (la chevelure caressante, le souffle, le regard) ou à la société humaine (mariage et veuvage)27. Par conséquent, la complémentarité des deux sexes dans la reproduction des plantes n’est pas perçue comme un fait de nature, mais comme une technique agricole inventée par analogie avec la reproduction humaine. L’auteur la mentionne comme une curiosité amusante, conformément à son goût pour les mirabilia, choses étonnantes qui se produisent sous l’effet du hasard ou de l’art humain28.

Bois tendre féminisé / bois dur virilisé : la construction culturelle des genres

  • 29 Cf. Théophr. HP, 1, 14, 5.

25Les qualificatifs mâle et femelle permettent de distinguer plus communément deux variétés différentes au sein d’une espèce d’arbres sauvages29. Au livre xvi de l’Histoire Naturelle, où il recense les espèces d’arbres spontanées en Italie, Pline dresse ainsi une typologie des tilleuls :

  • 30 Plin. Nat. 16, 65.

Dans le tilleul, le mâle (mas) et la femelle (femina) diffèrent absolument. Le mâle en effet a le bois dur (materies… dura), plus roux (rufior), noueux (nodosa) et d’odeur plus forte (odoratior) ; son écorce est aussi plus épaisse (crassior) et, une fois détachée, ne se plie pas (inflexibilis). Il ne porte ni graine ni fleur comme en porte le tilleul femelle, dont le tronc est plus épais (crassior), le bois blanc (candida) et excellent (praecellens)30.

  • 31 Il faut noter toutefois que l’assimilation entre une plante et un animal femelle ne se fonde ici q (...)

26Il ne s’agit pas ici de deux tilleuls de sexe différent biologiquement parlant, mais de deux variétés différentes, de même que l’on distingue le chêne vert et le chêne-liège. Les qualificatifs mâle et femelle leur sont attribués sur la base d’une analogie formelle avec l’aspect extérieur d’un homme ou d’une femme, tel que les Romains se le représentent culturellement. Certes, les considérations qui font d’un arbre plus fertile, plus productif en fleurs, en graines et en fruits, un arbre femelle, pourraient à la rigueur se fonder sur un rapprochement avec la gestation des petits par les mammifères du même sexe31. Mais d’autres critères de classement révèlent plus nettement des préjugés liés à la construction des genres masculin et féminin dans la société romaine.

  • 32 Colum. Rust. 12, praef. 4-5.
  • 33 Dubourdieu & Lemirre 2002 : 106.

27L’écorce de l’arbre, que Pline compare ailleurs à la peau du corps humain (16, 181), est plus rude chez le tilleul mâle que chez le tilleul femelle. La clarté éclatante (candida) du bois ou de l’écorce et la couleur miel sont du côté féminin, le roux et le sombre du côté masculin. Or la peau claire est un idéal de beauté féminine lié à la place que la société romaine réserve aux femmes au sein de la sphère domestique, qu’il s’agisse de femmes nobles et oisives ou de l’esclave métayère dont Columelle détaille les tâches32. La peau plus rude et plus colorée de l’homme doit au contraire témoigner de ses activités extérieures au foyer : travail de la terre pour les esclaves, activités du forum ou de la guerre pour les hommes libres33.

  • 34 Foxhall 1998.
  • 35 Cf. par ex., Plin. Nat. 16, 47 (espèces de pin, mélèze) ; 16, 48 (sapin).

28En ce qui concerne la qualité du bois, on retrouve en partie chez les agronomes romains les critères relevés chez Théophraste par Lin Foxhall34 : un bois plus facile à travailler (molle ou mollius lignum) caractérise fréquemment une espèce femelle, tandis qu’un bois dur et résistant à la domestication (durum lignum) est généralement considéré comme mâle35. Pour Lin Foxhall, cette partition est à mettre en relation avec une construction des genres masculin et féminin dans la société grecque : la soumission et la souplesse sont des qualités valorisées chez les femmes, la résistance définit une virilité barbare, sauvage et insoumise, opposée à la masculinité du citoyen.

29Mais cette lecture nous paraît systématiser de façon trop rigide l’utilisation des catégories « mâles » et « femelles » par les agronomes romains. Ces catégories ne recouvrent pas des qualités essentielles homogènes que l’on retrouve d’une plante à l’autre, mais plutôt des qualités relatives au sein du couple considéré. Voilà pourquoi ces caractéristiques sont le plus souvent exprimées au moyen de comparatifs :

  • 36 Plin. Nat. 16, 47.

Dans les espèces mêmes <de mélèzes>, le sexe (sexus) crée encore une autre différence. Le mâle est plus court (breuior) et plus dur (durior), la femelle plus élancée (procerior), à feuilles plus grasses (pinguioribus), simples et non rigides. Le bois du mâle est contourné au façonnage, celui de la femelle plus mou (mollius). On les distingue communément à la hache : dans toutes les espèces, elle fait reconnaître le mâle, car elle est repoussée, s’enfonce avec plus de bruit (fragosius) et se retire avec plus de peine (aegrius). Le bois lui-même est plus tordu (retorrida) et plus foncé (nigrior) dans le mâle36.

  • 37 Sur cet usage relatif des catégories dans l’opération intellectuelle de division, cf. l’analyse qu (...)

30Les qualificatifs mas et femina nous paraissent principalement employés dans ces textes comme des indications relatives et polarisées, permettant la division et la différenciation de variétés au sein d’une même espèce en fonction de tendances qualitatives plutôt que de qualités intrinsèques universelles37 : le bois du tilleul mâle est plus dur que celui du tilleul femelle, mais il peut être plus tendre que celui du mélèze femelle.

Varron et la structure du vivant : la science de la polarité

31L’emploi fait par Varron des qualificatifs « mâle » et « femelle » est très différent de ce point de vue. Le traité d’agriculture qu’il compose se fonde en effet sur une analyse philosophique de la structure du vivant.

  • 38 Varr. Rust. 1, 41, 4-5 (trad. Heurgon modifiée).

Tout ce qui est menu et sec est lent à pousser, tandis que ce qui est plus ample est également plus fécond, telle la femelle (femina) qui l’est plus que le mâle (mas), et proportionnellement de même chez les jeunes pousses ; voilà pourquoi le figuier, le grenadier, et la vigne, en raison de leur mollesse féminine (propter femineam mollitiam) sont prompts à pousser. En revanche, le palmier, le cyprès et l’olivier sont lents dans leur croissance : en cela en effet l’humide l’emporte sur le sec38.

  • 39 Lloyd 1966 : 15-171.

32Varron emprunte à la physique et à la médecine grecques sa description de la matière comme composée de couples élémentaires tels que le froid et le chaud, le sec et l’humide39. Ces éléments sont constitutifs de tous les êtres vivants, si bien que l’arbre possède une certaine communauté de nature avec les animaux et les hommes. Les différences observées dans les rythmes de croissance de plusieurs espèces d’arbres permettent ainsi de les ranger dans de plus vastes groupes d’organismes de composition similaire. C’est ainsi que les arbres dont le bois se caractérise par de la mollitia se rattachent au groupe des êtres féminins, tandis que les bois durs et secs donnent aux arbres une nature masculine.

33Les textes botaniques ou agronomiques romains témoignent donc d’une grande souplesse d’utilisation des catégories du masculin et du féminin (mas et femina), selon le contexte et la qualité qu’ils veulent mettre en valeur. Ces catégories peuvent servir à opposer, au sein des arbres, différentes espèces (vigne au corps humide, de « nature » féminine, et olivier au corps sec, de « nature » masculine ; vigne « mariée » à un orme, dont l’attitude et le rôle sont féminins, et orme qui la porte, comme un époux soutient sa compagne), ou, au sein d’une même espèce, différentes variétés (tilleul mâle, au corps plus foncé, et tilleul femelle, au corps clair). Les qualificatifs mas et femina, lorsqu’ils sont appliqués aux plantes, visent moins à décrire une propriété absolue de l’objet, qu’une tendance perçue par différence avec un objet similaire, dans le contexte déterminé d’une comparaison portant sur une seule qualité de la plante : la nature de son bois ou l’abondance de ses fruits. Les agronomes romains cherchent moins à définir l’essence de chaque plante qu’à en saisir des qualités « interactionnelles » liées à l’usage que l’on veut faire de la plante dans un contexte déterminé.

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Bibliographie

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Notes

1 Le texte « Le genre de l’olivier chez Théophraste » est de Claudine Leduc, celui sur « Plantes mâles et plantes femelles chez les ‘agronomes romains’ . Un couple de catégories polarisées »  est de Marine Bretin-Chabrol.

2 Théophraste, Recherches sur les plantes, texte établi et traduit par S. Amigues, Paris, Les Belles Lettres, I, 1988 ; II, 1989 ; III, 1993 ; IV, 2003 (en abréviation HP) ; Les causes des phénomènes végétaux, texte et traduction anglaise by B. Einarson & G.K.K. Link, London, W. Heinemann LTD, Cambridge Mass., Harvard University Press, I, 1976 ; II & III, 1990 (en abréviation CP).

3 Amigues 2002 : 11-43.

4 Aristote, Minor Works, with an english translation by W.S. Hett, London, W. Heinemann LTD, Cambridge Mass., Harvard University Press, 1963.

5 Bonnier Gaston, Flore complète illustrée en couleurs de France, Suisse, Belgique, t. VII, article « Olea europaea ».

6 Braudel 1990 : I, 280.   

7 Vernet 1997 : 89-124.

8 Sallares 1991 : 294-419 ; Brun 1997 : 70-71.

9 Blitzer 1993 : 163-175.

10 Kroll 2000 : 61-68.

11 Amouretti 1986.

12 Dans quelques articles publiés entre 1987 et 1994, j’ai abordé la question des rapports d’Athéna avec son signe de prédilection, l’olivier. À titre d’exemple : « Rêveries sur la Vierge à l’olivier », in M.M. Mactoux & E. Geny (dir.), Mélanges Pierre Lévêque, Religion, Annales Littéraires de l’Université de Besançon, 1990, p. 259-274 ; « Atena i l’olivera », in Montserrat Jufresa (dir.), Saviesa i perversitat : les donnes a la Grècia Antiga, Barcelona, Edicions Destino, 1994, p. 117-146.

13 Chantraine Pierre, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, Paris, Klincksieck, 1990, articles glaukos et elaia.

14 Amigues 2002 : 30-31.

15 Monbrun 2007 : 67-80 (sur le palmier d’Artémis).

16 Quoique leurs ouvrages soient hétérogènes d’un point de vue énonciatif, nous regroupons par commodité sous cette appellation les différents auteurs latins ayant traité de botanique et de culture des plantes : Caton, Varron, Columelle et Pline l’Ancien.

17 Le présent article prolonge une réflexion initiée dans deux précédentes contributions : Bretin-Chabrol 2007 et 2009.

18 Raynal-Roques 1994 : 19-35. 

19 Cf. Les Phytonymes grecs et latins, Centre de recherches comparatives sur les langues de la Méditerrannée ancienne (l.a.m.a), Nice, 1993, et plus particulièrement, dans ce recueil, F. Biville, « La réception des hellénismes dans le lexique phytonymique latin (d’après Pline, Histoire naturelle) », p. 47-61, et M. Fruyt, « Les procédés de désignation dans les noms de plantes en latin », p. 135-190.

20 Plin. Nat. 12, 61. Sauf mention contraire, les traductions choisies sont celles de la C.U.F.

21 Plin. Nat. 12, 51-65. Cf. Detienne 1972 : 19-28.

22 Cf. également Ps. Apul. Herb. 72 : Mercurialis mascula id est testiculata, « La mercuriale mâle, c’est-à-dire à testicules ».

23 Theophr. HP, 9, 18, 3 ; Diosc. 3, 126 ; Gal. 12, 92 Kühn.

24 On doit son élaboration à Gian Battista Della Porta (1540-1615), dans son traité Phytognomonica, 1583, et sa dénomination au Traité des signatures ou vraie et vive anatomie du grand et petit monde, par Oswald Crollius (1580-1609), médecin, chimiste et alchimiste allemand, disciple de Paracelse. Cf. Ducourthial 2003 : 99 et 185 ; S. Amigues, « La signature des plantes, source de croyance ou de savoir dans l’Antiquité gréco-romaine ? », in Amigues 2002 : 149-159.

25 Colum. Rust. 3, 10, 9-11 (traduction personnelle).

26 Plin. Nat. 13, 31 et 34-35 (trad. Ernout modifiée).

27 L’image du mariage est également employée pour décrire la technique de conduite de la vigne sur support vivant. L’arbre qui supporte la vigne est assimilé à un mari et la vigne productive à une épouse. Pour une analyse de ce motif en termes de répartition des rôles dans le couple selon le genre, cf. Bretin-Chabrol 2007 : 23-27.

28 Beagon 1992 : 102-113 ; Naas 2002 : 62-65.

29 Cf. Théophr. HP, 1, 14, 5.

30 Plin. Nat. 16, 65.

31 Il faut noter toutefois que l’assimilation entre une plante et un animal femelle ne se fonde ici que sur le fait que tous deux portent un fruit. Mais elle ne dit rien des modalités de production de ce fruit. Pour les Romains comme pour les Grecs, l’essentiel de la semence responsable de la fécondation chez les animaux vient en effet du père. Rares sont les médecins qui reconnaissent l’existence d’une semence féminine. Cf. Bonnard 2004 : 117-192.

32 Colum. Rust. 12, praef. 4-5.

33 Dubourdieu & Lemirre 2002 : 106.

34 Foxhall 1998.

35 Cf. par ex., Plin. Nat. 16, 47 (espèces de pin, mélèze) ; 16, 48 (sapin).

36 Plin. Nat. 16, 47.

37 Sur cet usage relatif des catégories dans l’opération intellectuelle de division, cf. l’analyse que fait Pierre Pellegrin de la méthode employée par Aristote pour diviser un genos en deux eidè (Pellegrin 1982 : 98).

38 Varr. Rust. 1, 41, 4-5 (trad. Heurgon modifiée).

39 Lloyd 1966 : 15-171.

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Pour citer cet article

Référence papier

Marine Bretin-Chabrol et Claudine Leduc, « La botanique antique et la problématique du genre »Clio, 29 | 2009, 205-223.

Référence électronique

Marine Bretin-Chabrol et Claudine Leduc, « La botanique antique et la problématique du genre »Clio [En ligne], 29 | 2009, mis en ligne le 11 juin 2009, consulté le 12 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/9276 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.9276

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Auteurs

Marine Bretin-Chabrol

Marine Bretin-Chabrol, agrégée de lettres classiques, a soutenu en 2007 une thèse de doctorat sur « La naissance et l’origine. Les métaphores végétales de la filiation dans les textes romains, du De Agri cultura de Caton, aux Institutiones de Gaius (stirps, propago, suboles, satus, inserere) » sous la direction de Philippe Moreau. Elle a publié « Le sexe des plantes. Analogie et catégories du genre chez les agronomes romains », in P. Carmignani et al. (dir.), Le Corps dans les cultures méditerranéennes, Presses Universitaires de Perpignan, 2007, p. 15-28 et « Le Virgile de Columelle : une lecture optimiste des Géorgiques », in S. Clément-Tarantino et A. Maugier-Sinha (dir.), Le Virgile des autres, en ligne http://halma-ipel.recherche.univ-lille3.fr:80/JEVirgiledesautres/Virgile.html
marinechabrol@free.fr

Claudine Leduc

Claudine Leduc. Après avoir enseigné l’histoire grecque en qualité de MC à l’université de Toulouse-Le Mirail, Claudine Leduc occupe sa retraite à des recherches sur son thème de prédilection – l’articulation de la religion, de la parenté et du politique dans les sociétés de la Grèce ancienne – un thème qui ne saurait être approché sans le recours à la notion de genre.
jobleduc@wanadoo.fr

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