Navigation – Plan du site

AccueilClio. Histoire‚ femmes et sociétés29Regards complémentairesLa libération par Tupperware ?

Regards complémentaires

La libération par Tupperware ?

Diffusion des idées et pratiques féministes dans de nouveaux espaces de sociabilité féminine
Liberation thanks to Tupperware? The Spread of Feminist Ideas and Practices in New Spaces of Feminine Sociablity
Catherine Achin et Delphine Naudier
p. 131-140

Résumés

Au cours des années 1970, le développement de la vente directe à domicile a donné lieu à la formation de cercles de sociabilité entre femmes dans le cadre des réunions Tupperware. Ces rencontres ont contribué à diffuser par capillarité nombre d’idées et pratiques féministes. Elles n’ont pas été sans incidence sur le déroulement de certaines trajectoires de femmes des classes moyennes et populaires. Le partage d’expériences de la soumission féminine, conjugale, et la confrontation aux modèles de femmes professionnalisées, les démonstratrices, ont ainsi parfois ouvert à la prise de conscience du sentiment de soi et permis d’accéder à une certaine autonomie.

Haut de page

Texte intégral

  • 1 En 2008, l’entreprise dispose de 14 usines dans le monde et distribue une gamme de 1 000 produits (...)
  • 2 Voir le récit de l’histoire de l’entreprise sur le même site.

1C’est juste après la Seconde Guerre mondiale aux États-Unis qu’un ingénieur chimiste, Earl Tupper, crée et lance les premiers bols hermétiques en polyéthylène, voués à la conservation des produits alimentaires et à un succès international phénoménal1. La mise en récit « mythique » de l’histoire de l’entreprise raconte que la nécessité de convaincre la clientèle du caractère révolutionnaire de ce nouveau matériau conduit la première collaboratrice, Brownie Wise, à inventer les « démonstrations à domicile »2. Lors de ces réunions, une présentatrice expose les produits chez une « hôtesse » (qui bénéficie alors elle-même de « récompenses ») ayant invité des amies, des voisines, des parentes. La diffusion dans les quincailleries ou les grands magasins cesse alors au profit des ventes à domicile dont la formule s’exporte : Tupperware France est créé en 1961 et une usine ouvre en 1973 à Joué-lès-Tours (Indre-et-Loire). Le nombre de présentatrices dans les années 1970 est estimé à environ 50 000 sur le territoire national.

  • 3 Les décrets d’application de la loi Neuwirth (décembre 1967) ne sont publiés qu’en 1972.
  • 4 Achin & Naudier 2008 : 382-399.

2La décennie 1970 est par ailleurs fondamentale en matière d’émancipation des femmes françaises. Cette « révolution » est objective, par leur accès inédit aux études supérieures (où elles sont plus nombreuses que les hommes dès 1971), la progression continue de leur activité salariée, l’obtention de nouveaux droits (libre exercice d’une profession depuis 1965, légalisation de la contraception depuis 19673, autorité « parentale » conjointe en 1970, droit à l’avortement et dépénalisation de l’adultère en 1975…). Elle s’avère également éminemment subjective, par une libération inédite de la parole des femmes dans le sillage des mouvements féministes de la deuxième vague qui favorisent leur politisation et le développement du « sentiment de soi »4.

  • 5 Nous avons mené en 2006 des entretiens auprès d’une vingtaine de femmes ayant participé de près ou (...)

3La mise en relation des réunions Tupperware et de l’émancipation des femmes françaises n’a a priori rien d’évident, si l’on ne voit dans les premières qu’un simple concept de commercialisation ou encore des astuces de femmes au foyer pour tromper l’ennui. Et pourtant, en réalisant une enquête d’histoire orale sur l’impact de Mai 68 auprès de femmes de tous milieux sociaux vivant dans une ville moyenne de province dans la décennie 19705, nous avons découvert, sans l’avoir supposé, que l’activité de démonstratrice Tupperware avait pu constituer une forme d’autonomisation économique pour des femmes issues de milieu modeste, et que ces réunions pouvaient représenter des lieux de sociabilité féminine cardinaux par lesquels se diffusaient et se banalisaient des idées et pratiques féministes. Sans prétendre à aucune généralisation, il nous a semblé intéressant de creuser, à titre exploratoire, cette approche à rebours du sens commun y compris du sens commun savant ou féministe, sur le rôle potentiellement émancipateur des réunions Tupperware.

Des démonstratrices autonomes : proximité sociale et modèles d’émancipation

  • 6 Les démonstratrices les plus performantes peuvent devenir « chef de groupe » et animer une équipe (...)
  • 7 Le turn overdes démonstratrices est très important, une part majoritaire cessant l’activité au bou (...)
  • 8 Biggart 1992 : 27.
  • 9 Extraits entretien Christiane Miroir, sept. 2006.

4L’activité de présentatrice est essentiellement exercée par des femmes mariées issues des classes moyenne ou populaire, souvent sans diplômes élevés. Le recrutement, depuis les années 1960 et jusqu’à aujourd’hui avec une remarquable constance, vise explicitement ce type de population et s’opère souvent auprès de clientes de la marque, en mettant en avant la souplesse des horaires et la compatibilité de l’activité avec une « vie de famille épanouie », la valorisation des contacts de proximité et l’accès facilité à un statut, à la sécurité sociale et à un véritable plan de carrière6. Les présentatrices reçoivent environ 20% de la recette des produits vendus auxquels s’ajoutent des primes mensuelles proportionnelles au volume d’affaires réalisé7. Les organisations de vente à domicile parviennent ainsi à un haut degré d’efficacité économique tout en utilisant des principes qui prennent le contre-pied de la logique bureaucratique traditionnelle, en reposant sur la personnalité des organisateurs et sur un système de sociabilité économique spécifique8. Christiane Miroir, une de nos enquêtées, née en 1940, fille de cheminot, a été salariée de Tupperware pendant trente ans. Entrée dans l’entreprise en 1968, après son mariage avec un dessinateur industriel et la naissance de sa fille, munie d’un certificat d’études et d’un diplôme de secrétariat, elle en a gravi les échelons : « Pour être recrutée chez Tupperware, pas besoin de cursus particulier, tout le monde pouvait y entrer, il fallait juste se présenter et après on faisait une formation pour les méthodes de vente »9. Elle reconnaît volontiers qu’au-delà du complément financier apporté au salaire de son mari, elle cherche alors surtout à « sortir de chez elle », à « ne pas rester cloîtrée avec les enfants », à élargir ses horizons, à gagner son indépendance. La démarche doit sans cesse être justifiée auprès de l’entourage proche et auprès des clientes, prises dans les rôles stéréotypés pesant sur les femmes, et tout particulièrement sur les mères :

Les femmes ne faisaient pas ça pour gagner leur vie, quand on avait un mari qui travaillait. C’était vraiment un appoint et y’avait pas à en avoir honte. On me disait : Mais tu n’es pas bien chez toi ? - Non, j’adore ma fille, mais je ne suis pas bien chez moi, c’était pas ma vie de ne pas voir ce qui se passait à l’extérieur. […] Avec les Tupperware, avec les contacts, avec tout le monde, je suis devenue de plus en plus libérée et c’était très mal vu à la maison, très mal vu par le mari. J’ai vraiment pris mon indépendance et si je ne l’avais pas prise, je serais vraiment une femme dominée, enfin pas dominée mais au foyer.

5La mobilité, la relative indépendance économique des démonstratrices professionnelles, mâtinées de leur proximité sociale contribuent également à la fabrication de modèles de femmes émancipées accessibles et acceptables. La prise de conscience que l’on peut, en tant que femme, même mariée et mère de jeunes enfants, faire le choix de conduire, de travailler, de sortir de chez soi, est facilitée par la mise à disposition d’un exemple palpable, socialement proche. Christiane Miroir en témoigne :

Je me suis aperçue que les maîtresses d’intérieur nous accueillaient comme un apport extérieur important, qui les sortait de leur vie quotidienne. Les maris travaillaient 45 heures par semaine à l’époque, elles étaient donc très, très isolées dans leur foyer avec les enfants. Elles voyaient qu’il y avait quelque chose qui existait, qu’on était indépendantes, qu’on venait en voiture, ça a été très positif et même dans les campagnes, ça a été super. On faisait passer un modèle positif de femmes, de femmes sans aucun écart, tout à fait correctes, mais qui petit à petit les amenaient à dire « je vais travailler ».

6On le perçoit, les gratifications de l’activité de démonstratrice dépassent largement l’activité commerciale ou la rétribution financière. L’entrée en politique ultérieure et tardive de notre enquêtée (elle a été élue à plus de soixante ans aux niveaux municipal et départemental pour le parti socialiste) la conduit sans doute à reconstruire sa longue expérience professionnelle comme un premier engagement militant, en faveur de la cause des femmes.

Mon père était très engagé à gauche, il a été au PC, mais […] c’est pas ça qui m’a menée à la politique, c’est vraiment de voir toutes les femmes, de voir toutes les choses qu’on pouvait faire c’est comme ça que je me suis engagée dans le bénévolat. […] Je leur disais, je ne veux pas me vanter, mais « vaut mieux bouffer que d’acheter du Tupperware ». C’était pas pour les faire dépenser à tout prix, c’était un matériau qui était bien, mais qui était cher. Donc, c’est parti comme ça, elles étaient en confiance. Et de fil en aiguille, comme j’étais très motivée et assez engagée dans la lutte des femmes, on s’est mises à parler de tout, ce qu’on fait à la maison, de la contraception…

7Ces réunions sont ainsi présentées comme de véritables groupes de parole où émerge une conscience féminine collective encouragée et guidée par la démonstratrice. En dépit de l’embellissement postérieur probable et de la transposition aux clientes des effets libérateurs du Tupperware, c’est bien sa propre émancipation que décrit ici Christiane Miroir :

On parlait comme ça, de tout, et on a bien vu la femme qui est sortie de son cocon, la femme qui a dit « j’existe », la femme qui a dit « je vais dans la vie associative » comme je l’ai fait moi-même, donc y’a eu une réelle évolution de la femme qui prend confiance en elle.

Les copines, l’entraide et la diffusion par capillarité des idées féministes

  • 10 Zelizer 2001 : 121.

8La sociabilité féminine se déploie ainsi par la mise en place de réseaux faiblement structurés qui s’exercent sur un territoire autorisé. En effet, ces réunions entre femmes ont lieu à l’extérieur du foyer mais elles sont tenues dans l’espace domestique des « maîtresses d’intérieur ». À l’abri du contrôle exercé par l’un des membres de la famille, et surtout du conjoint, ces réunions sont souvent le lieu de la première expérience de « groupe de femmes ». Certes, ces groupes ne sont pas investis sur un mode politisé mais ils permettent d’inaugurer un récit à la première personne relatant l’expérience conjugale, sujet de conversation fréquent. Ces réunions, lieux de « transactions intimes »10, remplissent alors une fonction sociale d’échange et d’entraide entre femmes, qui a également un coût économique non négligeable, comme le souligne Simone Melvil, qui a participé à quelques réunions :

  • 11 Entretien Simone Melvil (née en 1947, aide-soignante), sept. 2006.

On finissait par dire quand on se connaissait mieux : « Et toi, ton mari, ceci, cela ». Et c’est là, que ça montait la sauce. Dans les réunions Tupperware, on avait du mal à acheter, on se faisait engueuler, on cachait à notre mari pour les premiers trucs parce que c’était très cher, mais c’était une manière de se rencontrer et de se voir un peu11.

  • 12 Naudier 2004 : 191-208.
  • 13 Bernos 1996 : 161-165.

9Ces espaces de parole intensifient les échanges entre femmes et contribuent à éroder progressivement la puissance hégémonique du mari. Au même titre que les revues féministes, comme Sorcières, sont des lieux où les aspirantes ou jeunes romancières testent leurs écrits entre femmes, ces réunions sont investies comme des « sas »12 où elles font l’apprentissage de la mise en œuvre de leurs nouvelles aspirations. Alors qu’au cours des siècles précédents, les jeunes paysannes « ne reçoivent que par voir-faire et ouï-dire ce que les femmes du groupe familial ou des lieux de sociabilité féminine, comme la fontaine ou le lavoir, sont capables de leur transmettre : ménage, cuisine, croyances ou superstitions »13, les femmes de classes moyennes et populaires opèrent ici un déplacement en rencontrant des femmes relativement « extérieures » au cercle rapproché, et en subvertissant, sous couvert de discussions « domestiques », les normes de la socialisation des femmes assignées à l’espace privé :

  • 14 Entretien Christiane Miroir, op. cit.

Elles étaient la dizaine ou la douzaine qu’elles avaient invitées. Elles n’étaient pas forcément amies, c’était pour faire du monde mais des affinités se sont créées, des groupes de paroles, ça c’est certain. On parlait pendant trois quarts d’heure de la réunion proprement dite et après c’était une heure et demie autour d’une tasse de thé à parler de ses problèmes féminins ou d’enfants et c’était bien, c’était une réelle ouverture14.

  • 15 Eck 1992 : 188. L’histoire médiatisée de Lucie Aubrac et de son mari en est un exemple parfait : c (...)
  • 16 Memmi 2008.

10Dans un tout autre contexte, la forme « domestique » et innocemment « féminine » de ces réunions n’est pas sans rappeler la couverture offerte aux résistantes pendant la deuxième guerre mondiale, par les croyances partagées par l’occupant sur la féminité et les présomptions d’innocence, de fragilité et d’ignorance qui la distinguent du sexe fort15. La mise en mots du vécu des expériences individuelles, la mise en pratiques de ruses ou de décisions émancipatrices ont pourtant pu, à ce titre, façonner à distance des revendications féministes la crise de la « domination rapprochée »16. Ces réunions sont donc aussi des lieux où certaines vont apprendre à transgresser progressivement les rapports sociaux de sexe. Cette socialisation féminine participe des infléchissements de trajectoires sociales, en tout cas de possibles aménagements et de remise en question des relations conjugales. À travers ces échanges se construit en effet un modèle de femme émancipée, même si les conversations sur les charges domestiques demeurent prégnantes. La comparaison de leurs conditions de vie avec celles de femmes autonomes ouvrent à la prise de conscience du caractère arbitraire, voire violent de la situation qu’elles endurent au quotidien. Leur condition n’est plus une fatalité, elles prennent la mesure des possibilités de révoltes individuelles à l’intérieur de la cellule domestique. Les démonstratrices Tupperware apparaissent ainsi constituer un modèle d’identification positif, ayant une certaine autorité qu’elles mettent en scène. Ainsi Christiane Miroir raconte : « comme je n’avais pas ma langue dans ma poche, je disais : “Mais laissez-vous pas faire dix, douze gamins, il faut arrêter !” ». Certaines démonstratrices, par l’instillation de ces idées, contribuent à construire la norme d’un modèle féminin indépendant et maîtresse de sa fécondité. Sans être alors explicitement des militantes, ces femmes donnent donc des conseils, se constituent en « passeuses » entre différents milieux sociaux, faisant par exemple circuler des informations relatives aux nouvelles lois sur la contraception, le divorce, à la possibilité d’exercer une activité professionnelle pour les femmes, etc. On saisit ici comment des lois émancipatrices votées au niveau national pénètrent progressivement l’ensemble du tissu social et affectent les pratiques communes des Françaises de classes populaires et moyennes. Le sujet de l’avortement demeure néanmoins relativement tabou, tout comme la violence physique masculine s’exerçant au sein de la cellule conjugale. La force de ce dispositif réside dans les relations de confiance qu’il forge :

  • 17 Entretien Christiane Miroir, op. cit.

Si les femmes racontaient des choses, c’est parce que j’en lâchais aussi, il faut que les gens soient en confiance, je leur faisais également un peu part de ma vie et de comment monter. Combien de fois je leur ai dit : « Mais ça, ne vous laissez pas faire ! ». Ce que m’avait dit mon sophrologue, je leur disais la même chose : « Ca ira mieux chez vous si vous n’allez pas le jeudi en ville par le car ? » ; « ― Non ». « Eh bien alors faites le donc ! ». C’est vrai que ça changeait rien17.

  • 18 Mead 1963. Dans cet ouvrage, Mead limite la notion d’« autrui significatif » à la socialisation pr (...)

11Ces réunions entre femmes qui ne se connaissent pas initialement toutes entre elles constituent donc pour certaines l’occasion de nouer des contacts avec d’autres qui tiennent alors le rôle d’« autrui significatif »18. Les frontières de classe entre les femmes semblent s’estomper, notamment dans les régions rurales où exerçaient les démonstratrices. Cet entre-soi féminin offre une extension des cercles de sociabilité et certaines rencontres, sans doute rares, produisent de réels effets sur les vies individuelles. Ainsi Simone Melvil va-t-elle bénéficier au cours de ces réunions de la rencontre improbable d’une jeune enseignante, une voisine de quartier, qui sera un des leviers de sa révolte personnelle. Simone Melvil, issue d’une famille nombreuse très modeste, est alors femme au foyer, mariée et battue. Si ses conditions d’existence de femme maltraitée ne sont pas dévoilées directement au sein du cercle féminin, c’est néanmoins grâce à celui-ci qu’elle noue une relation privilégiée avec cette voisine à qui elle livre ses souffrances. Cette nouvelle amie la persuade alors de la légitimité de ne pas accepter un tel traitement, de dénoncer les violences subies et de quitter son mari (alors que la situation, confiée jusque là uniquement à sa sœur, était vécue sur un mode honteux et résigné). La relation amicale va s’accompagner de la mise en place d’un dispositif de surveillance de son couple :

  • 19 Entretien Simone Melvil, op. cit.

[J’y ai rencontré une femme] qui était prof et qui est devenue mon amie et qui a fait en sorte d’être mon amie chez moi et son mari est devenu l’ami de mon mari. Eux ils étaient profs, et nous on n’avait pas du tout le faciès de fréquenter des profs, mais je pense qu’elle avait dit à son mari ce qui se passait et lui il faisait des efforts pour supporter mon mari pour voir, et c’est eux qui m’ont aidée à me séparer de tout ça19.

12Au cours de la décennie 1970, les réunions Tupperware sont ainsi parfois le lieu d’une mise en commun des expériences de vie personnelle, voire intime, qui cristallise certaines dispositions à l’émancipation. Une prise de conscience du sentiment de soi émerge dans cette configuration historique marquée par la diffusion par capillarité des idées féministes, alors même que les femmes fréquentant ces réunions ne s’auto-désignent pas ainsi et qu’elles n’ont que très peu connaissance de la réalité du mouvement. Ce faisant, la volonté « d’ouverture sur le monde », de vouloir « souffler », est nourrie de la croyance en une possibilité de changement que les femmes mettent en œuvre en négociant progressivement une autre place. Certaines expériences semblent fonctionner comme des rites de passages qui leur signifient l’autorisation et la légitimité à contourner les voies qui balisent la séparation entre les sexes et les maintiennent en situation de soumission. La révolte individuelle s’accompagne alors le plus souvent d’une volonté de transmission. Le dispositif domestique, proche et inscrit dans le quotidien familier qui caractérise ces réunions, autorise les plus émancipées à énoncer leurs propres expérimentations aux autres, à les aider à franchir le cap d’un accès à une sociabilité élargie, à les inciter à la capacité d’agir.

Haut de page

Bibliographie

Achin Catherine & Delphine Naudier, 2008, « Les féminismes en pratiques », in Dominique Damamme, Boris Gobille, Frédérique Matonti & Bernard Pudal (dir.), Mai-Juin 68, Paris, Éd. de l’Atelier, p. 382-399.

Bernos Marcel, 1996, « La jeune fille en France à l’époque classique », Clio, Histoire, Femmes et Sociétés, 4, p. 161-165.

Biggart W. Nicole, 1992, « Affaires de famille. Les sociétés de vente à domicile aux États-Unis », Actes de la recherche en sciences sociales, 94, p. 27-40.

Eck Hélène, 1992, « Les Françaises sous Vichy. Femmes du désastre, citoyennes par le désastre ? », in Françoise Thébaud (dir.), Histoire des femmes en Occident, le XXe siècle, Paris, Plon, p. 188.

Mead George-Herbert, 1963 (1re éd, 1934), L’esprit, le soi et la société, Paris, PUF.

Memmi Dominique, « Mai 68 ou la crise de la domination rapprochée », in Dominique Damamme, Boris Gobille, Frédérique Matonti & Bernard Pudal (dir.), Mai-Juin 68, op. cit., p. 35-45.

Naudier Delphine, 2004, « La reconnaissance sociale et littéraire des femmes écrivains depuis les années 1950 », in Nicole Racine & Michel Trebitsch (dir.), Intellectuelles : du genre en histoire des intellectuels, Paris, Complexe / IHTP-CNRS, p. 191-208.

Zelizer Viviane A., 2001, « Transactions intimes », Genèses, 42, p. 121-144.

Haut de page

Notes

1 En 2008, l’entreprise dispose de 14 usines dans le monde et distribue une gamme de 1 000 produits dans plus de 100 pays. 7 000 collaborateurs encadrent plus d’un million de « démonstratrices » (Source : site www.tupperware.fr/company).

2 Voir le récit de l’histoire de l’entreprise sur le même site.

3 Les décrets d’application de la loi Neuwirth (décembre 1967) ne sont publiés qu’en 1972.

4 Achin & Naudier 2008 : 382-399.

5 Nous avons mené en 2006 des entretiens auprès d’une vingtaine de femmes ayant participé de près ou de loin à des groupes de femmes (se définissant comme féministes ou pas) dans les années 1970. Notre échantillon a été construit progressivement par interconnaissance et se caractérise par une importante hétérogénéité sociale (beaucoup d’enseignantes mais aussi des professions libérales, des employées ou des agricultrices). Il n’est donc évidemment pas représentatif des démonstratrices ou des clientes Tupperware. D’ailleurs, seules deux enquêtées nous ont fait part de cette expérience, en tant que démonstratrice ou cliente, et il n’est sans doute pas anodin de préciser qu’elles étaient toutes deux issues d’un milieu social très modeste (père cheminot, mère au foyer).

6 Les démonstratrices les plus performantes peuvent devenir « chef de groupe » et animer une équipe de commerciales, puis « concessionnaire », c’est-à-dire à la tête d’une des 61 concessions qui quadrillent le territoire français.

7 Le turn overdes démonstratrices est très important, une part majoritaire cessant l’activité au bout de deux ou trois réunions, tandis qu’une petite part les multiplie et grimpe les échelons de l’entreprise. Sur la mise à profit des réseaux de relations, voir Biggart 1992 : 27-40.

8 Biggart 1992 : 27.

9 Extraits entretien Christiane Miroir, sept. 2006.

10 Zelizer 2001 : 121.

11 Entretien Simone Melvil (née en 1947, aide-soignante), sept. 2006.

12 Naudier 2004 : 191-208.

13 Bernos 1996 : 161-165.

14 Entretien Christiane Miroir, op. cit.

15 Eck 1992 : 188. L’histoire médiatisée de Lucie Aubrac et de son mari en est un exemple parfait : c’est en jouant sur son statut de jeune fille de bonne famille enceinte, abusée par un aventurier, qu’elle parvient à voir son mari emprisonné et à organiser son évasion.

16 Memmi 2008.

17 Entretien Christiane Miroir, op. cit.

18 Mead 1963. Dans cet ouvrage, Mead limite la notion d’« autrui significatif » à la socialisation primaire, mais il nous semble que l’on peut en élargir l’usage en l’entendant comme modèle de référence.

19 Entretien Simone Melvil, op. cit.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Catherine Achin et Delphine Naudier, « La libération par Tupperware ? »Clio, 29 | 2009, 131-140.

Référence électronique

Catherine Achin et Delphine Naudier, « La libération par Tupperware ? »Clio [En ligne], 29 | 2009, mis en ligne le 11 juin 2009, consulté le 06 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/9238 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.9238

Haut de page

Auteurs

Catherine Achin

Catherine Achin est maîtresse de conférences en science politique à l’université Paris 8 – (CSU-CRESPPA). Ses recherches concernent le genre en politique et la sociologie des mouvements féministes. Dernières publications : Avec E. Dorlin et J. Rennes, « Le corps présidentiable », Raisons politiques, 31, août 2008. Avec L. Bargel, D. Dulong et alii, Sexes, genre et politique, Paris, Economica, 2007.
achincat@yahoo.com

Delphine Naudier

Delphine Naudier est sociologue au CSU-CRESPPA/Paris 8. Elle a publié Avec C. Achin, « Les féminismes en pratiques », in D. Damamme et al., Mai-Juin 68, 2008, p. 382-399. « Assignation à “résidence sexuée” et nomadisme chez les écrivaines », in A. Lasserre & A. Simon (dir.), Nomadismes des romancières contemporaines de langue française, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2008, p. 51-62 et « Les relais culturels du Planning familial (1956-1975) », in C. Bard et J. Mossuz-Lavau (dir.), Le Planning familial, histoire et mémoire, 1956-2006. Rennes, PUR, 2007, p. 127-138. Elle a co-dirigé, avec B. Rollet, Genre et légitimité culturelle. Quelle reconnaissance pour les femmes ? Paris, L’Harmattan, 2007.
naudier@iresco.fr

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search