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Actualité de la recherche

Métissages et genre dans les Amériques :

Des réflexions focalisées sur la sexualité
Capucine Boidin
p. 169-195

Texte intégral

  • 1 Anthropologue et spécialiste du guarani (Paraguay), je connais mieux la bibliographie hispanophone (...)
  • 2 Young 1995.
  • 3 Amselle 2002. L’impact des discours scientifiques sur les pratiques coloniales reste à démontrer : (...)

1La place croissante prise par les approches qui croisent race, classe et genre en Amérique latine et dans les Caraïbes1, aurait dû donner lieu à une bibliographie foisonnante en ajoutant les entrées miscegenation, creolization, hybridization en anglais ; criollo, mestizaje, mestiçagem et métissage en espagnol, portugais et français. Ce n’est pas le cas. Peu d’articles traitent de front et uniquement les deux items métissage/genre, dans leurs titres, leurs mots clés ou leurs résumés. Pourtant, les travaux sur les métissages sont innombrables et les études de genre sont également très développées en Amérique centrale et dans le cône sud. Les résultats sont autrement plus abondants lorsque sont conjugués les mots du métissage et de la sexualité. Une prolixité scientifique qui fait écho à celle des observateurs coloniaux du xixsiècle : médecins et administrateurs semblaient avoir une curiosité sans fin pour « l’interface sexuelle » de la rencontre coloniale. L’imaginaire associé à la colonisation d’un territoire et d’un peuple renvoyait alors à la pénétration, au rapt, au viol, à la possession, produisant une véritable obsession mêlée de crainte vis-à-vis de la sexualité interraciale et de la miscégénation2. Ceci fait dire à Robert Young que l’actuel engouement pour le concept de métissage est à prendre avec précaution. Avertissement qui rejoint celui de Jean-Loup Amselle : il serait impossible de parler de métissage sans tomber dans le piège du vocabulaire racialisant et raciste des discours scientifiques, contemporains des Empires coloniaux du xixe siècle3.

  • 4 Graham 1990 et Schwarcz 1993. Loin d’avoir « reçu » les points de vue biologiques sur la race, syst (...)
  • 5 Zuñiga 1999.
  • 6 Quijano 2005.
  • 7 Dorlin 2006.

2Toutefois, la réflexion sur le métissage n’a pas attendu le xixe siècle pour s’élaborer. La généalogie de cette question remonte bien avant, au moins au xvie siècle pour notre propos, lorsque les idées de nations, peuples et races ainsi que leurs mélanges avaient un sens différent. La notion de race sur le continent américain à partir du xvie siècle jusqu’au xviiie siècle avec l’émergence des discours scientifiques (botanique, biologique, médical)4 a connu une longue transformation : de religieuse (fidélité à la foi catholique sur plusieurs générations), politique (loyauté), sociale (réputation), économique (rang et types d’activités), juridique (statut d’esclave, tributaire, libre, etc.), morale et culturelle (langue, habitudes)5, la problématique du croisement serait devenue biologique : généalogique et/ou phénotypique. Pour le dire de manière trop raccourcie et schématique : les distinctions multidimensionnelles entre les nobles lignées attachées à leur pureté religieuse et le menu peuple à l’intérieur d’une même société sont devenues moins pertinentes à mesure que s’élaborait une hiérarchie planétaire des peuples entre eux. Hiérarchie précisément élaborée avec les expériences coloniales du xvisiècle6 : les idées « modernes » de race n’ont pas été façonnées en métropole pour être ensuite appliquées aux colonies, mais ont connu des élaborations conjointes de part et d’autre de l’Atlantique. Et la matrice coloniale de la race repose sur une mise en ordre de la sexualité et de la maternité des femmes7.

3La difficulté pour établir l’état de cette recherche réside en ceci que les articles croisant genre/métissage/sexualité portent davantage sur les Empires anglais et français du xixe siècle (en particulier en Asie) que sur les Empires espagnols et portugais des xvie-xviiie siècles. Par conséquent les recherches récentes les plus stimulantes émergent surtout des Caraïbes anglophones et francophones ; du Brésil, dont les universités sont très connectées aux milieux académiques états-uniens et des chicanas, métisses hispaniques immigrées aux Etats-Unis. Partant de réflexions sur le métissage et la sexualité, elles explorent la subjectivité féminine indienne, noire et métisse.

  • 8 La démarche complémentaire reste à entreprendre mais paraît être moins prometteuse. De fait, le tra (...)
  • 9 Terme proposé par la démarche socio-historique de Saada 2007.

4Sans être exhaustif, cet article revisite donc de manière chronologique (de 1492 à nos jours) la bibliographie sur les métissages pour recenser les réflexions sur le genre, en montrant les difficultés, limites et avancées dans le domaine8. Il propose à la fois un état de la recherche et des pistes pour élaborer une histoire et une anthropologie des sensibilités au rôle des femmes dans les métissages en Amérique latine. Loin de présupposer une définition biologique ou même culturelle du métissage, il s’agit de comprendre comment les acteurs de différentes époques ont perçu, ressenti et pensé les rapports du féminin et du masculin, des femmes et des hommes dans le métissage, des femmes et des hommes métis. Ont-ils pensé ces rapports comme étant biologiques et/ou culturels ? Pourquoi à certaines époques, certaines sociétés organisent-elles du « tapage » et des images au sujet du métissage lorsque d’autres se montrent indifférentes ? Comment « la question métisse »9 en vient-elle à être posée ? par qui ? pour qui ?

Des concepts qui évacuent le genre, ou comment le genre redéfinit des concepts

5En tant que concepts, creolization et hybridity désignent des processus socioculturels, dans la lignée des études sur l’acculturation. Ce faisant, ils évacuent de leur horizon de réflexion les sujets métis. Comment creolization et hybridity, deux concepts actuellement phare, se sont-ils abstraits de toute référence à des individus ou à des collectifs concrets ?

  • 10 Glissant 1997.
  • 11 Bernabe, Chamoiseau et Confiant 1993.
  • 12 Hannerz1993.

6Au départ circonscrite aux parlers des Caraïbes et des sociétés issues des économies de plantations américaines, la créolisation se dote progressivement d’une signification anthropologique et universelle. L’homme des Antilles, issu « de la rencontre, de l’interférence, du clash, des harmonies et disharmonies entre cultures, accomplis dans le nouveau monde »10, parce qu’il incarne la complexité à venir, devient une figure universelle. Dans le fameux manifeste intitulé L’Eloge de la créolité, celle-ci est à la fois : diversalité (mosaïque ou kaléidoscope de cultures non fusionnées), marque d’une identité particulière (antillaise, guyanaise, brésilienne) et identité complexe qui préfigure l’homme de demain11. Dans le contexte des Caraïbes, la créolité oscille entre essentialisme et universalisme. Un anthropologue suédois, Ulf Hannerz, utilise désormais le terme creolization pour nommer les relations culturelles entre les périphéries et leurs centres, choisissant de souligner la créativité des productions culturelles des premières12.

  • 13 Bhabha 1994.
  • 14 Bhabha 1994 : 86.
  • 15 Young 1995.
  • 16 Todorov 1986.
  • 17 Par opposition aux théories misérabilistes. Grignon et Passeron 1989.

7L’hybridity, selon Homi Bhabha, définit le processus de création culturelle qui est à l’œuvre dans les interstices de la loi coloniale, dans les efforts mêmes de mimicry qu’elle induit chez le colonisé13. L’imitation est le processus selon lequel le sujet colonisé reproduit les comportements du colonisateur, « presque à l’identique mais pas tout à fait »14. Proche de la moquerie et de la parodie, l’imitation est potentiellement une menace pour les autorités coloniales. À partir de là, creolization renverrait davantage à une fusion donnant naissance à une nouvelle culture, tandis que hybridity suggèrerait davantage l’image d’une juxtaposition permettant la contestation et la subversion15. Devenus les concepts clés d’une théorie de l’action et de la créativité culturelle dans les mondes issus des décolonisations et de la seconde mondialisation, creolization et hybridity, font perdre de vue les expériences subjectives, historiquement et géographiquement situées, des hommes et des femmes des Amériques. Or celles-ci sont souvent marquées par la souffrance : « Il y aurait quelque chose de dérisoire dans la tentative de garder un ton purement académique alors que de nombreux individus souffrent quotidiennement, corps et âme, pour cause de “croisement”16 ». Certaines théories postcoloniales s’égarent dans une attitude populiste17 lorsqu’elles font rimer métissage avec tolérance, dialogue et/ou créativité, subversion.

  • 18 Spivak 1985.
  • 19 Stoler 1989.
  • 20 Stoler 2002.
  • 21 McClintock 1995.
  • 22 L’imaginaire des conquistadors était aussi fasciné par les pratiques dites sodomites des Indiens co (...)
  • 23 Young 1995 : 25.
  • 24 Voir les analyses et critiques de Fanon 1952.

8Les études féministes anglo-saxonnes ont précisément critiqué la tendance des études postcoloniales à créer des catégories monolithiques et abstraites, du colonisé comme du colonisateur. Elles ont souligné la double colonisation vécue par les femmes colonisées18 mais aussi la position ambiguë des femmes blanches, à la fois dominées et dominantes19. Avec elles, l’analyse de l’espace domestique et de l’intimité est devenue centrale pour comprendre la colonisation20. Les multiples relations économiques et affectives dans les espaces domestiques incluant époux, épouse, concubines et maîtresses mais aussi nourrices, servant(e)s, esclaves et protégés21 sont devenues des sujets de recherche. Un point ressort particulièrement : pour décrypter l’imaginaire et la réalité des unions des hommes blancs avec des femmes colonisées, il faut penser leur « inverse » logique : les unions entre femmes blanches et hommes colonisés. La face cachée du désir colonial masculin était la frayeur supposée être naturellement inspirée par l’union de la femme blanche avec l’homme colonisé. La présence de ce mythe inverse pouvait de fait servir de légitimation à une entreprise d’élimination des hommes de la partie adverse, devenus rivaux en amour. Reposant sur l’évidence de l’hétérosexualité des désirs22 – et par là même la créant comme naturelle – ces mythes sont encore difficilement déconstruits23. De plus, si les logiques « du » désir colonial commencent à être bien comprises, avec ses tabous et ses silences, les complexités des désirs chez les populations colonisées le sont beaucoup moins. Leur diversité est trop souvent niée et réduite à une psychologie simplifiée du colonisé24. L’influence des modèles précolombiens de féminité et de masculinité, de couple et de famille sur les colonisateurs reste méconnue.

  • 25 Saada 2007.
  • 26 Rosenblat 1954, Mörner 1971, Esteva-Fabregat 1995, Bernand et Gruzinski 1993.
  • 27 Bernand et Gruzinski 1991 et 1993.

9Au-delà de l’espace intime et domestique, la multiplicité des règles de l’alliance et de la filiation ainsi que celle des cadres juridiques en présence, en particulier des populations conquises commencent à être prises en compte aujourd’hui. Emmanuelle Saada a récemment montré pour l’empire français du xixe-xxe siècles qu’ils étaient les facteurs déterminants pour que soit ou non posée la « question métisse »25. Si les sociétés colonisées sont patrilinéaires – comme c’est le cas en Indochine –, il est fort probable qu’elles ne ménagent aucune place aux enfants de pères étrangers et qu’elles mettent ceux-ci dans l’obligation de les prendre en charge. Ici encore, ce qui frappe, c’est la présence d’une littérature comparant les systèmes politiques, sociaux et juridiques portugais, espagnols, français et anglo-saxons dans les Amériques alors qu’une mise en perspective similaire détaillée pour les sociétés autochtones n’a pas encore vu le jour. Pourtant les formes du métissage dépendent surtout de la diversité des sociétés pré-colombiennes ! Des quatre grands ouvrages consacrés aux métissages dans les Amériques26, combinant approches démographiques et juridiques, la majorité se contente de stéréotypes sur le rôle des femmes dans les métissages. Seuls Carmen Bernand et Serge Gruzinski nous permettent d’entrer dans les subjectivités variées des femmes et des hommes des premiers métissages27.

Les femmes dans les premières unions mixtes xvie-xixe siècles

10La comparaison entre les Amériques du xvie siècle et l’Asie du xixe suggère l’existence de deux moments : celui de la conquête militaire, marquée par le concubinage mixte puis celui de la consolidation coloniale où le mariage européen est imposé et déclasse les premières unions. Au-delà de ce point commun, les différences sont très instructives.

  • 28 Depuis une vingtaine d’années les études sur la famille, la sexualité et les femmes dans les Amériq (...)
  • 29 Bernand et Gruzinski 1993 : 41.
  • 30 Bernand et Gruzinski 1993 : 41-42.
  • 31 Bernand et Gruzinski 1993 : 57.
  • 32 Bernand et Gruzinski 1993 : 57-58.

11Avec les premières décennies de la conquête du Pérou28, les unions mixtes ont été incorporées au système de maisonnée espagnole d’une part et de la polygamie inca de l’autre. Les normes inca d’alliance politique, qui reposent sur la création de liens de parenté, s’imposent aux conquistadors, pour régir les relations interculturelles mais aussi leurs hiérarchies internes. De fait le monde n’est pas d’emblée divisé entre conquérants et conquis : les conquistadors s’allient à certaines factions indiennes, ennemies entre elles29. Puis la Couronne impose aux encomenderos (Propriétaires des terres conquises) d’être mariés à une Espagnole pour pouvoir conserver leur encomienda. Des lignages composés d’Espagnols auraient détenu une double légitimité : celle d’être conquérants par les pères et « seigneurs naturels » par les mères30. Les encomenderos durent reléguer leurs nobles concubines qu’ils marièrent à des Espagnols moins fortunés. Parallèlement les pressions se firent de plus en plus fortes sur les Incas pour qu’ils embrassent la monogamie. Le choix d’une épouse principale n’était pas sans conséquences sur l’équilibre interne du foyer : le mariage catholique donnait alors à l’épouse choisie le pouvoir de faire appel aux religieux pour asseoir son ascendant sur son mari et mettre à l’écart les autres femmes. Quelles soient espagnoles ou indiennes, les femmes purent trouver auprès des ordres religieux des appuis tactiques pour contrecarrer le pouvoir de leurs époux. Le pouvoir des veuves pouvait devenir considérable… De fait, « un certain nombre de veuves d’encomenderos héritaient les travailleurs indiens de leur mari, éveillant la jalousie de ceux qui ne jouissaient pas de ces privilèges. Les jeunes femmes épousaient des vieillards et la rumeur courrait qu’elles s’en débarrassaient en leur administrant des potions ensorcelées ; elles se retrouvaient alors à la tête d’encomiendas, les coudées franches, riches et libres de leurs corps »31. À la croisée de leur parentèle inca et de leurs concubins espagnols, les femmes incas nobles purent aussi manipuler les alliances matrimoniales de leurs filles métisses32.

  • 33 Stoler 1989 : 639.
  • 34 Stoler 1989 : 640-641.

12Les logiques ici décrites pour les hommes et les femmes incas, les conquistadors et la Couronne sont bien éloignées des interprétations proposées par les travaux d’Ann Laura Stoler sur les empires français, anglais et néerlandais du xixe siècle en Asie. Selon elle, si la pornographie fit très tôt des tropiques un lieu de fantasmes érotiques, dans la réalité, les pratiques étaient très surveillées. En effet, les administrateurs coloniaux avaient une conscience aigüe des effets bien réels de la domination sexuelle comme métaphore sociale de la suprématie européenne. Plusieurs configurations qui pouvaient devenir autant d’étapes furent mises en place. Au départ, le concubinage avec les femmes locales stabilisait suffisamment mais point trop les militaires, tout en permettant leur entretien à moindre coût. Le prestige colonial en sortait également renforcé, évitant l’afflux de femmes blanches, lesquelles, potentiellement, pouvaient se retrouver soumises à des locaux. La restriction à l’émigration de femmes européennes aux colonies, et le refus d’employer des hommes européens mâles déjà mariés étaient les règles dominantes. Le mariage était réservé à l’officier, les baraquements et le concubinage étaient institués pour les recrues. Ce système évitait également la constitution d’un prolétariat blanc, qui aurait risqué de ternir l’image d’une naturelle supériorité et civilité de l’homme blanc. Toutefois, le « concubinage fonctionnait tant que la suprématie de l’homme blanc était claire. Lorsqu’il apparaissait être en danger, vulnérable ou moins convaincant (…), les élites coloniales répondaient en clarifiant les valeurs culturelles de leur prestige et les prémisses morales de leur unité. Le concubinage était remplacé par un accès contrôlé au sexe grâce à des moyens politiquement plus sûrs : la prostitution ou le mariage avec des femmes européennes « pur sang »33. L’arrivée des femmes blanches marquait alors de profonds changements : elle obligeait au raffinement, à la réaffirmation des frontières raciales, au réaménagement des quartiers et des maisons, etc. Mais plus encore, leur présence imposait qu’elles soient protégées. Les hommes colonisés étaient supposés avoir une sexualité sauvage nécessairement dirigée vers les femmes blanches. Parfois ce péril était visible dans les lois promulguées pour châtier le viol des femmes blanches. Mais l’abus sexuel des femmes noires par des blancs, n’était pas classé comme viol, ni poursuivi. L’anxiété par rapport au viol des femmes blanches n’était pas corrélé à la réalité : elle affleurait lorsque l’ensemble du système colonial était menacé34.

13Ici, la focalisation sur les logiques des différents agents de la colonisation et sur les femmes blanches permet de mieux comprendre le système de la domination coloniale. En revanche, les distinctions des colonisés entre alliés et rebelles, entre nobles et peuple s’effacent. L’intérêt porté aux conceptions locales du mariage et de la division sexuelle des espaces domestiques et des tâches disparaît. Les disparités d’intérêts entre hommes d’armes et religieux, vieux conquérants et nouveaux administrateurs venus de métropole ne sont plus pertinentes. Réalités historiques différentes ? Effets de sources ? ou logiques interprétatives ? continuons à examiner la question concernant les fils et filles des premières unions mixtes coloniales.

Métis et métisse : un traitement différencié ?

  • 35 L’illégitimité des enfants de parents aisés et espagnols était gérée de plusieurs manières : grosse (...)

14La comparaison entre l’Amérique du xvie et l’Asie du xixe-xxe siècles fait ressortir trois points communs : le métissage n’est problématique que dans la mesure où il se double d’illégitimité et de ressources économiques et sociales limitées chez les géniteurs. Ensuite, le sort des métis dépend de la manière dont les sociétés conquérantes et conquises ont l’habitude de penser et régler le sort de ceux qu’ils considèrent comme des bâtards35. Deuxième point commun : métis et métisses reçoivent un traitement différent. Troisièmement, le métissage entre vainqueurs et vaincus induit une progressive racialisation, au sens biologique et phénotypique du terme, de la nature des séparations entre les uns et les autres.

  • 36 Significativement, Jean Paul Zuñiga (1999 : 445-447) ne donne que des exemples de filles métisses l (...)
  • 37 Zuñiga 1999 : 447 note 87.

15Le sort des enfants illégitimes et métis de hauts lignages en Amérique semble comparable à celui des bâtards des Seigneurs de Castille des xve et xvie siècles : ils portent le nom de leurs pères, leurs parrains sont souvent des hidalgos, ils peuvent être élevés au foyer paternel et recevoir une part d’héritage. Les filles en particulier sont mariées avec soin à des hommes espagnols, quitte à ce qu’ils soient peu fortunés36. Pour les enfants issus de milieux modestes ou indésirables dans les bonnes familles, une autre pratique espagnole fut reprise en sol américain : l’abandon d’enfant permettait en Espagne de faire tabula rasa sur son ascendance : tout enfant trouvé étant réputé de pur sang chrétien. De même, « à Santiago, au xviie siècle, tous les enfants abandonnés (près de 25 % de toutes les naissances au milieu du xviie siècle) étaient inscrits dans le livre des Espagnols »37.

  • 38 Burns 1998.
  • 39 Burns 1998 : 9.

16Les conquistadores, devenus encomenderos, empruntèrent des voies différentes pour donner une place de choix à leurs filles et fils métis. Ce fait donne lieu à l’un des seuls articles, celui de Kathryn Burns, qui articule explicitement et de manière centrale le genre et le métissage38 : à Cuzco, en 1551, c’est-à-dire à peine vingt ans après leur arrivée, les conquérants posèrent leurs armes quelques instants et décidèrent d’acheter un terrain pour y fonder un couvent. Fait significatif, ce couvent répondait à des nécessités et fut financé par des fonds locaux. L’objectif, tel que justifié à l’époque, était de remediar (sauver) les mestizas, filles des Espagnols décédés au combat. La virginité des métisses avait plus d’importance que celle des métis pour préserver les lignages catholiques. En effet elles étaient appelées à tenir la position et le rôle de femmes espagnoles chrétiennes. Il fallait à tout prix les extraire de l’influence de leurs mères inca pour les gagner à la foi de leurs pères. Elles étaient appelées à jouer un rôle clé dans la reproduction de la foi chrétienne. Preuve que l’évangélisation n’était pas seulement pensée par le biais de la pénétration et de la conversion mais aussi de la reproduction. La construction sociale de la figure du fils métis s’inscrit à l’opposé de celle de la fille métisse : il devient le rival, l’autre dangereux39. Dès les années 1540, les rapports et lettres à la couronne commencent en effet à faire apparaître une crainte paranoïaque envers ces métis réputés turbulents.

  • 40 Burns 1998 : 13.

17La nécessité pour les conquistadors d’assurer l’avenir de leurs filles métisses, devenait d’autant plus pressant qu’à la même époque, la couronne espagnole leur enjoignait de se marier légalement avec des femmes espagnoles, sous peine de perdre leurs encomiendas. La couronne recommandait aussi de placer les femmes indiennes sous la protection de femmes espagnoles mariées « pour qu’elles apprennent les bonnes coutumes et puissent se marier et servir Dieu »40. Or accepter dans un couvent des enfants illégitimes, de sang mêlé et de statut indéterminé n’était pas courant. Les encomenderos ont donc pris un soin tout particulier pour donner à leurs filles métisses une place respectable. Ils confiaient directement leurs filles ou faisaient rechercher dans les villages indiens celles de leurs compagnons décédés. Les pères payaient alors des subsides. Fait significatif : si les renseignements sur les pères sont consignés dans les registres, rien n’est reporté concernant les mères. Des jeunes filles espagnoles désargentées étaient aussi admises, « pour que le couvent gagne en autorité » : ce sont les termes utilisés à l’époque par l’abbesse, une veuve espagnole.

18Cela nous conduit à un troisième point : la racialisation progressive des relations Indiens/Espagnols. En 1565, les encomenderos firent connaître leur mécontentement envers l’abbesse. Ils réprouvaient la distinction que celle-ci opérait entre les voiles noirs et blancs. Le voile noir, qui en Espagne était le signe des professes, fut en effet réservé aux Espagnoles tandis que le blanc, affecté en principe aux novices et aux servantes fut assigné au métisses. Comme si ces dernières ne pouvaient être que d’éternelles novices ou naturelles servantes. La distinction fut un temps abolie sous la pression des encomenderos. Mais la diminution progressive de leur pouvoir allait affaiblir celui de leurs filles métisses, aux subsides et dots moins attractives : la distinction de voile fut rétablie et maintenue pendant des siècles entre religieuses espagnoles et métisses. Les Espagnoles désargentées, eurent raison des riches métisses.

19Ce remarquable article, unique et central sur le genre des enfants métis dans les Amériques, ne prend cependant pas en compte les traditions précolombiennes, encore opérantes en 1550. Or la réclusion des femmes correspondait à certains idéaux incas. L’effet de source est ici prépondérant : comme le souligne Kathryn Burns, presque rien n’est dit des mères des métisses admises dans les murs du couvent. La réflexion pourrait être poursuivie, en cherchant d’autres sources, sur les transferts culturels mutuels des modèles de féminité, de masculinité, de couple, de famille dans les premières décennies de la conquête.

  • 41 Saada 2007 : 15.
  • 42 Saada 2007 : 30-31.
  • 43 Saada 2007 : 46.

20L’Indochine française des xixe et xxe siècles, étudiée par Emmanuelle Saada, semble à première vue offrir un cas opposé au Pérou du xvie siècle puisque c’est le sort des « garçons métis » qui semble importer d’avantage aux acteurs que celui des filles : « La question des métis est de genre masculin parce qu’elle met surtout en cause la reproduction de la citoyenneté française en situation coloniale »41. Mais avant de creuser les différences, voyons les points communs avec la situation américaine. Tout d’abord, le problème métis ne concerne que les enfants illégitimes, non reconnus puis abandonnés, car ils suivent alors le statut indigène de leur mère »42. La situation atypique des enfants nés d’une mère française et d’un père indigène est cependant très éclairante : on aurait du appliquer le principe de la filiation patrilinéaire et les considérer comme indigènes. Mais, « depuis la fin du xixe siècle, la jurisprudence coloniale considère que l’enfant né d’une femme française et d’un indigène est toujours citoyen français »43. Aux colonies, la femme française ne perdait pas sa nationalité en se mariant avec un indigène et, d’une certaine manière, elle exerçait la puissance paternelle. Les pères indigènes étaient encouragés à ne pas reconnaître leurs enfants. Les sources probablement moins prolixes sur cette situation atypique conduisent l’auteur à ne pas y revenir par la suite dans l’ouvrage.

  • 44 L’attachement et le soin des parents envers leurs enfants métis qui transparaissent dans quelques s (...)
  • 45 Saada 2007 : 31.

21Le traitement colonial de la question métisse est traversé par des questions de genre, même si finalement, l’auteur ne mène pas d’analyse systématique. L’idée qui s’impose pour/par les administrateurs coloniaux et philanthropes est que les métissages unissent les éléments les plus médiocres de la population, que les pères sont des légionnaires inconséquents et que les mères sont dévergondées et n’ont pas les moyens de bien élever leurs enfants44. Les métis naturels, qui ne sont inscrits dans aucun état civil, ni français ni indigène, seraient des déracinés, des hors-la-loi, et de potentielles « épaves ». Leur tempérament est rapproché de celui du déclassé dont le prototype est l’ouvrier autodidacte, le mulâtre vaniteux qui refuse les métiers manuels sans pouvoir accéder aux métiers intellectuels. Ils craignent que le métis, frustré de toute part, méprisé alors qu’il a des aspirations liées à son sang de Français et à son début d’éducation par son père ne nourrisse du ressentiment à l’égard des colonisateurs et ne soit le ferment de grandes révoltes. Craignant également le mépris que les Annamites auraient envers des pères irresponsables, ils redoutent de voir un Eurasien blond employé comme domestique par un Indigène. « La version féminine du déclassement déplace l’orgueil du sang vers les profits attendus du capital corporel puisque les corps des métisses occupent une place de choix au panthéon des fantasmes coloniaux »45. Les notables imaginent volontiers une mère maquerelle qui vendrait le corps de sa fille métisse aux Chinois, Européens et autres hommes de passage. Il s’agit d’imaginaires, car en réalité les métis participent plutôt de la reproduction de l’ordre colonial. Mais ce que les hommes pensent être réel, est bien réel dans ses conséquences.

  • 46 Saada 2007 : 33.

22Comme dans le cas américain, la réflexion de l’époque sur le sort des filles et garçons métis induit une racialisation des relations conquérant/conquis. Peu à peu la race cesse d’être considérée comme étant une propriété familiale, pour devenir un attribut collectif de la nation, enjeu d’intervention de l’État : « la race, Messieurs, c’est la noblesse des peuples et plus encore que noblesse, race oblige ». Mais par « race », ils entendaient non seulement « des caractères physiques », mais aussi l’éducation, la vie dans un milieu européen, le service militaire, l’emploi en tant qu’européen et le fait d’avoir toujours été reconnu de « race franco-indigène » par la société46.

23Les similitudes entre les cas américains du xvie et indochinois du xixe sont très instructives.

24Le « problème » des filles et des fils métis est posé selon les mêmes termes (corps féminin en péril/loyauté politique indéterminée des garçons). Il est « résolu » par la mise au couvent des filles dans un cas et par l’enfermement dans des pensionnats pour filles et garçons dans l’autre. Surtout, au cours de ce processus, une racialisation des relations colons/colonisés s’opère. Mais les comparaisons entre les situations asiatiques et américaines s’arrêtent désormais. La durée des empires espagnols et portugais dépasse largement celle des empires britanniques et français, donnant lieu à des situations incomparables.

Les femmes dans les tableaux de castas au xviiiesiècle dans les Amériques

  • 47 Seed 1988.
  • 48 Pour l’Europe, Goody (1985) a montré que l’intérêt manifesté par l’Église pour le libre choix du co (...)
  • 49 Stolke 2006.
  • 50 Rodríguez 1991.

25Dans les Amériques, de la fin du xvie siècle jusqu’à la fin du xviie la question métisse semble ne plus se poser. De fait, les métis sont absorbés par l’un ou l’autre secteur de la population. Puis, lorsqu’ils ont, à leur tour, des enfants, dans un cadre légitime, la question de la place de leurs enfants semblerait être moins problématique. De plus, l’Église47, qui contrôle le mariage, appuie le libre de choix des conjoints48, souvent contre la volonté de familles, qui cherchent avant tout à préserver lignages et héritages. Concrètement elle appuie les promesses de mariage, même verbales, avant toute union sexuelle, et pratique les mariages secrets. Le changement de dynastie au tournant du xviiie siècle, avec l’installation des Bourbons au pouvoir, correspond à une mise en ordre selon un mélange paradoxal de valeurs conservatrices et de nouveaux principes issus des Lumières49 : il s’agit moins de classer les hommes selon les lois divines que de manière rationnelle selon leurs caractéristiques individuelles naturelles. En 1779, la couronne sonne le repli de l’Église dans la gestion du mariage et donne légalement les moyens aux parents de s’opposer au mariage inégal de leur progéniture. Les parents des élites mais aussi des secteurs subalternes – métis qui cherchent à se préserver des mulâtres, noirs et Indiens50 – s’en serviront pour tenter de s’opposer à certaines unions. À cette époque, le terme casta, au départ synonyme de lignage noble ou pur, appliqué aux humains et aux animaux, change radicalement de sens pour désigner le petit peuple métissé des villes du Nouveau Monde. Stigmatisant, ce terme dit le désordre occasionné par les unions ayant lieu entre les trois nations (espagnole, indienne et noire) dont on pensait au xviiie qu’elles devaient rester séparées.

  • 51 La référence principale sur le sujet est Katzew 1996.
  • 52 Peintures hollandaises en vogue au xviie siècle, et mode de la représentation des classes populaire (...)
  • 53 Caillavet et Minchom 1992.
  • 54 Velázquez 2006.
  • 55 Velázquez 2006 : 458-463.
  • 56 Estenssoro 1999.
  • 57 Estenssoro 1999 : 73.

26Les tableaux de castas du Mexique et du Pérou51, dont le plus ancien remonte à la fin du xviie siècle et les copies les plus tardives au dernier quart du xviiie siècle, témoignent de la sensibilité visuelle des élites envers ces mélanges et leur tentative pour les mettre en ordre. Tableaux de mœurs et de natures mortes52, destinés à un public européen, ils montrent le glissement d’une conception morale à une conception phénotypique de la race. Les tableaux de castas représentent généralement seize scènes intimes familiales, quotidiennes et domestiques, plus fréquemment citadines que rurales. Le plus souvent, chaque scène est associée à des métiers, des vêtements différenciés suivant le rang social, à des fruits, à une faune et une flore « typiques ». En haut à gauche, se situent les races les plus pures et les plus blanches pour terminer par les races les plus mélangées et colorées en bas à droite. Cet exercice de classification dépasse de très loin les usages linguistiques locaux53 qui étaient beaucoup plus restreints : espagnol, indien, noir, mulâtre, plus rarement métis, zambo et quarteron. L’ouvrage de María Elisa Velázquez, consacré aux femmes d’origine africaine de Mexico au xviie et xviiie siècles présente la première analyse de la place des femmes dans ces tableaux54 : dominent les couples où le différentiel de couleur confère plus de blancheur à l’homme et de couleur à la femme. La domination de genre est redoublée par la domination socio-raciale. Mais la plupart des femmes noires et mulâtres portent des bijoux et des vêtements luxueux, tout du moins soignés. Les femmes noires sont toujours mises en relation avec la cuisine : aux fourneaux ou à la vente ambulante, tandis que les femmes mulâtres sont davantage associées aux activités ludiques, voire festives. Mais certaines femmes noires sont représentées comme ayant sous leurs ordres des femmes métisses. Les femmes noires et mulâtres – jamais les Indiennes ou les métisses – préparent le chocolat – associé à l’ensorcellement amoureux – et leur petit mulâtre aide le père à fumer ou priser du tabac, signe ambiguë de distinction et de vice. Mais ce qui frappe le plus est la manière dont certains tempéraments sont associés à la couleur de peau : le blanc est dit habile, hautain et orgueilleux ; la noire est présumée audacieuse, osée, élégante, pleine d’esprit et hardie, au tempérament fort, voire sauvage ; la mulâtre, combinant les deux, est peinte comme arrogante, pleine de suffisance et de dédain55. Le caractère altier et emporté – désobéissant – des noires et des mulâtres transparaît dans de nombreux tableaux : leurs visages expriment des reproches envers leur conjoint et s’accompagnent parfois de gestes menaçants, au moyen d’une cuillère ou d’un moulin à chocolat. La volonté de mettre en garde les Espagnols contre les unions mixtes avec des femmes noires est très claire. Les Indiennes et métisses apparaissent plus proches de l’idéal féminin de l’époque : chastes, vertueuses (pas de chocolat ni de tabac dans les scènes) et soumises. Comme le souligne Juan Carlos Estenssoro56, une analyse plus générale des relations entre hommes et femmes dans ces tableaux de castas, comparant ceux du Mexique et du Pérou reste à faire. Autrement dit, si ces tableaux marquent une nette prise en compte du phénotype, surtout par rapport aux sensibilités du début du xviie siècle57, celle-ci s’articule encore à des considérations d’ordre politique, économique et moral : des caractéristiques qui, si elles peuvent être transmises le long des générations, restent de l’ordre de l’acquis et non de l’inné.

Les États-Nations et la place des femmes dans les idéologies du métissage (1845-1959)

  • 58 Townsend 1997 montre ainsi que dans les actes notariés, l’auto-désignation la plus courante dans le (...)

27Paradoxalement, vers la fin des années 1780, l’ébullition des sensibilités à l’égard des métissages semble retomber soudainement. Comme si le métissage généralisé rendait vains tous les désirs de mise en ordre autour de trois nations séparées. Les élites s’acheminent peu à peu vers une conception autre de leur société : devant l’échec du maintien des séparations, elles commencent à élaborer l’image d’une seule nation, marquée par des contraintes physiques communes : mêmes sol, climat et nourriture. Preuve que la sensibilité aux métissages est intimement corrélée à la sensibilité aux frontières, limites et séparations. Parallèlement, dans un silence relatif, parmi les secteurs populaires des villes, les femmes, chefs de famille de foyers matrifocaux contribuent à la multiplication des métis58.

28Simon Bolívar fait alors du métissage une des caractéristiques du continent sud-américain autant par contraste avec la situation nord-américaine que par opposition avec la métropole espagnole dont il s’agit de se dégager pour gagner les Indépendances nationales. Dans un discours de 1819, il rappelle :

  • 59 Traduit et souligné par nos soins : Discours d’Angostura, prononcé devant le Congrès du Venezuela l (...)

« nous ne sommes ni Européens, ni Indiens, mais une espèce intermédiaire entre les Indigènes et les Espagnols. Américains par naissance et Européens de droit, nous nous trouvons dans un conflit : disputer aux naturels leurs titres de possession et nous maintenir dans le pays qui nous vit naître contre l’opposition des envahisseurs. (…) Notre peuple n’est pas l’Européen, ni le Nord-américain, mais plutôt un mélange d’Afrique et d’Amérique qu’une émanation de l’Europe ; l’Espagne elle-même est loin d’être européenne, par son sang africain, ses institutions et son caractère. Il est impossible de nous assigner correctement une famille humaine. La majeure partie de l’indigène a été anéantie, l’Européen s’est mélangé avec l’Américain et l’Africain et celui-ci s’est mélangé à l’Indien et à l’Européen. Tous nés d’une même mère, nos pères, différents par leur origine et leur sang, sont étrangers et diffèrent visiblement par leur épiderme. Cette non similitude implique un défi de la plus grande transcendance »59.

  • 60 Sur le genre de la nation et de l’État voir Auslander et Zancarini Fournel 2000. Sur la maternité, (...)

29Que fait ici cette mère, Une, au milieu de tant de différences, voire de confusions ? La tournure de ces phrases donne à penser qu’elle est indigène puisque les hommes sont étrangers. Nous voyons à nouveau l’invisibilisation des hommes indigènes s’opérer tandis que la femme devient à elle seule symbole de l’indianité. Elle préfigure la femme-mère comme métaphore de la nation, tandis que les hommes – divisés en actifs et passifs chez Bolivar – sont le corps électoral, l’État60. Du même coup, la femme « autochtonisée »est passive et située en dehors de l’État, tandis que les hommes « dés-autochtonisés » sont, vu leur hétérogénéité, scindés en actifs et passifs.

  • 61 Sur la question de la race en Amérique latine à la fin du xixe, voir Graham 1990 et pour une biblio (...)
  • 62 Martínez 1998.
  • 63 Castro Gomez 2007.

30Hormis Bolivar, dont il faudrait ré-analyser les discours – nous n’avons fait que donner des pistes – pour mieux comprendre les rôles qu’il attribue aux hommes, aux femmes et aux métis dans les imaginaires nationaux en construction, ils sont cependant peu nombreux ceux qui parlent de métissage en cette première moitié du xixe siècle. Il faut attendre les années 1860 pour que la question ressurgisse sous les auspices des théories racistes et évolutionnistes. Malheureusement peu étudiée sous l’angle du genre alors qu’elle lui est consubstantielle, la question est aujourd’hui traitée par de nombreuses publications61, que nous pouvons résumer comme suit. Les penseurs européens des années 1840-1900, considèrent alors plutôt que les croisements de races sont nécessairement stériles et dégénérés. Certains intellectuels latino-américains, préoccupés par les progrès économiques et politiques de leurs nations, répondent alors : ils sont prolifiques et permettent une amélioration de la race. La relation archétypale qu’ils ont en tête est celle de l’union d’un homme blanc, européen – du Nord de préférence – fraîchement débarqué sur le sol du Nouveau Monde, avec une femme autochtone. L’enfant, argumentent-ils, hérite alors essentiellement des propriétés de son père, éliminant les mauvaises mais faibles influences de sa mère. Ainsi le métissage est pensé comme un blanchiment de la population, via des géniteurs blancs. Mais pourquoi le blanc ne peut être pollué ou contaminé tandis que les colorés sont nécessairement blanchis ? parce que les unions ne mettent pas en jeu la femme blanche/l’homme de couleur, lesquels ne sont évoqués que par la négative62. Ces auteurs optimistes devant le mélange racial partent d’une prémisse qui, même à l’époque, n’est pas consensuelle : ils voient dans la race une donnée non modifiable par la culture ou la société. Pour remédier au mauvais mélange de mauvaises races, il faut apporter du sang blanc. Il faut favoriser l’immigration européenne. D’autres intellectuels, au contraire, voient dans le mauvais état sanitaire et le manque de travail les raisons de la dégénérescence. Pour ces derniers, il faut donc éduquer et réprimer, en un mot discipliner, pour améliorer la race63.

  • 64 Martínez 1998.
  • 65 Miller 2004.
  • 66 Manifesto antropófago, 1928.
  • 67 Pour une mise au point voir Moutinho 2004.
  • 68 Radcliffe 1999. Voir aussi De la Fuente 1999 : à Cuba l’idéologie du métissage a permis d’accorder (...)

31Or, à partir des années 1920, la question du métissage passe du discours médical et anthropologique à la littérature. Une « culturalisation des discours raciaux »64 s’opère : le métissage devient le « trope » de différentes nations (Mexique, Cuba, Brésil, Paraguay). Toutefois, l’analyse du genre dans ces discours reste à faire et nous ne pouvons proposer que quelques pistes. Au Mexique, Vasconcelos publie en 1926, la Race cosmique où il prône l’avènement d’une cinquième race, métisse, celle du latino-américain. Cette race est culturelle et positive, même s’il peut écrire que « les types inférieurs des espèces seront absorbés par les supérieurs »65. Significativement, à la même époque au Paraguay, Manuel Dominguez publie El Alma de la Raza : là encore l’idée est que, même si les corps ne sont pas tous métis, l’âme nationale est essentiellement métisse. Dans une mouvance surréaliste d’une toute autre sensibilité, le mouvement anthropophagique des années 1920 au Brésil proclame au contraire le caractère essentiellement subversif de l’anthropophagie culturelle qui consiste à absorber tout élément provenant d’Europe dans une matrice tour à tour tupi et africaine. L’ironie extraordinaire des textes d’Oswaldo de Andrade66 entre en contraste avec la manière dont nombre d’auteurs brésiliens – Gilberto Freyre avec Casa grande e Senzala (1936) par exemple – vont situer la naissance de la nation brésilienne dans le lit de l’homme blanc et de son esclave et maîtresse noire, donnant naissance à la figure emblématique de la nation brésilienne sous les traits de la femme mulâtre, libre, de son corps surtout. Le redoublement de la domination de genre et de race semble l’évidence de la nation brésilienne, tandis que la relation entre la femme blanche et l’homme noir reste un tabou, un non dit67. Il faudrait désormais comparer les genres de ces idéologies métisses nationales (l’homme métis paraguayen, la mulâtre brésilienne, le duo de femmes mexicaines : la Vierge métisse de Guadalupe et l’indienne traîtresse Malinche) opposés au mythe de la captive, femme blanche prisonnière des Indiens (trope argentin et nord-américain qui dit l’échec de tout métissage avec les Indiens des frontières). Comme certains travaux commencent aussi à le faire, il s’agirait de comprendre comment ces mythes furent et continuent à être incorporés par les couches subalternes. Par exemple68, dans un quartier de classe moyenne à bas revenus de Quito, les hommes se disent plus volontiers métis et les femmes s’auto-définissent plus facilement comme blanches. L’intériorisation du discours sur le métissage – blanchiment – de la nation équatorienne véhiculée par l’armée et l’école, associée à la sélection par le marché du travail des plus blancs des hommes noirs et indiens conduisent les hommes à déclarer sans ambages leur métissage. Se présenter comme un homme métis, c’est souvent aussi se démarquer du machisme et valoriser leur goût du travail. Les femmes quant à elles, lorsqu’elles parlent de leur appartenance à la race blanche, se distinguent alors des femmes indiennes et noires à la progéniture sans nombre qui menacent l’intégrité physique de la nation, que celle-ci résulte d’une sexualité débridée ou violentée. Être mariée en tant que femme blanche avec un homme métis signifie une sexualité respectable et des enfants conformes à l’imaginaire national.

La déconstruction des idéologies nationales métisses

  • 69 Beck and Mijeski. 2000 ; Gould 1996 montre pour le Nicaragua que l’idéologie du métissage passait p (...)
  • 70 Gros 2000.
  • 71 Goldstein1999.

32Nous assistons aujourd’hui dans toute l’Amérique latine à une déconstruction des mythes du métissage par de nombreux universitaires69. Elle est corrélée à une montée en puissance des idéaux multiculturels que nous ne pouvons détailler ici70. Le débat est particulièrement virulent à Cuba et au Brésil. Le mythe fonctionnerait de la manière suivante : l’érotisme interracial prouverait que le Brésil n’est pas un pays raciste. Mais il détournerait du même coup les noirs du militantisme afrobrésilien pour s’adonner à des stratégies de blanchiment, économiques et sociaux via des relations sexuelles interraciales. Donna Goldstein71, dans un article ethnographique, nous permet de mieux comprendre comment le mythe a été incorporé par les femmes métisses noires des quartiers populaires : il prend la forme de la Cendrillon noire qui séduit un homme plus âgé, plus riche et généralement plus blanc, ironiquement appelé coroa, couronne. La femme qui y parvient donne le golpe do bau, remporte le gros lot. Leurs employeurs qui succombent à leurs charmes ne sont pas racistes, disent-elles, puisqu’ils les désirent et les touchent. Par ailleurs entre femmes preta (noire) et morena (mulâtre), elles commentent la plus ou moins grande beauté id est la blancheur de leurs enfants. Cependant elles ne considèrent pas que leurs propos sont racistes puisque tous, elles comme leurs enfants, sont le résultat d’unions interraciales. Le mythe de la Cendrillon noire consommerait tant d’énergie de la part des femmes noires aux bas revenus que cela les détournerait de s’investir dans des mouvements pour la promotion de leurs droits.

  • 72 Moutinho2004.

33L’ouvrage de Laura Moutinho72 croise des analyses statistiques, qualitatives mais aussi comparatives, entre le Brésil et l’Afrique du Sud. Elle montre comment la gestion de la sexualité et du désir interracial fonde la construction de ces deux nations : la première institutionnalise l’union homme blanc/femme de couleur et la deuxième interdit toute union raciale, en particulier celle de l’homme de couleur avec la femme blanche. Dans les deux cas, des individus franchissent les barrières tandis que les hiérarchisations se maintiennent, que ce soit par l’incorporation sexuelle des seules femmes ou par l’exclusion des deux sexes subalternes. Mais Laura Moutinho confronte aussi le mythe national à la réalité actuelle et montre que les mariages interraciaux sont moins nombreux que la population brésilienne ne le pense : 80 % des unions sont endogames, à l’intérieur d’un même groupe de couleur. Et parmi les mariages exogames, les unions entre hommes de couleur et femmes blanches prédominent. Dans les entretiens réalisés, les femmes blanches décrivent leur compagnon noir comme plus chaud et viril que l’homme blanc : du point de vue érotique, l’opposition binaire nature/culture prend une tournure positive pour l’homme de couleur. L’homme noir en parlant de l’attraction exercée par la femme blanche rejette la double accusation, d’intérêt social et de trahison envers ses frères de couleur. De fait, ces unions, en particulier dans les milieux les plus défavorisés, souffriraient davantage des préjugés sociaux.

  • 73 Voir le numéro de revue coordonné par Hale 1996, en particulier les articles de Smith et Mallon, ai (...)
  • 74 Araujo Pinho 2004.

34La dénonciation, déconstruction et relativisation des mythes du métissage, visible bien au-delà du Brésil73, n’est pas seulement d’ordre universitaire. Elle s’accompagne de mouvements culturels d’africanisation. Ils puisent une partie de leur imaginaire dans la culture black funk soul des États-Unis et produisent à leur tour de nouvelles figures : celle du jeune brau hypersexualisé et agressif accompagné de sa beleza negra, hyperféminisée elle aussi74.

Conclusion : la Chicana, nouveau visage de la métisse latino-américaine

35Tout au long de cet état de la recherche, qui dresse autant un bilan qu’il ouvre des pistes, nous avons suivi la manière dont ont été construites les frontières et les hiérarchies entre les groupes (« nations », castas et race) à l’aide des catégories de genre : par féminisation des subalternes et invisibilisation des hommes subalternes, par masculinisation des dominants et invisibilisation des femmes dominantes. L’effacement des frontières par métissage a impliqué alors des remaniements autant dans les identités de genre que de « race ». Cet effacement n’a pas signé la fin des hiérarchies, mais les a au contraire renforcées tout en les démultipliant. La récente dénonciation des mythes du métissage, associée à la montée des mouvements indigènes et afro-sud-américains s’accompagne aussi de bouleversements dans les identités de genre.

  • 75 Terme déjà utilisé par les élites mexicaines pour exprimer leur désarroi pendant les années qui sui (...)

36L’Amérique latine se rapprocherait en quelque sorte du modèle nord-américain, au moment même où les États-Unis commencent à faire une place aux mixed blood dans leur recensement de 2000 et reviennent sur leurs politiques de quotas dans les universités. Ce faisant, une nouvelle figure de la femme métisse latino-américaine prend son essor : celle de la chicana à la frontière nord-américaine. En ce sens, la notoriété de la chicana Gloria Anzaldúa auprès des études postcoloniales féministes contraste avec la méconnaissance totale que nous en avons en France. Son ouvrage Borderlands/La frontera : The New Mestiza est une auto-histoire bilingue qui reprend – en la déformant – la figure de la race cosmique de Vasconcelos. Cherchant à dépasser les frontières entre le Mexique et les États-Unis mais aussi les frontières de genre, de race, de classe et d’orientation sexuelle, elle s’inspire de traditions et d’expressions nahuatl comme catholiques : le mouvement de transgression de ces frontières conduit selon elle à un état nepantla75, mot nahuatl signifiant « lieu du milieu » à partir duquel peut se construire la conscience de la métisse : subjectivités multiples et inquiétude psychique qui s’expriment chez elle dans des poèmes bilingues, anglais/espagnol. Cette figure émergeante de la métisse sud-américaine permettra sans doute de revisiter le passé avec de nouvelles interrogations.

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Notes

1 Anthropologue et spécialiste du guarani (Paraguay), je connais mieux la bibliographie hispanophone que lusophone. Par ailleurs, je me familiarise peu à peu avec la bibliographie antillaise. Je remercie mes collègues ainsi que les étudiants de mon séminaire Métissages à l’IHEAL pour leurs réflexions et indications. Pour une bibliographie collective et évolutive, voir Boidin et al 2007.

2 Young 1995.

3 Amselle 2002. L’impact des discours scientifiques sur les pratiques coloniales reste à démontrer : Saada 2007.

4 Graham 1990 et Schwarcz 1993. Loin d’avoir « reçu » les points de vue biologiques sur la race, systématisés en Europe à partir de la deuxième moitié du xixe, l’Amérique latine a participé à leur formation et au débat.

5 Zuñiga 1999.

6 Quijano 2005.

7 Dorlin 2006.

8 La démarche complémentaire reste à entreprendre mais paraît être moins prometteuse. De fait, le travail de référence établi par Anne Pérotin-Dumon (2001) ou la récente Histoire des femmes en Amérique latine, (Morant 2005/2006), proposent un nombre très limité de travaux directement liés au métissage. Montecinos 1995 ; Rodríguez 1991 ; Arze, Cajías et Medinacelli 1997 ; Townsend 1997.

9 Terme proposé par la démarche socio-historique de Saada 2007.

10 Glissant 1997.

11 Bernabe, Chamoiseau et Confiant 1993.

12 Hannerz1993.

13 Bhabha 1994.

14 Bhabha 1994 : 86.

15 Young 1995.

16 Todorov 1986.

17 Par opposition aux théories misérabilistes. Grignon et Passeron 1989.

18 Spivak 1985.

19 Stoler 1989.

20 Stoler 2002.

21 McClintock 1995.

22 L’imaginaire des conquistadors était aussi fasciné par les pratiques dites sodomites des Indiens comme par le mythe des Amazones. Voir Ragon 1992.

23 Young 1995 : 25.

24 Voir les analyses et critiques de Fanon 1952.

25 Saada 2007.

26 Rosenblat 1954, Mörner 1971, Esteva-Fabregat 1995, Bernand et Gruzinski 1993.

27 Bernand et Gruzinski 1991 et 1993.

28 Depuis une vingtaine d’années les études sur la famille, la sexualité et les femmes dans les Amériques se sont multipliées. Les ouvrages qui tangentiellement abordent davantage la question du genre et du métissage sont Arrom Silvia 1988 ; Twinam Ann 1999 ; Lavrin Asunción (ed.) 1991 ; Dueñas Vargas 1995.

29 Bernand et Gruzinski 1993 : 41.

30 Bernand et Gruzinski 1993 : 41-42.

31 Bernand et Gruzinski 1993 : 57.

32 Bernand et Gruzinski 1993 : 57-58.

33 Stoler 1989 : 639.

34 Stoler 1989 : 640-641.

35 L’illégitimité des enfants de parents aisés et espagnols était gérée de plusieurs manières : grossesse et accouchement secrets, inscription dans les registres de baptêmes sous le seul nom du père (celui de la mère était évité pour sauvegarder son honneur de femme non mariée) puis éducation de l’enfant comme « adopté » dans la maison de la propre mère ou d’un parent : Twinam 1991.

36 Significativement, Jean Paul Zuñiga (1999 : 445-447) ne donne que des exemples de filles métisses légitimées par leur père encomendero et insérées dans le marché matrimonial hispanique.

37 Zuñiga 1999 : 447 note 87.

38 Burns 1998.

39 Burns 1998 : 9.

40 Burns 1998 : 13.

41 Saada 2007 : 15.

42 Saada 2007 : 30-31.

43 Saada 2007 : 46.

44 L’attachement et le soin des parents envers leurs enfants métis qui transparaissent dans quelques sources, analysées par l’auteur, trahit le contraire.

45 Saada 2007 : 31.

46 Saada 2007 : 33.

47 Seed 1988.

48 Pour l’Europe, Goody (1985) a montré que l’intérêt manifesté par l’Église pour le libre choix du conjoint n’était pas gratuit. Associé à l’interdit du mariage des prêtres, à celui des mariages entre proches parents et à une réserve envers l’adoption, il participait d’une double stratégie : affaiblir ou éviter la formation de clans puissants tout en augmentant le patrimoine de l’Église.

49 Stolke 2006.

50 Rodríguez 1991.

51 La référence principale sur le sujet est Katzew 1996.

52 Peintures hollandaises en vogue au xviie siècle, et mode de la représentation des classes populaires en Europe au xviiie siècle. Voir Scott 2000.

53 Caillavet et Minchom 1992.

54 Velázquez 2006.

55 Velázquez 2006 : 458-463.

56 Estenssoro 1999.

57 Estenssoro 1999 : 73.

58 Townsend 1997 montre ainsi que dans les actes notariés, l’auto-désignation la plus courante dans les années 1820-1835 à Guayaquil (Équateur) est zambo, signifiant par là que les individus se reconnaissent tous une ascendance indienne et noire à quelque degré. Son article, précieux en ce sens, montre également l’agency, la marge de manœuvre et créativité des mères de métis.

59 Traduit et souligné par nos soins : Discours d’Angostura, prononcé devant le Congrès du Venezuela le 15 février 1819.

60 Sur le genre de la nation et de l’État voir Auslander et Zancarini Fournel 2000. Sur la maternité, voir Thébaud et Knibiehler 2005.

61 Sur la question de la race en Amérique latine à la fin du xixe, voir Graham 1990 et pour une bibliographie actualisée : Loveman 2006.

62 Martínez 1998.

63 Castro Gomez 2007.

64 Martínez 1998.

65 Miller 2004.

66 Manifesto antropófago, 1928.

67 Pour une mise au point voir Moutinho 2004.

68 Radcliffe 1999. Voir aussi De la Fuente 1999 : à Cuba l’idéologie du métissage a permis d’accorder le droit de vote à tous les hommes, noirs inclus.

69 Beck and Mijeski. 2000 ; Gould 1996 montre pour le Nicaragua que l’idéologie du métissage passait par une féminisation des Indiens. Nelson 1998, pour le Guatemala travaille l’articulation corps, genre et désirs dans le mythe national du métissage.

70 Gros 2000.

71 Goldstein1999.

72 Moutinho2004.

73 Voir le numéro de revue coordonné par Hale 1996, en particulier les articles de Smith et Mallon, ainsi que le numéro coordonné par Muteba Rahier 2003.

74 Araujo Pinho 2004.

75 Terme déjà utilisé par les élites mexicaines pour exprimer leur désarroi pendant les années qui suivirent la conquête. Voir Bernand et Gruzinski 1993.

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Pour citer cet article

Référence papier

Capucine Boidin, « Métissages et genre dans les Amériques : »Clio, 27 | 2008, 169-195.

Référence électronique

Capucine Boidin, « Métissages et genre dans les Amériques : »Clio [En ligne], 27 | 2008, mis en ligne le 05 juin 2010, consulté le 07 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/7492 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.7492

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Auteur

Capucine Boidin

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