Fanny COSANDEY, La Reine de France. Symbole et pouvoir, XVe-XVIIIe siècle, Paris, Gallimard, Collection « Bibliothèque des histoires », 2000, 414 p.
Texte intégral
1Issu d'une thèse, ce travail original et novateur est vite devenu une référence sur un thème jusqu'alors peu traité. En effet, il n'est pas ici question des personnalités, vies et actions historiques des différentes reines, mais de la place, du statut et du rôle institutionnel de la reine, personne royale féminine, de son inscription dans le système monarchique français. Spécialiste de l'absolutisme monarchique, Fanny Cosandey part d'un constat simple : alors que, sous l'influence de l'école cérémonialiste américaine, les études d'histoire politique se sont multipliées sur la personne du roi et sa dimension symbolique, la reine n'a pas retenu l'attention des historiens. S'appuyant pour l'essentiel sur les écrits des théoriciens de la monarchie (jurisconsultes, historiographes, cérémonialistes), elle comble ce vide et révèle bien le caractère paradoxal de la reine, tout à la fois sujette et souveraine, exclue du pouvoir et au cœur de l'État.
2Consacrée aux fondements juridiques, la première partie s'ouvre sur l'étude de la loi salique, particularité française dont, à la suite d'autres, F. Cosandey rappelle qu'elle a été élaborée dans le contexte des crises dynastiques du XIVe siècle pour éviter une investiture étrangère ; puis les juristes du XVe et de la fin du XVIe ont théorisé l'exclusion des femmes du trône et ont fait de la loi un mythe en la présentant comme une loi fondamentale du royaume, intemporelle et fondatrice. Seul le mariage avec un roi français permet donc à une femme de devenir reine de France. L'auteure en étudie les modalités (fiançailles, cérémonie…), notant qu'il est perçu comme un « acte de paix », dans lequel les femmes sont éléments de transaction entre puissances étrangères : paix (souvent illusoire) avec le pays d'origine de la nouvelle reine ; paix intérieure aussi grâce à la naissance d'un dauphin, la principale fonction de l'épouse royale étant de fournir une descendance, gage de stabilité monarchique. L'analyse juridique, politique et anthropologique du mariage révèle d'emblée toute l'ambiguïté de la femme du roi. Mariage chrétien, il fait des deux époux une seule chair, le roi communiquant à la reine sa dignité royale et une certaine dimension politique. Mais, à la différence de celui-ci, elle reste une personne privée et, remarque F. Cosandey, son contrat de mariage, qui stipule l'absence de communauté de biens - le roi n'ayant que l'usufruit du domaine -, l'écarte explicitement de l'héritage royal et donc de l'exercice du pouvoir. Sujette relevant du droit privé, sa Maison est cependant financée par le Domaine et ses gestes ont un caractère public.
3Après l'avoir définie juridiquement, F. Cosandey, dans une deuxième partie, s'intéresse à sa place symbolique dans les cérémonies royales, en s'attachant à repérer les écarts avec celle du roi. L'analyse comparée des sacres est particulièrement éloquente : moins ritualisé et ne se passant pas à Reims, celui de la reine n'est pas systématique et peut avoir lieu des années après son accession au trône. Participant à la dignité royale, mais à un degré moindre que son époux, elle communie sous les deux espèces, est ointe (à deux endroits seulement et pas avec le baume de la sainte ampoule), est dotée d'un petit sceptre, d'une couronne. Mais, exclue de la fonction souveraine, elle ne prête pas serment, ne reçoit ni les signes de l'autorité ni les habits sacerdotaux. Le sacre reflète bien la dualité de son statut : soulignant son caractère royal qui la place au-dessus de la société, il marque aussi les limites de sa position d'exception, signifiant qu'elle n'est pas investie du pouvoir. La dernière reine sacrée, Marie de Médicis, l'est en 1610. C'est également à partir du XVIIe siècle que la reine ne fait plus d'entrées royales seule, mais aux côtés du roi. Auparavant, elle entrait après lui dans les villes, où elle était reçue comme une « reine de paix et de maternité », protectrice maternelle de ses sujets, sans autorité propre mais intercesseur privilégié pour eux auprès du roi. À partir du moment où les entrées deviennent communes, elle est reléguée « dans l'ombre de son seigneur », dans une sphère inaccessible d'où « le roi gouverne (et) la reine contemple », apparaissant « désormais moins comme un intermédiaire entre le peuple et le monarque que comme un reflet de son époux, représentation sans pouvoirs de la grandeur monarchique ». Moins convaincante, l'étude des funérailles royales aboutit à la même conclusion. F. Cosandey lie cet effacement de la reine des cérémonies royales à l'affirmation de l'absolutisme : la concentration du pouvoir sur la personne du roi, l'éclairage mis sur sa personne, seule détentrice de la souveraineté, écartent son épouse de la scène politique.
4La troisième partie de l'ouvrage (« souveraineté et dignité ») reprend d'abord cette question sous l'angle de la théorie politique, puis examine le pouvoir des reines lors des régences, et se clôt par une étude fine et passionnante du cycle consacré à Marie de Médicis par Rubens au Palais du Luxembourg. L'auteure propose une lecture chronologique et une autre « en zig-zag » des 24 tableaux, les fait se répondre les uns aux autres, les compare à d'autres toiles de Rubens ou à la « réalité historique ». Avec brio, elle décrypte ainsi les différents discours picturaux (héroïque, marial, royal) qui s'entrecroisent, se superposent en mêlant les références, permettant ainsi de camoufler l'audace de certains thèmes dans un « décorum allégorique ». La lecture finie, il faut aller (re)voir le cycle au Louvre : sans être fervent admirateur de Rubens et même en ayant l'âme républicaine, le visiteur est écrasé par la majesté de la reine, soulignée par les thèmes, la taille monumentale de l'ensemble, les rouges et ors dominants. Grâce à l'analyse de F. Cosandey, on est alors mieux à même de comprendre le(s) sens du cycle et l'intelligence de Rubens et de ses commanditaires. Il a su faire éclater l'autorité souveraine d'une reine, qui ne la possède pas dans le principe même du fonctionnement monarchique (voir ci-dessus p. 63-83). Ajoutons que l'étude de ce cycle est pour un enseignant du secondaire ou du supérieur un excellent moyen d'intéresser et de faire réagir son auditoire.
5Le livre se termine par l'étude rapide de « l'effacement du modèle » au XVIIIe siècle, lorsque l'on reprochera notamment à Marie-Antoinette de s'enfermer dans un espace trop privé tout en voulant se mêler des affaires de l'État qui ne sont plus du tout considérées de son ressort. En annexes sont donnés des tableaux très clairs et d'une grande utilité (listes des reines, des régences, sacres du roi et de la reine, cycle Marie de Médicis).
6Cet ouvrage n'est cependant pas sans appeler quelques regrets ou réserves de détail. Le plan en trois parties conduit parfois à des redites donnant çà et là au lecteur l'impression de tourner en rond et certaines démonstrations emportent moins l'adhésion. On ne reprochera pas à F. Cosandey d'avoir centré sa recherche sur la période qui va du XVe au milieu du XVIIe siècle dans la mesure où son objectif est d'éclairer la construction de l'État moderne à travers le personnage de la reine. Son étude se veut en ce sens résolument institutionnelle et c'est ce qui fait tout son intérêt et sa richesse. C'est bien grâce à sa connaissance et à son immersion dans les textes juridiques et théoriques, lus sous un angle novateur, qu'elle a pu dégager les caractéristiques de la reine. Mais la médaille a son revers et, sans remettre en cause ses conclusions, on peut regretter l'absence de confrontation entre le système élaboré par les théoriciens de la monarchie et le contexte événementiel ou d'autres types de textes. Ainsi, si F. Cosandey démontre avec force que, pour les théoriciens, la dévolution de la régence aux femmes, loin d'être incompatible avec la loi salique, en découlerait presque (l'exclusion des femmes du trône étant une garantie contre toute velléité d'usurpation par la reine-mère), il n'est pas inutile d'ajouter que, lors de la Fronde, de nombreux pamphlets contestent la régence féminine au nom du principe même de la loi salique et de l'exclusion des femmes du pouvoir. Certes lié aux intérêts politiques des Grands, ce débat sur la légitimité des régentes n'est guère évoqué ici, bien qu'il complète la vision juridique présentée dans le livre. De même, F. Cosandey tient à se démarquer d'une « problématique de gender » : elle se veut historienne de la monarchie, attachée à mieux saisir son fonctionnement et non historienne des femmes. On peut comprendre cette position méthodologique et penser que l'historien(ne), qu'il travaille sur les femmes ou non, est avant tout celui d'une période donnée. On peut même penser que c'est le parti pris d'aborder la reine sous l'angle institutionnel et non sous celui du « féminin » qui a permis l'écriture de ce livre. Reste que la reine est une femme - et l'auteur en tient évidemment compte dans ses analyses. Si l'évolution de son image et de son statut ne peut se comprendre sans se référer au contexte de la construction absolutiste, elle est aussi liée aux modèles normatifs, eux aussi évolutifs, du féminin et du masculin. Là encore une échappée hors des documents juridico-politiques aurait pu apporter un autre éclairage, complémentaire.
7Pour conclure, soulignons que cette étude révèle indirectement l'apport de l'histoire des femmes à l'historiographie : c'est bien parce que l'attention a été portée sur les femmes en histoire, que l'idée même d'étudier la reine pour mieux comprendre la monarchie française a été rendue possible. Quant au livre, il constitue une contribution importante à une histoire politique renouvelée comme à l'histoire des femmes et, par-delà les catégories historiographiques, à l'histoire tout court.
Pour citer cet article
Référence papier
Dominique Godineau, « Fanny COSANDEY, La Reine de France. Symbole et pouvoir, XVe-XVIIIe siècle, Paris, Gallimard, Collection « Bibliothèque des histoires », 2000, 414 p. », Clio, 19 | 2004, 249-252.
Référence électronique
Dominique Godineau, « Fanny COSANDEY, La Reine de France. Symbole et pouvoir, XVe-XVIIIe siècle, Paris, Gallimard, Collection « Bibliothèque des histoires », 2000, 414 p. », Clio [En ligne], 19 | 2004, mis en ligne le 24 juin 2004, consulté le 14 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/665 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.665
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