Sarah FISHMAN, We will wait : Wives of French prisoners of war, 1940-1945
Yale University Press, New Haven and London, 1991, 245 p.
Texte intégral
1La recherche historique ne s’était guère intéressée jusqu’à ces dernières années aux femmes de prisonniers pendant la Seconde Guerre mondiale, et la thèse de Sarah Fishman représente la première vue d’ensemble sur cette question. Or, les femmes de prisonniers formaient, dans la France des années 1940-1945, un « problème social considérable » en raison de leur nombre, environ 800 000, et de celui de leurs enfants, à peine moins élevé. Leur situation intéressait particulièrement les pouvoirs publics pour qui les prisonniers de guerre et la conduite de leurs femmes étaient une carte politique et morale de premier plan. Les femmes de prisonniers sont donc au cœur des questions politiques et sociales qui se jouent alors.
2Le travail de Sarah Fishman repose sur une importante enquête archivistique, bibliographique et orale. Elle a recueilli le témoignage écrit et oral d’anciennes femmes de prisonniers et de responsables d’associations. En tout environ 80 témoignages qualitatifs émanant de personnes de différents horizons sociaux et religieux, auxquels il faut ajouter quelques témoignages de maris et de responsables de services publics.
3L’auteure éclaire dans l’introduction l’impact des deux guerres mondiales sur les femmes hors de France : conséquences du conflit sur leur emploi, gratitude de la nation, évolution des rapports sociaux de sexe, retour au domestique. Cette entrée en matière permet de mettre en relief les différences avec la condition des femmes en France dans le même temps.
4Les conditions d’existence matérielles et morales des femmes de prisonniers, ainsi que l’interprétation culturelle et subjective que fit la France de Vichy de leur expérience, sont longuement évoquées. L’opinion publique appréciait peu les femmes de prisonniers, les accusant de tromper leur mari et de vouloir s’emparer de celui des autres. Cette méfiance créait chez les intéressées un grand sentiment de rejet et de solitude. La faible allocation octroyée par l’État ne leur permettait pas de vivre et la plupart durent travailler au dehors et pour la première fois de leur vie. Isolées, devant prendre toutes les décisions concernant la famille, affronter toutes les pénuries et supporter la méfiance de la société à leur égard, les femmes de prisonniers se trouvaient très démunies. Dès la fin de l’année 1940, elles créèrent des associations pour y trouver entraide et sororité.
5Sarah Fishman s’intéresse aux principales de ces associations et notamment à celles qui réunissaient le plus d’adhérentes : la Fédération des associations des femmes de prisonniers (FAFP) en zone sud et le Service de femmes de prisonniers en zone nord, organe rattaché au Mouvement populaire des familles (MPF) dont l’existence était autorisée. Elle expose parfaitement leur vie en autarcie, leur héritage à l’égard de l’action catholique spécialisée, leur attachement au milieu ouvrier et populaire. Toutefois, S. Fishman méconnaît l’importance et la complexité des liens de toutes natures qui unissaient la FAPF et le MPF.
6L’ouvrage indique combien l’attitude de Vichy à l’égard des femmes de prisonniers fut ambiguë et complexe. L’État français voulait les aider et les protéger en tant que femmes de soldats captifs, mais il ne put empêcher leur entrée au travail, ce qui était contraire à son idéologie patriarcale. Il entreprit également de les surveiller et même de les faire punir au bénéfice des maris absents et dans l’optique de la restauration d’un ordre familial traditionnel. Quelques institutions s’occupèrent d’elles et notamment la Famille du prisonnier, une agence semi-publique créée en 1941, s’occupant de la sauvegarde morale et matérielle des familles de prisonniers de guerre ainsi que le Commissariat général aux prisonniers de guerre rapatriés. Malgré les pressions, elles refusèrent l’absorption dans la Légion française des combattants.
7Les associations étaient de petits laboratoires de nouveautés pour des femmes peu habituées à commander leur vie mais comprenant désormais qu’elles pouvaient faire des choses dont elles étaient supposées incapables. Mais Sarah Fishman montre que leur essor fut limité car elles dirigèrent leur foyer pendant cinq ans dans la simple attente du retour du mari. Les associations n’ont pas profité des nouvelles conditions nées du conflit pour remettre en cause les stéréotypes sexuels et établir une plus grande égalité dans le couple. Au contraire, leur littérature témoigne de leur respect du statu quo. Si bien que les réformes d’après-guerre comme le droit de vote sont plus à mettre au compte du rejet de Vichy, et de l’esprit de la Résistance, qu’aux nouvelles attitudes des femmes pendant le conflit. À noter pourtant, et Sarah Fishman ne le dit pas, que le droit de vote des femmes a été obtenu en grande partie grâce à Robert Prigent, responsable MPF, et sur un dossier préparé par des militantes de ce mouvement.
8Le retour des maris ne fut pas aisé. Passés les premiers moments d’euphorie, il fallut faire face aux difficultés de la vie quotidienne, à la fatigue et aux maladies du conjoint rapatrié, au mépris voire à l’hostilité de l’opinion publique qui n’avait pas surmonté le traumatisme de 1940 et voyait dans le séjour en Allemagne une sorte de promenade de santé.
9Après la guerre, les femmes avaient changé. Elles avaient appris à se débrouiller seules, à prendre des décisions ; elles aimaient leur indépendance. Certaines continuèrent de militer, mais la plupart, fatiguées, rentrèrent chez elles et les valeurs sociales restèrent stables en définitive. Sarah Fishman montre qu’il ne suffit pas d’avoir des responsabilités familiales et associatives pour changer profondément les mentalités et les normes sociales.
Pour citer cet article
Référence électronique
Geneviève Dermenjian, « Sarah FISHMAN, We will wait : Wives of French prisoners of war, 1940-1945 », Clio [En ligne], 1 | 1995, mis en ligne le 20 janvier 2005, consulté le 07 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/538 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.538
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page