Pauline BEBE, ISHA. Dictionnaire des femmes et du judaïsme, Paris, Calmann-Lévy, 2001, 440 p.
Texte intégral
1Pauline Bebe, diplômée d'anglais et d'études juives à Londres (Leo Baeck College) et à Paris est, depuis dix ans, la première et la seule femme rabbin en France, à Paris, où elle est rabbin d'une des trois communautés de juifs libéraux français. Et c'est en tant que femme et rabbin qu'elle nous livre aujourd'hui un très intéressant Dictionnaire des femmes et du judaïsme, qu'elle a intitulé Isha (premier nom de Eve), féminin de Ish, en hébreu : l'humaine, la femme. Ce n'est pas le premier ouvrage de ce genre : dans les années 1970-1980, sont parus coup sur coup, dans l'aire anglo-saxonne, mais aussi en France, divers ouvrages de même inspiration tel celui signé par Janine GDALIA et Annie GOLDMAN le Judaïsme au féminin (Balland 1989), ou celui de Renée DAVID les Femmes juives (Perrin 1988). Le livre de Pauline Bebe a l'avantage d'être récent et surtout de présenter (à travers les différents articles qui vont de Abigaïl à yevama) les grandes figures féminines bibliques et les différents domaines concernant les femmes juives, de l'intérieur de la tradition juive, fut-elle revisitée. Le Dictionnaire prend appui en effet sur l'immense érudition de l'auteur qui fait appel aux sources bibliques, mais aussi aux sources talmudiques, aux sources rabbiniques les plus anciennes comme les plus contemporaines, les plus orthodoxes comme les plus libérales, pour faire le point sur le personnage ou la question soulevée. Mais l'ouvrage n'est pas neutre et lorsque de nombreux points de vue existent sur tel ou tel problème de droit rabbinique, l'auteur ne se prive pas d'indiquer à quel point, à chaque fois, la décision des rabbins libéraux va dans le sens de la modernité, c'est à dire dans le sens du droit des femmes à être reconnues comme des individus égaux en droit aux hommes. Ainsi du statut des femmes agounoth : ces femmes qui, divorcées civilement, ne peuvent se remarier tant que leur premier mari ne leur a pas donné le get, l'acte de répudiation, sauf à être coupables d'adultère et à donner naissance à des enfants mamzerim (bâtards). Ainsi de la ketoubah, contrat de mariage signé par les deux parties dans les mouvements libéraux, mais seulement par les maris partout ailleurs, puisque la femme n'est pas légalement autonome. Prévue à l'origine pour protéger les droits de l'épouse et lui assurer un revenu en cas de veuvage ou de divorce, elle stipule aujourd'hui encore que « le mari doit nourrir, vêtir son épouse et satisfaire ses besoins sexuels ». Pauline Bebe souligne que si la ketoubah a représenté une avancée notoire à un moment historique donné, elle ne répond plus aujourd'hui aux aspirations égalitaires des femmes ; même si, dans le judaïsme traditionnel, le statut de la divorcée signifie un statut d'autonomie totale pour la femme qui ne dépend plus ni de son mari, ni de son père (p. 102).
2Soulignons en effet que le judaïsme combine le paradoxe d'être à la fois une religion patriarcale et une vision du monde dans laquelle des femmes ont infléchi le cours de l'Histoire. Tout commence avec les deux récits de la Création du monde : dans le premier, Dieu crée l'homme et la femme ensemble, Ish et Isha : l'humanité apparaît sous une double forme, sans hiérarchie. Dans le second récit, Dieu crée la femme en second, à partir de la côte de l'homme : la seconde Eve vient après Adam. Mais pourquoi vient-elle d'une côte d'Adam ? Un midrasch rabbinique, extraordinaire de misogynie, l'explique : « Dieu aurait décidé de ne pas la créer à partir de la tête d'Adam de peur qu'elle ne fut prétentieuse, ni à partir de son œil de peur qu'elle ne fut curieuse, ni à partir de son oreille de peur qu'elle ne fut indiscrète, ni à partir de sa bouche de peur qu'elle ne fut médisante, ni à partir du cœur de peur qu'elle ne fut jalouse, ni à partir de la main de peur qu'elle ne soit chapardeuse, ni à partir du pied de peur qu'elle ne soit coureuse, mais Il l'a créée à partir de la côte, endroit modeste d'Adam... et malgré cela elle réunit tous ces défauts »... Il n'est pas étonnant pour le coup que chaque matin dans sa prière, le juif pieux remercie Dieu de... « ne pas l'avoir créé femme »... et que la plus belle prière sur les femmes loue avec poésie et émotion les vertus de la Femme Vaillante (Eshet Haïl, p. 127), en réalité la femme modeste, attachée à son travail et à sa maisonnée, à son époux et à ses enfants, du matin au soir, tous les jours que Dieu fait.
3L'étude de la Torah, considérée comme un des commandements les plus importants dans le judaïsme, ne concerne pas les femmes. Quasi exclues de la synagogue, les femmes ne sont pas obligées de prier, ne participent pas à la lecture publique de la Torah, leur rôle étant de permettre à leurs maris et à leurs fils d'étudier. Plus d'un commentaire met l'accent sur la perte de temps que représenterait la transmission des textes aux filles. Aussi même un penseur orthodoxe comme Yeshayahou Leibowitz critique ouvertement la tradition juive à ce sujet : « c'est une grave erreur et un grand malheur dans l'histoire du judaïsme... c'est leur interdire un droit fondamental...la “ judéité” des femmes devient alors inférieure à celle des hommes » (cité page 114). Pourtant, du côté de Isha, la première Eve, figurent tout au long de la Bible juive des femmes de premier plan qui agissent sur le cours de l'histoire, des femmes qui pèsent sur le destin des individus, des femmes auprès de qui des hommes viennent chercher conseil : Rébecca qui choisit de faire bénir Jacob et sa descendance et non Esaü comme le souhaitait Isaac ; les prophétesses telles Myriam qui sauve son frère Moïse de la mort et plus tard sait redonner du courage au peuple dans le désert, Houlda qui enseignait la loi aux hommes, Déborah, Juge et prophétesse, Yaël la guerrière ; les savantes de la Torah à qui les hommes demandaient conseil : Berouria, Imma Chalom (mentionnées dans le Talmud), et d'autres encore. Parmi les prières auxquelles les femmes ne sont pas astreintes, la plus importante d'entre elles, la Amida, est récitée chaque jour en suivant les règles données par l'exemple de Hanna, femme et prophétesse.
4Alors que les femmes sont seulement tenues au respect des lois de niddah (qui interdisent les rapports sexuels pendant les menstruations), les hommes « ont le devoir de se marier, de procréer, et d'accomplir le devoir conjugal » (p. 340). Seuls les hommes sont tenus par l'obligation de procréer, les femmes peuvent utiliser des contraceptifs, même Pauline Bebe le rappelle dans le cadre du judaïsme orthodoxe (p. 269). Dans le judaïsme traditionnel, si ce sont les pères qui ont le devoir d'éduquer, ce sont les mères qui transmettent la judéité : on naît juif par sa mère, non par son père. Mais est-ce une conséquence du judaïsme traditionnel et de la place différente accordée à l'homme et à la femme dans l'étude et le rituel ? Les pères juifs dont les enfants ont une mère qui ne l'est pas se battent plus pour faire accepter leurs enfants dans la société juive, que les mères juives dont le mari ne l'est pas. Éducation, mariage, sexualité, veuvage, divorce, prières, procréation, contraception, relations hommes/femmes : Pauline Bebe passe en revue tout ce qui interroge la place et le statut des femmes juives aujourd'hui. Il est précieux de disposer dans l'aire francophone d'un tel ouvrage. Riche d'informations, bien écrit, il est appelé à faire partie désormais de toute bibliothèque féministe, de toute bibliothèque spécialisée en études juives. Ce livre rassemble intelligemment des informations dispersées dans des ouvrages difficiles d'accès pour le profane et donne, de manière courageuse et sereine, le point de vue d'une femme juive engagée, le point de vue d'une femme rabbin, sur ce qui questionne la place des femmes dans la société juive en ce XXIe siècle débutant.
Pour citer cet article
Référence papier
Joëlle ALLOUCHE-BENAYOUN, « Pauline BEBE, ISHA. Dictionnaire des femmes et du judaïsme, Paris, Calmann-Lévy, 2001, 440 p. », Clio, 16 | 2002, 315-318.
Référence électronique
Joëlle ALLOUCHE-BENAYOUN, « Pauline BEBE, ISHA. Dictionnaire des femmes et du judaïsme, Paris, Calmann-Lévy, 2001, 440 p. », Clio [En ligne], 16 | 2002, mis en ligne le 11 mars 2003, consulté le 18 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/53 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.53
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