Ouverture
Texte intégral
1Aux lectrices et aux lecteurs qui ouvrent cette nouvelle revue, nous devons quelques mots d'explication. Qui sommes-nous ? Des historiennes persuadées que les relations entre hommes et femmes sont au cœur des interrogations de notre temps et de notre discipline. Que voulons-nous ? Faire connaître au public français et à la communauté des historiens le fruit des recherches trop souvent confidentielles concernant « l'histoire des femmes ». Certes l'expression « histoire des femmes » est commode et maintenant d'usage courant en France, mais il convient encore de l'expliciter ; elle recouvre les études sur les femmes, les « rapports de sexes », les féminismes et ce que les Anglo-saxonnes nomment le gender. Telle que nous la concevons, l'histoire des femmes n'est pas la délimitation d'un nouveau territoire, mais une nouvelle approche qui, en conceptualisant la différence des sexes, interroge l'ensemble de la discipline. Aussi clio, Histoire, Femmes et Sociétés souhaite-t-elle offrir un lieu d'expression et de débat à toutes les recherches qui prennent en compte la dimension sexuée de l'histoire.
2À l'origine de cette entreprise, le constat d'un paradoxe et le sentiment d'une urgence. Paradoxe français. Depuis plus de vingt ans la France a largement contribué à l'émergence et au développement de l'histoire des femmes et des rapports de sexes. En témoignent de nombreuses publications, une importante littérature grise ou encore le succès international de l'Histoire des femmes en Occident, à direction et forte participation françaises. Or la France ne dispose plus de revue spécialisée. Pénélope, pour l'histoire des femmes - à laquelle plusieurs d'entre nous ont collaboré - s'est, en effet, éteinte en 1985 après six ans d'existence, faute de soutien institutionnel suffisant. Pour comparer ce qui est comparable, la Grande-Bretagne édite, aux côtés de Women's Studies International Forum (1978) et de The European Journal of Women's Studies (1994), deux revues d'histoire : Gender & History (1989) et Women's History Review (1992).
3Paradoxe donc, mais aussi urgence. Urgence parce que la déperdition - injuste et décourageante - qui a souvent caractérisé dans notre pays les recherches sur les femmes, gêne la transmission des acquis comme la confrontation et l'accumulation des savoirs. Urgence parce que nous ne pouvons pas rester en dehors du développement international de l'histoire des femmes, parce qu'il est aussi nécessaire de diffuser recherches et débats étrangers que de faire connaitre les nôtres hors de nos frontières. Nous ne faisons, au reste, que nous inscrire dans un courant européen, puisque deux revues viennent de naître, l'une en Belgique, l'autre en Espagne. Urgence parce que l'organisation d'une revue spécialisée - gérée et soutenue par un éditeur - ne pourra que contribuer à la reconnaissance, encore contestée au sein de l'institution, de cette nouvelle approche de l'histoire.
4Tournées vers l'avenir, nous sommes aussi conscientes d'être des héritières. Née au début des années soixante-dix dans le sillage du mouvement féministe, l'histoire des femmes s'est développée autour de quelques pôles - Aix en Provence, Paris, Toulouse - grâce à des pionnières comme Michelle Perrot et Yvonne Knibiehler. Si les Presses Universitaires de Toulouse-Le Mirail (PUM), animées par Marc Vitse et Marie-Pierre Salès, ont accueilli favorablement notre projet, nous le devons à cette tradition de recherche et d'enseignement, marquée notamment à Toulouse par la tenue, en 1982, du colloque national Femmes, féminisme et recherches et la création en histoire du premier poste d'enseignement supérieur spécialisé. Ce poste a été occupé avec conviction et efficacité par Marie-France Brive, jusqu'à sa mort prématurée en 1993.
5Fortes de ce passé et des débats qui l'ont enrichi, nous ne sommes plus retenues aujourd'hui par la crainte, naguère si prégnante, de faire de l'histoire des femmes un « ghetto ». Nous n'avons pas non plus la prétention de la monopoliser. Nous espérons, en revanche, que les revues jusqu'ici les plus réceptives - Le Mouvement social, Genèses, et plus récemment les Annales - persisteront dans leur attitude et que les autres iront plus loin que le simple accueil, si prometteur soit-il, de comptes rendus de livres portant sur ce sujet. Nous prenons, sans naïveté, le pari de l'ouverture et du dialogue, comme le montreront les choix de la revue.
6CLIO, Histoire, Femmes et Sociétés se veut une revue d'histoire. Elle a toutefois conscience que l'histoire, et plus encore l'histoire des femmes, met en interaction de très nombreux savoirs. Elle est donc décidée à ouvrir ses colonnes à tous ceux qui, même venus d'autres disciplines, entreprennent, de l'Antiquité au Temps présent, de rendre visibles les femmes ou proposent une lecture sexuée des sociétés. Il s'agit de faire dialoguer ces approches souvent considérées comme successives ou juxtaposables. Moyen de diffusion des connaissances auprès des étudiants, des enseignants - du Primaire à l'Université - et du public, notre revue sera aussi lieu de reflexion méthodologique et épistémologique sur la pratique de l'histoire, et lieu d'échange entre les disciplines.
7Bien que son premier numéro soit un numéro d'histoire contemporaine et d'histoire franco-française - pourquoi ne pas apporter notre pierre aux diverses commémorations ? -, clio, Histoire, Femmes et Sociétés n'entend exclure aucune période de l'histoire et aucune forme de société. Chaque numéro est organisé autour d'un noyau thématique composé d'articles et d'éventuels regards complémentaires ; ainsi les deux prochains porteront respectivement sur les religions et les syndicalismes. Ils comprendront en outre les rubriques suivantes : Perspectives de recherches annonce des travaux ou propose de nouvelles pistes ; Témoignages écoute les acteurs et actrices de l'histoire des femmes ou ses chercheur-ses ; Documents donne à voir des sources et fournit du matériel pédagogique ; Varia s'ouvre à des travaux hors thème ou poursuit une reflexion engagée dans les numéros précédents ; Clio a lu, Informations et initiatives achèvent le dispositif. Tout en laissant entière liberté aux auteur-es sur ce point, clio acceptera la féminisation des titres et métiers, conformément aux recommandations de la circulaire du 11 mars 1986 et aux usages du Québec, de la Suisse et de la Belgique.
8Quelques mots encore sur notre mode de fonctionnement. À côté d'un comité de rédaction restreint qui assure les choix éditoriaux et maintes tâches d'intendance, ont été constituées trois structures parallèles et complémentaires : un comité scientifique d'historiennes et d'historiens de renom, un réseau de correspondantes à l'étranger et un vaste comité de soutien dont les membres sont invités à proposer des thèmes de numéros, à participer à leur organisation et à alimenter les rubriques permanentes. Enfin nous attendons des lecteurs et des lectrices remarques, réactions et articles... A tous et toutes, merci de vos encouragements et merci de tenter avec nous l'aventure.
Pour citer cet article
Référence électronique
Le comité de rédaction, « Ouverture », Clio [En ligne], 1 | 1995, mis en ligne le 01 janvier 2005, consulté le 08 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/511 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.511
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