Texte intégral
1Le dispositif français de l’accouchement dit sous X autorise une femme à accoucher gratuitement dans une maternité sans révéler son identité ou en obtenant l’assurance que cette identité ne sera pas révélée à des tiers, y compris à l’enfant qu’elle met au monde. Il est aujourd’hui régi par la loi du 22 janvier 2002, qui a créé le Conseil national pour l’accès aux origines personnelles, chargé de recevoir les demandes d’accès aux origines des personnes « nées sous X », de rechercher leurs mères de naissance afin de savoir si elles acceptent de communiquer leur identité ou, au moins, des éléments de leur histoire, chargé également de recevoir les déclarations spontanées de levée de secret formulées par les parents de naissance.
- 1 Conseil d’État, Statut et protection de l’enfant, Paris, la Documentation française, 1991 ; Pierre (...)
2Le vote de cette loi a été précédé d’une mobilisation importante des associations de « nés sous X » et de « mères de l’ombre », réclamant le droit de connaître l’identité de leurs parents de naissance et/ou la suppression de l’accouchement secret. Ces associations avaient commencé à voir le jour après le vote de la loi du 17 juillet 1978, qui oblige les administrations à communiquer aux demandeurs les documents à caractère nominatif qui les concernent, sauf en cas de secret protégé par la loi. Divers rapports avaient par ailleurs conclu au cours des années 1990 à la suppression du dispositif de l’accouchement secret ou à son aménagement pour faciliter l’accès aux origines1.
- 2 Mais elle était posée dans son rapport par la députée PS et rapporteur de la commission des lois, D (...)
- 3 Selon l’expression de L. Neuwirth, qui se propose, par cette interdiction, de « verrouiller définit (...)
- 4 Dite loi Mattéi, du nom du député UDF, auteur et rapporteur de la proposition de loi.
- 5 Le code de la famille et de l’action sociale prévoyait seulement que « les frais d’hébergement et d (...)
- 6 Intervention de Ségolène Royal, ministre déléguée à la Famille, à l’Enfance et aux Personnes handic (...)
3Deux modifications législatives sont intervenues dans ce contexte. La première, la loi du 8 janvier 1993 portant diverses modifications du code civil, avait pour but d’adapter la législation française à la Convention internationale des droits de l’enfant ratifiée par la France en septembre 1990. La question de l’accouchement dit sous X n’était pas abordée dans le projet de loi soumis au Parlement2, mais l’article 7 de la Convention proclamait que les enfants avaient « dans la mesure du possible » le droit de connaître leurs parents et d’être élevés par eux. L’interprétation qui a prévalu lors des débats parlementaires fut que la demande de secret rendait et devait continuer à rendre « impossible » l’application de cet article. Contre l’avis du gouvernement, le Parlement adopta même un amendement introduisant l’accouchement secret dans le code civil, alors qu’il ne relevait jusqu’alors que du code de la famille et de l’action sociale, et un sous-amendement interdisant aux rares personnes « nées sous X » qui auraient réussi à connaître l’identité de leur mère de naissance et n’auraient pas fait l’objet d’une adoption plénière, d’intenter une action en justice pour faire établir leur filiation en ligne maternelle. Après avoir ainsi « verrouillé » le dispositif3, les parlementaires ont entrepris, trois ans plus tard, par la loi du 5 juillet 19964, relative à l’adoption, d’encadrer une pratique qui l’était jusqu’alors fort peu5, en prévoyant d’informer les demandeuses de secret qu’il leur était possible d’indiquer les prénoms qu’elles souhaitaient voir donner à l’enfant, de laisser des renseignements ne portant pas atteinte au secret qu’elles demandaient, de lever ultérieurement ce secret, et d’être accompagnées psychologiquement et socialement si elles le désiraient. Mais les décrets d’application de cette loi n’ont jamais vu le jour. Encadrer étroitement la pratique et garantir l’effectivité de la loi a été l’un des soucis principaux des auteurs de la loi de 2002, qui ne sont pas revenus sur l’existence de l’accouchement secret non plus que sur son insertion dans le code civil, mais espéraient que, « correctement averties et efficacement aidées », les femmes choisiraient de plus en plus « l’aménagement du secret plutôt que l’irréversibilité de l’anonymat »6.
4Au cours des débats qui ont précédé l’adoption de ces lois, l’histoire a souvent été invoquée. Mais, tandis que les partisans de l’accouchement dit sous X mobilisaient l’histoire de ce dispositif « français » en faveur de son maintien, c’est le droit à la connaissance de leur histoire personnelle que prônaient les partisans du droit, pour les « nés sous X », d’accéder à la connaissance de l’identité de leurs parents de naissance.
5Parmi les parlementaires favorables au secret de l’accouchement qui sont intervenus dans les débats qui ont présidé à son introduction, en 1993, dans le code civil, plusieurs et non des moindres ont recouru à des arguments historiques, empruntés presque tous à la même source : les deux ouvrages largement diffusés auprès des parlementaires, dans lesquels la pédopsychiatre Catherine Bonnet, avocate de l’accouchement secret comme prévention de l’infanticide, avait tenté la synthèse d’informations puisées dans diverses publications7.
- 8 Gérard Gouzes, J.O., Débats, Assemblée nationale, Ie séance du 28-4-1992, p. 730.
- 9 Lucien Neuwirth, J.O., Débats, Sénat, séance du 8-2-1992, p. 3736.
- 10 Amendement voté sous la forme de l’insertion dans le code civil d’un article 341-1 ainsi rédigé : « (...)
- 11 Phan, 1975 ; 1986.
- 12 Neuwirth, op. cit., p. 3736. La confusion est fréquente entre clandestinité et secret, et, plus enc (...)
6Premier argument ainsi mis en avant par ces parlementaires : l’ancienneté de la pratique. Il s’agit, selon eux, d’une « vieille tradition française »8, qui « appartient depuis longtemps à notre histoire »9. Le président socialiste de la commission des lois de l’Assemblée nationale la date du XVIIe siècle. Le député UDF Pascal Clément, auteur de l’amendement visant à « rappeler le caractère légal » de l’accouchement dit sous X en l’introduisant dans le code civil10, le rapporteur RPR de la commission des lois au Sénat, Luc Dejoie, et le sénateur RPR Lucien Neuwirth, auteur du sous-amendement interdisant l’action de recherche en maternité en cas de secret de l’accouchement, la font remonter au XVIe siècle. Le dernier la rattache à l’édit promulgué par Henri II, en février 1556. Cet édit, qui resta légalement en vigueur jusqu’en 1791, établissait une présomption d’infanticide entraînant la peine de mort à l’égard des célibataires et des veuves enceintes qui n’auraient pas déclaré leur grossesse à un magistrat et dont l’enfant serait mort sans baptême à la suite d’un accouchement clandestin ou solitaire. Même si la pratique des déclarations de grossesse s’est imposée de manière variable selon les régions et les époques11, il est pour le moins surprenant de voir une politique de lutte contre le recel de grossesse poursuivie pendant plus de deux siècles ainsi convoquée pour témoigner de l’ancienneté et de la permanence du droit à l’accouchement secret… Mais, c’est sans doute que, comme Catherine Bonnet, Lucien Neuwirth voyait dans cet édit l’origine de la création d’asiles destinés à « arrêter les vagues d’infanticides » en accueillant secrètement les femmes « pour des grossesses et des accouchements clandestins »12.
- 13 Plutôt que de permettre aux femmes d’accoucher secrètement ou anonymement, les autorités locales et (...)
- 14 Sous Louis XI, la salle de l’Hôtel-Dieu destinée aux femmes enceintes ou accouchées, qui existait s (...)
- 15 Le règlement de la salle des accouchées a, semble-t-il, toujours veillé à préserver le secret de l’ (...)
- 16 Les tours étaient des dispositifs pivotants, généralement placés dans un mur d’enceinte, pour perme (...)
7Peu aurait sans doute importé aux parlementaires d’apprendre que l’existence même de ces asiles n’est guère avérée13, sauf pour l’Office des accouchées de l’Hôtel-Dieu de Paris, que la création de ce dernier a précédé d’au moins un siècle l’édit de Henri II14, et qu’il n’est pas exact que « seule la mention ‘secret’ était inscrite en marge du registre des entrées »15. Car la référence à l’Hôtel-Dieu, comme, d’ailleurs, la référence au tour16, également fréquente dans les débats, fonctionne en quelque sorte comme un mythe d’origine qui permet d’inscrire l’accouchement dit sous X dans une histoire longue, dans une « tradition française » du secret comme moyen séculaire et incontournable de prévention de l’infanticide.
- 17 Luc Dejoie, J.O., Débats, Sénat, séance du 8-12-1992, p. 3731.
8Cette histoire présentée comme ancienne, l’est aussi comme celle d’une pratique ayant traversé pratiquement inchangée les époques et les régimes : « La pratique de l’accouchement anonyme ou ‘sous X’, qui est apparue au XVIe siècle, s’est maintenue depuis lors afin de permettre à des femmes de recevoir des soins médicaux et de protéger la vie de l’enfant sans énoncer leur identité », affirme ainsi Luc Dejoie dans son rapport au Sénat17.
- 18 Ministère de l’Intérieur, circulaire du 30 juin 1812, citée par Hutteau d’Origny (De l’état-civil e (...)
- 19 Arrêt de la Cour de cassation en date du 1er juin 1844, cité par A. de Taillandier (Manuel-formulai (...)
9Depuis la laïcisation de l’état-civil en 1792, la possibilité même du secret de la maternité est ouverte légalement, en France, par l’absence d’obligation d’indiquer le nom de la mère lors des déclarations de naissance, absence entérinée par le code civil. En 1812, une circulaire rappelait ainsi que « la mère n’est point obligée de dire si elle est ou non mariée. Elle peut même ne pas se faire connaître […]. Si donc elle a confié le secret de sa maternité au déclarant, il ne peut être tenu de la révéler, et l’officier d’état-civil ne doit se permettre aucune interpellation, aucune recherche pour obtenir une déclaration qui ne lui serait pas faite »18. En 1844, la Cour de cassation confirmait que « le médecin ou la sage-femme qui n’ont su qu’en raison de son état de grossesse le nom de la mère et à qui tout a été confié sous le sceau du secret » n’étaient pas obligés de le communiquer à l’officier de l’état-civil, et qu’il leur était même interdit « sous des peines sévères de révéler de tels secrets »19.
10Mais, en 1992, les parlementaires qui invoquent l’histoire ne se réfèrent pas à la laïcisation de l’état-civil de 1792, dont ils pourraient pourtant célébrer le bicentenaire, d’autant que la loi dont ils discutent porte sur la modification de cet état-civil. Nulle mention, non plus, de l’adoption, en 1804, du code civil, où ils s’apprêtent à faire figurer le secret de l’accouchement. Aucune mention, encore, de l’arrêt de la Cour de cassation.
11Les événements législatifs auxquels ils se réfèrent sont ceux qui ont introduit le secret de la maternité dans le droit de l’assistance, par la prise en charge publique des frais liés à l’hébergement et aux soins des accouchées qui demandent le secret : le décret relatif à l’organisation des secours à accorder annuellement aux enfants, aux vieillards et aux indigents, pris par la Convention nationale le 28 juin 1793, et le décret-loi du 2 septembre 1941 sur la protection de la naissance pris par le maréchal Pétain.
12Ancienne et continue, l’histoire racontée par les parlementaires est ainsi, après l’édit supposé inaugural de 1556, marquée par deux dates qui renvoient aux deux extrémités du spectre politique et de l’histoire de la France : la Convention et Vichy.
- 20 Décret du 28 juin 1793, Titre 1er, paragraphe II (Secours à apporter aux enfants abandonnés).
- 21 Décret-loi n° 3763 du 2 septembre 1941.
13Le décret de 1793, qui ne fut sans doute jamais appliqué, faute de ressources, prescrivait la création, dans chaque district, d’une maison « où la fille enceinte pourra se retirer pour y faire ses couches ; elle pourra y entrer à telle époque de sa grossesse qu’elle voudra (article 3). Il sera fourni par la nation aux frais de gésine et à tous ses besoins pendant le temps de son séjour, qui durera jusqu’à ce qu’elle soit parfaitement rétablie de ses couches ; le secret le plus inviolable sera gardé sur tout ce qui la concernera (article 7) »20. Prévoyant des peines d’amende et d’emprisonnement pour les responsables de refus d’admission, celui de 1941 ordonnait : « Pendant le mois qui précédera et le mois qui suivra l’accouchement, toute femme enceinte devra, sur sa demande, être reçue gratuitement et sans qu’elle ait besoin de justifier de son identité, dans tout établissement hospitalier public susceptible de lui donner les soins que comporte son état »21.
- 22 J.O., Débats, Assemblée nationale, 1° séance du 28-4-1992, p. 730.
- 23 J.O., Débats, Sénat, séance du 8-12-1991, p. 3736.
14Les auteurs des amendements introduisant l’accouchement secret dans le code civil, qui sont aussi ceux des développements historiques les plus importants, ne font état de ces deux dates, et surtout de la seconde, qu’avec des réserves. À l’Assemblée, Pascal Clément affirme : « Cette pratique remonte au XVIe siècle. Elle fut marquée par quelques malheurs, notamment pendant la Révolution, à l’époque de Robespierre. Elle fut particulièrement développée pendant la Seconde Guerre mondiale où, curieusement, les naissances étaient plus nombreuses alors que tant de couples étaient séparés, et où de nombreuses mères ne tenaient pas à dire quel était le père de leur enfant. C’était une période à part, c’était la guerre. […] La France s’honore de cette législation et je voudrais en convaincre l’Assemblée, bien qu’elle comprenne déjà que ce n’est pas là un combat d’arrière-garde, ni une tentative de s’accrocher à quelque texte remontant à une époque contestable »22. Au Sénat, après avoir évoqué l’édit de Henri II, l’Hôtel-Dieu de Paris et le décret de 1793, Lucien Neuwirth ajoute : « Même le régime de Vichy était allé dans ce sens, pour des finalités que nous ignorons »23.
15Si ces références historiques mettent mal à l’aise ceux qui les avancent, elles présentent aussi, du fait de leur polarisation extrême, le grand avantage de donner de l’accouchement secret l’image d’une pratique indiscutablement française, puisque s’étant maintenue quasiment inchangée à travers les époques et les régimes les plus opposés.
- 24 L’association ProphylaX-Y, qui milite contre « la discrimination en matière de santé des personnes (...)
- 25 Jean-Paul Bret, J.O., Débats, Assemblée nationale, 1e séance du 31-05-2001.
16Dans les années suivantes, les partisans du maintien du secret de l’accouchement auront tendance à omettre ou à rejeter la référence à Vichy, qui sera au contraire mise en avant par les partisans du droit aux origines. Les associations de « sous X » ne perdent ainsi pas une occasion de souligner l’origine « fasciste » de l’accouchement secret24. En 2001, le député PS Jean-Paul Bret, auteur, trois ans plus tôt, du rapport de l’Assemblée nationale sur les droits de l’enfant et d’une proposition de loi visant à supprimer l’accouchement dit sous X, s’exclamera ainsi : « Je ne comprends pas que des féministes aient pu transformer une mesure sociale de 1941 en un droit de la femme en 1993 »25.
- 26 Au début des années 1930, une soixantaine de départements admettaient déjà sans enquête et sans for (...)
- 27 Paul Strauss, L’enfance malheureuse, Paris, Charpentier, 1896, p. 40.
17L’histoire, bien sûr, n’est pas si simple. D’une part, le décret-loi de 1941 ne faisait guère que prolonger l’article 98 du décret du 29 juillet 1939 relatif à la famille et à la natalité françaises, qui avait rendu obligatoire la création, dans chaque département, d’un établissement public dit maison maternelle, destiné à accueillir sans formalité les femmes enceintes d’au moins sept mois, les indigentes et les femmes enceintes « qui réclament le régime du secret » pouvant être admises dès que leur état de grossesse était médicalement constaté. Et cet article 98 ne faisait lui-même qu’entériner et étendre un ensemble de mesures adoptées sous la IIIe République par différentes administrations et collectivités locales26, sous l’influence des « puériculteurs », ces réformateurs médico-sociaux républicains qui voulaient lutter contre la « dépopulation » en combattant l’abandon, l’avortement et l’infanticide. Pratiques auxquelles ils voyaient deux grandes causes : la misère, qui « ne réclame pas le secret », et la honte, qui l’exige27. Et deux remèdes : contre la première, des secours préventifs d’abandon ; contre la seconde, la maternité secrète. Se réclamant de leurs ancêtres révolutionnaires et du décret de 1793, ils avaient d’ailleurs imaginé d’abord cette dernière sous la forme d’un quartier soumis au régime du secret à l’intérieur des maisons maternelles ou des maternités, ou d’une annexe à ces établissements.
- 28 Michel Cahen oppose ainsi la « tradition révolutionnaire du secret », visant à protéger la femme de (...)
- 29 Lefaucheur, 2001a. Le titre II du décret-loi du 15 avril 1943 relative à l’assistance à l’enfance i (...)
- 30 Selon le règlement d’une maternité hospitalière de la Seine-Saint-Denis adopté en 1975, la femme qu (...)
- 31 Inconnue du droit d’Ancien Régime, l’adoption des mineurs a été autorisée par le droit révolutionna (...)
18On peut donc considérer qu’en imposant la « maternité secrète » aux hôpitaux, la loi de 1941 en a changé la logique28 : dans les maisons maternelles, telles que les concevaient les réformateurs, le régime du secret devait permettre à une femme de dissimuler sa grossesse à sa famille ou au voisinage et ne rimait donc pas forcément avec le non établissement de la filiation et l’abandon29. Mais, dans le contexte nataliste et familialiste de l’après-guerre, le secret demandé par une femme pour se protéger de son entourage a de plus en plus souvent été opposé à cette femme elle-même30 et à l’enfant qu’elle mettait au monde. Des motivations administratives, financières et psychologiques se sont conjuguées au contexte nouveau créé par les lois sur l’adoption des mineurs31 pour développer la pratique de ce que l’on a commencé à nommer « l’accouchement sous X » dans le sens d’une adéquation étroite entre secret et abandon. Il a ainsi, par exemple, été rapidement admis que la gratuité de l’accouchement n’était plus de droit si la femme qui avait demandé le secret donnait son nom à l’enfant ou le reconnaissait légalement.
19En 1996, lors de l’examen de la proposition de loi Mattéi sur l’adoption, l’histoire fut une fois de plus mobilisée, en particulier par les sénateurs socialistes qui, favorables au secret mais hostiles à l’anonymat, déposèrent deux amendements visant au recueil d’éléments nominatifs identifiants et à la création d’un conseil pour la recherche des origines en matière familiale.
- 32 Franck Sérusclat, J.O., Débats, Sénat, Séance du 23-4-1996, p. 2117.
- 33 Joëlle Dusseau, J.O., Débats, Sénat, séance du 23-4-1996, p. 2111.
20Si Franck Sérusclat estime ainsi que « la possibilité d’accouchement sous X, originalité française, doit être maintenue », c’est à condition qu’il s’agisse bien d’un accouchement secret et que la dérive historique qui en a fait un accouchement anonyme soit corrigée32. Joëlle Dusseau, qui fait remonter au décret de la Convention l’accouchement secret tel qu’il est pratiqué en France, estime que, s’il « constituait certainement un progrès pour l’époque […] deux cents ans ont passé et les exigences des temps ont changé ». Parmi les exigences des temps présents, il y a « le rapport de chacun de nous à sa propre histoire », qui est « fondamental »33. Si ces amendements furent rejetés, la défense qu’en ont présentée les sénateurs socialistes montre que, dans les débats relatifs à l’accouchement dit sous X, la référence à l’histoire est alors en train de changer de nature et d’objet. On y passe, en effet, de l’histoire comme permanence à l’histoire comme mouvement. Et de l’histoire comme tradition nationale s’imposant aux individus, à l’histoire comme élément de construction identitaire à la disposition des individus.
- 34 Robert del Pecchia, J.O., Rapport d’information, Sénat, annexe au procès-verbal de la séance du 8-1 (...)
- 35 Gilbert Gantier, J.O., Débats, Assemblée nationale, 2e séance du 10-1-2002, p. 293 ; Jean-Louis Lor (...)
- 36 Jean-François Mattéi, J.O., Débats, Assemblée nationale, 1e séance du 31-5-2001.
21Les références à l’histoire du dispositif, qui ne disparaissent pas des débats, seront dorénavant surtout le fait des parlementaires de droite. En 2001, le sénateur UMP Robert del Picchia, rapporteur de la délégation aux droits des femmes, commence ainsi son rapport par un long paragraphe historique intitulé « l’accouchement secret est une pratique ancienne », emprunté à l’ouvrage de Catherine Bonnet, Les Enfants du secret. S’il ne passe pas sous silence, comme la plupart de ses collègues, le décret-loi du 2 septembre 1941, il croit y reconnaître « presque textuellement les intentions des Conventionnels de 1793 », dont le développement du système hospitalier aurait alors enfin permis l’application34. D’autres parlementaires de droite dénient toute pertinence à cette référence, comme le député UDF Gilbert Gantier et le sénateur UMP Jean-Louis Lorrain, qui utilisent la même formule : « Contrairement à ce qui a pu être affirmé, ce n’est pas le régime de Vichy qui a juridiquement organisé le principe de la naissance dans l’anonymat, […] c’est un décret de la Convention »35. À l’invocation de 1941, les parlementaires de droite préfèrent d’ailleurs les références religieuses et charitables, ou mythologiques. Omettant, lui aussi, Vichy, Jean-François Mattéi rappelle ainsi : « La pratique de l’accouchement sous X ne date pas d’hier. Souvenons-nous de Saint Vincent de Paul et des tours des couvents, des dispositions prises par les révolutionnaires après 1789 concernant l’organisation des droits de gésine. Nous pourrions remonter jusqu’à Moïse abandonné au fil de l’eau dans son berceau… ». Il constate cependant que « les choses ont bien changé » et qu’il faut « aller plus loin » pour que l’accouchement secret ne soit plus qu’un « ultime recours »36.
22Le contexte a, en effet, bien changé depuis 1992, et si le mot « histoire » apparaît fréquemment dans les débats de 2001-2002, c’est beaucoup moins souvent en référence à la chronologie de l’adoption légale de ce dispositif et beaucoup plus souvent en référence au droit des enfants nés « sous X » à la vérité de leur biographie.
23Les débats parlementaires préalables à l’adoption des lois de 1993 et 1996 n’avaient guère eu d’écho dans l’opinion publique, en-dehors des sphères directement concernées. Il n’en est pas allé de même pour la loi Royal, dont l’adoption a été précédée d’un débat public très vif, dans le cadre d’une forte mobilisation des mouvements pour le droit à la connaissance des origines et d’une importante médiatisation du sujet.
- 37 L’une de leurs associations avait ainsi choisi de se dénommer « Droit de parole pour des citoyens d (...)
24Les « sous X » manifestaient ainsi, sur la voie publique ou dans les media, pour faire reconnaître la souffrance et la « béance identitaire » de ceux qui ne savent pas d’où ils viennent ni à qui ils ressemblent, l’injustice que la loi fait subir à des « citoyens différents »37 en leur barrant l’accès à l’identité de leur mère de naissance – pour faire reconnaître, également, la souffrance des « mères de l’ombre ».
- 38 Denise Cacheux, J.O., Débats, Assemblée nationale, 1e séance du 28-4-1992, p. 720.
- 39 Oubliant sans doute que les « sous X » sont aussi – et même le plus souvent – des femmes (et que le (...)
- 40 Fernand Daffos, Libération, 26 mai 2000. « Nous tenons fermement à reconnaître le droit à un accouc (...)
25Face à eux, on pouvait repérer, dans la défense de l’accouchement dit sous X, trois grandes lignes d’argumentation. L’une, qui en appelait à la « tradition française », reprenait les arguments médico-sociaux traditionnels de la protection de la santé de la mère et de la vie de l’enfant par la prévention de l’accouchement clandestin, et du secret de l’accouchement comme « prix à payer pour éliminer les risques de l’avortement, de l’infanticide, de l’abandon différé et des mauvais traitements d’enfants »38. Une autre mettait en avant la défense du droit pour les femmes d’échapper à une maternité « impossible », la sorte de session de rattrapage que constituait l’accouchement secret pour celles qui n’avaient pas pu recourir à l’IVG, et le droit pour ces femmes de « tourner la page » sans risquer de se voir rappeler un événement censé ne pas avoir eu lieu39. La dernière ne s’organisait pas autour du diptyque prévention de l’avortement/droit à l’IVG, mais autour de la nature biologique ou sociale de la filiation, s’élevant contre ce que ses tenants considéraient comme « la puissance actuelle du tout génétique »40.
- 41 Les citations qui suivent sont extraites de l’intervention de Ségolène Royal devant l’Assemblée nat (...)
26Le projet de loi sur l’accès aux origines personnelles ne supprimant ni l’accouchement secret ni son inscription dans le code civil, et subordonnant la connaissance de l’identité de la mère de naissance à l’accord de celle-ci, il n’était pas nécessaire à la ministre de la Famille, dans ses interventions devant les parlementaires, de revenir sur les arguments de type « médico-social ». Pour répondre aux arguments du troisième type, elle entreprend de « clarifier les concepts » et de traduire « origine » et « identité » par « histoire »41.
27Premier moment de la clarification et de la traduction opérées par Ségolène Royal : l’origine, ce n’est pas le biologique, mais l’histoire, la biographie. « Mieux garantir à chacun le droit de connaître ses origines n’est pas sacrifier à quelque dérive du ‘tout biologique’ car ce n’est pas au nom de ‘liens du sang’ qu’il intervient, mais de l’histoire telle qu’elle a été vécue ». L’accouchement n’est pas une simple « péripétie biologique ou le signe d’une improbable ‘dictature des gènes’ ». C’est un moment vécu à deux et même, au moins symboliquement, à trois, qui appartient à l’histoire de la mère comme à celle de l’enfant, et « ébauche une relation possible, si fugitive soit-elle ». Par conséquent, « éviter que la trace en soit perdue et la mémoire barrée n’est pas river l’identité à la chair mais l’ancrer dans une histoire où les parents de naissance ont eu un rôle, ne peuvent être gommés et ne devraient pas être interdits d’accès ».
28Deuxième moment : l’origine, ce n’est pas la filiation, mais une des facettes de l’identité personnelle. Le droit à la connaissance des origines participe de l’affirmation d’un droit de la personnalité qui reconnaît à chacun, non seulement le droit à « une identité adossée à (sa) véritable biographie », mais aussi celui de « renouer tous les fils de (son) histoire » et « le pouvoir de combiner à sa manière les différentes composantes qui le font ce qu’il est, héritier d’une histoire toujours complexe qu’il invente à son tour ». Ce qui relie un individu à ses parents de naissance ne s’oppose pas à ce qui le relie à ses parents adoptifs : « il faut apprendre à conjuguer, à additionner plutôt qu’à retrancher ».
29Troisième et dernier moment du dépassement des « antagonismes qui semblaient irréductibles », entre les partisans du droit des mères au secret et ceux du droit des enfants à la vérité : le projet de loi présenté, qui cherche à réinscrire les premières comme les secondes dans leur histoire commune, est un projet « féministe ». Prenant à contre-pied la plupart des féministes qui avaient pris position « ès qualité » dans le débat public, Ségolène Royal affirme ainsi que « la pratique actuelle de l’accouchement sous X n’est pas un acquis mais une défaite des femmes » et particulièrement des plus pauvres, qui sont « les premières exposées aux situations où l’on fait bon marché de leur maternité et de leur histoire ». Si le projet de loi garantit bien le droit des femmes à accoucher dans le secret et à refuser de lever ultérieurement ce secret, il vise donc aussi à aider les mères de naissance « à faire face » à leur histoire, sans les « forcer brutalement au face-à-face », car « le déni du passé est une violence symbolique qui rend plus difficile l’effort pour avoir prise sur son présent et se projeter dans l’avenir ».
30Et la ministre de conclure en inscrivant même dans l’histoire du féminisme la recherche des origines et la réversibilité de l’accouchement secret, retraduits en droit à la vérité de la biographie : « ’Notre corps nous appartient’, ont à juste titre scandé nos aînées. ‘Notre histoire aussi’, ai-je envie d’ajouter, sans exclusion des plus démunies et de leurs enfants auxquels il leur a fallu renoncer ».
- 42 Réponse à Nicole Borvo, Sénat, séance du 20-12-2001.
- 43 Bernard Vernier, Le visage et le nom. Contribution à l’étude des systèmes de parenté, Paris, PUF, 1 (...)
31Cette construction de l’origine comme histoire n’a guère rencontré d’opposition. On peut cependant se demander si l’entreprise de légitimation de la recherche des origines par la seule dimension du recours à l’histoire biographique résistera à la multiplication des filiations partiellement ou totalement déconnectées de l’engendrement et/ou de la transmission de matériel génétique. Ségolène Royal a d’ailleurs opposé elle-même le cas de l’accouchement secret, dans lequel « il y a une histoire à rechercher », à celui de la procréation médicalement assistée (PMA), dans lequel « il n’y en a pas »42. La plupart des personnes conçues par PMA ne peuvent certes se demander, comme les « nés sous X », pourquoi leur « mère de naissance » les a (aban)donnés. Mais, il y a aussi et peut-être surtout, dans la recherche des origines, le besoin de savoir « d’où l’on vient » et « à qui on ressemble », de connaître le visage de ceux dont on partage les traits43.
- 44 Evelyne Pisier parle ainsi de « l’idéologie réactionnaire du ‘droit aux origines’ » (Libération, 30 (...)
32Besoin politiquement incorrect, peut-être. Socialement construit, sans doute. Si généralement attesté, cependant, qu’on ne peut se contenter de le qualifier de « réactionnaire »44, et qu’il faut bien admettre que la « parenté génétique » d’un individu participe de sa parenté symbolique. Mais ceci est une autre histoire…
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Notes
Conseil d’État, Statut et protection de l’enfant, Paris, la Documentation française, 1991 ; Pierre Pascal, Rapport du groupe de travail sur l’accès des pupilles et anciens pupilles de l’État, adoptés ou non, à leurs origines, 1996 (non publié) ; Laurent Fabius et Jean-Paul Bret, Droits de l’enfant, de nouveaux espaces à conquérir, Paris, Assemblée nationale, Commission d’enquête, rapport n° 871, 1998 ; Irène Théry, Couple, filiation et parenté aujourd’hui : le droit face aux mutations de la famille et de la vie privée, Paris, la Documentation française, 1998 ; Françoise Dekeuwer-Défossez, Rénover le droit de la famille : propositions pour un droit adapté aux réalités et aux aspirations de notre temps, Rapport au Garde des Sceaux, ministre de la Justice, Paris, la Documentation française, 1999 ; Feriel Kachoukh, Accouchement « sous X » et secret des origines : comprendre et accompagner les situations en présence, Rapport du groupe de travail, Service des Droits des femmes, 1999.
Mais elle était posée dans son rapport par la députée PS et rapporteur de la commission des lois, Denise Cacheux.
Selon l’expression de L. Neuwirth, qui se propose, par cette interdiction, de « verrouiller définitivement la garantie de ce secret, qui va dans le sens de la vie » (J.O., Débats, Sénat, séance du 8 décembre 1992, p. 3736).
Dite loi Mattéi, du nom du député UDF, auteur et rapporteur de la proposition de loi.
Le code de la famille et de l’action sociale prévoyait seulement que « les frais d’hébergement et d’accouchement des femmes qui ont demandé, lors de leur admission en vue d’un accouchement dans un établissement public ou privé conventionné, à ce que le secret de leur identité soit préservé, sont pris en charge par le service de l’Aide sociale à l’enfance du département, siège de l’établissement. Aucune pièce d’identité n’est exigée et il n’est procédé à aucune enquête ». Ce que les accouchées « sous X » avaient le droit de faire (voir ou non le bébé, le tenir ou non dans les bras, l’allaiter ou non, lui donner ou non des prénoms, savoir ou non quels prénoms lui avaient été donnés, recevoir ou non des visites ou des appels téléphoniques, lever ultérieurement le secret, etc.) était donc très diversement apprécié selon les établissements ou « selon les convictions personnelles » (Gérard Laurent, L’accouchement au secret dans une maternité hospitalière, Paris, Faculté de médecine Saint-Antoine, thèse de doctorat en médecine, 1983, p. 57). Cf. Lefaucheur, 2001a, 2003b.
Intervention de Ségolène Royal, ministre déléguée à la Famille, à l’Enfance et aux Personnes handicapées. Assemblée nationale, 31 mai 2001.
Bonnet, 1990, 1992.
Gérard Gouzes, J.O., Débats, Assemblée nationale, Ie séance du 28-4-1992, p. 730.
Lucien Neuwirth, J.O., Débats, Sénat, séance du 8-2-1992, p. 3736.
Amendement voté sous la forme de l’insertion dans le code civil d’un article 341-1 ainsi rédigé : « Lors de l’accouchement, la mère peut demander que le secret de son admission et de son identité soit préservé ».
Phan, 1975 ; 1986.
Neuwirth, op. cit., p. 3736. La confusion est fréquente entre clandestinité et secret, et, plus encore, entre secret et anonymat. Accoucher clandestinement, c’est accoucher « en cachette », hors d’un dispositif officiel ou légal. Dans le cadre de l’accouchement dit sous X, la loi ne parle que de secret, ce qui, stricto sensu, impliquerait que le nom de l’accouchée soit connu « d’un nombre limité de personnes » et doive « rester caché des autres, du public » (Petit Robert). Mais, la loi prescrivant aussi qu’aucune pièce d’identité ne soit exigée et qu’aucune enquête ne soit faite, l’accouchement peut aussi, de fait, être anonyme.
Plutôt que de permettre aux femmes d’accoucher secrètement ou anonymement, les autorités locales et hospitalières d’Ancien Régime semblent avoir surtout eu le souci d’identifier les accouchées et leurs séducteurs pour leur faire payer les frais de gésine et/ou l’entretien des enfants abandonnés.
Sous Louis XI, la salle de l’Hôtel-Dieu destinée aux femmes enceintes ou accouchées, qui existait sans doute depuis un siècle, sinon deux, se trouvait, selon une charte du XVe siècle, « en lieu destourné et clos […] car c’est raison et bien chose convenable que femmes gisans denffan soient en lieu clos et destourné et secret et non pas en apparent comme sont les autres malades » (Henriette Carrier, Origines de la Maternité de Paris. Les maîtresses sages-femmes et l’Office des accouchées de l’ancien Hôtel-Dieu (1378-1796), Paris, Georges Steinheil, 1888, p. 4).
Le règlement de la salle des accouchées a, semble-t-il, toujours veillé à préserver le secret de l’identité des femmes qui recouraient à cet « asile contre le déshonneur » – déshonneur qu’aurait, estimait-on, entraîné la publicité d’une grossesse illégitime ou adultère, mais aussi celle de « dérangements de fortune » interdisant à certaines familles de s’offrir les services d’une sage-femme à domicile. Le secret n’était cependant pas l’anonymat, comme en témoigne une lettre adressée en 1786 par le lieutenant-général de police à l’ambassadeur de l’empereur d’Allemagne : « Pour assurer la tranquillité des familles, il s’y observe un secret impénétrable sur le nom de celles qui y vont ; il n’est inscrit que sur un registre tenu sous clef par la religieuse de la salle, et dont connaissance, que nous nous interdisons à nous-mêmes, n’est donnée à personne. […] Quant aux maris, ils ne sont jamais admis à parler à leurs femmes que dans un parloir qui est dehors » (Carrier, op. cit. p. 53).
Les tours étaient des dispositifs pivotants, généralement placés dans un mur d’enceinte, pour permettre l’abandon des nourrissons. Si leur existence est attestée depuis le Moyen Âge dans la plupart des pays latins, il semble bien qu’ils étaient loin d’avoir en France l’ancienneté, l’importance et la fréquence que leur prêtent souvent aujourd’hui les partisans de l’accouchement secret, qui les font par ailleurs remonter à tort à Vincent de Paul. C’est la réforme de l’assistance aux enfants abandonnés, en 1811, qui a imposé son usage en France, mais cette mesure ne fut pas appliquée dans tous les départements. Tombés en désuétude dès le milieu du XIXe, les tours furent supprimés officiellement en 1904. Sous la IIIe République, les promoteurs de la « maternité secrète » voyaient, dans ce que l’on n’appelait pas encore l’accouchement sous X, un « tour des mères ».
Luc Dejoie, J.O., Débats, Sénat, séance du 8-12-1992, p. 3731.
Ministère de l’Intérieur, circulaire du 30 juin 1812, citée par Hutteau d’Origny (De l’état-civil et des améliorations dont il est susceptible, Paris, Demonville, 1823, p. 159-160).
Arrêt de la Cour de cassation en date du 1er juin 1844, cité par A. de Taillandier (Manuel-formulaire des officiers de l’état-civil, Paris, direction des publications administratives, 1913, p. 128).
Décret du 28 juin 1793, Titre 1er, paragraphe II (Secours à apporter aux enfants abandonnés).
Décret-loi n° 3763 du 2 septembre 1941.
J.O., Débats, Assemblée nationale, 1° séance du 28-4-1992, p. 730.
J.O., Débats, Sénat, séance du 8-12-1991, p. 3736.
L’association ProphylaX-Y, qui milite contre « la discrimination en matière de santé des personnes nées dans l’anonymat », a par exemple, choisi symboliquement la ville de Vichy pour y organiser, en mai 2004, des Journées de travail des personnes nées sous X et des mères de l’ombre.
Jean-Paul Bret, J.O., Débats, Assemblée nationale, 1e séance du 31-05-2001.
Au début des années 1930, une soixantaine de départements admettaient déjà sans enquête et sans formalité, au titre de l’assistance médicale gratuite, les femmes en couches, d’ailleurs peu nombreuses, qui demandaient la discrétion ou le secret (M. Sarraz-Bournet, « Les maternités secrètes », in Rapport d’ensemble présenté par l’inspection générale des services administratifs, Melun, imprimerie administrative, 1933, p. 51-77).
Paul Strauss, L’enfance malheureuse, Paris, Charpentier, 1896, p. 40.
Michel Cahen oppose ainsi la « tradition révolutionnaire du secret », visant à protéger la femme de la vindicte sociale et à éviter l’abandon, à son « inversion bourgeoise », visant à protéger l’ordre moral et social et ne permettant le secret qu’en vue de l’abandon, inversion qu’il voit amorcée en 1904 et consommée entre 1941 et 1956 (2003).
Lefaucheur, 2001a. Le titre II du décret-loi du 15 avril 1943 relative à l’assistance à l’enfance inscrit d’ailleurs explicitement la création des maisons maternelles dans la « prévention des abandons ».
Selon le règlement d’une maternité hospitalière de la Seine-Saint-Denis adopté en 1975, la femme qui demandait le secret ne pouvait ni disposer du téléphone, ni recevoir des visites, ni se promener dans le couloir, ou, « à plus forte raison aller dans le hall jusqu’à la cafeteria ». Dans le cas où elle n’observerait pas ce règlement, « son anonymat tomberait et elle risquerait alors de se voir retirer le bénéfice du secret ». Pour lui conserver « son entière liberté de décision », elle n’était pas non plus autorisée à avoir des nouvelles de l’enfant, séparé d’elle dès la naissance, ni à connaître les prénoms qui lui avaient été donnés – ce qui était considéré comme « une possession d’état symbolique inadmissible » ; le sexe de cet enfant pouvait lui être indiqué, mais seulement sur sa demande expresse (Laurent, op. cit. p. 66-68).
Inconnue du droit d’Ancien Régime, l’adoption des mineurs a été autorisée par le droit révolutionnaire, supprimée par le code civil de 1804 et rétablie par les lois du 19 juin 1923 sur l’adoption, créant une filiation additive, et du 29 juillet 1939 sur la légitimation adoptive, rompant la filiation originelle. La loi du 11 juillet 1966 a maintenu la distinction entre adoption additive (dite simple) et adoption substitutive (dite complète).
Franck Sérusclat, J.O., Débats, Sénat, Séance du 23-4-1996, p. 2117.
Joëlle Dusseau, J.O., Débats, Sénat, séance du 23-4-1996, p. 2111.
Robert del Pecchia, J.O., Rapport d’information, Sénat, annexe au procès-verbal de la séance du 8-11-2001.
Gilbert Gantier, J.O., Débats, Assemblée nationale, 2e séance du 10-1-2002, p. 293 ; Jean-Louis Lorrain, J.O., Débats, Sénat, séance du 20-12- 2001.
Jean-François Mattéi, J.O., Débats, Assemblée nationale, 1e séance du 31-5-2001.
L’une de leurs associations avait ainsi choisi de se dénommer « Droit de parole pour des citoyens différents ».
Denise Cacheux, J.O., Débats, Assemblée nationale, 1e séance du 28-4-1992, p. 720.
Oubliant sans doute que les « sous X » sont aussi – et même le plus souvent – des femmes (et que les « enfants » sont loin d’être tous des « jeunes »), les féministes qui ont défendu l’accouchement secret comme droit des femmes à la non-maternité ont aussi souvent cherché à nier, voire à railler, la souffrance dont ils faisaient état : « Les ‘sous X’ se prétendent ‘privés d’identité’ et ‘condamnés à l’errance’ (rien que ça !) » (Christine Delphy, « Avec la crémière, je taille des bavettes », Libération, 8 mars 2001). « Lorsque l’on connaît tous les problèmes qui touchent la jeunesse et l’incertitude de l’avenir, on se demande pourquoi ces enfants auraient pour seul souci de connaître leurs origines. Cela nous choque ! » (audition de Maya Surduts, secrétaire générale de la CADAC, Assemblée nationale, Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, compte rendu n° 32, 24-4-2001).
Fernand Daffos, Libération, 26 mai 2000. « Nous tenons fermement à reconnaître le droit à un accouchement anonyme ; et nous en payons le prix, puisque, de ce fait, nous enlevons à l’enfant toute lumière sur ses origines […]. Voici nos raisons : la famille ne doit pas relever des liens du sang », affirmait aussi François Dagognet (Libération, 13-14/11/1999) – inconscient sans doute de l’aporie qui l’amenait à désigner cependant les géniteurs d’un enfant adopté comme ses vrais parents en poursuivant : « Nous ne permettons pas à l’adopté de se soucier de ses parents réels ».
Les citations qui suivent sont extraites de l’intervention de Ségolène Royal devant l’Assemblée nationale, le 31 mai 2001.
Réponse à Nicole Borvo, Sénat, séance du 20-12-2001.
Bernard Vernier, Le visage et le nom. Contribution à l’étude des systèmes de parenté, Paris, PUF, 1999.
Evelyne Pisier parle ainsi de « l’idéologie réactionnaire du ‘droit aux origines’ » (Libération, 30-6-1999).
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