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Compléments en ligne : Clio a lu

Édith Thomas, Les Pétroleuses | Carolyn Jeanne Eichner, Franchir les barricades. Les femmes dans la Commune de Paris | Sidonie Verhaeghe, Vive Louise Michel ! Célébrité et postérité d’une figure anarchiste

Nouvelle édition préfacée et enrichie par Chloé LEPRINCE, Paris, Gallimard, 2021 [1963], coll. « Folio Histoire », 393 p. | Traduit de l’anglais par Bastien Craipin, Paris, Éditions de la Sorbonne, 2020 [2004], coll. « Histoire de la France aux xixe et xxe siècles », 312 p. | Vulaines-sur-Seine, Éditions du Croquant, 2021, 298 p.
Michelle Zancarini-Fournel
p. 281-285
Référence(s) :

Édith Thomas, Les Pétroleuses, nouvelle édition préfacée et enrichie par Chloé Leprince, Paris, Gallimard, 2021 [1963], coll. « Folio Histoire », 393 p.

Carolyn Jeanne Eichner, Franchir les barricades. Les femmes dans la Commune de Paris, traduit de l’anglais par Bastien Craipin, Paris, Éditions de la Sorbonne, 2020 [2004], coll. « Histoire de la France aux xixe et xxe siècles », 312 p.

Sidonie Verhaeghe, Vive Louise Michel ! Célébrité et postérité d’une figure anarchiste, Vulaines-sur-Seine, Éditions du Croquant, 2021, 298 p.

Texte intégral

1Après la célébration des cent-cinquante ans de la Commune en 2021, trois livres seront examinés successivement dans cette note de lecture. Honneur à la première historienne ayant mis en valeur, dès 1963, le rôle des femmes dans La Commune, Édith Thomas. Son ouvrage, Les Pétroleuses, est republié avec bonheur dans la collection Folio Histoire pour la commémoration des cent-cinquante ans de la Commune en 2021, avec une excellente mise au point actualisée – historiographique, bibliographique, chronologique – et des notes refondues de Chloé Leprince, très bonne connaisseuse de la période après un master d’histoire en 2022 consacré à l’Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés (« Une organisation sérieuse de citoyennes au travail pour la révolution : approcher par en bas rapports de genre et engagement féminin dans la Commune de Paris », master 2 ENS/EHESS, dir. Quentin Deluermoz et Julie Pagis, 2022).

2Les Pétroleuses est le premier livre en histoire des femmes que j’ai lu, acheté dès sa sortie l’année de mon baccalauréat et conservé dans ma bibliothèque ; j’avais été fascinée par cette étude prenant à bras le corps le mythe et la réalité de ces femmes de la Commune, absentes des manuels scolaires, mais engagées dans les combats et qualifiées d’incendiaires, étude qui, tout en s’appuyant sur des sources archivistiques précises, exprimait les questionnements de l’autrice (cf. le titre du chapitre XII : « Y eut-il des pétroleuses ? »). J’étais également fascinée par la personnalité d’Édith Thomas, grande figure de la Résistance intellectuelle, âme du Comité des écrivains, qui a aidé à faire paraître dans la clandestinité Les Lettres françaises et a dénoncé dans ses colonnes, en octobre 1942, la déportation des juifs sous le titre « Crier la vérité » : « Notre métier ? Pour en être digne il faut dire la vérité. La vérité est totale ou n’est pas […]. » (cité par Chloé Leprince dans sa préface p. 28). Avec l’écrivaine Simone de Beauvoir et ses Mémoires d’une jeune fille rangée (1958), Édith Thomas, marxiste hétérodoxe, résistante méconnue et isolée (ostracisée parce qu’elle avait rompu en 1949 avec le parti communiste), faisait partie des héroïnes de mon panthéon féministe d’alors, bien qu’elle ait préféré « l’humanisme féminin » au féminisme, comme elle le spécifie dès son introduction (p. 31). La lecture des titres de chapitres des Pétroleuses d’Édith Thomas est instructive : elle n’arrive au 18 mars qu’après avoir étudié « la querelle des femmes », « les femmes sous le Second Empire », « le siège de Paris ». En égrenant les autres chapitres, on constate à quel point cette chartiste a été la découvreuse des objets et des lieux essentiels de politisation et d’action des femmes pendant la Commune : l’Union des femmes, les clubs, l’enseignement (laïque, pour les filles comme pour les garçons), la figure de la « grande journaliste » André Léo, mais aussi les ambulancières, les cantinières et celles qui se battent, « les soldats » écrit-elle.

3Chloé Leprince resitue à juste titre, dans sa chronologie, les soixante-douze jours de la Commune de Paris – entre le 18 mars, jour de l’insurrection des femmes pour empêcher la récupération par le gouvernement de Thiers de plusieurs centaines de canons rassemblés sur la colline de Montmartre, et le 28 mai, dernier jour des combats de la Semaine sanglante à Belleville – dans une séquence plus longue, que ce soit celle de l’histoire des femmes depuis la Révolution française (évoquée déjà par Édith Thomas) ou celle de l’histoire plus récente marquée par la défaite dans la guerre franco-prussienne, la proclamation de la République le 4 septembre 1870 et le siège de Paris. Les femmes les plus actives pendant la Commune – Nathalie Le Mel, André Léo, Louise Michel, Élisabeth Dmitrieff, Paule Mink – se sont formées et socialisées politiquement dans les réunions et les associations de la fin du Second Empire. Dans ses copieuses notes, Chloé Leprince souligne l’évolution des connaissances qui rendent discutables certaines affirmations d’Édith Thomas, s’appuyant elle-même sur les erreurs des ouvrages de Benoît Malon ou d’Élisée Reclus au sujet de l’épisode d’une guillotine brûlée, ou plus important, à propos des liens organiques entre l’Union des femmes et l’AIT (structure plus virile que féminine) : ce qui est en jeu dans ces interprétations, c’est le lien entre des figures de premier plan, telles Élisabeth Dmitrieff ou Nathalie Le Mel, membres de l’AIT, et la plupart des adhérentes de l’Union des femmes, « communardes d’en bas », loin de la détermination des engagements politiques des précédentes. On retrouvera une problématique similaire dans les deux autres ouvrages considérés dans cette note de lecture.

4La traduction du livre de Carolyn J. Eichner, Surmounting the Barricades: women in the Paris Commune, Bloomington, Indiana Press, publié en 2004, est sortie seize ans plus tard en 2020 sous le titre, Franchir les barricades. Les femmes dans la Commune de Paris, aux Presses de la Sorbonne. L’historienne étatsunienne étudie le parcours de trois figures marquantes de la Commune de 1871, André Léo, Paule Mink et Élisabeth Dmitrieff qualifiées de féministes et de socialistes. Carolyn Eichner entend démontrer l’importance du rôle politique de ces communardes qu’elle considère comme sous-estimées et occultées dans l’histoire de la Commune et dans celle du féminisme. Le décalage temporel entre un livre paru à l’étranger en 2004 et la traduction en français en 2020 est – malheureusement – fréquent et on ne peut en vouloir à l’autrice.

5Mais il est moins courant, surtout dans une édition universitaire, que la bibliographie ne soit pas mise à jour, particulièrement dans ce cas précis où les études se sont multipliées dans les premières décennies du xxie siècle : si l’on prend le cas d’André Léo, à laquelle Édith Thomas avait déjà consacré un chapitre en 1963, en 2004 l’année même de la parution de l’ouvrage de Carolyn Eichner aux États-Unis est publiée l’étude d’Alain Dalotel sur André Leo (1824‑1900), la Junon de la Commune. En 2010, Alice Primi dans Femmes de progrès. Françaises et Allemandes engagées dans leur siècle, 1848‑1870, publié aux PUR, développe largement la vie d’André Léo. Dix ans plus tard, sans parler des articles qui lui sont dédiés entre temps, un livre collectif est publié en 2014 sur Les Vies d’André Léo. Romancière, féministe et communarde aux Presses universitaires de Rennes (voir aussi le compte rendu d’un roman d’André Léo dans Clio FGH, 52). De ce fait, un des enjeux de la démonstration de Carolyn Eichner n’est pas opérant.

6Un autre de ses arguments est également discutable : si en 1848, la question du suffrage des femmes a été largement posée, entre autres par Jeanne Deroin, en 1870‑1871, ni les communardes, ni même les féministes peu favorables à la Commune (tels Maria Desraimes ou Léon Richer) n’étaient partisans du suffrage des femmes. C’est seulement une décennie plus tard que Hubertine Auclert s’empare de ce combat et cette dernière est restée longtemps isolée. Si l’on considère une histoire plus générale du féminisme, on ne peut dire qu’André Léo ait été oubliée des premières histoires universitaires du féminisme, telle celle de Laurence Klejman et de Florence Rochefort (1989). Enfin ce qui pouvait paraître novateur en 2004 – envisager l’histoire des femmes de la Commune dans une chronologie plus large que les soixante-douze jours de la Commune de Paris – a été largement développé dans les travaux généralistes sur la Commune, par exemple ceux de Jeanne Gaillard dès 1971 et de Laure Godineau dans La Commune par ceux qui l’ont vécue (2010). L’ouvrage de Carolyn J. Eichner permet toutefois – c’est un apport certain – de distinguer les spécificités individuelles de l’engagement militant et féministe de ces trois femmes connues et leurs différences de positionnement entre universalisme et différentialisme.

7L’ouvrage de Sidonie Verhaeghe, Vive Louise Michel ! Célébrité et postérité d’une figure anarchiste, publié aux éditions du Croquant en 2021, est tiré d’une thèse de sociologie politique soutenue en 2016 à l’université de Lille – « De la commune de Paris au Panthéon : célébrité, postérité et mémoires de Louise Michel. Sociologie historique de la circulation d’une figure politique » – au titre moins séduisant, mais plus précis. Il porte sur le processus de mémorialisation et de transmission des figures et des représentations de la principale héroïne de la Commune. L’ouvrage de Sidonie Verhaeghe a le grand mérite de ne pas se limiter à l’épisode communard, mais d’envisager sur la longue durée la vie de Louise Michel, non seulement avant et après les combats : la déportation, puis les actions militantes autour de l’anarchisme, puis la mémoire posthume. Celle que l’on a caractérisée de « Vierge rouge », dans un processus de sexualisation de sa personne et de son parcours, a incarné surtout sa détermination et la fidélité à ses idéaux et à ses positions politiques, tout en se livrant à l’écriture poétique et romanesque. Louise Michel a été en contact avec les républicains par l’intermédiaire de Victor Hugo avec lequel elle correspond depuis l’âge de vingt ans, et de Georges Clemenceau, maire de Montmartre. Ce dernier devenu président de la Chambre fait voter l’amnistie générale des Communards en 1880 après la grâce présidentielle. Après son retour de Nouvelle-Calédonie, outre de nombreuses conférences et meetings dans toute la France, Louise Michel participe le 9 mars 1883 à une manifestation aux Invalides pour les « ouvriers sans travail », drapeau noir en tête, et dévalise les boulangeries afin de distribuer du pain. Arrêtée le 24 mars, elle est emprisonnée à Saint-Lazare, condamnée à six ans de prison en juin, et libérée de force en janvier 1886, sans que cela n’altère son énergie militante.

8Sidonie Verhaeghe décrit remarquablement, avec précision et pertinence l’historicité de la figure de Louise Michel et la construction de sa célébrité et de sa postérité, celle d’une figure marginale, aux multiples réappropriations. Au-delà de son personnage historique, elle incarne des idées : république sociale, fédéralisme, anarchisme, internationalisme, féminisme et émancipation par l’instruction. L’autrice emploie toutes les catégories conceptuelles de la sociologie politique : carrière militante, « entrepreneur de morale » transformée en entrepreneur de mémoires.

9On a beaucoup discuté du féminisme des communardes et particulièrement de celui de Louise Michel, qui, au nom de son anarchisme (et de son refus de revendiquer le droit de vote pour les femmes), ne se considérait pas comme féministe. Mais pendant la Commune, elle a défendu le droit des femmes à être des combattantes et des militantes (p. 110 sq). Elle a fondé le Comité de vigilance des femmes du 18e arrondissement. En réalité, comme le rappelle à juste titre Sidonie Verhaeghe, Louise Michel a refusé les normes sociales attribuées à son sexe et incarné, de ce fait, la figure de l’éternelle révoltée, quelque peu hystérique aux yeux de certains, mais fidèle à ses engagements politiques. Ces caractéristiques ont sans doute permis que perdure sa postérité. Son nom figurant sur nombre de plaques de rues, comme au fronton d’établissements scolaires, témoigne de son intégration dans la mémoire nationale.

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Pour citer cet article

Référence papier

Michelle Zancarini-Fournel, « Édith Thomas, Les Pétroleuses | Carolyn Jeanne Eichner, Franchir les barricades. Les femmes dans la Commune de Paris | Sidonie Verhaeghe, Vive Louise Michel ! Célébrité et postérité d’une figure anarchiste »Clio, 56 | 2022, 281-285.

Référence électronique

Michelle Zancarini-Fournel, « Édith Thomas, Les Pétroleuses | Carolyn Jeanne Eichner, Franchir les barricades. Les femmes dans la Commune de Paris | Sidonie Verhaeghe, Vive Louise Michel ! Célébrité et postérité d’une figure anarchiste »Clio [En ligne], 56 | 2022, mis en ligne le 01 décembre 2022, consulté le 04 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/23206 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.23206

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Auteur

Michelle Zancarini-Fournel

Université Lyon-I/ LARHRA

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