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Dossier

« Une action dont on rougit mesme dans les solitudes les plus secrètes »1 : enquête sur les violences sexuelles conjugales (Paris, xviie-xviiie siècle)

“An action inspiring remorse even in the most secret solitude”: marital rape in Paris (seventeenth and eighteenth centuries)
Marion Philip
p. 93-117

Résumés

Le crime de viol conjugal, très récemment incriminé par le droit français, n’existe pas sous l’Ancien Régime. La sexualité conjugale est définie par le droit canon et séculier comme un sacrement dont la validité repose sur le principe de l’échange d’un consentement libre. La consommation nuptiale vient confirmer ce consentement initial et ratifie le mariage mais elle impose également aux époux le devoir conjugal. Ainsi, le consentement sexuel inaugural prévaut pour l’ensemble de la vie maritale, empêchant en théorie toute évocation de viol conjugal. L’absence d’incrimination spécifique des violences sexuelles entre époux n’empêche pourtant pas leur poursuite judiciaire par des voies détournées. Par la mobilisation d’un corpus d’affaires matrimoniales variées entre 1600 et 1750 (requêtes de séparation d’habitation, de nullité de mariage pour impuissance sexuelle ou de mariage forcé), cette enquête permet d’accéder à de rares témoignages et expériences féminines de ces violences, de mieux comprendre ce qui était considéré comme violent dans la sexualité conjugale et de réfléchir à ce que ces comportements et leur répression disent de l’ordre de genre patriarcal.

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Texte intégral

  • 1 Le Maistre 1656 : 232-233.
  • 2 Chariot 2019 : 9.
  • 3 Pour une défense de l’emploi de concepts contemporains comme celui de viol conjugal pour étudi (...)

1Le viol conjugal est un tout jeune crime au regard de l’histoire du droit pénal français2. Faire une histoire criminelle du viol conjugal aux xviie et xviiie siècles semble donc être une entreprise irréalisable voire anachronique. D’abord, parce qu’en raison de l’inexistence de son incrimination, cette violence n’a a priori laissé aucune trace dans la pratique judiciaire. Ensuite, parce qu’il pourrait ne pas sembler pertinent d’étudier une notion que les mentalités contemporaines ignoraient. Pourtant, l’absence de reconnaissance juridique d’une violence ne signifie pas qu’elle n’ait eu aucune réalité sociale, ni que les contemporains n’aient eu aucune sensibilité à son égard, ni non plus qu’ils ne lui aient accordé aucune reconnaissance culturelle et sociale3.

  • 4 Sur l’importance de la jurisprudence dans la prise en compte de la violence sexuelle au xixe s (...)
  • 5 AN, Z/1o, Officialités diocésaines et métropolitaines de Paris, officialité de Saint-Germain-d (...)

2Cette enquête se fonde sur l’hypothèse qu’il faut parfois dépasser les frontières définies par le droit au sein des archives judiciaires d’Ancien Régime, pour appréhender des objets historiques encore inexplorés. Des sensibilités sociales et culturelles apparaissent, plus fines et subtiles que ce que les traités de droit et de jurisprudence exposent aux premiers regards4. Certaines procédures civiles permettent d’approcher l’intimité des lits conjugaux, et d’y déceler d’éventuelles violences. Les procédures de nullité de mariage pour défaut de consentement et impuissance sexuelle, repérées pour cette enquête au sein du fonds de l’officialité métropolitaine et diocésaine de Paris de 1609 à 1750, font partie des rares sources qui les documentent5. Les requêtes dépouillées concernent des femmes de toute catégorie sociale désirant annuler leur mariage parce qu’elles n’y ont pas consenti, ou en raison de sa non consommation et de l’incapacité de leur époux à le consommer.

  • 6 AN, Y, Chambre du Conseil (1700-1740). L’échantillonnage a été construit en sélectionnant une (...)

3D’autres affaires, les demandes de séparation d’habitation et de biens, évoquent des violences conjugales a priori éloignées de toute question sexuelle6. Cette procédure permet de libérer des époux du devoir de cohabitation (charnelle et résidentielle). Majoritairement féminines, les plaintes décrivent essentiellement de graves violences corporelles, mais elles laissent aussi ponctuellement transparaître des sévices sexuels.

  • 7 Seidel Menchi & Quaglioni 2000 ; Charageat 2011.

4Une lecture attentive des discours des parties impliquées dans les procédures matrimoniales laïques comme ecclésiastiques permettent ainsi de repérer un seuil au-delà duquel les violences sexuelles conjugales parvenues aux oreilles de la justice ne pouvaient rester sans conséquences. Pourtant, la patience dont l’historien doit faire preuve pour accéder à cette réalité montre à quel point les femmes victimes de violence sexuelle conjugale devaient développer une fine connaissance des rares moyens d’action judiciaire dont elles disposaient pour faire reconnaître le caractère intolérable des sévices qu’elles avaient subis7. Or, la parole féminine dépasse très rarement ce seuil : les femmes ne font qu’effleurer de leurs mots les crimes commis, indiquant que le franchissement a été consommé, mais sans en dire plus. C’est ce seuil entre tolérable et intolérable, dicible et indicible qui sera ici évalué.

5Cette enquête est donc doublement périlleuse. D’abord parce que les cas sont rares et ne sont atteignables qu’en tant que circonstances aggravantes de fautes conjugales d’autre nature (l’impuissance, la violence physique). Ensuite, parce qu’une fois ces dossiers repérés nous nous confrontons aux silences des demanderesses qui livrent rarement une confession précise.

6Une piste est pourtant offerte par l’analyse de la place des normes de genre dans la perception de ces violences sexuelles conjugales. Comment les normes juridiques, morales et culturelles intègrent-elles la contrainte à la sexualité conjugale ? L’ensemble des affaires impliquant des abus sexuels conjugaux repérées sont le fait de violences exercées par des hommes sur des femmes. Il nous faudra donc analyser le poids des rôles de genre dans le déclenchement de ces violences conjugales. Pour ce faire, il est nécessaire d’évaluer en quoi les définitions juridiques ecclésiastiques et laïques du mariage peuvent favoriser les violences sexuelles lors de la nuit de noce ainsi qu’au sein de la vie sexuelle conjugale. Comment le consentement à la sexualité conjugale est-il régi par l’ordre de genre patriarcal ? Existe-t-il des circonstances ou des pratiques sexuelles que ces normes ne peuvent tolérer, des interstices juridiques mobilisables par les épouses pour se prémunir des violences sexuelles conjugales ? Ainsi il nous faudra chercher à repérer les détours légaux et langagiers qui permettent aux victimes d’accéder à une reconnaissance des violences sexuelles conjugales subies. Cette enquête nous conduira à nous interroger sur les définitions des violences conjugales aux xviie et xviiie siècles en repérant les pratiques considérées comme violentes dans la sexualité conjugale et, à l’inverse, les pratiques jugées sexuelles parmi les « mauvais traitements des maris ».

La nuit de noces

Forcer la consommation

  • 8 Gaudemet 1987 ; Noonan 1967.
  • 9 Les « enfants ou fils de famille » est un terme juridique désignant les enfants mineurs vivant (...)

7Treize dossiers de nullité de mariage forcé ont été retrouvés dans le fonds de l’officialité parisienne. Huit procédures sur treize sont menées par des femmes, souvent promises très jeunes par leurs parents ou tuteurs qu’elles accusent d’avoir forcé leur consentement au mariage. Le droit canon, seul compétent en matière de validité des sacrements, établit clairement le consentement libre et mutuel comme principe fondateur du mariage, ce que le Concile de Trente a réaffirmé en 15638. Ce point doctrinal donne aux officialités la capacité d’annuler les mariages contraints, ce qu’elle n’hésite pas à faire dans les quatre sentences retrouvées parmi l’ensemble des huit dossiers des archives de l’officialité parisienne. Ces rares requêtes ne concernent vraisemblablement qu’un indice a minima de la réalité des mariages forcés sur la période. Les enfants doivent en effet s’émanciper de la tutelle de leurs parents ou tuteurs autoritaires et, quand il s’agit de femmes, de celle de leur mari, pour ester en justice. Ils le font la plupart du temps de nombreuses années après leur mariage, ce d’autant plus que la législation royale depuis le xvie siècle a contribué, à l’opposé de la politique ecclésiastique, à renforcer le pouvoir des parents sur le destin matrimonial de leurs enfants mineurs. Le mariage des « enfants de famille » sans l’autorisation des parents est considéré comme un rapt de séduction et peut être annulé par les tribunaux royaux, les promis punis sévèrement9. Ils risquent l’exhérédation passé cet âge, depuis l’édit royal de 1556.

  • 10 AN, Z/1o/167, affaire De Lorme – Rapally, 1727.

8L’importance d’intérêts économiques et stratégiques forts peut conduire les parents à forcer le mariage de leurs enfants mineurs. Éléonore Thérèse De Lorme en fait la malheureuse expérience10. Fille d’un commissaire aux revues d’Arc en Barrois à la fortune modeste, elle est mariée en 1726 à dix-sept ans alors que son très fortuné époux, Jean-Baptiste Rapally, en a trente-sept mais offre un douaire de 6 000 livres tournois de rente, ainsi qu’une donation universelle de tous ses biens. Au banquet organisé à la suite de ses noces, Éléonore Thérèse s’échappe de table et se réfugie dans sa chambre ordinaire pour se coucher. Mais c’est sans compter la perspicacité de sa mère, Nicole Parisel. Éléonore Thérèse témoigne :

  • 11 AN, Z/1o/167, affaire De Lorme – Rapally, 1727.

Sa mère vint l’y chercher et l’emmena avec deux femmes de chambre dans la chambre destinée au sieur Rapaly. Qu’y ayant été conduite malgré elle disant à sa mère qu’elle ne vouloit point coucher avec ledit sieur Rapaly parce qu’elle n’étoit pas sa femme et qu’elle ne le reconnoissoit point pour son mary. Saditte mère la fit deshabiller par ses deux femmes de chambre qui la mirent dans le lit destiné audit sieur Rapaly et ayant conservé son jupon. Que peu de tems après le sieur Rapaly vint dans la chambre, qu’elle répondante s’étant trouvée mal on luy donna de l’eau de melice, qu’elle fut deux heures ou environ dans cet état. Qu’étant revenue à elle-même elle ne vit personne dans la chambre, mais vit le sieur Rapaly couché auprès d’elle. Que toutte la nuit elle ne dormit point et ne permit point au sieur Rapaly de l’approcher11.

9La crudité de ce récit montre à quel point les parents peuvent participer aux violences sexuelles exercées sur leur enfant du fait même du rapport d’autorité qu’ils exercent sur eux et dont ils peuvent abuser.

  • 12 Gaudemet 1987 : 175 ; Brundage 1993 : 246 ; Madero 2015.
  • 13 La xxiie consultation du canoniste et théologien Jean-Pierre Gilbert défend l’idée que la cons (...)

10Mais pourquoi forcer la jeune fille à consommer ainsi le mariage si l’on avait réussi à lui arracher un semblant de consentement lors de la cérémonie religieuse ? Le comportement de Nicole Parisel marque un fort attachement à une définition charnelle du mariage qui est ancienne. La doctrine matrimoniale consensualiste a intégré dès le pontificat d’Alexandre III (1159-1181) l’idée que la consommation charnelle lors de la nuit de noce renforce l’indissolubilité pratique du mariage : d’initié (initiatum), il devient ratifié (ratum)12. Ainsi à l’inverse, la résistance victorieuse de l’épouse à la nuit de noce confirme son absence de consentement au mariage, et devient une preuve de l’abus commis par ses parents13. En prenant appui sur l’attachement du droit canon à la copula carnalis, le mari qui use de la force lors de la nuit de noce vise à limiter le risque d’une annulation légale de son mariage contraint.

  • 14 Terrasson 1727 : 24.
  • 15 Ibid. : 6.

11Pourtant, avant les noces, la mère et le beau-père de Mademoiselle De Lorme, le sieur Dupin, avaient semblé fléchir et écouter un instant les suppliques de leur fille. Après les fiançailles à l’église Saint-Eustache, les témoins et proches des futurs époux s’étaient réunis dans le jardin d’un traiteur parisien. Trouvant ses parents sur un banc, Éléonore Thérèse s’était jetée à leurs pieds et les avait implorés de différer le mariage d’au moins une semaine. Sa mère « parut entrer dans sa peine, qu’elle représenta même à son mary qu’il seroit responsable des suittes qu’un tel mariage », et fit fléchir son époux. Mais l’un des convives, le sieur Ricard, était alors intervenu et avait insisté pour que l’union se fasse rapidement, disant au sieur Dupin « qu’il devoit user de l’authorité qu’il avoit sur sa femme et sur elle répondante ». Sous l’effet de cet efficace rappel à l’ordre de genre patriarcal, le sieur Dupin força sa belle-fille à se marier comme prévu le lendemain à 5 heures du matin. La mère, Nicole Parisel sembla alors se conformer à l’idée que la résistance des jeunes filles à leur mariage arrangé était le fruit de leurs caprices et de leur naïveté, qu’avec le temps elles apprenaient à aimer leur mari ou du moins à respecter leurs devoirs d’épouse. Selon Éléonore Thérèse, sa mère l’avait forcée à écrire des lettres d’amitié à Rapally avant son mariage, comme pour lui apprendre l’art d’être une bonne épouse14. Or, le service d’une épouse consistait aussi à satisfaire sexuellement son mari. La jeune femme « ne devoit plus estre occupée que du soin de plaire au sieur Rapalli, & que ce seroit l’indisposer à jamais contr’elle que de lui refuser ce que les maris ont droit d’attendre de leurs femmes », selon les mots de Nicole Parisel15.

Une résistance peu audible ?

  • 16 Ibid. : 25.
  • 17 AN, Z/1o/145/A, affaire Tavillon – Parmentier, 1696.

12Cette incapacité à prendre en considération la résistance d’une jeune fille est également perceptible dans la réaction d’autres époux ainsi rejetés. La plupart des époux de ces huit affaires de mariage forcé semblent très peu attentifs au réel consentement de leur promise. Jean-Baptiste Rapally s’oppose radicalement à la version de son épouse au sujet de leur nuit de noce, ce qui fait dire à Terrasson, l’avocat de sa prétendue femme, qu’« il prend le fait [de la consommation] dans ses souhaits, & la preuve dans son amour propre »16. Pour Jean-Baptiste, le mariage est consommé et les époux sont satisfaits sexuellement. Autre mari peu perspicace, François Parmentier, tailleur d’habit de vingt-huit ans, déclare dans son interrogatoire du 26 septembre 1696, n’avoir aucunement remarqué la résistance de sa promise, Jeanne Tavillon, avant qu’elle ne le quitte et disparaisse, ce qui l’a conduit à s’engager dans l’armée par « desespoir »17.

  • 18 AN, Z/1o/130, affaire Verdavoine – Germont, 1660.

13Exceptionnellement, d’autres comportements apparaissent. Jacques Germont, peintre parisien de trente ans, explique le 24 mai 1660 que Marguerite Verdavoine, âgée d’environ quatorze ans lors de leur mariage, paraissait « ne luy port[er] pas beaucoup d’affection mais que à cause de sa jeunesse il ne prenoit pas garde et que la mere disoit que l’amitié s’y mettroit »18. Le témoignage de Marguerite, douze ans plus tard, montre qu’il a fait preuve de compréhension face à ses refus, « disant qu’il falloit la laisser en paix », alors que sa mère tentait de la forcer à se soumettre. Il avoue facilement qu’il n’a pas pu consommer son mariage pendant les six mois de cohabitation, contrairement au sieur Rapally.

  • 19 Le Blanc 1664 : 19, 21 ; Villethierry 1699 : 38-39.

14Ce mari est-il sensible au principe défendu par certains moralistes du xviie siècle selon lequel il faut concilier stratégie d’alliance matrimoniale et inclination, ou du moins absence d’opposition de la future ?19 Suivant cet idéal, les parents doivent faire le meilleur choix pour leurs enfants et éviter les conséquences néfastes d’un mariage qui reposerait sur la haine mutuelle et le dégoût, afin de préserver l’honneur de la famille. Les femmes victimes de mariages forcés peuvent donc se prévaloir de garde-fous légaux qui encadrent l’autorité parentale pour faire annuler leur union, mais éventuellement aussi de prescriptions morales. Mais qu’en est-il des épouses qui ont ouvertement consenti à leur mariage, parfois même aimé leur époux, et qui se trouvent confrontées à des violences sexuelles au cours de leur vie conjugale ? La fenêtre de tir juridique dont disposent les épouses de maris violents sexuellement est infiniment étroite, les sources particulièrement difficiles à trouver, mais elles existent néanmoins.

Violences et séparations

Des sévices sexuels « énormes » qu’on ne peut que taire

  • 20 Ce que confirment les juristes contemporains, et les études récentes sur les séparations aille (...)
  • 21 La séparation d’habitation suppose toujours une séparation de biens : la femme retrouve sa dot (...)

15Les époux subissant des violences répétées et injustifiées disposent de l’action en séparation d’habitation et de biens. Ces procédures sont reçues par les tribunaux royaux, les officialités ayant en principe perdu cette compétence en France dès le début du xviie siècle. La plupart des demandes sont faites par des femmes, les hommes étant très peu nombreux à demander la séparation20. Elle permet aux demanderesses de ne plus être tenues de vivre maritalement avec leur époux brutal et de regagner leur indépendance légale et financière. Les séparations d’habitation n’annulent cependant pas les mariages et les époux ne peuvent contracter un nouveau mariage21.

  • 22 Foyster 2005 : 4.
  • 23 Dareau 1775 : 333. Le mari excessif dans sa correction est cependant condamné par la communaut (...)

16Les épouses doivent apporter une foule de preuves solides et de témoignages pour appuyer leur demande. Le juge évalue si la femme n’a pas « mérité » la correction de son mari22. Le secret est de mise pour préserver l’honneur familial ; ainsi « un mari n’est comptable à personne de la manière dont il punit sa femme lorsqu’elle le mérite » explique le jurisconsulte François Dareau en 176523. Cependant, les coups ne sont tolérés qu’en dernier recours, et qu’en cas d’insoumission marquée de l’épouse, dans des circonstances particulières.

  • 24 Ferrière 1740 : 863.
  • 25 Dans les 147 cas de violences conjugales relevés par Christophe Regina à Marseille au xviiie s (...)

17En principe, les femmes « sages » peuvent demander la séparation d’habitation pour six motifs : « les sévices et mauvais traitemens (…) considérables et souvent réitérés », la tentative d’assassinat, « si le mari a donné plusieurs fois la vérole à sa femme, et qu’il continue de vivre dans la débauche », « si le mari accuse sa femme d’adultère, et qu’il y succombe », s’il est fou ou furieux, et enfin s’il « a conçu contre sa femme une haine capitale »24. Ainsi, comme on le voit, la conduite sexuelle du mari peut dans certains cas entrer en jeu dans les procédures de séparation d’habitation lorsqu’elle est extra-conjugale et menace la santé et la vie de la demanderesse25.

  • 26 Noonan 1967 ; Gaudemet 1987 : 59. L’inégalité des droits du mari et de la femme est rappelée p (...)
  • 27 Dans une conférence prononcée en 1975, Jean-Louis Flandrin montre à quel point il est paradoxa (...)

18Grâce à cette définition légale des séparations de corps, les frontières des acceptions de la violence sexuelle conjugale se dessinent plus nettement. Rien n’est dit sur l’absence de désir de l’épouse. Forcer son consentement à la sexualité conjugale ne paraît pas violent, car l’épouse a le devoir de s’y soumettre. Le consentement initial au mariage lors de la cérémonie nuptiale se convertit, après la consommation, en un consentement perpétuel à la sexualité conjugale. La volonté maritale ou affectio maritalis, concept issu de la tradition juridique romaine et réapproprié par le droit canon, ne se réfère pas au seul consentement initial, elle charrie également un ensemble de prescriptions régissant les comportements post-nuptiaux, que les époux sont désormais tenus de cultiver tout au long de leur vie commune26. Ces devoirs définis par la théologie et la morale incluent le debitum conjugale qui s’applique aux deux sexes : le devoir de mettre à disposition son corps sans condition à son conjoint27. La doctrine s’appuie sur les premières lignes de la Genèse (1-28), ainsi qu’au sein de l’Épître aux Corinthiens (7-3 : 4) de saint Paul : « La femme n’a pas autorité sur son propre corps, mais c’est le mari ; et pareillement, le mari n’a pas autorité sur son propre corps, mais c’est la femme ». Le mariage chrétien suppose donc une forme de renoncement des contractants à la maîtrise et à la liberté de leur corps, confié à l’autre.

  • 28 Daumas 2004 : 298.
  • 29 Pour un développement sur la question du devoir conjugal chez les protestants voir Bels 1968 : (...)
  • 30 Brundage 1993 : 255.
  • 31 Cependant, les juges ecclésiastiques ne reçoivent que très rarement des demandes d’adhésion au (...)

19En outre, le Concile de Trente, a rappelé l’importance que revêt le mariage pour résoudre la concupiscence sans pécher28. Refuser le devoir conjugal, c’est vouer l’âme de son partenaire à la damnation, le pousser à l’adultère et à la débauche. Se soumettre au désir de l’autre est donc un devoir conjugal et catholique29. Ce cadre doctrinal ôte la capacité des époux de consentir à l’acte charnel conjugal au cours de leur vie commune. Ainsi, le droit canon reconnaît uniquement la possibilité que le consentement initial lors de la nuit de noce ait été forcé, tandis que le consentement à la vie sexuelle conjugale quotidienne ne peut être réputé contraint au sein d’un mariage librement contracté30. L’arsenal juridique canonique protège donc indirectement le mari qui commet ce que nous appelons aujourd’hui un viol conjugal, et lui offre même les moyens légaux de le perpétrer. L’Église permet, en effet, aux époux abandonnés de contraindre légalement leur conjointe à « vivre maritalement » avec eux, ou leur « adhérer »31.

  • 32 Pour une réflexion sur l’écart entre les archives judiciaires médiévales et contemporaines et (...)
  • 33 Nous avons réalisé un sondage entre 1700 et 1740, choisissant de consulter les cartons corresp (...)
  • 34 AN, Chambre du Conseil, Y//9006, affaire Gouhautz – Chalot, 1720 ; Minutes des Commissaires, Y (...)
  • 35 Y//12887, Office du commissaire Soucy, affaire Gouhautz – Chalot 1709.

20Si les époux des deux sexes sont mutuellement tenus au devoir conjugal, peuvent-ils pour autant accepter tout de leur conjoint ? Si la définition légale des séparations d’habitation, on l’a vu, fixe certaines limites aux devoirs sexuels conjugaux, il reste difficile d’évaluer la récurrence de la violence sexuelle conjugale à Paris aux xviie et xviiie siècles à partir des sources judiciaires32. Plusieurs affaires de séparation de corps ont été retrouvées dans les archives du Châtelet et les factums de la Bibliothèque nationale. Parmi vingt-neuf sentences de séparation d’habitation retrouvées à la suite d’un sondage dans les archives de la Chambre du Conseil du Châtelet entre 1700 et 1740, une seule fait allusion à des abus sexuels33. Il s’agit de l’affaire qui oppose en 1720 Margueritte Madeleine Gouhautz, épouse de Pierre Chalot. Ce dernier est un ivrogne qui, lors de crises de colère et de jalousie, frappe atrocement à coups de pied, de poings et de bâton sa femme jusqu’à lui faire perdre un enfant qu’elle portait34. Margueritte Madeleine se réfugie chez ses parents à Paris. Ces derniers incitent leur gendre à les rejoindre et lui proposent de l’aider à rétablir la paix dans son ménage et la prospérité dans ses affaires. Mais Pierre Chalot continue ses violences, et « auroit porté sa passion et sa brutalité à commettre des actions sy odieuses et sy indignes d’un père et d’un mary que ladite demoiselle n’oseroit, outre qu’elle en auroit horreur, les découvrir aux yeux de la justice »35. L’incapacité de Margueritte Madeleine à nommer ce qu’elle a vécu et ce dont elle a été témoin, ainsi que le terme de « passion » qu’elle emploie, suggèrent qu’il s’agit ici de crimes sexuels, que Pierre aurait pu commettre à la fois sur sa femme et ses enfants. Ces « crimes si énormes et si affreux », selon l’expression de l’avocat de la demanderesse, ne peuvent être prononcés. Leur abomination empêche les épouses « outragées » de le faire, de peur à la fois de se déshonorer, d’offenser Dieu, les magistrats et le public assistant à l’instruction.

21Un recueil de plaidoiries célèbres de l’avocat Antoine Le Maistre présente un cas similaire. Anne de Merelessart est mariée en 1629 à l’âge de vingt-et-un ans à Claude de Mailly, seigneur de Fontaine-Notre-Dame, village proche de Saint-Quentin en Picardie. Ils appartiennent à deux familles de la noblesse picarde anciennes mais modestes, une configuration sociale commune à d’autres procès, qui nous conduit à accorder une attention particulière aux enjeux économiques et stratégiques de ces procédures. Anne, comme les autres plaignantes des factums de séparation d’habitation, explique que la violence intervient à la suite de querelles suscitées par les prétentions de son mari sur sa fortune et ses domaines. Peu après son mariage, elle a cherché à contacter sa mère, Claude Dupuy, pour l’alerter de la violence et des débauches de son mari. Les remontrances de celle-ci n’y font rien. Ainsi à l’aide de deux gentilshommes, elles organisent l’évasion du domicile conjugal, et la fuite d’Anne chez son père qui réside à Paris. Le mari réagit vite et dépose une plainte devant le prévôt royal de Ribemont pour rapt. Anne adresse alors une requête au lieutenant civil de Saint-Quentin puis au parlement de Paris pour obtenir la séparation d’habitation et de biens. Son avocat, le célèbre Antoine Le Maistre, signe trois plaidoyers pour défendre les intérêts de sa cliente. Dans l’un d’entre eux, il expose un outrage atroce, qu’il n’ose aborder frontalement :

Le sieur de Mailly luy a fait des caresses extraordinaires, certes ; mais que la Cour jugera plus insupportables à une honneste femme, que des violences & des cruautez ; sa pudeur les luy feroit taire, si la nécessité d’une juste deffence ne l’obligeoit à les dire.

Ses caresses ont esté qu’il l’a fait coucher quelques fois à deux heures après midy & s’est couché avec elle ; qu’il a fait venir des païsans dans sa chambre, les a obligez de la baiser & elle de le souffrir ; qu’il a ainsi prostitué le visage de sa femme ; qu’il a voulu que le soleil éclairast, ce qui ne sçauroit estre couvert d’une nuict assez obscure, & a fait gloire d’avoir des tesmoins d’une action dont on rougit mesme dans les solitudes les plus secrètes. (…)

  • 36 Le Maistre 1656 : 232-233.

Ses caresses enfin on esté qu’en présence de plusieurs personnes, il luy a fait une sorte d’outrage, dont il y a la preuve dans les informations ; mais que personne n’oseroit dire à la Cour, non pas mesmes par circomlocution, parce que l’action est si horrible & si honteuse, qu’elle le seroit tousjours de quelle façon qu’on la voulust déguiser ; il suffit que des tesmoins ayent esté obligez de la dire, par le serment qu’ils ont fait de dire la vérité36.

22Le Maistre use ici d’un procédé rhétorique classique en annonçant qu’il ne peut énoncer précisément ce que le sieur Mailly a fait subir sexuellement à sa femme. Mais il suggère que le noble picard a franchi un seuil, tombant par ses pratiques dans la monstruosité. S’il lui est possible de dire qu’il a agi comme un proxénète en obligeant sa femme à embrasser devant témoins des hommes de basse condition, il tait la nature des « outrages » dont ont parlé les témoins et qu’il ne peut reprendre dans son factum. Nous ne sommes pas plus avancés.

23Cependant, d’autres précisions sont apportées un siècle plus tard par François-Louis Jamet à qui nous devons la conservation de ce factum. Ce bibliophile et collectionneur du xviiie siècle a pris l’habitude de compiler des pièces de procédures, gravures, poèmes et chansons, qu’il découpe, colle ou recopie, mais surtout annote longuement en marge. À côté des « ouf ! » amusés qui soulignent les effets de style d’Antoine Le Maistre, il nous livre son interprétation de la nature de ces violences sexuelles, écrivant à la plume en marge :

  • 37 Ibid. : 233.

Il s’agit de l’onanisme, de la pederastie, et de ce ragoût qu’Horace et Martial apelent Ore allabonere : excès où la crapulle degoutée de la belle nature porte quelquefois un ivrogne mais où se livrent quelquefois aussi les amans trop lascif et trop rafinés. Voiez là-dessus le livre fameux des jésuites Sanchès De matrimonio ; Bayle, ant. Sanchez ; Paloïsia, Le Portier, l’Aretin, et l’affaire du jésuite Girard et de la Cadière.37

  • 38 Des pratiques décrites par les auteurs cités par François-Louis Jamet : Sanchez 1617 : 325-329 (...)
  • 39 Lamotte 2016.

24Il faut comprendre ici qu’il s’agit de pratiques jugées « contre-nature » : masturbation mutuelle, sodomie conjugale et fellation, suggérée par l’expression latine « ore » (bouche)38. Il est intéressant de noter que Jamet renvoie comme source de documentation détaillée sur ces pratiques interdites à la fois à des textes de théologie ou de philosophie, à de la pornographie, ainsi qu’à une célèbre affaire d’inceste spirituel39. Ainsi, seules les pratiques jugées « contre-nature » semblent être susceptibles d’être prises en compte par la justice en cas de séparation d’habitation. Toute pénétration dans le « vase idoine » (vas foeminum) même forcée est jugée licite. En revanche, les pratiques contre-natures peuvent être invoquées, car ce sont des pratiques non reproductives, qui contreviennent à la visée du mariage.

  • 40 Le Maistre 1660 : 300.

25Nous constatons que les demanderesses en séparation d’habitation peinent à décrire frontalement et avec détails les violences sexuelles qu’elles ont subies. Les tabous moraux qui entourent ces pratiques, les poussent à se taire et de nombreuses femmes préfèrent s’en tenir à décrire la violence physique qu’elles ont soufferte. Antoine Le Maistre décrit la difficulté à prouver les violences sexuelles en ces termes : « un mary ne sonne pas de la trompette, pour user des termes de l’Évangile, lors qu’il veut outrager sa femme. Il cherche le secret & la solitude »40. C’est ce qui, pour lui, rend le caractère sexuel des violences conjugales le plus difficile à instruire.

Profaner le mariage : des corps et des âmes possédés et abimés

26Le droit canon et laïc n’envisage pas qu’une pénétration vaginale entre époux puisse être considérée comme un acte charnel forcé. Pourtant la jurisprudence permet aux femmes demandant la séparation d’habitation et de biens de faire valoir qu’elles ont été forcées à coucher avec leur mari alors qu’il était soigné pour des maladies vénériennes.

  • 41 Anonyme 1668 : 178 v°.
  • 42 Porret 2000.
  • 43 Anonyme 1668 : 178 v°-179 r°.
  • 44 Daumas 2004 : 117.

27Dans la plupart des factums, le mari est présenté par l’avocat des demanderesses comme un débauché, qui ne se soucie nullement de transmettre à sa femme honnête des « maladies infames »41. Sur les dix factums de séparation d’habitation et de biens qui ont été consultés, trois époux les transmettent même volontairement à leur femme, jouissant de l’effet qu’ils produisent sur leur épouse lorsqu’ils leur annoncent après le coït qu’ils sont malades. Cette action est assimilée par les avocats des demanderesses à un uxoricide prémédité42. Catherine de la Porte se voit forcée par son époux Maximilien-Alpin, marquis de Béthune, « à souffrir les caresses du mariage », quand « il luy disoit qu’il venoit de coucher ce jour-là avec cinq filles debauchées, & qu’il en avoit à tous les coins de Paris ». Elle tente de lui échapper, mais il envoie ses cochers et laquais l’immobiliser dans sa chambre. Alors que son propre frère lui fait des reproches, il rétorque « qu’il ne se soucioit pas des arrests du parlement, qu’il seroit toujours maistre du corps de sa femme pour la mal traiter & faire enrager, & qu’il mettroit une guenippe dans son lit avec elle, & qu’il coucheroit au milieu pour la faire enrager »43. Un motif repris très régulièrement par les témoignages et plaintes d’épouses battues, pointant l’incapacité de leur mari à respecter, « le temple conjugal », le « lieu le plus sacré de la maisonnée » pour reprendre l’expression de Maurice Daumas, à propos du lit conjugal44.

  • 45 Sur l’histoire du concept de « sexualité » et son anachronisme avant le xixe siècle, voir Fouc (...)
  • 46 Mazaleigue-Labaste 2014 : 21-23. L’inexactitude de cette vision idéalisée de l’héritage des Lu (...)
  • 47 Porret 2000 : 3-4.
  • 48 Ibid. : 12.

28Les avocats narrent aussi la peine et les pleurs des épouses violentées, l’état psychique effroyable dans lequel elles se trouvent. Ce type de narration est d’autant plus notable qu’il est pratiquement inexistant dans les affaires de viol non conjugal, ce qui a alimenté l’idée d’un « Ancien Régime sexuel » peu sensible aux violences sexuelles, suivant Julie Mazaleigue-Labaste45. Ce ne serait qu’avec la montée en puissance de l’individualisme, l’avènement du « contractualisme libéral » et d’« une culture démocratique égalitariste de la sexualité » à partir du xixe siècle que se serait développée une sensibilité extrême face au viol46. Mais selon Michel Porret, l’inintérêt des juges du criminel pour les conséquences psychiques s’explique aisément : le régime pénal d’Ancien Régime offrait une « réparation symbolique au profit de Dieu, de l’État, et de la justice » et non une compensation aux personnes lésées, consistant à éliminer le criminel et restaurer l’ordre47. En revanche, certains experts médicaux décrivaient le « désespoir », la « mélancolie » et les cauchemars des victimes48. Son travail indique qu’afin d’évaluer la sensibilité d’une société aux violences sexuelles, l’étude des traités juridiques et des sentences judiciaires ne suffit pas et que l’ensemble de la procédure et de ses à-côtés doivent être pris en compte.

  • 49 Sur les définitions larges de la violence qu’employaient les contemporains, voir Foyster 2005  (...)

29Ainsi, dans les procédures de séparation, la peur, conséquence de la violence physique et mentale, est un argument de poids pour la défenderesse. Ce cadre dialectique, commun aux séparations de corps, permet au talentueux Antoine Le Maistre d’aller plus loin et d’apprécier non seulement les conséquences psychologiques immédiates des menaces et des coups, de l’humiliation d’une nudité forcée, mais également de les envisager dans la durée et d’apprécier l’expérience féminine de la violence. Ainsi, il tente de comprendre comment le psychique et le corporel se mêlent49, comment le corps souillé, battu et humilié d’Anne de Merelessart transmet à son âme de terribles tourments :

  • 50 Le Maistre 1656 : 216.

Et representez-vous s’il vous plaist combien les tourmens qu’elle a soufferts dans son imagination, ont esté plus violents que ceux de son corps, & qu’elles ont esté ses pensées, lorsqu’elle s’est veue couchée avec un homme qui sembloit avoir le dessein de la tuer ; & qui en avoit la puissance ? Que n’a-t-elle point deu apprehender de la fureur qui l’irrite dans les tenebres de la nuict ; a-t’elle pu dormir en repos, puisqu’elle ne dormoit pas en seureté ; combien de fois son sommeil a-t’il esté interrompu par des songes espouvantables & par des images d’une fin tragique ; combien de fois a-t’elle creu que son lict seroit son tombeau ?50

  • 51 Furetière 1690b : 316.
  • 52 Gélis 1984 : 359, 365. Je remercie également Sofia Zuccoli pour son éclairage sur la question.
  • 53 Voir Southgate 1992 : 283, 290 ; Roux 2008.
  • 54 Sarah Handley évoque la valeur morale des récits de fantômes dans les chapbooks anglais, dont (...)

30Le plaidoyer cherche à pointer l’impact de ces menaces et de la violence psychologique qu’a subie Anne de Merelessart. Le terme d’« imagination » qu’il emploie est compris au xviie siècle à la fois comme la puissance de l’âme à concevoir un objet, mais aussi comme un objet en soi que nous pourrions appeler aujourd’hui la psyché d’un individu51. Ces « tourmens » sont présentés comme plus graves que les coups, « plus violents que ceux de son corps ». Cela se conçoit aisément dans une première modernité accordant une grande importance à l’impact de l’imagination sur le corps, comprise comme l’ensemble des images produites par l’âme52. Ainsi lorsqu’Anne rêve que son mari la tue, ou la frappe, cette image affecte ses émotions et se transmet à son corps qui en fait l’expérience directement53. La menace des coups conduit Anne à vivre dans la peur et à ne pas trouver le sommeil. Le mari ainsi réussit pleinement à « hanter » l’esprit de son épouse54. Cette appréciation de la gravité des conséquences corporelles d’une violence psychique est assez rare dans les écrits judiciaires. Qu’elle soit évoquée dans le cadre de l’intimité conjugale n’est pas anodine, car la sexualité, et derrière elle, la procréation ainsi que le rêve sont les lieux privilégiés de l’expérience d’une confusion entre âme et corps. Elle marque également l’existence d’une certaine sensibilité aux violences qui se trament dans le lit conjugal, que nous retrouvons dans les affaires d’annulation de mariage pour impuissance sexuelle de l’officialité parisienne.

Violences, impuissance et domination

  • 55 Boucher d’Argis 1751 : 638 ; Durand de Maillane 1761b : 217-218.
  • 56 Avant 1678, date de l’interdiction de ce registre de preuve, le congrès était autorisé. Il con (...)

31La consommation charnelle du mariage étant considérée par le droit canon comme le gage du libre consentement des époux, l’impuissance, définie comme l’incapacité perpétuelle à consommer le mariage, intervenant avant les noces, est considérée comme un « empêchement dirimant » et est un motif d’annulation du mariage devant les tribunaux ecclésiastiques55. Les épouses de présumés impuissants peuvent déposer une requête de nullité de mariage pour impuissance devant l’officialité parisienne. L’official, après les avoir autorisées en justice, se charge de convoquer le mari et de procéder aux interrogatoires. Il dispose aussi de la possibilité de convoquer des experts médicaux pour ausculter les parties génitales du défendeur et de la demanderesse56. Le juge ecclésiastique se prononce ensuite sur l’impuissance du mari : si elle est reconnue, le mariage est considéré comme n’avoir jamais existé et l’épouse peut contracter un autre mariage.

  • 57 AN, Officialité de Paris, Z/1o/170/B et Z/1o/216 et Z/1o/20A, f°95, affaire Leveux – Mainguene (...)
  • 58 AN, Officialité de Paris, Z/1o/170/A et Z/1o/216 et Z/1o/80/A f° 60, 61, 62, 63, affaire Chard (...)

32Deux maris accusés d’impuissance sexuelle, sur 56 affaires dépouillées dans le fonds des officialités parisienne et germanopratine, ont des comportements qui ont trait à la violence sexuelle. Marie Madeleine Leveux, domestique parisienne de quarante-deux ans, déclare le 1er décembre 1740 que lors de leur nuit de noce son mari, Gilles Maingueneau, gagne denier âgé de quarante ans, n’a fait preuve d’aucun empressement à la retrouver dans leur chambre, et qu’il lui a dit « du ton méprisant “bonsoir” et luy tourna le dos »57. Il reste trente jours dans « cette espèce de létargie », puis le matin du 28 août 1732 décide d’essayer de consommer le mariage sans y parvenir. Le soir, il réitère ses tentatives, « mais inutillement quoiqu’il fit de si violents efforts que sa sueur luy découloit de touttes parts ». La « rage et désespoir de son état » le pousse à mordre le front et le nez de sa femme alors qu’il est encore étendu sur elle. Puis, afin de faciliter l’intromission de son pénis dans le vagin de sa femme, il déchire « avec ses doigts (…) ladite Leveux dans sa partie naturelle » et il la blesse « si grièvement qu’elle en a pensé mourir ». Marie Catherine Chardon fille d’un tapissier âgée de seize ans, subit le même traitement de la part de son époux Nicolas Sené, marchand épicier de vingt-neuf ans. Ne pouvant consommer, il se met « comme un furieux à lacérer la partie de la demanderesse »58. Les deux femmes décrivent la vive douleur qu’elles ressentent, mais elles évitent de dire qu’elles se sont débattues, ne voulant pas alimenter la défense de leur mari, qui pourrait leur attribuer la responsabilité de la non-consommation. Marie Catherine Chardon reste passive et ne fait que protester, demandant à son mari si « par les douleurs qu’il lui faisoit souffrir, il avoit envie de lui arracher le cœur du ventre ». Ces deux affaires permettent d’accéder à de très rares témoignages de l’expérience corporelle féminine de la violence sexuelle conjugale : la sensation d’avoir leur corps livré à un fou, de déchirure, l’extrême douleur ressentie au plus profond de leur corps. Cette pénétration digitale violente illustre le désespoir qu’engendre chez les maris leur incapacité à connaître une érection et exprime leur désir de marquer leur passage d’une autre façon que par la défloration.

33Les épouses des présumés impuissants cherchent par cette dénonciation à illustrer toute la monstruosité de leur mari, qui abîment leur corps et les forcent à subir des pratiques dangereuses pour leur âme. C’est aussi pour elles un moyen de se prémunir contre les résultats d’une visite médicale ordonnée par l’official. Marie Catherine Chardon déclare ainsi :

  • 59 Ibid.

[…] qu’elle est vierge en ce sens qu’elle n’a point eu commerce charnel avec aucun homme pas même avec ledit Sené, mais qu’elle craint que ledit Sené l’ayant déchirée avec ses doigts et plusieurs fois jusqu’à l’ensanglanter ne luy ait fait perdre les marques de sa virginité, surquoy elle n’est pas néanmoins assez instruite59.

  • 60 AN, Officialité de Paris, Z/1o/170/B et Z/1o/216 et Z/1o/20A, f°95, affaire Leveux – Mainguene (...)
  • 61 Les affaires de violences sexuelles conjugales étudiées révèlent le caractère genré des rappor (...)

34Le mari en « lacérant » le vagin de ses doigts cherche à détruire toute preuve de son impuissance en face d’experts médicaux et d’ainsi sceller l’indissolubilité de son mariage. Marie Madeleine Leveux note d’ailleurs que son époux lors de leur noce, s’est vivement tourné vers sa mère en disant « tout haut en montrant ladite Leveux, je la tiens presentement, elle ne l’eschapera pas »60. Ce désir excessif de possession et de domination est un moteur de la jalousie, de la violence physique, psychique et sexuelle que peuvent vivre ces femmes, qui est le fruit d’une culture patriarcale forte61.

*

35L’absence de criminalisation de la violence sexuelle conjugale sous l’Ancien Régime n’empêche pas l’action légale au civil des épouses qui les subissent. La difficulté que rencontre l’historien à accéder à leur parole révèle cependant une volonté culturelle de détourner le regard de ces violences. Ces obstacles ont d’abord une origine doctrinale. La forte connotation charnelle du consentement au mariage, l’insistance du dogme catholique sur le devoir conjugal et la force du pouvoir parental, contribuent à obscurcir la compréhension contemporaine du consentement sexuel personnel et de le transformer en un consentement collectivement déterminé. L’étude des archives judiciaires permet de montrer que les stéréotypes de genre associés aux jeunes filles, les rôles sexuels différenciés et la domination patriarcale dans le mariage rendaient la résistance des épouses peu audible aux contemporains et notamment à leurs époux. Ce phénomène crée un terrain particulièrement propice aux violences sexuelles conjugales, pourtant peu poursuivies. Le champ d’action des épouses qui en font l’expérience est très restreint, conditionné par les normes sexuelles chrétiennes. Les pratiques dites contre nature, la pénétration avec les doigts, la transmission volontaire de maladies vénériennes font franchir le seuil du tolérable et appellent parfois l’action d’un juge. Pourtant, ces pratiques, jugées « atroces » ne peuvent être énoncées à voix haute par les victimes, et l’historien doit composer avec cette étrange conversation à trou que lui livrent les archives de la justice royale et ecclésiastique.

  • 62 Vigarello 1998 : 63.
  • 63 Bernard 2018.

36Mais ces affaires finissent par dire beaucoup. Elles révèlent des gestes et des pratiques masculines relevant de codes de la domination maritale mal interprétés. Elles illustrent ainsi l’« acte de possession », le jeu de territoire qui se trame derrière la violence sexuelle conjugale, mécanisme de compensation de masculinités déviantes et alternatives62. Alors que les maris inquiétés n’adoptent pas tous des pratiques violentes, ils marquent cependant tous par leurs discours une faible considération pour la résistance féminine à la sexualité. Une résistance d’autant plus difficile à comprendre pour eux que les femmes sont éduquées dans une culture de la passivité sexuelle et de la pudeur, maintenues à l’écart des savoirs sexuels, afin de les protéger de ce qu’on considère, jusqu’au début du xviiie siècle, comme leur “naturelle” inclination au plaisir et à la passion. Elles développent ainsi une culture de l’abdication plus que du consentement actif et positif, contribuant à une dévaluation de leur résistance. Comment dans cette culture les maris peuvent-ils apprécier une posture feinte d’un réel refus ?63 Comment les épouses peuvent-elles exprimer ouvertement leurs désirs ou leur absence ? Cette illisibilité renforce l’incapacité de la société d’Ancien Régime à repérer et penser les violences sexuelles conjugales qui la traversent.

37Quelles pratiques sexuelles conjugales sont alors pensées comme violentes par les contemporains ? Qu’est-ce qui est considéré comme sexuel dans les violences d’un mari ? La sexualité n’est pas encore ce continuum de pratiques vouées au plaisir sensuel ou à la procréation, occupant une place importante dans la construction de l’identité et du bonheur individuels. Les pratiques sexuelles ne sont perçues aux xviie et xviiie siècles que par leur rapport à la volonté divine et à leur légitimité sociale, discriminant les voluptés peccamineuses, illégitimes ou contre-nature des plaisirs et devoirs procréatifs matrimoniaux. La question se pose donc en des termes bien différents d’aujourd’hui : plus que le violement d’un consentement personnel, c’est la souillure du mariage, vecteur de grâce divine, cellule sociale et sexuelle fondamentale de la société d’Ancien Régime qui est en jeu. La violence sexuelle maritale réside aussi dans l’atteinte à l’intégrité et à la dignité spirituelle et corporelle de l’épouse. Par certaines pratiques, le mari met en danger l’avenir à la fois terrestre et céleste de sa femme, privant son âme du salut et son corps de sa longévité. Contrairement au viol extra-conjugal, défini comme une atteinte au consentement féminin et à l’honneur familial, les violences sexuelles conjugales blessent la sacralité du mariage, instrument pour l’État et l’Église du gouvernement des âmes et des corps des populations.

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Notes

1 Le Maistre 1656 : 232-233.

2 Chariot 2019 : 9.

3 Pour une défense de l’emploi de concepts contemporains comme celui de viol conjugal pour étudier le passé, et l’éloge d’un anachronisme raisonné, voir Dosse 2005 ; Loraux 2005 ; Muller 2016.

4 Sur l’importance de la jurisprudence dans la prise en compte de la violence sexuelle au xixe siècle, voir Vaneau 2019.

5 AN, Z/1o, Officialités diocésaines et métropolitaines de Paris, officialité de Saint-Germain-des-Prés (1609-1750). L’échantillonnage a été construit en prélevant un carton tous les dix ans entre 1609 et 1627 (1609, 1619, 1627), puis un carton tous les 5 ans de 1627 à 1670 (1645-1656, 1658-1660, 1665-1666). De 1670 à 1750 le dépouillement a été continu.

6 AN, Y, Chambre du Conseil (1700-1740). L’échantillonnage a été construit en sélectionnant une année tous les 20 ans de 1700 à 1740.

7 Seidel Menchi & Quaglioni 2000 ; Charageat 2011.

8 Gaudemet 1987 ; Noonan 1967.

9 Les « enfants ou fils de famille » est un terme juridique désignant les enfants mineurs vivant sous « la puissance parternelle ». La majorité matrimoniale est de 25 ans pour les filles et de 30 ans pour les garçons dans la coutume de Paris. Voir Durand de Maillane 1761a : 731 ; Haase-Dubosc 1999 : 22-28.

10 AN, Z/1o/167, affaire De Lorme – Rapally, 1727.

11 AN, Z/1o/167, affaire De Lorme – Rapally, 1727.

12 Gaudemet 1987 : 175 ; Brundage 1993 : 246 ; Madero 2015.

13 La xxiie consultation du canoniste et théologien Jean-Pierre Gilbert défend l’idée que la consommation du mariage ne peut être une « preuve certaine de sa ratification », si elle a « été faite pendant que la violence duroit encore », Gilbert 1727 : 80-90. Pourtant, aucune victime de mariage forcé n’avoue avoir consommé le mariage, preuve de la forte présomption de consentement d’une femme adulte dont le viol a été accompli, que l’on retrouve dans les viols extra-conjugaux, Vigarello 1998 : 54-58.

14 Terrasson 1727 : 24.

15 Ibid. : 6.

16 Ibid. : 25.

17 AN, Z/1o/145/A, affaire Tavillon – Parmentier, 1696.

18 AN, Z/1o/130, affaire Verdavoine – Germont, 1660.

19 Le Blanc 1664 : 19, 21 ; Villethierry 1699 : 38-39.

20 Ce que confirment les juristes contemporains, et les études récentes sur les séparations ailleurs en Europe, voir Stone 1993 ; Seidel Menchi & Quaglioni 2000 ; Boucher d’Argis 2017 [1765].

21 La séparation d’habitation suppose toujours une séparation de biens : la femme retrouve sa dot, et la part qui lui revient dans la communauté de biens, elle n’est plus tenue de rembourser les dettes de son époux et retrouve une forme d’indépendance financière.

22 Foyster 2005 : 4.

23 Dareau 1775 : 333. Le mari excessif dans sa correction est cependant condamné par la communauté, et les voisins peuvent alors intervenir pour protéger l’épouse battue, voir Regina 2009.

24 Ferrière 1740 : 863.

25 Dans les 147 cas de violences conjugales relevés par Christophe Regina à Marseille au xviiie siècle, 63% évoquent la lubricité des époux violents. Regina 2009 : 63. Voir également Chojnacki 2000 ; Lombardi 2000.

26 Noonan 1967 ; Gaudemet 1987 : 59. L’inégalité des droits du mari et de la femme est rappelée par Martine Charageat (2011 : 82).

27 Dans une conférence prononcée en 1975, Jean-Louis Flandrin montre à quel point il est paradoxal pour une société qui subordonne les femmes aux hommes, d'avoir accordé des droits égaux à chaque sexe sur le corps de son époux ou de son épouse. Voir Flandrin 1986 : 127-128.

28 Daumas 2004 : 298.

29 Pour un développement sur la question du devoir conjugal chez les protestants voir Bels 1968 : 204 ; Eurich 2017 : 493.

30 Brundage 1993 : 255.

31 Cependant, les juges ecclésiastiques ne reçoivent que très rarement des demandes d’adhésion au cours du xviie siècle et elles disparaissent du fonds parisien dès le début du xviiie siècle. Pour un exemple de son application dans les officialités du nord de la France, voir Lefebvre-Teillard 1973 : 199.

32 Pour une réflexion sur l’écart entre les archives judiciaires médiévales et contemporaines et la réalité des violences conjugales voir Butler 2007 : 2, 259.

33 Nous avons réalisé un sondage entre 1700 et 1740, choisissant de consulter les cartons correspondant à une année tous les 20 ans.

34 AN, Chambre du Conseil, Y//9006, affaire Gouhautz – Chalot, 1720 ; Minutes des Commissaires, Y//12887, Office du commissaire Soucy, affaire Gouhautz – Chalot 1709 et Y//15319, Office du commissaire Laurent, affaire Gouhautz – Chalot, 1719.

35 Y//12887, Office du commissaire Soucy, affaire Gouhautz – Chalot 1709.

36 Le Maistre 1656 : 232-233.

37 Ibid. : 233.

38 Des pratiques décrites par les auteurs cités par François-Louis Jamet : Sanchez 1617 : 325-329 (Liber X, Disputatio IV) ; Latouche 1750 : 38-39 ; Arétin 1909 : 48, 195-197.

39 Lamotte 2016.

40 Le Maistre 1660 : 300.

41 Anonyme 1668 : 178 v°.

42 Porret 2000.

43 Anonyme 1668 : 178 v°-179 r°.

44 Daumas 2004 : 117.

45 Sur l’histoire du concept de « sexualité » et son anachronisme avant le xixe siècle, voir Foucault 1976 : 168 ; Phillips & Reay 2011.

46 Mazaleigue-Labaste 2014 : 21-23. L’inexactitude de cette vision idéalisée de l’héritage des Lumières et de la Révolution sur les rapports entre les sexes a été démontrée par les historiens du genre et de la sexualité. Voir le débat qui oppose Joan W. Scott et Edward Shorter autour de la publication de son ouvrage The Making of the Modern Family, Shorter 1975 ; Scott 1977 ; Steinberg 2010.

47 Porret 2000 : 3-4.

48 Ibid. : 12.

49 Sur les définitions larges de la violence qu’employaient les contemporains, voir Foyster 2005 : 36.

50 Le Maistre 1656 : 216.

51 Furetière 1690b : 316.

52 Gélis 1984 : 359, 365. Je remercie également Sofia Zuccoli pour son éclairage sur la question.

53 Voir Southgate 1992 : 283, 290 ; Roux 2008.

54 Sarah Handley évoque la valeur morale des récits de fantômes dans les chapbooks anglais, dont certains mentionnent le sort des maris violents qui, devenus fantômes, semblent marqués par le châtiment qu’ils reçoivent dans l’au-delà, et hantent leur épouse battue. Voir son excellent article sur l’apparition du fantôme de Mary Veal à Margaret Bargrave en 1705 à Canterbury, présenté comme une stratégie narrative et outil « de protestation contre les violences physiques, sexuelles et psychologiques » vécues dans le couple (Handley 2018).

55 Boucher d’Argis 1751 : 638 ; Durand de Maillane 1761b : 217-218.

56 Avant 1678, date de l’interdiction de ce registre de preuve, le congrès était autorisé. Il consistait à tester, dans l’enceinte du tribunal, la capacité du défendeur ou de la défenderesse à connaître charnellement sa ou son partenaire. Darmon 1979 ; Breen 2013.

57 AN, Officialité de Paris, Z/1o/170/B et Z/1o/216 et Z/1o/20A, f°95, affaire Leveux – Maingueneau, 1740.

58 AN, Officialité de Paris, Z/1o/170/A et Z/1o/216 et Z/1o/80/A f° 60, 61, 62, 63, affaire Chardon – Sené, 1736.

59 Ibid.

60 AN, Officialité de Paris, Z/1o/170/B et Z/1o/216 et Z/1o/20A, f°95, affaire Leveux – Maingueneau, 1740.

61 Les affaires de violences sexuelles conjugales étudiées révèlent le caractère genré des rapports de domination entre époux. Des résultats qui s’opposent à l’analyse de Christophe Regina dans un article sur les violences conjugales à Marseille au xviiie siècle, qui considère que l’autorité au sein du couple n’est pas sexuée, mais dirigée par des enjeux familiaux plus larges (Regina 2009 : 54-55). Les enjeux stratégiques familiaux ont une réelle influence sur les rapports de force conjugaux, mais n’annulent pas la domination masculine au sein du mariage, qui fait partie des principes même du sacrament (Ferrière 1740 : 191).

62 Vigarello 1998 : 63.

63 Bernard 2018.

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Pour citer cet article

Référence papier

Marion Philip, « « Une action dont on rougit mesme dans les solitudes les plus secrètes » : enquête sur les violences sexuelles conjugales (Paris, xviie-xviiie siècle) »Clio, 52 | 2020, 93-117.

Référence électronique

Marion Philip, « « Une action dont on rougit mesme dans les solitudes les plus secrètes » : enquête sur les violences sexuelles conjugales (Paris, xviie-xviiie siècle) »Clio [En ligne], 52 | 2020, mis en ligne le 01 janvier 2024, consulté le 10 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/18991 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.18991

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Auteur

Marion Philip

Marion Philip est professeure agrégée d’histoire, doctorante à l’université de Sorbonne Université en co-direction avec l’Ehess, sous la direction de Sylvie Steinberg et François-Joseph Ruggiu. Ses recherches doctorales portent sur l’histoire de la sexualité et des masculinités entre 1600 et 1750 qu’elle aborde à travers un corpus composé d’archives judiciaires ecclésiastiques et séculières, de traités moraux, médicaux ou juridiques, d’iconographie et de recueils de proverbes et de chansons. marion.philip2[at]gmail.com

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