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Lettres d’amour et de science

Denise Paulme en correspondance avec André Schaeffner
Love letters and the world of scholarship: Denise Paulme’s correspondence with André Schaeffner
Marianne Lemaire
p. 253-273

Résumés

Du moment où, en juin 1934, se noue entre eux une relation amoureuse et jusqu’à leur mariage en août 1937, les ethnologues Denise Paulme et André Schaeffner entretiennent une correspondance régulière. Si les lettres d’André Schaeffner n’ont pas été retrouvées, celles de Denise Paulme constituent une source essentielle pour observer les débuts d’une carrière scientifique féminine dans l’entre-deux-guerres. Elles nous révèlent que l’expérience de terrain, désormais située au cœur du parcours de l’ethnologue professionnel, a permis à Denise Paulme d’asseoir les bases d’une légitimité qui ne lui était pas acquise. Mais elles mettent également en évidence la nécessité, pour une femme, de penser conjointement sa vie affective et sa vie scientifique, pour conquérir une place dans celle de ces deux vies où elle n’était pas attendue.

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Notes de l’auteur

Ce titre est emprunté à l’ouvrage, paru aux Éditions du Seuil en 1999, dans lequel sont rassemblées les lettres échangées entre Albert Einstein et sa première épouse, Mileva Marić.

Texte intégral

  • 1 Béra 2014.
  • 2 Debaene 2010.
  • 3 Lemaire 2011.
  • 4 Publiées en 1992 aux Éditions Fourbis, les Lettres de Sanga ont récemment fait l’objet d’une r (...)
  • 5 Ces lettres sont conservées par Olenka Darkowska, l’exécutrice testamentaire de Denise Paulme, (...)
  • 6 Bossis 1994.

1La correspondance des chercheurs en sciences sociales a récemment fait l’objet d’une attention particulière de la part des anthropologues, sociologues ou historien.nes qui tentaient de retracer la naissance et l’évolution de leur discipline. Corpus longtemps négligé, cette correspondance est de plus en plus volontiers utilisée pour éclairer des contextes institutionnels, des réseaux relationnels et des pratiques scientifiques, mais aussi des personnalités, des parcours biographiques et des liens privés1. Précieuse lorsqu’elle est celle de chercheurs de sexe masculin, elle semble l’être encore davantage lorsqu’elle est celle de chercheuses, et en particulier celle des femmes qui ont investi l’ethnologie en cours d’institutionnalisation dans la France de l’entre-deux-guerres. Car les informations que nous livre cette correspondance sont précisément celles qui disparaissent les premières dans leurs écrits publiés. On sait en effet que si les premiers ethnologues ont pour beaucoup d’entre eux écrit des ouvrages plus personnels que leurs monographies consacrées aux populations au sein desquelles ils avaient séjourné2, leurs consœurs, elles, se sont gardées de céder à la tentation littéraire et d’écrire des textes plus intimes que des articles ou des livres proprement scientifiques3. Il s’agissait alors pour elles de faire oublier qu’elles étaient des femmes : en déclinant leur identité sexuée à travers des récits personnels de leurs expériences de terrain, elles auraient prêté le flanc à l’idée communément admise selon laquelle elles se situaient du côté de la subjectivité et ne pouvaient donc pas prétendre à être ou à devenir des scientifiques, mais tout au plus des femmes de lettres ou de simples voyageuses. Aussi leur correspondance constitue-t-elle une source essentielle pour éclairer leur parcours et en dégager la singularité. Pour l’une d’elles, l’ethnologue africaniste Denise Paulme, un corpus composé de deux ensembles de lettres nous permet d’éclairer la période correspondant au commencement de son itinéraire professionnel : le premier était déjà connu, l’ethnologue elle-même ayant fait le choix de publier, mais sous une forme expurgée, les missives qu’elle avait envoyées à son futur époux alors qu’elle effectuait sa première mission de terrain en 19354 ; le second, inédit, regroupe les lettres d’amour écrites par Denise Paulme à André Schaeffner entre le mois de juin 1934 et leur mariage en août 19375. Il ne s’agira pas ici d’utiliser ces lettres pour jeter une lumière directe sur un pan intime de la vie de leur auteure, mais plutôt de prendre appui sur le fait que, comme toute correspondance, celle de l’ethnologue avec son futur époux se situe « à la croisée de l’individuel et du social »6. Elle permet ainsi d’observer la manière dont une scientifique, au tout début d’une carrière commencée dans les années 1930, s’emploie à articuler sa vie personnelle et affective avec sa vie professionnelle et scientifique de façon à construire une légitimité qui ne lui est pas acquise.

De l’enquête

  • 7 Sur la mission Dakar-Djibouti, voir notamment Jamin 2014 et Griaule et al. 2015.

2Denise Paulme et André Schaeffner se côtoient depuis deux ans au Musée d’ethnographie du Trocadéro lorsque, au mois de juin 1934, se noue entre eux une relation amoureuse. Alors âgé de 39 ans, André Schaeffner a la responsabilité du département d’organologie musicale dont il est le fondateur. Formé à l’École du Louvre et à la Schola Cantorum, il avait été critique et historien de la musique avant de découvrir l’ethnographie et de participer pendant cinq mois, d’octobre 1931 à février 1932, à la mission Dakar-Djibouti dirigée par Marcel Griaule7. Denise Paulme est quant à elle âgée de 25 ans et travaille en tant que bénévole au « Département d’Afrique noire », où elle enregistre les objets nouvellement arrivés, rédige le catalogue et prépare les différentes expositions. Après avoir obtenu son baccalauréat, elle avait suivi une formation dans une école de commerce et travaillé pendant deux ans comme secrétaire dans la société de transport que dirigeait son père. Ayant perdu son emploi à la suite de la crise de 1929, elle avait repris le chemin de la Faculté de droit, assisté aux cours de Marcel Mauss à l’Institut d’ethnologie et à la Ve section de l’École pratique des hautes études, puis proposé ses services au Musée d’ethnographie du Trocadéro.

  • 8 Le Musée d’ethnographie du Trocadéro deviendra le Musée de l’Homme en 1937, à la suite de la d (...)
  • 9 Aussi les femmes qui ont bénéficié de cet accueil appartenaient-elles pour beaucoup d’entre el (...)
  • 10 Charron 2013 : 397-407.
  • 11 Parezo 1993 ; Lemaire 2011.

3Nombreuses sont les femmes qui, comme Denise Paulme, ont fait partie de la première génération d’ethnologues français. La discipline s’institutionnalise alors autour d’un lieu de formation, l’Institut d’ethnologie fondé en 1925 par Lucien Lévy-Bruhl, Marcel Mauss et Paul Rivet, et d’un musée, le Musée d’ethnographie du Trocadéro8. La jeunesse de la discipline et son inscription récente dans l’espace académique la rendent peu attrayante pour les hommes et favorisent l’accueil des femmes en son sein9. L’ethnologie requiert en outre des compétences empiriques plus volontiers reconnues que les compétences théoriques aux femmes intellectuelles du début du xxe siècle10. En effet, les promoteurs de la nouvelle discipline situent désormais l’expérience de terrain au cœur du parcours de l’ethnologue professionnel, et considèrent de plus que seules des femmes sont à même de réaliser des enquêtes sur la « vie féminine » dans les sociétés étudiées11. C’est ainsi que Denise Paulme, mais aussi Deborah Lifchitz, Germaine Dieterlen, Solange de Ganay, Hélène Gordon, Thérèse Rivière, Georgette Soustelle, Lucienne Delmas ou Jeanne Cuisinier effectuèrent, le plus souvent avec une collègue du même sexe, une ou plusieurs missions sur le terrain dans l’entre-deux-guerres.

  • 12 Sur la mission Sahara-Soudan, voir Jolly 2014.
  • 13 Sur les conseils et avec les recommandations de Mauss, Rivet et Lévy-Bruhl, Denise Paulme s’ét (...)

4Il semble néanmoins que ces apprenties ethnographes, au moment de partir et de faire leurs preuves sur le terrain, ont eu à surmonter, en plus de l’appréhension et de l’inquiétude qu’elles partageaient avec leurs collègues de l’autre sexe, un sentiment d’illégitimité éprouvé par elles seules. Tel fut le cas pour Denise Paulme, comme en témoignent les lettres qu’elle écrivit à André Schaeffner au cours de sa première mission de terrain, en 1935, et qu’elle a souhaité publier sous le titre Lettres de Sanga en 1992. Rappelons en effet que l’ethnologue quitta Paris en janvier 1935 pour rejoindre le village dogon de Sanga au Soudan français (actuel Mali). Plusieurs collègues l’accompagnaient, parmi lesquels Marcel Griaule qui, deux ans après avoir conduit la mission Dakar-Djibouti, dirigeait un projet cette fois centré sur le pays dogon. Mais les membres de cette nouvelle mission, appelée « Sahara-Soudan », ne restèrent que quelques semaines à ses côtés12. Disposant de son propre financement, Denise Paulme eut quant à elle la possibilité de prolonger son séjour à Sanga en compagnie de sa collègue et amie Deborah Lifchitz jusqu’au mois d’octobre13. Une fois les membres de la mission Sahara-Soudan partis, et avec eux André Schaeffner, Denise Paulme correspondit régulièrement avec celui qui, deux ans plus tard, deviendrait son mari. Au moment de publier ces lettres, elle avait encore en mémoire les sentiments inconfortables qui l’animaient au départ de cette première mission. Dans son avant-propos, elle écrivait :

  • 14 Paulme & Lifchitz 2015 : 88.

J’étais partie doutant de mes capacités à surmonter l’épreuve dont je savais qu’elle serait décisive. Le manque de confiance en moi qui avait marqué toute mon adolescence demeurait ma grande faiblesse : saurais-je me faire entendre, mes interlocuteurs accepteraient-ils ma présence et mes questions ou simplement – c’était ma terreur profonde – m’ignoreraient-ils comme la fille naïve et sans expérience que j’étais à mes propres yeux ?14

  • 15 Ibid. : 95.
  • 16 Ibid. : 117.

5De tels doutes sont effectivement perceptibles dans chacune des lettres qu’elle adresse à André Schaeffner au cours des premiers mois de son séjour sur le terrain. La jeune ethnologue y exprime notamment le sentiment de recueillir des informations dépourvues d’intérêt, ou le regret de ne pas trouver en pays dogon la société initiatique féminine sur laquelle ses collègues masculins auraient souhaité la voir travailler. À mesure que le temps passe, elle gagne néanmoins en assurance et exprime une certaine satisfaction devant les documents recueillis. Mais c’est en réalité bien plus que des documents que Denise Paulme trouve à Sanga. Elle y trouve également le mode de vie ascétique, conduisant au dépassement de soi-même, auquel elle semblait depuis longtemps aspirer : « C’est une vie qui demande un gros effort et que j’accueille avec soulagement, la fatigue même est un bienfait lorsqu’elle vous donne l’oubli de vous-même »15, écrit-elle à André Schaeffner. Et à l’issue de cette expérience qu’elle compare à une « initiation », Denise Paulme ne se sent pas seulement « chez elle » à Sanga, elle s’y sent surtout « elle-même », ainsi qu’elle le répète à de nombreuses reprises dans ses lettres à son futur époux : « Ici enfin, je suis moi-même »16.

6Les « lettres de Sanga » décrivent ainsi le cheminement d’une femme vers elle-même en même temps que la naissance d’une ethnologue. Avant son départ pour Sanga, les activités de Denise Paulme au Musée d’ethnographie du Trocadéro ne lui apparaissaient pas encore comme une possible profession :

  • 17 Lettre 21 de Denise Paulme à André Schaeffner, septembre 1934.

Et puis il va absolument falloir que je cherche un travail en dehors du Musée ; l’ethnographie est une vocation, non un métier ; j’ai besoin de gagner ma vie et de me sentir indépendante, je me donne un an pour arriver à cette indépendance17.

  • 18 Pour mener ce projet à bien, elle compte alors sur le soutien de son amie Deborah Lifchitz, el (...)

7Aussi envisageait-elle, au mois de septembre 1934, de réaliser un stage de six semaines à la bibliothèque du musée de manière à être en mesure de remplacer sa bibliothécaire en titre, Yvonne Oddon, alors en partance pour un séjour de formation aux États-Unis18. Mais de retour à Paris, elle a suffisamment pris confiance en elle pour renoncer à ce projet et envisager de se consacrer pleinement à l’ethnologie :

  • 19 Lettre 11 de Denise Paulme à André Schaeffner, octobre 1935.

J’ai l’impression d’avoir tout de même beaucoup appris à Sanga, je sais ce que j’ai pu faire, et cette assurance toute neuve me rend à la fois grave et joyeuse. Notre métier est le plus beau du monde19.

  • 20 Sur la nature un peu particulière des « lettres de Sanga », voir Lemaire 2011 : 29-30.

8Mais si les « lettres de Sanga » nous renseignent sur la manière dont Denise Paulme se construit comme ethnologue, elles ne nous disent rien de la manière dont elle construit sa relation avec André Schaeffner. Dans ce recueil, elle a en effet pris soin de faire disparaître – leur substituant de simples points de suspension – toutes les formulations ou informations trop personnelles qui figuraient dans les missives originales, dont les manuscrits n’ont jusqu’à présent pas été retrouvés. Bien que, près de soixante ans après avoir rédigé ces lettres, Denise Paulme se trouve depuis longtemps à la retraite, elle ne semble s’être résolue à les publier qu’à condition de les transformer en autre chose – un texte à travers lequel elle s’exposait moins que dans des lettres, et qui ne risquait pas d’entamer une légitimité conquise avec difficulté : un journal de terrain20. Or nous allons voir maintenant, à partir d’un nouvel ensemble de lettres, non expurgées celles-ci, et dont nous n’avions jusqu’à présent pas connaissance, que ce n’est pas seulement l’expérience de terrain de Denise Paulme qui lui a permis de prendre confiance en elle et que ce n’est plus seulement un parcours scientifique qu’elle s’emploie à construire à son retour de mission.

De l’amour

  • 21 Denise Paulme habite alors à proximité du musée, au 29 rue Davioud, dans le 16e arrondissement (...)

9Les « lettres de Sanga » ont ainsi été écrites par Denise Paulme peu après le début de sa relation amoureuse avec André Schaeffner pour combler la distance qui les séparait alors qu’elle se trouvait encore à Sanga et qu’il était rentré à Paris. Mais le laps de temps que dure leur éloignement n’est pas le seul moment au cours duquel ils échangent des lettres. Entre le mois de juin 1934 et le 7 août 1937, date de leur mariage, Denise Paulme et André Schaeffner entretiennent une correspondance régulière dont seules les missives de Denise Paulme, au nombre de soixante-cinq si l’on exclut celles dites « de Sanga », nous sont parvenues. Pour quelques-unes d’entre elles, ces lettres ont été écrites par Denise Paulme lors de ses déplacements en dehors de Paris, qu’il s’agisse de visites à sa famille maternelle à Reuil, de séjours de vacances dans la région de Saint-Trojan au cours de l’été 1934, au Lavandou à la fin de l’année 1935 et à Noirmoutier en août 1936, ou encore d’une mission en Grande-Bretagne pour y observer les méthodes muséographiques en juin 1936. Quelques autres lettres ont quant à elles été écrites à l’occasion de déplacements de Schaeffner, le plus souvent dans sa maison des Landes où il aimait se retirer pour écrire ses ouvrages. Mais pour la grande majorité, les lettres écrites par Denise Paulme à André Schaeffner entre 1934 et 1937 lui ont été envoyées alors qu’ils se trouvaient tous deux à Paris21 et qu’ils se rencontraient presque quotidiennement au musée où ils avaient chacun leur bureau et leurs activités.

  • 22 Lettre 30 de Denise Paulme à André Schaeffner, circa septembre 1936.
  • 23 Il semble qu’André Schaeffner reprochait à Alfred Métraux ses emportements contre certains tra (...)

10Il ne s’agit plus de lettres de terrain – et moins encore de lettres de terrain élaguées par leur auteure avant leur publication. Certes, ces missives comportent de nombreuses informations sur le Musée d’ethnographie du Trocadéro, et plus particulièrement sur les difficultés liées au transfert sans cesse retardé de ses collections au palais de Chaillot. Elles nous apportent également d’importants renseignements sur les collègues de Denise Paulme, et sur les relations qu’elle pouvait entretenir avec eux. Y apparaissent notamment Anatole Lewitzky aux prises avec les architectes du nouveau bâtiment, Georges Henri Rivière s’apercevant à son retour de mission en URSS qu’il avait de tout temps été « marxiste sans le savoir »22 ou encore Alfred Métraux, pour lequel Denise Paulme nourrissait des sentiments de sympathie que ne partageait pas son futur époux23. Mais plus que sur les uns et les autres, les lettres de Denise Paulme portent sur sa relation avec André Schaeffner, et sur l’amour qui les lie l’un à l’autre.

  • 24 Michel Leiris se souvenait ainsi, à propos d’André Schaeffner, de « sa longue silhouette échas (...)
  • 25 Lettre 15 de Denise Paulme à André Schaeffner, 10 septembre 1934.
  • 26 Lettre 55 de Denise Paulme à André Schaeffner, circa novembre 1934.
  • 27 Lettre 12 de Denise Paulme à André Schaeffner, circa septembre 1934.
  • 28 Lettre 18 de Denise Paulme à André Schaeffner, 24 août 1934.

11Cette correspondance, à travers laquelle se lisent non seulement l’état d’esprit de l’épistolière, mais aussi celui du destinataire, exprime ainsi la joie de s’être trouvés et reconnus, ainsi que l’intensité de sentiments réciproques. À celui qu’elle appelle volontiers son « homme oiseau », son « moulin à vent » ou son « échalas », en raison de sa grande taille et de son allure comme dégingandée24, Denise Paulme réaffirme lettre après lettre, et avec une grande liberté de ton, son plaisir à être dans ses bras, son désir de s’y retrouver, sa « certitude intérieure »25 des liens qui les unissent et son bonheur de les voir évoluer au fil du temps : « Laisse-moi tourner autour de toi, il m’est doux de trouver presque chaque jour des raisons plus profondes de t’aimer »26. Ce n’est cependant pas seulement son regard sur André Schaeffner, mais aussi son regard sur elle-même, qui se transforme à mesure que le temps passe. Le début de leur relation amoureuse la voit se situer en position d’infériorité par rapport à l’homme qu’elle aime, de quatorze ans plus âgé qu’elle. Sentimentalement, elle s’inquiète de son manque d’expérience et craint de ne « rien apporter de neuf »27 à quelqu’un qui a « déjà vécu »28. Intellectuellement, elle s’effraie de leur « différence de culture », tout particulièrement dans le champ de la musique où évolue André Schaeffner, et s’en remet à lui pour la guider dans sa formation :

  • 29 Lettre 4 de Denise Paulme à André Schaeffner, circa juin 1934.

Je voudrais aussi que tu me parles de ton livre, de tes idées, de ton travail. Je suis d’une ignorance totale dans ce domaine et cela me peine de penser que ce domaine où tu vis m’est fermé. Après tout l’ignorance totale est peut-être préférable à un mauvais départ ? – et je serais une élève docile. Prête-moi des livres, apporte m’en demain, si tu le peux29.

  • 30 Lettre 16 de Denise Paulme à André Schaeffner, 11 septembre 1934.
  • 31 Lettre 18 de Denise Paulme à André Schaeffner, 24 août 1934.
  • 32 Lettre 13 de Denise Paulme à André Schaeffner, août 1934.
  • 33 C’est ainsi que lorsqu’une opportunité s’offre à André Schaeffner à l’École pratiques des haut (...)
  • 34 Lettre 13 de Denise Paulme à André Schaeffner, août 1934.

12Aussi exprime-t-elle souvent la peur de ne pas être à la hauteur de son amour pour elle : « André, tu me donnes tant ; j’en reste épouvantée : qu’ai-je fait, que suis-je pour mériter un pareil sentiment ? »30 Mais la « confiance absolue » qu’elle lui accorde lui apporte peu à peu en retour la confiance en elle-même dont elle manquait jusqu’alors, et avec elle une nouvelle « conscience [d’elle]-même et de [s]on sexe »31 qui lui permet de balayer le « souvenir d’une enfance où [elle] pleurai[t] de n’être qu’une fille »32. Denise Paulme s’autorise bientôt à discuter avec André Schaeffner de leurs différentes lectures, parfois communes et parfois personnelles, relevant tantôt du domaine de l’ethnologie et tantôt de la littérature, et à lui livrer une opinion, possiblement opposée à la sienne mais toujours argumentée et percutante, sur les textes ou sur les choix professionnels qu’il ne manquait jamais de lui soumettre33. Et de la même façon que l’expérience de terrain de Denise Paulme à Sanga, c’est finalement vers elle-même que la conduit son cheminement amoureux : « Je ne désire pas m’absorber en toi jusqu’à ne plus être que ton reflet, mais rester, ou plutôt devenir moi-même à tes côtés »34.

  • 35 Grassi 1990 : 30.
  • 36 Lettre 13 de Denise Paulme à André Schaeffner, août 1934.
  • 37 Lemaire 2015 : 81-82.

13Sans doute le recours de Denise Paulme à la voie épistolaire est-il pour beaucoup dans cette construction progressive de sa confiance en elle. Certes, les lettres qu’elle échange avec André Schaeffner sont autant de « documents de l’absence »35 qui s’attachent à combler, sinon de grandes distances, des séparations toujours trop longues à leurs yeux, et à recréer, parfois plus finement que de véritables rencontres, la présence de l’aimé : « J’aime tes lettres plus que je ne puis le dire ; je t’y trouve proche, plus proche que tu ne le fus parfois à mes côtés »36. Mais de même que les lettres « de Sanga » pouvaient parfois donner le sentiment qu’à travers elles, la jeune femme prenait ses distances avec leur destinataire pour vivre pleinement son expérience de terrain et s’affirmer comme ethnologue37, certaines lettres « de Paris » semblent être mises à profit pour reprendre entièrement possession de soi et être en mesure d’exposer posément son état d’esprit :

  • 38 Lettre 6 de Denise Paulme à André Schaeffner, circa juin 1934.

Ne te crois pas tenu de répondre à chacune de mes lettres ; je t’écris par besoin de te parler, de ne rien te laisser de caché dans mes réactions parce que quand tu es là j’oublie tout, parce que tout se résume dans ta présence38.

  • 39 Lacoue-Labarthe 2011 : 124.

14« Lieu de respiration », pour reprendre les termes d’Isabelle Lacoue-Labarthe à propos des lettres et des journaux des écrivaines du xixe siècle, l’écriture de soi de Denise Paulme, dans ses missives, lui fait pareillement accéder « à une prise de conscience, à une réappropriation de [son] existence et de [sa] position au sein de la société et de la famille et parfois à une contestation des attentes qui [lui] sont imposées »39. Car si les lettres de Denise Paulme lui permettent de se construire, elles lui permettent aussi de s’affirmer et de revendiquer, contre les convictions de leur destinataire, la place qui lui semble être la sienne.

Du mariage

  • 40 Avant son mariage avec Denise Paulme, André Schaeffner vit avec sa mère. On ne sait en revanch (...)
  • 41 Lettre 62 de Denise Paulme à André Schaeffner, circa décembre 1934.
  • 42 Lettre 10 de Denise Paulme à André Schaeffner, 14 septembre 1934.

15Un seul désaccord, mais de taille et de plus en plus envahissant à mesure que le temps passe, vient en effet assombrir la correspondance de Denise Paulme. Alors que la jeune femme aspire à se marier, André Schaeffner, lui, préfèrerait ne pas formaliser leur relation. On comprend à travers les lettres échangées que l’ethnomusicologue se sent déjà de lourdes responsabilités vis-à-vis de ses deux enfants40. Mais on comprend aussi qu’il nourrit une profonde défiance à l’égard d’une institution et d’un mode de vie dont il craint qu’ils viennent entraver sa créativité et le priver de sa liberté. « Ce que tu appelles liberté », lui écrit ainsi Denise Paulme, « je le nommerais sans doute “solitude” »41. Non pas que la jeune femme nourrisse une conception idéalisée du mariage, qu’elle considère seulement comme « la solution la moins mauvaise »42. Elle est ainsi acquise à l’idée que la vie conjugale ne saurait apporter « le perfectionnement – la réalisation plutôt – de l’individu, le développement de tout son être » auxquels elle aspire pour elle-même :

  • 43 Ibid.

J’ai pu autrefois penser que dans la vie d’une femme le mariage et la vie d’intérieur pouvaient être un but suffisant, comme, après tout, ils l’ont été pour ma grand-mère ou ma mère. Je dois bien reconnaître aujourd’hui que non43.

  • 44 Lettre 33 de Denise Paulme à André Schaeffner, août 1936.
  • 45 Lettre 35 de Denise Paulme à André Schaeffner, septembre 1936.

16Elle n’est d’ailleurs pas tout à fait certaine d’être capable de tenir un ménage, ni même de savoir « faire cuire une escalope »44. Quant à la cérémonie, qui lui apparaît « inévitable » et dont la perspective ne « [l’]amuse pas »45, elle la souhaite la plus discrète possible, au point de la projeter à une date à laquelle ses parents ne pourraient être présents.

  • 46 Lettre 31 de Denise Paulme à André Schaeffner, circa septembre 1936.
  • 47 Lettre 8 de Denise Paulme à André Schaeffner, 21 juin 1934.
  • 48 Lettre 6 de Denise Paulme à André Schaeffner, circa juin 1934.
  • 49 Ibid.
  • 50 Sohn 1996 et 2001.
  • 51 Lettre 6 de Denise Paulme à André Schaeffner, circa juin 1934.

17Mais dans le même temps, Denise Paulme voudrait être mariée, ou sur le point de l’être, pour pouvoir parler librement à sa famille de sa rencontre avec un homme et de ses sentiments pour lui. À sa mère, surtout, « beaucoup trop fine », confie-t-elle à son correspondant, « pour n’avoir pas senti ta venue dans ma vie »46, elle aurait voulu pouvoir se confier. L’absence de projet de mariage le lui interdisant, elle a la douloureuse impression de trahir ses proches, et, ce faisant, de se trahir elle-même un peu. Ses parents ne sont en outre pas les seules personnes vis-à-vis desquelles Denise Paulme souffre du silence que lui impose le fait de ne pas être mariée avec l’homme qu’elle aime. Seuls quelques-uns de leurs collègues, au musée, semblent avoir été informés des liens qui unissaient Denise Paulme à André Schaeffner avant leur mariage. Aussi l’y rencontrer, au détour d’un couloir, est-il pour elle un « supplice de Tantale »47 à l’occasion duquel elle éprouve le sentiment pénible d’évoluer dans une « atmosphère d’adultère, presque »48, qui lui inspire une grande amertume. Elle regrette de plus que la clandestinité à laquelle ils se trouvent réduits ne semble pas affecter André Schaeffner autant qu’elle-même : « Pourquoi », s’interroge-t-elle, « dire que les femmes ont le goût du secret et de la dissimulation alors qu’il me semble que c’est le contraire et les hommes plutôt qui ont ce goût ? »49 Mais si le secret n’est pas vécu ni assumé de la même façon par les deux membres du couple, n’est-ce pas surtout que ce qu’il dissimule n’est pas pareillement préjudiciable à l’un et à l’autre ? Certes, 30% des couples, dans l’entre-deux-guerres, ont eu des relations sexuelles avant leur mariage50. Cette sexualité prémaritale n’est toutefois tolérée que dans la mesure où elle précède des noces, la première moitié du xxe siècle ne constituant rien moins qu’un âge d’or de la nuptialité en France. L’érosion progressive des interdits moraux ne profite en outre pas pareillement aux deux sexes : si les hommes peuvent se permettre d’être séduits par le célibat ou le concubinage, les femmes, elles, se doivent encore d’inscrire leur sexualité et leur maternité dans la sphère conjugale. Trois ans durant, Denise Paulme fait ainsi l’expérience d’une situation qui, si elle n’était pas toujours confortable pour un homme, était plus délicate encore pour une femme, et d’autant plus complexe que celle-ci nourrissait un projet professionnel dans le même milieu que celui pour qui elle avait des sentiments. Nul doute en effet que sa légitimité scientifique était étroitement associée à celle dont il convenait qu’elle entoure sa vie affective, et que la levée du secret entourant sa relation hors mariage avec André Schaeffner aurait nui à sa crédibilité professionnelle. Dans quelques moments de désespoir, elle n’entrevoit d’ailleurs plus qu’une issue à leur relation : la séparation, alors conçue comme « une résolution prise en commun, qui serait encore, en dépit des apparences, un lien entre [eux] »51. Plus souvent néanmoins, elle tente de lui faire admettre une autre manière d’envisager le mariage, à travers laquelle la vie conjugale est rendue plus attrayante grâce à son étroite association avec la vie scientifique.

De la science

  • 52 Lettre 9 de Denise Paulme à André Schaeffner, 14 juillet 1934.
  • 53 Lettre 48 de Denise Paulme à André Schaeffner, circa novembre 1935.
  • 54 Lettre 31 de Denise Paulme à André Schaeffner, circa septembre 1936.
  • 55 Denise Paulme n’évoque jamais, dans ses lettres à André Schaeffner, l’éventualité d’avoir des (...)

18C’est ainsi que Denise Paulme se désole lorsqu’elle a le sentiment d’être responsable d’un relâchement dans le rythme de travail d’André Schaeffner, et présente au contraire la vie conjugale comme le cadre dans lequel il pourrait le mieux se concentrer sur ses recherches : ne se chargerait-elle pas elle-même de veiller à ce que rien ni personne ne vienne empiéter sur son temps de travail ? « Pour toi, pour défendre ton temps », lui écrit-elle avec humour, « je saurai être hargneuse avec les importuns, qu’on dise : “Lui est très gentil, mais quelle pécore…” »52 Ce n’est cependant pas seulement à son futur époux que le mariage tel que le conçoit Denise Paulme serait intellectuellement profitable. En leur apportant la « paix intérieure » qui lui apparaît comme leur « premier besoin, à l’un comme à l’autre »53, il lui permettrait, à elle aussi, de « retrouver le calme, près de lui, et le travail côte à côte »54. Au-delà d’un souci des convenances, au-delà d’une assise sociale, le mariage constitue à ses yeux le seul cadre susceptible de lui apporter la sérénité qui lui semble indispensable à l’exercice de la pensée et à son écriture55.

  • 56 La manière dont Denise Paulme articule vies scientifique et personnelle n’est pas sans rappele (...)

19Mais c’est encore davantage qu’une vie conjugale dédiée à leur vie intellectuelle que Denise Paulme fait entrevoir à son futur époux ; c’est une vie conjugale à laquelle la vie intellectuelle semble avoir communiqué quelques-uns de ses traits les plus significatifs56. Il faut en effet voir un peu plus qu’une métaphore dans ce rappel qu’elle fait à André Schaeffner :

  • 57 Lettre 39 de Denise Paulme à André Schaeffner, circa juin 1936.

Nous nous serons bien peu vus ces derniers temps. Pourtant, nous aurions besoin d’être ensemble, pour réaliser une œuvre qui mérite autant de soin et d’amour que la confection d’un livre57.

  • 58 Lettre 10 de Denise Paulme à André Schaeffner, 14 septembre 1934.
  • 59 Lettre 13 de Denise Paulme à André Schaeffner, circa août 1934.
  • 60 Thoreau 1990 [1854].

20La vie de couple selon Denise Paulme est assurément inspirée de la vie scientifique dont elle a commencé à faire l’expérience. Avec la vie scientifique, elle partage en premier lieu une même forme : continue, indéfinie, et réclamant une certaine endurance. À André Schaeffner, qui s’inquiète ainsi de ce que le mariage donnerait un « caractère “définitif” » à sa vie, Denise Paulme répond que la vie conjugale ne saurait être un « but », mais seulement un « chemin », et un chemin poursuivi dans un « effort continu »58 qui n’est pas sans rappeler celui investi par eux deux dans leurs recherches respectives. Ceux qui s’y engageraient ne devraient par ailleurs pas y chercher le bonheur, qu’elle compare à du « thé trop sucré »59 ; mais ils y trouveraient, un peu comme Henry David Thoreau au bord du lac Walden60, un peu aussi comme l’ethnographe qu’elle était à Sanga, la sérénité née d’une certaine austérité :

  • 61 Lettre 48 de Denise Paulme à André Schaeffner, circa novembre 1935.

Je lis Thoreau qui m’enchante, et m’arrête à ces mots : une vie de simplicité et d’indépendance, de magnanimité et de confiance… Chéri, est-ce que cela ne pourrait pas, ne devrait pas être notre vie ?61

21Enfin, les membres du couple que dépeint Denise Paulme sont animés par des sentiments analogues à ceux dont il lui paraît souhaitable qu’ils animent le scientifique : l’amour, dont on a vu plus haut qu’il était également nécessaire pour écrire un livre, mais aussi l’honnêteté, le respect ou la sincérité – des qualités que Denise Paulme retrouve aussi bien chez Schaeffner que chez Métraux, mais dont elle déplore l’absence chez d’autres collègues. Mais au-delà d’une conception de la vie conjugale, c’est peut-être tout simplement son aspiration au mariage elle-même qui fait le mieux écho à sa pratique scientifique : à un moment précis de son parcours, elle aura été, dans sa vie affective comme dans sa vie professionnelle, en quête de légitimité.

  • 62 Paulme 1979 :13.
  • 63 Sur cet autre ensemble de lettres inédites et sur la difficulté, pour une femme, de transforme (...)
  • 64 Lettre 118 de Denise Paulme à André Schaeffner, 18 janvier 1968.

22Denise Paulme et André Schaeffner se marieront le 7 août 1937 et mèneront dès lors la vie tout à la fois amoureuse et scientifique qu’elle avait projetée pour eux. Aussitôt la guerre terminée, ils partent ensemble pour la Guinée française, en pays kissi, où ils effectuent deux séjours de terrain au cours desquels ils travaillent en étroite relation : « Sa présence et sa collaboration », écrivit ainsi Denise Paulme à propos de cette expérience avec son époux, « permirent un travail parallèle sur les rituels initiatiques, très importants dans cette société – lui enquêtant auprès des hommes et des garçons, moi m’informant auprès des filles »62. Deux missions communes suivront encore, l’une en pays baga, toujours en Guinée française, l’autre chez les Bété de Côte d’Ivoire, avant qu’André Schaeffner, devenu trop âgé, doive renoncer à l’accompagner. Certes, les deux ethnologues ne cosigneront jamais aucun texte, chacun d’entre eux ne publiant tout au long de sa carrière que sur le domaine dont il était spécialiste : l’organisation sociale pour Denise Paulme, la musique pour André Schaeffner. Mais toutes leurs publications, de même que tous les autres moments de leur vie scientifique, seront entourés de constants échanges. Les lettres que Denise Paulme écrit à son époux dans les années 1960, alors qu’elle est partie seule en mission en Côte d’Ivoire pour y réaliser des enquêtes sur les sociétés lagunaires, en témoignent63. Elles viennent alors prolonger un « incessant dialogue intérieur »64 entre les époux :

  • 65 Lettre 85 de Denise Paulme à André Schaeffner, 8 février 1966.

Mon chéri, quelle douceur que tes lettres – continuer notre conversation, comme tu dis, m’est indispensable ; sans elle j’aurais l’impression de perdre mon équilibre65.

De la correspondance entre l’amour et la science

  • 66 Béra 2014.
  • 67 Dauphin 2002 ; Sohn 2002.
  • 68 Rosenwein 2002.

23Nombreuses ont été mes hésitations à travailler sur des documents aussi personnels que les lettres de Denise Paulme à André Schaeffner. Leur auteure n’avait-elle pas choisi, de son vivant, de ne publier que certaines d’entre elles, et de ne les publier qu’après en avoir soustrait la tonalité affective ? Parmi les différents types d’archives privées, les correspondances constituent pour le chercheur des sources singulières, aussi riches d’informations de tous ordres66 que délicates à manipuler et à interpréter67. Que ces correspondances soient amoureuses, et la retenue qu’elles inspirent ne fait que croître. Car si l’étude des affects a longtemps été écartée dans la mesure où les historiens craignaient d’y perdre leur objectivité68, celle de la vie affective des historiens, et plus généralement de l’ensemble des scientifiques, semble avoir pris encore davantage de retard. Peter Schöttler le soulignait déjà en 1991 :

  • 69 Schöttler 1991 : 57.

La vie scientifique et l’amour : ce qui, quand il s’agit d’artistes – acteurs, musiciens, peintres ou écrivains – est accepté dans n’importe quelle biographie, n’est jusqu’à nos jours pas considéré comme pertinent dans le récit de la vie d’un savant69.

  • 70 L’article de Natalie Zemon Davis porte sur l’ensemble des figures féminines oubliées ayant ent (...)
  • 71 Dans le prolongement de la réflexion de Natalie Zemon Davis, on peut également se demander si (...)

24Écrivant ces mots, Peter Schöttler avait en tête la figure de l’historienne et ethnographe autrichienne Lucie Varga, qui collabora quelques années à la revue des Annales au milieu des années 1930 et entretint une relation amoureuse avec Lucien Febvre alors que celui-ci était marié avec Suzanne Dognon. À la suite de Peter Schöttler, Natalie Zemon Davis s’intéressait à son tour à ces deux femmes70, mais aussi aux répercussions que leurs relations avec Lucien Febvre avaient eu sur sa production scientifique. De l’avis de Natalie Zemon Davis, elles éclairent dans une large mesure son choix de travailler sur Marguerite de Navarre, de même que le thème qui traverse son œuvre : la duplicité71.

  • 72 Alors que cet article était achevé, un dossier intitulé « Couples d’intellectuels, de l’intime (...)
  • 73 Waquet 2010 : 6.
  • 74 Darmon & Waquet 2010.
  • 75 Casagrande 1960 ; Jolly 2018.
  • 76 Pycior, Slack, & Abir-Am 1996 ; Handler 2004.

25De telles réflexions sur la relation entre sentiments amoureux et parcours intellectuels ou professionnels font cependant exception72. Ainsi que le souligne Françoise Waquet73, les premiers travaux consacrés aux conditions de production de la science l’avaient principalement décrite, dans une perspective inspirée de Pierre Bourdieu, comme un champ compétitif au sein duquel des acteurs entretiendraient des rapports de force et mettraient en œuvre des stratégies pour accéder à des positions de pouvoir. Par la suite, des recherches ont souligné l’importance de l’amitié dans la sphère intellectuelle, et analysé son rôle et ses effets dans la construction des savoirs74. Concernant l’anthropologie, de nombreux travaux se sont également intéressés aux différentes formes de collaboration qui entouraient la production des connaissances, qu’il s’agisse de celles entre collègues dans le cadre de missions collectives, de celles entre les ethnographes et leurs interprètes ou leurs informateurs sur le terrain75, ou encore de celles au sein d’un couple au cours d’un travail d’enquête ou d’écriture. Pour cette dernière configuration, l’accent est alors volontiers mis sur les modalités de partage des tâches entre les conjoints, ainsi que sur la nécessité de réévaluer le travail accompli par celui des deux époux – presque toujours l’épouse – n’ayant pas obtenu la même reconnaissance que son partenaire ni accédé à la même position institutionnelle76. Mais probablement en partie en raison de la rareté des sources permettant de documenter le sentiment amoureux, ces travaux ne semblent pas avoir prêté autant d’attention à la façon dont, pour chaque membre de ces couples d’anthropologues, les relations affectives s’étaient articulées avec le parcours scientifique.

  • 77 Abir-Am & Outram 1987.

26Or, les lettres de Denise Paulme nous révèlent que, comme son expérience de terrain en pays dogon, et presque en même temps qu’elle, sa relation avec André Schaeffner a constitué un cadre au sein duquel l’ethnologue a pris confiance en elle, s’est affirmée et a assis sa légitimité. Et encore n’a-t-elle pas seulement posé les premiers jalons de sa vie personnelle et affective au même moment où elle posait ceux de sa vie professionnelle et scientifique ; elle les a posés dans les mêmes termes et à l’aide du même outil – l’écriture épistolaire. Un enjeu, de taille, se dissimule derrière cette démarche consistant à réconcilier en les pensant dans un seul mouvement les deux dimensions, affective et scientifique, dont Denise Paulme entendait nourrir sa vie. Comme Pnina G. Abir-Am et Dorinda Outram77 l’ont souligné, les femmes scientifiques ont pâti de l’institutionnalisation progressive des sciences et de leur établissement dans une sphère publique construite en opposition avec la sphère du privé : elles sont moins nombreuses et visibles encore après que l’exercice de la science a quitté le cadre domestique auquel elles ont quant à elles été reléguées. On comprend dès lors qu’elles se soient attachées, ainsi qu’on a vu Denise Paulme le faire à travers ses lettres, à abolir la frontière entre leur vie privée et leur vie professionnelle pour conquérir leur légitimité dans celle de ces deux vies où elles n’étaient pas attendues.

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Bibliographie

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Notes

1 Béra 2014.

2 Debaene 2010.

3 Lemaire 2011.

4 Publiées en 1992 aux Éditions Fourbis, les Lettres de Sanga ont récemment fait l’objet d’une réédition (Paulme & Lifchitz 2015).

5 Ces lettres sont conservées par Olenka Darkowska, l’exécutrice testamentaire de Denise Paulme, que je remercie vivement d’avoir bien voulu me les communiquer. Je les ai numérotées selon l’ordre dans lequel elles apparaissent à l’intérieur de la chemise où elles sont rangées. La grande majorité d’entre elles sont datées ; lorsqu’elles ne le sont pas, mais que leur contenu permet de déterminer la date approximative à laquelle elles ont été écrites, je fais précéder celle-ci du terme « circa ».

6 Bossis 1994.

7 Sur la mission Dakar-Djibouti, voir notamment Jamin 2014 et Griaule et al. 2015.

8 Le Musée d’ethnographie du Trocadéro deviendra le Musée de l’Homme en 1937, à la suite de la démolition du palais du Trocadéro et de la réinstallation des collections dans l’aile Passy du palais de Chaillot.

9 Aussi les femmes qui ont bénéficié de cet accueil appartenaient-elles pour beaucoup d’entre elles aux classes les plus élevées de la société. Ce n’est pas le cas de Denise Paulme, dont on a vu que le souci de recevoir une formation professionnelle et de subvenir à ses besoins était inscrit au tout début de son parcours.

10 Charron 2013 : 397-407.

11 Parezo 1993 ; Lemaire 2011.

12 Sur la mission Sahara-Soudan, voir Jolly 2014.

13 Sur les conseils et avec les recommandations de Mauss, Rivet et Lévy-Bruhl, Denise Paulme s’était portée candidate à une bourse de la fondation Rockefeller pour la préparation d’une thèse de doctorat et avait obtenu la somme de 50 000 francs (sur la mission Paulme-Lifchitz, voir Lemaire 2014). Précisons par ailleurs que les premières ethnologues ont souvent réalisé des missions plus longues que celles de leurs collègues du sexe opposé. Dans bien des cas, il est possible d’y voir le signe qu’elles avaient davantage de preuves à apporter de leur vocation d’ethnologue.

14 Paulme & Lifchitz 2015 : 88.

15 Ibid. : 95.

16 Ibid. : 117.

17 Lettre 21 de Denise Paulme à André Schaeffner, septembre 1934.

18 Pour mener ce projet à bien, elle compte alors sur le soutien de son amie Deborah Lifchitz, elle-même titulaire d’un diplôme de bibliothécaire et travaillant régulièrement à la bibliothèque Forney.

19 Lettre 11 de Denise Paulme à André Schaeffner, octobre 1935.

20 Sur la nature un peu particulière des « lettres de Sanga », voir Lemaire 2011 : 29-30.

21 Denise Paulme habite alors à proximité du musée, au 29 rue Davioud, dans le 16e arrondissement, et André Schaeffner, au 67 rue de la Fontaine à Mulard, dans le 13e arrondissement.

22 Lettre 30 de Denise Paulme à André Schaeffner, circa septembre 1936.

23 Il semble qu’André Schaeffner reprochait à Alfred Métraux ses emportements contre certains travers de l’ethnographie française. Denise Paulme le défend en mettant en avant son attachement sincère pour la discipline et son souhait de la voir emprunter de nouvelles directions.

24 Michel Leiris se souvenait ainsi, à propos d’André Schaeffner, de « sa longue silhouette échassière de romantique au regard blessé » (Leiris 1990 : 8).

25 Lettre 15 de Denise Paulme à André Schaeffner, 10 septembre 1934.

26 Lettre 55 de Denise Paulme à André Schaeffner, circa novembre 1934.

27 Lettre 12 de Denise Paulme à André Schaeffner, circa septembre 1934.

28 Lettre 18 de Denise Paulme à André Schaeffner, 24 août 1934.

29 Lettre 4 de Denise Paulme à André Schaeffner, circa juin 1934.

30 Lettre 16 de Denise Paulme à André Schaeffner, 11 septembre 1934.

31 Lettre 18 de Denise Paulme à André Schaeffner, 24 août 1934.

32 Lettre 13 de Denise Paulme à André Schaeffner, août 1934.

33 C’est ainsi que lorsqu’une opportunité s’offre à André Schaeffner à l’École pratiques des hautes études (EPHE), mais que ce dernier, ne souhaitant pas se plier à l’exercice du doctorat, l’écarte, Denise Paulme le houspille : « Tant pis pour les Hautes Études, nous n’en parlerons plus. Il y a pourtant des gens qui mettent de longues années de travail dans une thèse de doctorat, sans s’en trouver humiliés ; je mets moi-même tout mon cœur, toutes mes forces et un peu plus dans mon travail. Si tu ne peux accepter aucune critique, il fallait garder ton manuscrit dans un tiroir… » (Lettre 66 de Denise Paulme à André Schaeffner, 10 août 1936).

34 Lettre 13 de Denise Paulme à André Schaeffner, août 1934.

35 Grassi 1990 : 30.

36 Lettre 13 de Denise Paulme à André Schaeffner, août 1934.

37 Lemaire 2015 : 81-82.

38 Lettre 6 de Denise Paulme à André Schaeffner, circa juin 1934.

39 Lacoue-Labarthe 2011 : 124.

40 Avant son mariage avec Denise Paulme, André Schaeffner vit avec sa mère. On ne sait en revanche pas s’il vivait avec ses enfants, de même que l’on ignore l’identité de la mère de ces derniers, avec laquelle Schaeffner n’était pas marié.

41 Lettre 62 de Denise Paulme à André Schaeffner, circa décembre 1934.

42 Lettre 10 de Denise Paulme à André Schaeffner, 14 septembre 1934.

43 Ibid.

44 Lettre 33 de Denise Paulme à André Schaeffner, août 1936.

45 Lettre 35 de Denise Paulme à André Schaeffner, septembre 1936.

46 Lettre 31 de Denise Paulme à André Schaeffner, circa septembre 1936.

47 Lettre 8 de Denise Paulme à André Schaeffner, 21 juin 1934.

48 Lettre 6 de Denise Paulme à André Schaeffner, circa juin 1934.

49 Ibid.

50 Sohn 1996 et 2001.

51 Lettre 6 de Denise Paulme à André Schaeffner, circa juin 1934.

52 Lettre 9 de Denise Paulme à André Schaeffner, 14 juillet 1934.

53 Lettre 48 de Denise Paulme à André Schaeffner, circa novembre 1935.

54 Lettre 31 de Denise Paulme à André Schaeffner, circa septembre 1936.

55 Denise Paulme n’évoque jamais, dans ses lettres à André Schaeffner, l’éventualité d’avoir des enfants. Il semble néanmoins que sa conception du mariage s’accommode mal d’un tel projet. Quoi qu’il en soit, Denise Paulme, de même que la très grande majorité des femmes ethnologues ayant commencé leur carrière dans l’entre-deux-guerres, n’aura pas d’enfant, mais entretiendra des liens affectueux avec ceux d’André Schaeffner.

56 La manière dont Denise Paulme articule vies scientifique et personnelle n’est pas sans rappeler le concept d’« œuvre-travail » mis au jour par Anne Collinot pour être en mesure de penser sans rupture la relation entre l’œuvre et la vie du savant. Véritable « chaînon manquant », l’œuvre-travail désigne la dimension laborieuse de l’œuvre, et la manière dont celle-ci « imprègne l’existence vouée à la science », que ce soit à travers la construction des relations sociales et affectives ou l’organisation de l’espace et du temps (Collinot 2012). Les conceptions de Denise Paulme font également écho aux analyses de Nicolas Adell et Jérome Lamy sur les diverses manières dont la science agit sur la vie de celui ou celle qui la produit (Adell & Lamy 2016).

57 Lettre 39 de Denise Paulme à André Schaeffner, circa juin 1936.

58 Lettre 10 de Denise Paulme à André Schaeffner, 14 septembre 1934.

59 Lettre 13 de Denise Paulme à André Schaeffner, circa août 1934.

60 Thoreau 1990 [1854].

61 Lettre 48 de Denise Paulme à André Schaeffner, circa novembre 1935.

62 Paulme 1979 :13.

63 Sur cet autre ensemble de lettres inédites et sur la difficulté, pour une femme, de transformer une position d’aînée en une position d’autorité scientifique, voir Lemaire 2020.

64 Lettre 118 de Denise Paulme à André Schaeffner, 18 janvier 1968.

65 Lettre 85 de Denise Paulme à André Schaeffner, 8 février 1966.

66 Béra 2014.

67 Dauphin 2002 ; Sohn 2002.

68 Rosenwein 2002.

69 Schöttler 1991 : 57.

70 L’article de Natalie Zemon Davis porte sur l’ensemble des figures féminines oubliées ayant entretenu des liens avec les Annales. Paru en 1992 dans la revue anglaise History Workshop, il a récemment été traduit en français par la revue Tracés.

71 Dans le prolongement de la réflexion de Natalie Zemon Davis, on peut également se demander si la vie affective de Lucien Febvre n’est pas en lien avec le fait qu’il invite ses collègues, dès 1941, à s’intéresser à l’histoire des émotions (Febvre 1941).

72 Alors que cet article était achevé, un dossier intitulé « Couples d’intellectuels, de l’intime au politique (1890-1940) » est paru dans Les Études sociales (2019, 2/170).

73 Waquet 2010 : 6.

74 Darmon & Waquet 2010.

75 Casagrande 1960 ; Jolly 2018.

76 Pycior, Slack, & Abir-Am 1996 ; Handler 2004.

77 Abir-Am & Outram 1987.

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Pour citer cet article

Référence papier

Marianne Lemaire, « Lettres d’amour et de science »Clio, 52 | 2020, 253-273.

Référence électronique

Marianne Lemaire, « Lettres d’amour et de science »Clio [En ligne], 52 | 2020, mis en ligne le 01 janvier 2024, consulté le 10 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/18728 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.18728

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Auteur

Marianne Lemaire

Marianne Lemaire est anthropologue au CNRS et membre de l’Institut des mondes africains. Ses premiers travaux ont porté sur les représentations du travail chez les Sénoufo de Côte d’Ivoire (Les Sillons de la souffrance, Paris, CNRS Éditions/MSH, 2009). Ses recherches actuelles portent sur l’histoire de l’ethnologie, notamment sur les parcours des femmes qui ont investi la discipline dans la période de l’Entre-deux-guerres. Elle a proposé une nouvelle édition de la correspondance de Deborah Lifchitz et Denise Paulme au cours de leur mission en pays dogon (Lettres de Sanga, Paris, CNRS Éditions, 2015) puis réuni et présenté, en collaboration avec Éric Jolly, l’ensemble des écrits produits autour de la mission Dakar-Djibouti (Cahier Dakar-Djibouti, Meurcourt, Éditions Les Cahiers, 2015). marianne.lemaire[at]cnrs.fr

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