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Éditorial

Éditorial

Les violences sexuelles au cœur de l’intime
Didier Lett, Sylvie Steinberg, Fabrice Virgili et Camille Noûs
p. 7-19

Texte intégral

  • 1 Bozon 1999. Sur les mots dans la documentation de l’époque moderne, Gaudillat Cautela 2006.

1Prendre pour objet d’étude la violence sexuelle, c’est d’emblée se confronter à plusieurs problèmes de définition. Aucun mot ne suffit à le circonscrire, d’où notre choix de titre, trois verbes : abuser, forcer, violer. Chacun de ces termes est tour à tour trop restrictif car il n’évoque pas l’ensemble des violences considérées comme sexuelles, et trop général car il s’applique à d’autres violences ou transgressions – on peut abuser de la confiance de quelqu’un, forcer un coffre, violer une frontière. C’est sans doute l’une des caractéristiques du lexique de la violence sexuelle, et plus généralement de la sexualité, que d’être marqué par la banalité, d’avoir des contours flous, et de jouer sur l’euphémisation et le double sens1. Beaucoup d’autres verbes apparaîtront dans les pages qui suivent : rapter, séduire, attenter, corrompre, ou encore exercer une emprise, blesser la pudeur, connaître charnellement et prendre sans consentement – ainsi que leurs équivalents dans d’autres langues, à commencer par le latin. Étudier la violence sexuelle, c’est nécessairement traquer l’emploi de ces mots dans la documentation historique, reconstituer leur trajectoire sur la longue durée, en noter les changements de sens et de connotation. De raptus à rapt et rape, de vis à violence et violer, d’attentare à atteinte et attentat, les vocables ont connu, suivant les époques et les contextes d’énonciation, des évolutions notables, des éclipses et des remplois que les différents articles du numéro permettront de repérer, pour peu qu’on les lise de façon transversale.

  • 2 Voir aussi Branche & Virgili 2011 ; Journal of the History of Sexuality, 2017 ; Zipfel, Campbe (...)
  • 3 Sur les politiques publiques, voir Delage 2017. On peut se référer, pour la France, aux enquêt (...)

2La revue Clio FGH a déjà traité de la violence sexuelle, consacrant une grande part du numéro 39 aux viols en temps de guerre, au sein d’une réflexion plus générale sur les « lois genrées de la guerre »2. Certains spécialistes des « viols de guerre » ont pu faire remarquer que leur propre intérêt avait été éveillé par leur résurgence en Europe lors des guerres dans l’ex-Yougoslavie notamment celle de Bosnie-Herzégovine (1992-1995). Sans nul doute, ce numéro de Clio est aussi marqué par son contexte de parution : de l’affaire Dutroux au #MeToo, des législations sur le harcèlement sexuel à la lutte contre la cybercriminalité pédophile, de l’activité des associations d’écoute des victimes aux manifestations de rue, des groupements de fidèles catholiques aux mouvements féministes, des politiques publiques de prévention aux enquêtes statistiques3, la violence sexuelle fait partie de l’actualité la plus brûlante. Dans cette conjoncture, ce sont les violences sexuelles inter-individuelles qui sont devenues un enjeu politique essentiel à l’échelle locale, nationale ou transnationale. Ce sont ces violences inter-individuelles, commises hors du contexte guerrier, sans directive expresse et sans dessein politique clairement établi (telles que l’humiliation de l’ennemi.e ou la souillure de sa descendance), ces violences quotidiennes et intimes jusque dans le cercle du couple et de la famille, qu’elles soient occasionnelles ou répétées, qui sont au centre de ce numéro de Clio.

  • 4 Pour la France, voir Pavard, Rochefort & Zancarini-Fournel 2020 : 453-484.
  • 5 Sur le même sujet, voir Langlois 2020 (compte rendu en fin de volume).
  • 6 Voir la bibliographie dans ce volume de son actualité de la recherche et le compte rendu d’Isa (...)
  • 7 Sur la nuit de noces au xixe siècle, voir Mortas 2017.
  • 8 Sur l’inceste, il s’agit de l’ANR DERVI (Dire, Entendre, Restituer les Violences Incestueuses) (...)

3Pour éclairer le contexte dans lequel nous nous trouvons, nous avons choisi de demander à l’historienne Elisabeth Elgán, dans un exercice d’histoire immédiate, de retracer les premières étapes du #MeToo dans un pays, la Suède, qui en a pris très vite toute la mesure, y compris sur le plan législatif avec, en 2018, la loi sur le consentement explicite4. Mais l’essentiel des articles concerne des périodes bien plus anciennes, de la Rome antique jusqu’au xixe siècle et ce dans un cadre géographique précis qui est celui de l’Europe. Encore faut-il de nouveau relever que la conjoncture contemporaine pousse leurs auteur.es à identifier de nouveaux objets d’étude et à poser sur le passé un regard renouvelé. Certains des objets d’étude évoqués dans ce numéro sont de fait des objets neufs : il en est ainsi de la pédocriminalité des clercs, étudiée par Vincenzo Lagioia dans l’Italie des xvie et xviie siècles5. Comme le souligne Dorothea Nolde dans le bilan historiographique qu’elle consacre aux recherches européennes sur l’histoire des violences faites aux enfants, garçons et filles, l’essor de ce domaine d’études est contemporain des grandes affaires criminelles qui se sont succédé depuis les années 19906. De même n’aurait-on sans doute pas recherché les traces du viol conjugal au xviie siècle comme le fait ici Marion Philip, ou à comprendre comment théologiquement on pouvait définir le consentement de l’épouse au début du xixe siècle comme le fait Claude Langlois, si le viol conjugal n’était entré dans certaines législations nationales dans un passé récent – en France dans la jurisprudence depuis 1992 – et n’avait suscité plus récemment des débats publics récurrents7. La constitution récente de groupes de recherches sur l’inceste et sur le harcèlement obéit au même désir de plonger dans l’histoire lesté de questionnements contemporains mais aussi à l’ambition d’éclairer le présent par le passé8.

  • 9 Fairchilds 1978 ; Flandrin 1975 et 1981 ; Phan 1986.
  • 10 Ruggiero 1985.
  • 11 Pour le Moyen Âge, Rossiaud 1976, et pour la violence perpétrée dans les bordels médiévaux : P (...)
  • 12 Sur l’époque contemporaine : Edelman 2018 ; Demartini 2017.
  • 13 Voir Bard 2018 : 448-451 ; Pavard, Rochefort & Zancarini-Fournel 2020 : 307-315.
  • 14 Brownmiller 1975.
  • 15 Constat repris dans l’introduction de Bodiou et al. 2016 : 9-23 (compte rendu en fin de volume (...)

4Certains des objets d’études de ce numéro ont cependant déjà connu des développements importants depuis une quarantaine d’années, et en premier lieu le viol des femmes. Il est désormais possible de s’appuyer sur une bibliographie relativement fournie qui permet des comparaisons entre périodes et, pour une même époque, entre différentes régions européennes. L’étude du viol a été entreprise à partir des années 1980 au sein de domaines d’études relativement différents mais tout de même liés entre eux, donnant lieu aux premières synthèses dont, pour la France, celle de Georges Vigarello parue en 1998. D’une part, pour une vaste période courant du Moyen Âge au xixe siècle, les historiens de la famille et du couple se sont intéressés aux violences commises dans les relations prénuptiales, ces « amours tragiques » qui ont laissé des traces dans toute la documentation judiciaire et d’assistance concernant les filles « séduites et abandonnées », les « filles perdues » et les prostituées, ainsi que les enfants illégitimes qui en naissaient9. Se penchant sur les rituels de la cour amoureuse, ils ont généralement avancé l’hypothèse d’une importante violence latente dans les relations sexuelles entre futurs époux10. Étudiant la prostitution, ils ont relevé à quel point la législation était conçue pour protéger la « femme de qualité » ou la femme d’honneur, tandis que les femmes de « mauvaise vie » ou les prostituées n’étaient pas censées pouvoir se défendre contre des violences sexuelles11. La renommée de la victime était bien au cœur de la reconnaissance ou non d’une violence sexuelle, de son appréciation et de son jugement. D’autre part, les historiens de la criminalité se sont intéressés à la pénalisation du viol, étudiant des cas judiciaires précis tirés d’archives et des affaires célèbres, en tant qu’elles apparaissent exemplaires des imaginaires sociaux d’une époque12. Enfin, la thématique a trouvé sa place dans l’histoire des femmes, en dialogue avec les mouvements féministes des années 1970 qui dénonçaient – en France à travers des affaires comme celle d’Aix-en-Provence défendue par Gisèle Halimi en 197813 –, l’impunité dont jouissaient les violeurs depuis des siècles et participaient aux changements législatifs décisifs qui ont fait du viol un crime. Ces études ont été marquées par l’influent ouvrage de Susan Brownmiller paru en 1975 et par ses interprétations qui ont fait date14. On y trouve l’idée qu’il existe des invariants historiques en matière de viol : il s’agit d’un acte beaucoup plus fortement réprimé en théorie que dans la réalité, peu dénoncé par peur, honte et culpabilité de la victime et crainte du déshonneur de sa famille, qui se déroule souvent au sein d’un réseau de connaissances, dont les célibataires et les femmes de mauvaise renommée sont les principales cibles, et où le non-consentement ne va alors jamais de soi15. On y trouve également l’idée que le viol est un rappel à l’ordre à disposition des hommes, pour asseoir, par la peur et la culpabilité, leur pouvoir patriarcal. Filles mineures et femmes mariées étant considérées pendant longtemps comme la propriété de l’époux, ce n’est que progressivement que se serait amorcé le mouvement qui aurait fait de la femme une personne, victime en son nom propre d’un acte qui atteint son intégrité corporelle, son intériorité psychique et son autonomie de choix.

  • 16 Thèse reprise par Bashar 1983 qui identifie un tournant en Angleterre au xvie siècle.
  • 17 Toujours pour l’Angleterre, Chaytor (1995) place le tournant à la mi-xviie siècle ; Clark (198 (...)
  • 18 Sur le rapt, voir Joye 2012 ; Vickermann-Ribémont &White-Le Goff (dir.) 2014 ; Haase-Dubosc 19 (...)
  • 19 Voir les remarques de Simpson 1986 : 143 ; Baines 1998 : 72-73 ; Walker 1998 ; Ferron 2000 et (...)
  • 20 Voir l’analyse de la loi française de 1980 par Debauche 2011 ; plus généralement sur l’évoluti (...)

5C’est sans doute cette évolution chronologique qui a été la plus discutée dans les études historiques sur le viol16. La datation de la période où se serait produite la rupture entre une législation protectrice de l’honneur masculin, fondée sur la notion de propriété, et une législation protectrice de la victime en tant que personne n’a donné lieu à aucun consensus17. Entre le xvie siècle et le xixe siècle, aucun changement n’est, semble-t-il, suffisamment significatif pour conforter la thèse d’une telle rupture, ni les évolutions de la définition juridique et notamment de la place du consentement dans cette définition (déjà présente au Moyen Âge) ; ni la sociologie des plaignantes pour viol qui est relativement stable et fait apparaître la présence d’un très grand nombre de fillettes (propriétés) et de femmes célibataires des couches populaires sans attache (non propriétés) ; ni la persistance d’une législation sur le rapt à côté de celle sur le viol18 ; ni le traitement que réserve la justice aux plaignantes considérées parfois comme des victimes parfois comme des coupables suivant leur âge, leur statut social ou celui de leur agresseur, les circonstances plus ou moins atroces du crime, et suivant aussi les règles propres de la procédure engagée19. Néanmoins, si la perspective de retracer une évolution claire des modes de conceptualisation du viol sur la longue durée occidentale s’est éloignée, les travaux accumulés ont d’autant plus fait ressortir a contrario la spécificité du moment historique qui s’est ouvert depuis les années 1970 où la reconnaissance de la victime contrebalance la tendance à la considérer comme pécheresse, tentatrice, complice ou coupable20.

  • 21 Garçon 1956.
  • 22 Sur la pédocriminalité à la fin du Moyen Âge à Bologne : Lett 2018 et 2021 ; sur Rome à l’époq (...)

6Ils ont aussi mis en évidence qu’à aucune époque historique antérieure, la violence sexuelle n’a été réprouvée ou tolérée de façon unanime, comme le remarque Dorothea Nolde à propos des violences faites aux enfants. En ce sens, ce numéro de Clio témoigne d’un moment historiographique où il est davantage porté attention à des configurations précises, à des moments singuliers, à des cas concrets, à des débats historiquement situés qu’aux perspectives diachroniques de grande ampleur. Cela ne signifie pas qu’il faille s’en tenir aux seules définitions données par les acteurs historiques, la recherche se situant, là comme ailleurs, dans une tension entre les catégories de pensée contemporaines des faits et celles qui sont contemporaines de l’historien. Certains gestes n’ont été, à certaines époques, considérés ni comme violents ni comme sexuels. En France, depuis le code pénal (1810) jusqu’à la loi de 1980, le viol ne pouvait être établi que dans le cas d’un « coït illicite avec une femme qu’on sait ne point consentir »21. Il ne pouvait donc être qu’hétérosexuel, commis hors des relations conjugales, et exclure toute forme de pénétration autre que le coït. Quant à la sodomie, sa polysémie la situait à la croisée des catégories de violence et de sexualité. Dans le monde chrétien, en tant qu’acte sexuel illicite (pénétration anale, masturbation, bestialité, etc.), elle était avant tout un péché – en France avant sa dépénalisation durant la Révolution française. Mais la sodomie pouvait également être poursuivie pour violence quand elle était perpétrée sur un enfant ou de façon collective et punitive22.

7Significative de ce moment historiographique, une attention très fine portée à la documentation qui renseigne sur les violences sexuelles. On en connaît la rareté et on sait combien il faut de patience et de temps pour identifier par exemple dans des masses d’archives judiciaires les affaires pertinentes. Sans surprise, beaucoup des articles réunis ici ont pour bases ces archives judiciaires : archives du tribunal du podestat de Bologne (Didier Lett), archives des tribunaux ecclésiastiques italiens (Vincenzo Lagioia), archives de l’officialité et des tribunaux séculiers parisiens (Marion Philip), fonds des déclarations de grossesse de Toulouse (Mathieu Laflamme). Dans tous les cas, il s’agit de prêter une attention particulière à ce qui se joue dans la confrontation des points de vue qui s’expriment dans le cadre judiciaire, de retracer les positions respectives des plaignant.es, des accusés, des témoins, du personnel judiciaire, des voisins, parents et amis. L’attention aux mots ne concerne pas seulement le langage de la procédure mais aussi ce qui est exprimé par chacun, dans son parler propre, ou bien retranscrit par le greffier, dans un dispositif judiciaire où la parole est d’abord performative. Ce savoir-faire accumulé dans ce domaine de la lecture des sources judiciaires et de l’interprétation des récits est par ailleurs retracé par Sylvie Steinberg pour la période moderne.

8Si les sources judiciaires sont nettement privilégiées dans les études sur la violence sexuelle, elles ne sont pas pour autant les seules à fournir des éclairages. Aux sources de la justice, il y a les sources juridiques. Dans l’article qu’elle consacre à la législation romaine sur le « raptus », Nephélé Papakonstantinou montre que les corpus de lois peuvent être complétés par celui des Déclamations où les apprentis juristes s’exercent à régler des cas fictifs : ceux-ci apportent des éclaircissements sur le sens des concepts juridiques mais aussi sur le type de situations sociales que le droit régulait. Les règles de vie édictées dans les sagesses démotiques sont un autre type de source normative. Elles sont ici analysées par Christine Hue-Arcé. Là encore, leur interprétation passe par un travail philologique sur le sens des verbes employés dans de courts proverbes, afin de mettre en évidence l’absence de prise en considération (voire l’absence de notion) du consentement des femmes. C’est encore de morale dont il est question avec les textes théologiques du début du xixe siècle étudiés par Claude Langlois : à partir d’une question posée aux confesseurs afin de savoir quelle est la responsabilité de l’épouse quand son mari lui impose des relations non procréatives, celui-ci reconstitue la logique implicite d’un discours calquant sa réponse sur les solutions apportées par la doctrine dans le cas du viol, suivant un mode de raisonnement qui assimile l’illicite et le violent.

9Parce que les sources sont rares, elles induisent des démarches de type micro-historique s’attachant à reconstituer des circonstances particulières et des modes opératoires. Dans l’archive de la violence, il y a des servantes qui vaquent à leurs occupations, des couples qui se fréquentent, des enfants qui jouent dans la cour, des voisins qui veillent, des jeunes filles qui gardent leur troupeau, des maîtres d’école qui éduquent leurs disciples. Alors les conditions de la rencontre, puis les gestes de la violence et les réactions des victimes composent des descriptions qui plongent le lecteur dans la brutalité des situations, parfois jusqu’à une horreur qui nécessite une réflexion sur sa restitution, à la bonne distance pour éviter le double écueil de l’euphémisation et du voyeurisme. Ces situations révèlent combien le corps est le terrain partagé de la violence et de la sexualité. Son effraction par la pénétration s’inscrit dans une extension maximale du sensible, opposant chez les protagonistes, la souffrance au plaisir, le rejet au désir. Cette frontière, poreuse, connaît de multiples tracés dont témoignent autant la description des gestes et leur perception antagoniste selon les acteurs. Car ceux-ci s’inscrivent dans des rapports de domination multiples qui traversent la routine et le quotidien, des rapports de domination qui sont tout autant à l’œuvre dans la scène de violence que dans le regard porté sur elle par l’institution judiciaire et, au-delà, par la société. La domination masculine est au cœur de ces situations mais, comme le montrent les différents articles du numéro, elle s’entrecroise à chaque époque avec d’autres rapports de domination : relations sociales (libre/esclave, paysan/seigneur, maître/domestique), catégories d’âge, états matrimoniaux (époux, amants, concubins), que ces rapports soient inscrits dans des statuts et/ou des imaginaires.

  • 23 Zipfel 2019. Voir aussi Loetz 2015.

10Cette dernière observation n’est cependant pas tout à fait spécifique à la violence sexuelle puisqu’elle peut s’appliquer à la violence domestique également. Aucun article de ce numéro ne prétend sans doute répondre de façon définitive à cette question cruciale : « qu’est-ce qui est sexuel dans la violence sexuelle ? »23 – qui est une autre façon de poser le problème de la définition. Néanmoins, au-delà de la spécificité de chaque situation, chacun sur son terrain documentaire cherche à répondre à quelques questions importantes. De quelle manière, à chaque époque, les normes de la masculinité et de la féminité intègrent-elles la contrainte et/ou la violence dans l’exercice de la sexualité, qu’elle soit hétérosexuelle, homosexuelle ou pédosexuelle ? Peut-on identifier à chaque époque un continuum entre les violences sexistes (s’exprimant par exemple par l’insulte, la vexation, la menace ou le harcèlement) et les violences sexuelles ? Suivant les époques, la violence sexuelle se place-t-elle toujours en continuité avec les autres formes de la domination masculine ou est-elle parfois une transgression de la masculinité « ordinaire » ou idéale telle que définie socialement ? À travers les mots qui disent la violence sexuelle, l’observation attentive des configurations dans lesquelles elle se déroule, les relations de pouvoir qui s’y nouent, la manière dont elles sont tolérées ou réprimées, il est finalement toujours question d’appréhender des régimes historiques de genre et de sexualité.

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Zipfel Gaby, Campbell Kirsten, Mühlhäuser Regina (eds), 2019, In Plain Sight: sexual violence in armed conflict, New Dehli, Zubaan Books.

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Notes

1 Bozon 1999. Sur les mots dans la documentation de l’époque moderne, Gaudillat Cautela 2006.

2 Voir aussi Branche & Virgili 2011 ; Journal of the History of Sexuality, 2017 ; Zipfel, Campbell & Mühlhäuser 2019.

3 Sur les politiques publiques, voir Delage 2017. On peut se référer, pour la France, aux enquêtes statistiques Enveff (Enquête nationale sur les violences faites aux femmes, 2000) [https://www.centre-hubertine-auclert.fr/sites/default/files/fichiers/enveff-iledefrance-rapport.pdf] (consulté le 1/12/2020) et Virage (Violences et rapports de genre, 2015) [https://www.ined.fr/fr/publications/editions/document-travail/violences-rapports-genre/] (consulté le 1/12/2020).

4 Pour la France, voir Pavard, Rochefort & Zancarini-Fournel 2020 : 453-484.

5 Sur le même sujet, voir Langlois 2020 (compte rendu en fin de volume).

6 Voir la bibliographie dans ce volume de son actualité de la recherche et le compte rendu d’Isabelle Le Boulanger (2015) ici dans la rubrique « Clio a lu ». Le numéro 42 de Clio comporte également des articles sur le sujet : Bérard & Sallée 2015 ; Lett 2015 (voir également Lett 2018).

7 Sur la nuit de noces au xixe siècle, voir Mortas 2017.

8 Sur l’inceste, il s’agit de l’ANR DERVI (Dire, Entendre, Restituer les Violences Incestueuses), 2018 [https://anr.fr/Projet-ANR-18-CE36-0003] (consulté le 1/12/2020), rattaché aux Laboratoires Pléiade et Institut Marcel Mauss, coordonné par Éléonore Le Caisne. Sur le même sujet, voir Lett 2016 ; Giuliani 2014 ; De Martini 2016 et 2017 ; Le Caisne 2014 (compte rendu en fin de volume). Sur le harcèlement, il s’agit du Projet AVISA (Historiciser la harcèlement sexuel), 2020, rattaché aux Laboratoires DYPAC, Centre Pierre Naville et MSH Saclay, coordonné par Armel Dubois-Nayt.

9 Fairchilds 1978 ; Flandrin 1975 et 1981 ; Phan 1986.

10 Ruggiero 1985.

11 Pour le Moyen Âge, Rossiaud 1976, et pour la violence perpétrée dans les bordels médiévaux : Peris 1990 ; Mazzi 2018.

12 Sur l’époque contemporaine : Edelman 2018 ; Demartini 2017.

13 Voir Bard 2018 : 448-451 ; Pavard, Rochefort & Zancarini-Fournel 2020 : 307-315.

14 Brownmiller 1975.

15 Constat repris dans l’introduction de Bodiou et al. 2016 : 9-23 (compte rendu en fin de volume).

16 Thèse reprise par Bashar 1983 qui identifie un tournant en Angleterre au xvie siècle.

17 Toujours pour l’Angleterre, Chaytor (1995) place le tournant à la mi-xviie siècle ; Clark (1987) considère que le viol est encore conceptualisé comme une atteinte à la propriété aux xviiie et xixe siècles ; pour la Hollande voir van der Heijden 2000.

18 Sur le rapt, voir Joye 2012 ; Vickermann-Ribémont &White-Le Goff (dir.) 2014 ; Haase-Dubosc 1999.

19 Voir les remarques de Simpson 1986 : 143 ; Baines 1998 : 72-73 ; Walker 1998 ; Ferron 2000 et 2003.

20 Voir l’analyse de la loi française de 1980 par Debauche 2011 ; plus généralement sur l’évolution du droit en matière de violence sexuelle : Bérard 2013 ; NQF 2009 et 2010 ; Virgili 2011.

21 Garçon 1956.

22 Sur la pédocriminalité à la fin du Moyen Âge à Bologne : Lett 2018 et 2021 ; sur Rome à l’époque moderne, Baldassari 2005.

23 Zipfel 2019. Voir aussi Loetz 2015.

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Pour citer cet article

Référence papier

Didier Lett, Sylvie Steinberg, Fabrice Virgili et Camille Noûs, « Éditorial »Clio, 52 | 2020, 7-19.

Référence électronique

Didier Lett, Sylvie Steinberg, Fabrice Virgili et Camille Noûs, « Éditorial »Clio [En ligne], 52 | 2020, mis en ligne le 19 avril 2021, consulté le 17 septembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/18646 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.18646

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Auteurs

Didier Lett

Didier Lett est professeur d’Histoire médiévale à l’Université de Paris et membre du comité de rédaction de Clio. Femmes, Genre, Histoire (a codirigé les numéros 34/2011, « Liens familiaux » et 47/2018, « Le genre des émotions »). Spécialiste de l’enfance, la famille, la parenté et le genre et des sociétés italiennes de la fin du Moyen Âge, il a publié, entre autres, Hommes et femmes au Moyen Âge. Histoire du genre xiie-xve siècle, Paris, Armand Colin (Collection Cursus), 2013 ; Un procès de canonisation au Moyen Âge. Essai d’histoire sociale. Nicolas de Tolentino, 1325, Paris, PUF, 2008 ; L’Enfant des miracles. Enfance et société au Moyen Âge (xiie-xiiie siècle), Paris, Aubier, 1997. Il termine actuellement Viols d’enfants. Genre et pédocriminalité à Bologne à la fin du Moyen Âge, Paris, PUF, 2021. didier.lett[at]wanadoo.fr

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Sylvie Steinberg

Sylvie Steinberg est directrice d’études à Ehess, membre du Centre de recherches historiques (CRH), spécialiste de la France d’Ancien Régime. Elle travaille sur la famille, le genre et la sexualité. Actuellement co-directrice de publication de la revue Clio. Femmes, Genre, Histoire, elle a codirigé les numéros 31/2010 « Erotiques » et 44/2016 « Judaïsme(s). Genre et religion ». Elle a publié La Confusion des sexes. Le travestissement de la Renaissance à la Révolution (Fayard, 2001) ; Une tache au front. La bâtardise aux xvie et xviie siècle (Albin Michel, 2016) ; et dirigé Une histoire des sexualités (PUF, 2018). sylvie.steinberg[at]ehess.fr

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Fabrice Virgili

Fabrice Virgili est directeur de recherche au CNRS et responsable de la thématique Genre & Europe de l’UMR SIRICE. Il travaille depuis plusieurs années sur le genre et les guerres mondiales et notamment les violences sexuelles. Membre du comité de rédaction de la revue Clio. Femmes, Genre, Histoire. Il a notamment publié Les Françaises, les Français et l'Épuration. De 1940 à nos jours (Gallimard, Folio, 2018) ; La Garçonne et l’assassin. Histoire de Louise et de Paul, déserteur travesti, dans le Paris des années folles (Payot, 2011) ; Les Viols en temps de guerre (2011) ; Sexes, genre et guerres. France 1914-1945 (2010) ; Naître ennemi. Les enfants nés de couples franco-allemands pendant la Seconde Guerre mondiale (2009) ; La France “virile”. Des femmes tondues à la Libération (2000). Il a dirigé le numéro 39 de la revue Clio. Femmes, Genre, Histoire, « Les Lois genrées de la guerre » (39/2014). Plusieurs de ses travaux ont été traduits en anglais, espagnol, italien, japonais, suédois ou grec. Virgili[at]univ-paris1.fr

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Camille Noûs

Camille Noûs est née le 20 mars 2020, incarnant la contribution de la communauté académique aux travaux de recherche, sous la forme d’une signature collective. Cette signature, pensée comme celle d’un consortium scientifique, revendique le caractère collaboratif et ouvert de la création et de la diffusion des savoirs, sous le contrôle de la communauté académique, et est appelée à devenir une marque d’intégrité. Camille Noûs dirige le laboratoire Cogitamus, multidisciplinaire, interdisciplinaire et transdisciplinaire par essence. camille.nous[at]cogitamus.fr

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