- 1 Sur l’évolution de la question de la désertion des maris aux États-Unis (1880-1920) qui est abord (...)
Monsieur K. était un mari déserteur. Il est parti avec sa femme et sa petite fille Lina pour rendre visite à ses parents en Europe. Il est resté quatre mois puis a disparu. Sa femme a su qu’il était retourné aux États-Unis, mais n’a plus eu de nouvelles de lui. L’agence a mené une enquête en Europe, Madame K. a été retrouvée, souffrant d’une dépression due à l’inquiétude causée par son mari. Aucune raison n’expliquait sa désertion, excepté le fait que Madame K. considérait leur mariage comme une erreur, son mari n’étant pas satisfait de la vie en famille. La séparation ne semblait pas assez grave pour être irréparable et les agences ont entrepris de réunir la famille. La mère de Madame K. a dit qu’elle ne permettrait pas le retour de sa fille aux États-Unis sans l’assurance qu’elle soit en sécurité. La visiteuse à Brême a expliqué le travail de l’Immigrants’ Protective League et a gagné la confiance de Madame K. et de sa mère. Le fait que Madame K. aurait un lieu de repli en cas de problème était rassurant. L’agence de Brême a noté : « Madame K. a peur de retourner auprès de son mari car une fois là-bas s’il ne la soutient pas, elle n’aurait personne vers qui se tourner et elle est totalement sans le sou. » Elle pourrait se tourner vers l’Immigrants’ Protective League ! Une fois Madame K. rassurée, l’action s’est concentrée sur la réconciliation proprement dite. L’agence de Brême a demandé à la League d’avoir « une conversation confidentielle avec Monsieur K. à propos de sa correspondance avec sa femme, jusqu’à présent laconique et acerbe, afin qu’il puisse regagner sa confiance et que le désir de le retrouver remplace chez elle l’incertitude ». Au cours de plusieurs entretiens, la principale méthode utilisée a été d’évoquer le chagrin et la santé de son épouse. Cela a produit l’effet escompté puisque la dernière lettre de sa femme contenait les papiers nécessaires à sa naturalisation et lui demandait de remettre à la League l’argent pour les billets du bateau et du train jusqu’à Chicago.
- 2 Nommé ainsi en français. En anglais : « Maintenance orders in separated families as seen by the I (...)
- 3 Adena Miller Rich (1888-1967) a étudié l’économie, la sociologie et l’éthique à Oberlin College ( (...)
- 4 Archives de la Société des Nations (désormais ASDN), R3573, compte rendu de la 8e session de la C (...)
- 5 Linda Guerry, « Dividing international work on social protection of migrants. The International L (...)
- 6 Sur le projet de convention internationale sur les pensions alimentaires au sein du Comité de pro (...)
- 7 Guerry 2014. L’IMS travaille aussi sur les pensions alimentaires pour le Comité de protection de (...)
1Ce récit est extrait d’un rapport de 32 pages, intitulé « Pensions alimentaires d’après les expériences faites par l’Immigrants’ Protective League à Chicago »2 et rédigé par la directrice de l’organisation, Adena Miller Rich3, et Mary Brent, membre de l’équipe. Dans ce rapport, une quinzaine de récits racontent l’action de l’Immigrants’ Protective League (ILP) pour réunir des familles séparées par la migration. Afin d’éviter l’action en justice, l’ILP utilise différentes tactiques lorsqu’elle considère qu’il est encore possible de « sauver » des couples et des familles. L’histoire de la famille K., qui illustre les situations où l’inquiétude des beaux-parents est un obstacle à la réunion des familles, montre comment se déploie l’action de l’ILP et comment elle est représentée dans le récit. Ce rapport se trouve dans les archives de la Société des Nations (SdN) en pièce-jointe du compte rendu de la 8e session de la Conférence internationale des organisations privées pour la protection des migrants (CPPM) qui se tient les 7 et 8 septembre 1931 dans les locaux du Bureau international du travail (BIT) à Genève4. La CPPM, qui regroupe une quarantaine d’associations, est mise sur pied à l’initiative du BIT en 19245. Elle collabore avec le Comité de la protection de l’enfance de la SdN qui crée en 1931 un comité ad hoc formé d’experts gouvernementaux pour étudier le problème de l’exécution à l’étranger des obligations alimentaires dans le cadre d’un projet de convention internationale pour l’assistance aux étrangers indigents6. C’est à la demande de la SdN que la CPPM travaille sur ce sujet et demande à ses associations membres de fournir des rapports sur le paiement des pensions alimentaires. Au sein de la CPPM, l’International Migration Service (IMS)7 coordonne ce dossier auquel contribue l’Immigrants’ Protective League de Chicago (IPL).
- 8 De tendance réformiste, la Women’s Trade Union League est co-fondée en 1903 par Jane Addams avec (...)
- 9 Nackenoff 2014.
- 10 Batlan 2018.
- 11 Inspirée par la Toynbee Hall à Londres, Addams fonde la Hull House, un des premiers centres socia (...)
- 12 Deegan 1988 ; Breslau 1990.
2Fondée en 1908 et installée à Chicago, prenant la suite d’un comité destiné à la protection des travailleuses immigrantes de la Women’s Trade Union League8, l’IPL est une organisation de défense et de service social destinée aux immigrant.es. Son travail se situe dans le mouvement plus large d’associations de protection des immigrantes aux États-Unis9. À partir de la mise en place, aux États-Unis, d’une législation restrictive (quotas de 1920 et 1924), les travailleuses sociales de l’IPL développent une expertise en droit et jouent le rôle d’« intermédiaire juridique » critiquant mais s’accommodant de la politique migratoire fédérale10. L’IPL est issue du travail mené par la célèbre Hull House, à la fois centre social aux activités diverses, centre de recherche et lieu de résidence de travailleuses sociales, co-fondée en 1889 par Jane Addams (1860-1935)11. Appartenant au mouvement de réforme sociale de la progressive era qui œuvre pour une législation protectrice des enfants, des femmes et des immigrant.es exploités par l’industrie, les figures de l’IPL sont issues de familles de l’élite politique et font partie de la génération des premières femmes diplômées qui intègrent la formation de travail social à l’université et développent des enquêtes sociologiques qui inspireront les méthodes de l’École de Chicago12.
- 13 Imel & Bersch 2014 : 282.
- 14 ASDN, R3573, compte rendu de la 8e session de la CPPM, 7 et 8 septembre 1931, p. 18.
- 15 Alice Masaryková, fille du président Tomáš Masaryk et de l’américaine Charlotte Garrigue, vit à C (...)
3Représentant l’IPL à la session de 1931 de la CPPM, Molly Ray Carroll (1890-1977), titulaire d’un doctorat de l’université de Chicago et professeure13, présente la contribution de son organisation à l’étude de la question des pensions alimentaires et lit des extraits du rapport. Dans sa présentation orale, elle met en évidence que le développement de « la collaboration entre associations américaines et européennes peut être particulièrement féconde » « pour éveiller l’intérêt du père »14. En effet, l’IPL collabore en réseau avec des organisations européennes. Comme le montrent la plupart des cas évoqués dans le rapport, l’IPL travaille en particulier avec la Croix-Rouge tchécoslovaque dont la fondatrice et directrice, Alice Masaryková (1879-1966), a noué des liens avec ses membres lors d’un séjour à Chicago15.
- 16 La deuxième partie intitulée « Divorce in Illinois with a defendant abroad » (p. 13-32) n’est pas (...)
- 17 En anglais : « Informal probation under the supervision of private agencies ».
- 18 Marie E. Richmond (1861-1928) est la théoricienne du social case work. Elle appartient au Charity (...)
4L’introduction du rapport montre que l’IPL juge les changements législatifs (quotas, législation sur la naturalisation, etc.) en partie responsables du délai prolongé de séparation de familles. Cependant, le discours est mesuré. Il se concentre, dans la première partie (p. 2-13), sur l’expérience pratique de ses travailleuses sociales auprès de familles puis traite le point de vue juridique en cas de divorce à travers le cas de l’Illinois16. La quinzaine de cas présentés dans la première partie intitulée « Probation informelle sous la supervision d’organisations privées »17, dont celui de la famille K., s’inscrit dans la méthode du social case work qui se développe dans le contexte de rationalisation et de “scientisation” du social18. Cette méthode centrée sur l’individu dans une approche clinique (enquête, diagnostic, traitement) et compréhensive pour résoudre des situations sociales est souvent opposée par l’historiographie à l’esprit du Settlement house movement qui remet en question la société et défend des réformes sociales ; cependant, le rapport montre que le social case work est utilisé par l’IPL qui est issue de ce mouvement.
- 19 Dans le travail social défini par Richmond, la personne aidée est appelée « client » ; celui-ci e (...)
- 20 Tice 1998.
- 21 Walkowitz 1999.
5Le case record a été utilisé comme source par des historien.nes qui proposent une relecture de l’histoire du travail social attentive aux processus de légitimation de cette profession et intégrant une approche intersectionnelle. Dans son étude sur la professionnalisation du travail social aux États-Unis qui s’appuie sur les pratiques textuelles des case records, Karen Tice montre comment des histoires sont mises en forme pour incarner des problèmes sociaux et analyse des stratégies de « clients »19 et de travailleuses sociales dans la mise en récit20. De même, Daniel Walkowitz, dans son ouvrage sur la construction d’une identité de classe chez les travailleuses sociales, montre l’intérêt de prendre en compte le genre mais aussi l’ethnicité, la « race » dans l’analyse des relations avec les « clients »21. Le rapport de l’IPL permet de saisir comment les travailleuses sociales définissent le problème qu’elles tentent de résoudre, mais aussi comment elles se définissent elles-mêmes à travers leur rôle et leurs pratiques, et perçoivent les relations avec (et entre) les membres des familles séparées par la migration. La mise en récit permet également d’entrevoir, dans certains cas, des stratégies de personnes dans les familles concernées par l’intervention sociale.
6L’introduction du rapport souligne l’augmentation des cas de familles séparées. Il est noté que le phénomène de séparation entre un mari/père souvent venu avant la guerre et sa famille, restée ou retournée au pays, est aggravé par les changements législatifs des années 1920 qui n’ont rien prévu pour réunir les familles ; le rapport signale que ces séparations prolongées ont multiplié les problèmes : « suspicion, accusation, désertion, absence de soutien, enfants illégitimes, adultère, bigamie, divorce ». Pour résoudre ces problèmes, le rapport présente les différentes tactiques des travailleuses sociales « utilisées dans les relations semi-probatoires avec la partie de la famille aux États-Unis » en s’appuyant sur des cas concrets. Les autrices du rapport se présentent comme des « agents de probation », tout en soulignant le caractère informel de leur travail, ce qui leur permet de se positionner comme des actrices incontournables du travail à mener pour éviter une action en justice qui, faute de convention internationale, parait problématique. Identifier ainsi un problème social qui nécessite une action internationale permet à l’IPL de mettre en avant l’importance du rôle des associations de protection de migrants qui tentent de se faire une place dans la politique migratoire sur la scène internationale. On peut y lire un processus de légitimation d’une approche nouvelle du travail social : l’International case work. Le rapport insiste sur la collaboration avec d’autres associations en Europe pour retrouver des personnes, mener des enquêtes, mais aussi comme moyen de pression envers les pères.
7L’histoire de la famille K. montre la collaboration avec une agence située en Europe (à Brême) qui retrouve l’épouse dépressive. Elle montre également comment l’information circule et est utilisée pour persuader le mari de changer son attitude. Selon le rapport, la mention de ces enquêtes internationales a parfois un effet direct sur le comportement du mari et père, ou parfois d’un fils. Par exemple, le premier cas, qui présente « une méthode simple qui est parfois suffisante », fait le récit d’un fils émigré aux États-Unis depuis 15 ans et qui n’envoie plus d’argent à sa mère, veuve et âgée de 70 ans, réfugiée en Grèce et dont la situation a été signalée à l’ILP par la branche grecque de l’IMS. Le fils est retrouvé, envoyé au bureau et « rappelé à son devoir ». Le rapport mentionne le succès de cette façon de faire : le fils envoie de nouveau de l’argent à sa mère.
8Il n’est pas indiqué dans le récit de la famille K. qui a contacté l’ILP, mais le rapport montre que l’organisation est parfois sollicitée par des épouses ou leurs proches. Le rapport présente un extrait de lettre d’une femme russe qui écrit d’Allemagne :
Mon mari est parti à Chicago en décembre 1923 et comme j’appartenais au quota russe, je n’ai pas pu le suivre. Pendant 3 années, mon mari m’a écrit et m’envoyait de l’argent. Puis, pendant un an et demi, il m’a rarement écrit et m’a envoyé de petites sommes. Pendant les 7 derniers mois, je n’ai plus entendu parler de lui et il ne m’a pas envoyé d’argent. J’ai dû quitter ma maison et vendre mes meubles. J’ai deux enfants en bas âge, et je n’ai pas de revenu. J’espère que vous verrez mon mari mais je ne sais même pas où il se trouve et que vous lui demanderez de m’envoyer de l’argent régulièrement.
9La trace du mari est retrouvée à Pittsburg grâce au réseau associatif de l’IPL qui le localise finalement à Detroit. La conclusion du récit mentionne que le fait d’être suivi de près a conduit le mari à changer son attitude puisque quelques mois plus tard, l’épouse est arrivée aux États-Unis.
10Le récit de la famille K. illustre également le succès de la « persuasion comme méthode de case work » pour réunir les familles. Dans ce cas, il s’agit de persuader l’épouse et sa mère, mais aussi le mari. D’autres récits présentés montrent qu’il s’agit de responsabiliser le chef de famille à l’aide de différentes tactiques en jouant avec sa subjectivité pour renforcer le rôle social de mari et père. L’IPL montre qu’elle aide, par exemple, à dissiper chez le mari des « rumeurs » non fondées sur la moralité douteuse de son épouse restée au pays car elles peuvent conduire le mari à « punir » son épouse en n’envoyant plus d’argent. Face à un mari qui se sent injurié par son épouse, le rapport note qu’il « faut faire preuve de sympathie et le cajoler dans la bonne humeur comme un enfant gâté ». Un cas titré « Le mari maltraité » décrit l’histoire d’un homme dont l’épouse est venue aux États-Unis avec ses enfants en 1929 puis repartie avec eux 14 mois plus tard, insatisfaite de son séjour outre-Atlantique et touchée par le mal du pays. L’homme réfléchit à un divorce mais l’ILP « en encourageant la mère et en persuadant le père d’adopter une attitude différente, espère réunir la famille ».
11Face à « un homme qui a des principes », les travailleuses sociales se concentrent sur la description des conditions de vie difficiles de son épouse, en collaboration avec l’association européenne, comme le montre le récit de la famille K. qui précise que « la principale méthode utilisée a été d’évoquer le chagrin et la santé de son épouse ». La comparaison du quotidien de l’épouse avec les conditions de vie aux États-Unis est parfois mise en avant, ce qui « convainc [le mari] de l’injustice qu’il perpétue ». Le rapport mentionne que si la description des conditions de vie dans des lettres peut aider, les épouses échouent souvent dans cette démarche. L’agence peut alors « renforcer la puissance de leurs descriptions et peut-être utiliser plus d’éloquence pour convaincre le mari de ses responsabilités ». Le quatrième cas, titré « Les épouses devraient pratiquer l’art de la description. L’effet du versement d’une petite pension à une épouse affamée », raconte que l’agence a évité un divorce par la description de la situation de l’épouse qui a conduit le mari à lui envoyer deux dollars par mois.
12L’IPL considère également qu’un homme doit être en famille pour s’adapter à la société américaine. Pour les hommes mariés venus sans leur épouse, la demande de naturalisation, qui nécessite cinq ans de résidence, doit comprendre un certificat médical de l’épouse et une lettre mentionnant qu’elle souhaite venir aux États-Unis. Dans plusieurs cas, cette exigence administrative est utilisée pour convaincre le père de renouer avec sa famille s’il veut obtenir sa naturalisation. Peut-être a-t-elle été aussi utilisée dans la famille K. puisqu’à la fin du récit on peut lire que « la dernière lettre de sa femme contenait les papiers nécessaires à sa naturalisation ». Une partie intitulée « Suggérer les avantages du foyer » mentionne également : « L’homme éloigné de sa famille pendant de nombreuses années dérive et oublie les avantages d’un foyer. On doit le contacter fréquemment et lui rappeler pourquoi il travaille, sinon son enthousiasme faiblit et la famille reste définitivement séparée ». Dans la famille K., il s’agit de persuader un mari qui « n’est pas satisfait de la vie en famille » de retrouver son épouse. Portée à la connaissance de l’ILP par la sœur de son épouse, le cas d’un Polonais « à la dérive » est ainsi également décrit par le rapport sous le titre « La jeune fille gère un père irresponsable ». Le père vit aux États-Unis avec trois de ses enfants tandis que son épouse doit attendre la naturalisation de son époux pour pouvoir le rejoindre. Le comportement de l’homme, en raison de l’instabilité due à cette attente trop longue, est décrit comme « irresponsable » : il est alcoolique et s’adonne au jeu, a vécu avec une autre femme, a fait plusieurs séjours en prison pour conduite incorrecte, et néglige ses enfants. Il est reçu au bureau de l’ILP à la demande de la fille aînée de 15 ans avec qui l’ILP établit un plan d’action auprès du père et mari : des « encouragements constants » et le maintien de « l’image d’une famille réunie et heureuse ».
13Lorsque toutes les tactiques précédemment mentionnées échouent, le rapport signale qu’il est parfois nécessaire « d’utiliser des menaces de mesures fermes pour s’opposer aux souhaits du mari », car s’il n’y a pas « d’intérêt ou de coopération », l’action peut aller en cour de justice pour « adultère, bigamie ou non-soutien ». Dans cette partie du rapport intitulée « Menaces coercitives », il est présenté une procédure utilisée régulièrement « comme une arme » par une travailleuse sociale : « Elle fonde ses attaques sur le fait que la plupart de ces hommes ne sont pas citoyens américains, qu’ils ont peur des institutions américaines, et en particulier de la capacité des femmes américaines à faire respecter la justice ». Dans ce contexte d’intervention sociale présentée dans un vocabulaire martial, les travailleuses sociales mettent en avant leur identité nationale pour faire peur à des hommes vulnérables du fait de leur statut d’étranger. La technique est la suivante : « Le client est appelé et interrogé, non seulement sur ses affaires matrimoniales mais aussi sur son statut dans ce pays ». Il lui est rappelé que selon les lois des États-Unis, il doit soutenir financièrement son épouse et ses enfants ; qu’il ne pourrait pas bénéficier, s’il ne le fait pas, de l’aide de son consul et pourrait être signalé au Bureau d’immigration. Le rapport indique que cette tactique, qui à mots couverts vise à faire peur par la menace d’expulsion, est en général suffisante pour obtenir la « coopération » du mari.
14Ainsi, la mise en récit des histoires de couples et de familles séparés par la migration, comme celui de la famille K., sert un processus de légitimation du travail social international. Il nous renseigne aussi sur les pratiques des travailleuses sociales : pour éviter les tribunaux, il faut sauver les familles par des tactiques persuasives ou dissuasives envers les maris et pères. Celles-ci s’appuient principalement sur les émotions, de l’encouragement à la honte et la peur ; il s’agit de rétablir un modèle familial fragilisé par la migration en s’immisçant dans l’intimité des familles. Le travail social répond à un problème qu’il contribue à construire : celui de la migration comme un risque social pouvant déstabiliser les rôles de genre au sein de la famille et entrainer d’une part « l’indigence » des épouses (et des enfants) en l’absence prolongée du soutien de famille, d’autre part un problème d’hommes sans foyer et sans épouse présentés comme instables et irresponsables dans la société d’accueil. Regard d’un groupe social sur le phénomène migratoire et la famille, cette source retrace aussi des projets et parcours migratoires complexes qui rencontrent de nombreuses contraintes, en particulier administratives et législatives ; elle permet également d’entrevoir des femmes agissantes qui sollicitent parfois les services de l’organisation pour obtenir de l’aide.