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Dossier

Entre stratégies individuelles et stratégies de l’État : le genre de l’émigration antillaise dans les années 1960

Individual strategies and state strategies: the shaping of French Caribbean emigration by gender relations
Stéphanie Condon
p. 119-141

Abstracts

The research which has brought the history of emigration from the French Caribbean out of obscurity usually puts most emphasis on its presence within the large-scale postwar labour migration to France (1950s to 1970s), on the role of the French state in this massive movement of migrants, and on the experience of discrimination they faced. Relatively absent from the literature is a sense of the strategies of individuals: strategies shaped by motives for departure in the first place, and later by expectations and long-term plans. Based on archival sources, this article aims to contribute to research showing how norms and representations of gender relations may influence individual choice as well as the orientation of migration policies. By bringing together individual and institutional dynamics, the article also questions the constructed dichotomy between the autonomy and the passivity of the migrants.

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Full text

  • 1 Commissariat général du plan (CGP) 1954 : 170.
  • 2 Constant 1987 : 10.
  • 3 Dumont 2010.
  • 4 Les trois départements insulaires, Guadeloupe, Martinique et La Réunion étaient concernés par l’é (...)
  • 5 Pattieu 2016 : 84.

1En 1946, la Martinique et la Guadeloupe sont passées du statut de colonie française à celui de département français. Au cours de la décennie suivante, une époque marquée par des mouvements pour l’indépendance à travers le globe, la gestion postcoloniale de ces territoires par l’État s’est orientée vers le déplacement des populations pour des raisons politiques et économiques. Dès 1954, l’émigration depuis ces départements « surpeuplés » a été annoncée comme « indispensable »1. Assimilant le problème du développement des Antilles à une question de « déséquilibre démographique »2, confrontés aux premiers troubles sociaux liés à la fermeture des usines sucrières et au mécontentement général résultant des niveaux élevés de chômage et des inégalités par rapport aux citoyens de la France métropolitaine3, les pouvoirs publics ont élaboré une politique d’émigration massive4, institutionnalisée en 1963 avec la création du BUMIDOM (Bureau pour le développement des migrations intéressant les départements d’outre-mer). Cette politique devait amener en France métropolitaine des effectifs de main-d’œuvre peu qualifiée nécessaire à l’expansion économique du pays, notamment dans le secteur des services publics où la nationalité française était requise. Entre 1963 et 1981, chaque année, plusieurs milliers de femmes et d’hommes ont répondu, depuis les Antilles, à « l’invitation au départ », passant par la procédure de « sélection » dans les antennes locales du BUMIDOM, et sont partis pour la France métropolitaine. Durant les vingt années de son existence, l’agence d’État allait, par l’encadrement de la migration et son volet de politique sociale (formation, emploi, logement), contribuer à une fabrique institutionnelle d’une « spécificité domienne » au sein de la société française5.

  • 6 Freeman 1987 ; Murch 1971 ; Goossen 1976.
  • 7 Anselin 1979.
  • 8 Condon & Ogden 1991 ; Milia-Marie-Luce 2002.
  • 9 Domenach & Picouet 1992 ; Rallu 1997.
  • 10 Giraud & Marie 1987 ; Cognet 1999.
  • 11 Période qui connaît la redécouverte du documentaire Quitter les Antilles (1970, Daniel Karlin) et (...)
  • 12 Célestine 2010.

2Au cours des années 1970, ces migrations ont attiré l’attention de chercheurs nord-américains travaillant sur l’évolution postcoloniale des sociétés caribéennes6. Cependant, ces flux et leur contexte politique ont été longtemps ignorés par un milieu académique français plus préoccupé par les enjeux de l’immigration nord-africaine. La vaste enquête ethnographique menée en région parisienne par Alain Anselin7 à la fin des années 1960 fait exception. Pendant les deux décennies suivantes, des recherches ont replacé l’émigration antillaise dans l’histoire des « migrations de travail » vers l’Europe8, décrit l’impact sociodémographique sur les territoires antillais9 et abordé la question de l’identité et celle des discriminations subies par les Antillais.es installé.es dans l’hexagone10. Le renouveau de l’intérêt pour ces migrations comme thème de recherche à partir de la fin des années 199011, en parallèle à la mise en place du Comité national pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage, a généré des travaux sur la mobilisation collective des Antillais et leurs descendants dans l’hexagone, et sur la question des discriminations racistes12.

  • 13 Des approches néanmoins centrales dans mes recherches.
  • 14 Morokvasic 1984; Oso Casas 2006.
  • 15 Momsen 1999; Schrover 2013; Watkins-Owens 2001.
  • 16 Anderson 2000 ; Le Petitcorps 2018 ; Mozère 2004.
  • 17 Condon 2008.

3Une vision des stratégies des individus, ainsi qu’une perspective de rapports de genre sont relativement absentes de cette littérature13. Des études menées dans une perspective féministe, en explorant la dimension d’autonomisation des femmes grâce à la migration, ont évoqué les ambitions personnelles des femmes, afin de mettre en avant leur agentivité14. Tandis que dans les travaux focalisés sur les migrations masculines, les choix individuels sont largement occultés, les motifs économiques supposés primer sur tout projet personnel ou vie affective. S’appuyant principalement sur des archives (dossiers personnels du BUMIDOM, rapports institutionnels non publiés), cet article analyse comment les normes et représentations des rapports sociaux de sexe agissent sur les choix des individus et sur l’orientation des politiques migratoires. Cette approche historique offre un éclairage sur les continuités genrées au cœur des migrations15 en replaçant les migrantes antillaises parmi les figures emblématiques d’une division internationale du travail de soins aux personnes, largement configurée en termes de genre16. Mais l’approche souligne aussi l’importance d’intégrer l’expérience masculine dans l’analyse afin de mieux comprendre les dynamiques de genre à l’œuvre dans les parcours17. En articulant les échelles individuelle et institutionnelle, la méthodologie employée conduit à questionner la dichotomie construite entre autonomie et passivité, en montrant que l’agentivité est rarement absente du parcours migratoire, y compris dans le contexte d’une migration organisée par l’État.

L’institutionnalisation de filières migratoires genrées

  • 18 Anselin 1979 : 100.
  • 19 Voir Milia-Marie-Luce 2002.
  • 20 Mise en place en 1913, la conscription aux Antilles n’est que peu mise en œuvre (pour des raisons (...)
  • 21 Journal Officiel (JO) n° 72 et n° 73, 25 et 26 octobre 1960, Débat sur la loi des finances : créd (...)
  • 22 Les leaders et militants de ces mouvements étant principalement des hommes, la jeunesse masculine (...)
  • 23 Sur le contexte des révoltes urbaines aux Antilles et la place des mouvements de contestation, vo (...)
  • 24 Ega 1978.
  • 25 Ega 1978 ; Condon & Ogden 1991.

4Au recensement de 1962, près de 40 000 personnes nées aux Antilles résidaient en France métropolitaine. Loin d’être limitée à des fonctionnaires et des étudiant.es, la structure socioprofessionnelle était déjà diversifiée. Les deux-tiers de la population active étaient classés comme « ouvriers industriels », « personnels de service ou domestiques » ou « employés peu qualifiés »18. Au cours des années 1950, avant l’institutionnalisation de la migration des départements d’outre-mer, de nombreux hommes antillais, peu qualifiés, avaient été recrutés par les administrations, notamment par la Police, les Douanes et les Postes et Télécommunications19. En parallèle, quelques grandes entreprises, comme Michelin et Renault, organisaient des missions de recrutement. Puis, à partir de 1960, environ la moitié du contingent de conscrits nés aux Antilles devait effectuer son service militaire en France métropolitaine20. Pour l’État, il s’agissait d’établir une nouvelle voie d’émigration durable21, tout en écartant de jeunes hommes22 des mouvements de contestation anticolonialistes et indépendantistes ou autonomistes (OJAM, GONG, etc.)23. Les migrations féminines concernaient alors principalement les épouses, compagnes ou fiancées des hommes recrutés par les administrations ou des entreprises ; mais assez vite des femmes seules sont parties pour la métropole, par la filière des domestiques24 ou par les recrutements dans les hôpitaux ou d’autres établissements de soins25. L’institutionnalisation de l’émigration par le BUMIDOM visait donc à accroître ces flux.

  • 26 CGP 1959 : 407-408.
  • 27 BUMIDOM 1981, Rapport annuel, Annexe 1.
  • 28 Anselin 1979.

5L’objectif initial de cette politique migratoire mentionné par le Commissariat général du plan a été de faire partir « entre 6 000 et 7 000 personnes des Antilles françaises chaque année et d’encourager l’émigration de personnes des deux sexes et de familles, afin d’éviter un déséquilibre démographique qui résulterait du seul départ d’hommes adultes »26. Le rythme des départs n’a pas atteint cette cible, néanmoins il s’est situé autour de 5 000 par an27. Dans le cadre de la migration organisée, des milliers de femmes et d’hommes ont été orientés, soit vers des centres de formation, soit vers des emplois dans le secteur privé (les administrations se chargeant de leurs propres recrutements de migrants des DOM par des concours d’entrée et par le placement en stage en métropole). Ce système de placement répondait aux besoins de l’industrie (construction, métallurgie), ainsi qu’à ceux du secteur des emplois domestiques et du secteur hospitalier. Alain Anselin28 a estimé que les migrations par le BUMIDOM ont compté pour plus du tiers des flux migratoires des DOM entre le milieu des années 1960 et les années 1970, nombre auquel il faut ajouter les installations en métropole de militaires du contingent démobilisés. La migration organisée a également suscité des centaines de départs non encadrés par le BUMIDOM de frères, sœurs, cousins, neveux, amis des femmes et hommes migrants placés par l’agence d’État.

  • 29 Condon & Ogden 1991.

6L’appel à l’émigration visait les jeunes adultes des milieux populaires, le plus souvent peu scolarisés et ayant des perspectives professionnelles limitées dans les économies insulaires. Celles et ceux qui ont répondu à cet appel avaient de fortes attentes de promotion sociale par la voie d’un emploi régulier. L’État, relayé par les antennes locales du BUMIDOM et des préfets, a inscrit l’encouragement à la migration dans l’esprit de la « solidarité nationale ». La même promesse de promotion sociale fut faite aux hommes et aux femmes, mais en distinguant les catégories de sexe par un traitement différencié, notamment à travers l’orientation vers des filières professionnelles distinctes29.

7Ainsi, cette politique migratoire s’adressait autant aux femmes qu’aux hommes, mais de manière sexuée. Les migrant.es voyageaient avec un billet aller-simple, ce qui indique clairement que l’État visait une installation sur le long terme, voire définitive, de ces personnes considérées comme « un surplus de population ». Précisons aussi qu’en faisant partir des milliers de jeunes femmes et hommes, les pouvoirs publics déplaçaient en France métropolitaine de futurs géniteurs et génitrices d’enfants à naître.

Saisir les motifs individuels de migration dans les dossiers du BUMIDOM

  • 30 Guerry 2010.
  • 31 Mes premiers travaux menés à partir de ces archives analysaient le rôle de l’État dans l’encourag (...)
  • 32 Un dépouillement des dossiers a été effectué pour quatre périodes couvrant l’activité de l’agence (...)

8Pour examiner les conditions de départ des candidat.es et déceler différents éléments du faisceau de motifs personnels, sociaux et économiques conduisant à cette émigration organisée, j’ai utilisé plusieurs sources : un échantillon de dossiers individuels de femmes et d’hommes transitant par les services du BUMIDOM, ainsi que des documents produits par cette agence d’État. L’objectif était de « faire parler » ces sources administratives afin de pouvoir cerner différents aspects des motifs individuels des migrant.es30. J’ai tenté de saisir d’une part les ambitions exprimées par les personnes elles-mêmes, ou évoquées par des encadrants ou employeurs, d’autre part les motifs non économiques identifiés par l’agence d’État, celle-ci s’en servant par la suite pour encourager la migration. Le matériau permet également de comparer les motivations des femmes et des hommes. Il s’agit dans cet article de « revisiter »31 une partie de l’échantillon de dossiers consultés avant le transfert d’une partie des dossiers aux Archives nationales32. Cet article mobilise les deux sous-échantillons de migrant.es partant vers la France métropolitaine pendant les années 1960 (50 dossiers pour la période 1962-1963, 50 dossiers pour 1967) ainsi que 84 dossiers de personnes orientées vers des centres de formation de façon groupée entre 1962 et 1968.

  • 33 Des informations relatives à « l’enquête sociale » et aux résultats d’un examen médical et d’un t (...)
  • 34 En 1994, il avait été question de détruire ces dossiers lors du déménagement de l’ANT (Agence nat (...)

9Les dossiers contiennent des informations sur les femmes et les hommes transitant par les services du BUMIDOM, ou l’ayant contacté une fois arrivés en France métropolitaine. Ils contiennent a minima des informations33 sur l’âge, l’origine sociale, la situation familiale et maritale, le niveau de diplôme, la date d’arrivée en France métropolitaine, le premier placement, d’autres informations venant s’y ajouter en cas de sollicitations auprès de l’agence (demandes de changement d’affectation, d’aides au logement, de prêts, etc.)34. Leurs contenus peuvent ainsi varier, incluant parfois plusieurs éléments du parcours professionnel, résidentiel ou familial, des lettres de responsables de formation, des lettres adressées à l’agence et les réponses de celle-ci ou d’autres organismes comme les sociétés d’HLM.

  • 35 BUMIDOM 1981, Annexe I.
  • 36 BUMIDOM 1981, Annexe IV.

10Au début de la migration organisée, les hommes étaient plus nombreux que les femmes. En 1962-1963, les femmes comptaient pour seulement 9% des personnes placées en formation ou en emploi, mais en 1964-1965, cette part atteint 40%, taux qui s’est stabilisé au cours des années suivantes35. Sur toute la période, le placement en formation de l’AFPA (Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes) a concerné principalement des hommes36. À partir de l’échantillon de dossiers de 1962-1963, on découvre des personnes majoritairement célibataires, les femmes ayant 21 ans en moyenne, les hommes, 24 ans, avec des âges allant de 19 ans à 35 ans. Certaines femmes célibataires avaient laissé un enfant dans leur famille aux Antilles. Un homme sur sept était marié, leur épouse et souvent plusieurs enfants résidant encore dans leur île d’origine. En 1967, l’âge moyen était plus élevé, 23 ans pour les femmes, 27 pour les hommes. Ces derniers étaient plus souvent mariés (un quart d’entre eux) au contraire des femmes, principalement célibataires, le tiers de celles-ci étant mères d’un enfant resté aux Antilles. Pendant les deux périodes, les migrant.es étaient plutôt d’origine modeste et souvent issu.es de familles nombreuses. La majorité des personnes avait soit obtenu son certificat d’études primaires, soit n’avait aucun diplôme. Une comparaison du lieu de naissance et du lieu de résidence de la famille au moment du départ montre qu’il s’agit de personnes n’ayant pas effectué une première migration vers la ville. Autre élément important : un quart des personnes arrivant au cours de la première période avait un membre de la famille qui vivait en France métropolitaine ; en 1967, la part s’est élevée à la moitié.

Les stratégies d’autonomie personnelle des femmes migrantes

  • 37 Plus des deux-tiers des Antillais résidant en métropole en 1968 avaient quitté l’école avant 13 a (...)
  • 38 Dagenais & Poirier 1985 ; Senior 1991.
  • 39 D’après l’Enquête migrations de l’INSEE (1992), plus du cinquième des femmes antillaises enquêtée (...)
  • 40 Châtelain 1969 ; Guerry 2010 ; Momsen 1999 ; Mozère 2004 ; Oso Casas 2006 ; Le Petitcorps 2018.
  • 41 Entretiens biographiques auprès de migrantes arrivées en France métropolitaine entre 1955 et 1960 (...)
  • 42 Guerry 2010.

11Avant de quitter leur île de naissance, la plupart des femmes qui ont migré vers la France métropolitaine dans les années 1950 et 1960 avaient déjà une expérience dans le monde du travail. Comme les hommes, elles étaient nombreuses à avoir quitté l’école vers 12 ans ou 13 ans37 et avaient par la suite travaillé dans le secteur domestique ou agricole, souvent une extension à leur travail non rémunéré au foyer38. Le placement comme domestique39 était très habituel dans la génération de femmes martiniquaises ou guadeloupéennes qui ont quitté tôt l’école, comme dans le cas d’autres migrations féminines40. Les femmes qui avaient déjà connu ce métier aux Antilles étaient prêtes à l’exercer, en attendant d’autres possibilités. La demande dans ce secteur était toujours forte, notamment à Paris et dans les grandes villes. Avant la migration organisée, de nombreuses femmes ont été engagées directement par l’employeur avant de partir41. Puis à partir de 1963, à l’instar d’organismes publics français dans les années 1920-193042, le BUMIDOM a joué un rôle d’intermédiaire pour le placement chez des particuliers. Après cette situation d’attente, les femmes se sont orientées vers des emplois hospitaliers, des Postes et Télécommunications (PTT) ou des transports, sinon vers des emplois dans l’industrie ou le commerce.

  • 43 Dans les mois précédant le lancement de l’activité du BUMIDOM, le Bureau pour le développement de (...)

12Au début de la migration organisée, ces jeunes femmes partaient à l’inconnu ou du moins étaient peu informées sur la suite de leur placement. L’exemple d’un groupe de femmes envoyées en stage de « monitrice polyvalente » dans un centre de formation à Nantes est révélateur de l’absence de préparation de cette migration. À la sortie de leur stage d’un an, elles ont été placées en milieu institutionnel, dans des centres pour enfants malades ou lourdement handicapés. Elles ont trouvé ces postes éprouvants sur le plan physique et psychologique. M.J., originaire de Guadeloupe, titulaire d’un certificat d’études primaires, célibataire sans enfant et âgée de 22 ans au moment de son départ, avait été placée dans un centre pour enfants paralysés dans les Yvelines. Dans une lettre datée du 6 décembre 1963, elle écrit à l’administration du BDPA43 :

J’ai l’honneur de vous écrire pour m’aider à retrouver en France un travail au service de l’enfant que je pourrai exercer plus tard en Guadeloupe. Je suis originaire de la Guadeloupe. Depuis octobre 1962, je suis en Métropole. J’ai fait un stage théorique de monitrice-éducatrice au CEMJ de Nantes. Depuis le 31 octobre, je suis dans la Seine-et-Oise occupant un poste de soignante d’enfants, poste de remplaçante. Le travail que je fais actuellement ici je le ferai en Guadeloupe que pour mes parents mais ce n’est pas avec cela que je pourrais gagner ma vie en Guadeloupe. Je veux bien continuer le métier que j’ai appris, c’est justement pour cela que j’ai demandé à rester encore 4 ans en métropole, mais je ne me vois pas du tout sur le chemin de la carrière que j’ai choisie.

13O.J., Guadeloupéenne de 21 ans, qui avait été placée à sa sortie de stage dans un institut médico-pédagogique pour enfants handicapés en Champagne écrit au BUMIDOM en septembre 1964 :

[…] Ignorant de quoi s’agissait-il, et puis j’ai senti mon erreur, j’ai dû accepter ce travail. Je dois m’occuper de 16 garçons de 11 à 13 ans dont 6 sont complètement handicapés. Je dois tout faire au point que je n’arrive pas à faire mon travail convenablement et puis l’état des six autres me demande une résistance physique que je ne possède pas. Donc j’ai recours à vous pour vous demander est-ce qu’il vous serait possible de me trouver un emploi quelconque. J’ai un CAP d’aide-comptable. Je pense quitter cette maison le 30 septembre puis j’irai à Nantes prendre mes valises. Après je ne sais pas quoi faire.

14Les motivations et aspirations des femmes ont été parfois façonnées par une expérience professionnelle antérieure mais le plus souvent influencées par des représentations des modes de vie en France métropolitaine, elles-mêmes bâties à partir d’images dans des magazines, de descriptions dans des lettres envoyées par des tantes, sœurs ou cousines déjà installées en Métropole ou racontées de vive voix lors de leur retour. Certaines ont l’image d’un « beau pays », comme J.L., Martiniquaise âgée de 20 ans à son arrivée, titulaire du brevet des collèges, pour qui le dossier indique qu’elle « accepte de venir définitivement en métropole » et enregistre les motivations suivantes : « Pour travailler et me créer un avenir. C’est un beau pays, il y a de la neige et des sapins ».

15Le métier espéré pour beaucoup de femmes est aide-soignante ou infirmière. Il est rare que les femmes aient connaissance de ces métiers par leur entourage aux Antilles, mais au fur et à mesure de la migration, certaines ont déjà une sœur ou une cousine qui travaille en milieu hospitalier en France métropolitaine. Un groupe de femmes devant être recrutées à l’hôpital de La Salpêtrière (Paris) arrive de Guadeloupe en juin 1964. Avant de partir, elles avaient travaillé comme vendeuse ou femme de ménage. S’attendant à travailler comme aide-soignante mais placées en tant qu’agent hospitalier, elles expriment leur déception :

Je veux suivre de vrais cours d’aide-soignante. C’est ainsi qu’on nous a proposé de faire pour venir à Paris (M.H., partie de la Martinique à 19 ans, hébergée par sa sœur à Paris) ;

Je veux devenir aide-soignante, obtenir une qualification, un emploi stable et rémunérateur pour subvenir à mes besoins et ceux de mes enfants (Y., 34 ans, séparée, ayant cinq enfants de 4 à 12 ans, restés en Guadeloupe, a une amie aide-soignante à Paris qui l’héberge) ;

16Et L.C., qui a une sœur aide-soignante à Créteil écrit : « Je souhaitais la rejoindre et aussi réaliser mon rêve ».

  • 44 Confirmé par des entretiens biographiques menés dans les années 1990.

17L’aide aux autres, que ce soit aux membres de la famille restés aux Antilles ou dans le cadre professionnel, est très présente dans les dossiers de migrantes et rappelle l’ancrage des motivations dans l’éducation genrée des jeunes femmes. Mais les parcours révèlent aussi un idéal de vie, un désir d’autonomie par le travail, dans un cadre urbain, loin des contraintes de la vie insulaire44. Ainsi, les femmes partant avec le BUMIDOM au milieu des années 1960 ont saisi l’occasion offerte par la migration organisée pour poursuivre leurs ambitions.

  • 45 Cette formation appelée « spécialisation ménagère » consistait en une « adaptation à la nourritur (...)
  • 46 Extraits de notes de sortie dans les dossiers de femmes antillaises arrivées à Crouy-sur-Ourcq en (...)

18À partir de 1965, afin d’« adapter [les femmes] à la vie métropolitaine » avant de les placer chez des particuliers, l’agence les envoyait au centre féminin de formation et de préformation à Crouy-sur-Ourcq (Seine-et-Marne)45. La note rédigée par la directrice du centre témoigne de la volonté de nombreuses femmes de trouver leur propre chemin en métropole et de la résistance à la voie choisie par le BUMIDOM. Voici quelques extraits significatifs : « se débrouillera si on sait la commander ; a probablement une idée derrière la tête » ; « ne restera pas chez un employeur ; est très capricieuse ; ne fait que ce qu’elle veut » ; « aimerait être agent hospitalier plutôt que gens de maison ; a été désignée par M.B. pour garder des enfants, cela ne lui plaît qu’à moitié, parait-il ; est une bonne fille »46. Arrivée au centre de Crouy à l’âge de 25 ans, B. a été placée comme employée de maison avec un contrat d’un an, mais travaille finalement comme agent hospitalier à Paris deux mois après sa sortie du centre. L’emploi hospitalier en tant que « fille de salle » (ou agent hospitalier) est une option souvent choisie par les sortantes de Crouy, ces postes permettant une plus grande autonomie que l’emploi de domestique. Un autre exemple montre qu’accepter de transiter par le BUMIDOM avec une orientation vers l’emploi ménager pouvait être un moyen de bénéficier de la prise en charge du voyage pour un autre objectif. V. est arrivée à Crouy en avril 1967 à l’âge de 21 ans avec une expérience d’employée de commerce et de femme de ménage en Martinique. La note de sortie de la direction de Crouy conclut de cette jeune femme peu impliquée dans la formation qu’elle est de « mauvais esprit, est venue pour se marier et c’est tout ! ». Après deux courts contrats de femme de ménage en région parisienne, elle part pour la Bretagne pour retrouver son fiancé venu par le BUMIDOM. En 1970 (lors d’une demande de regroupement familial pour la sœur de V.), ils sont mariés et habitent en région parisienne.

  • 47 Condon & Ogden 1991 ; sur les difficultés croissantes rencontrées par l’agence pour placer et log (...)

19Par rapport aux migrantes du début des années 1960, celles qui prennent contact avec le BUMIDOM en 1967 sont davantage informées des possibilités d’installation en France métropolitaine. Elles sont plus nombreuses à avoir des proches en métropole, notamment en région parisienne. Par ailleurs, l’agence est de plus en plus perçue comme un bureau d’aide sociale47. Plusieurs dossiers de demande de « regroupement familial » ou de demande de prêt pour les frais d’installation témoignent de projets d’installation définitive. Ainsi N. est arrivée en janvier 1960 à l’âge de 24 ans en laissant sa fille de 7 ans avec sa propre mère en Guadeloupe. Elle rencontre un Guadeloupéen à Paris, l’épouse en octobre 1964 et s’adresse au BUMIDOM en juillet 1966 pour payer la venue à Paris de sa fille (qui arrive le printemps suivant, âgée de 14 ans). Autre exemple, S., arrivée de Guadeloupe sans l’aide de l’agence en 1963 à l’âge de 34 ans, contacte le BUMIDOM en décembre 1966 pour demander la venue de sa mère et l’obtient en 1967. Pour ces femmes, quitter les Antilles était une stratégie d’installation en métropole, pour y commencer un nouveau chapitre de leur vie.

  • 48 Les enseignantes, sages-femmes, infirmières rencontrées dans la vie quotidienne étaient alors des (...)

20En somme, ces femmes antillaises se saisissent de l’opportunité qui est aussi offerte aux hommes : pouvoir partir. Et au-delà, à la différence des hommes, elles sont animées par la conviction qu’une place dans un métier qualifié (infirmière, enseignante, éducatrice) les attend en métropole. Ces aspirations avaient pris forme aux Antilles, à partir de modèles féminins qui ont émergé suite à la départementalisation et aux politiques sociales dans les domaines de l’éducation et de la santé48. Par ailleurs, l’exercice de tels métiers « féminins » s’est présenté aux jeunes femmes comme une voie certaine pour échapper à la vie de leurs mères et grand-mères, ainsi qu’au contrôle social lié au genre. Dans le cadre de la migration organisée par le BUMIDOM, les femmes sont rarement en couple au moment du départ et certaines ont rejoint un petit-ami parti avant, relation qui pouvait ou non reprendre ; d’autres laissent un jeune enfant aux Antilles et ont commencé leur vie en France métropolitaine seules, poursuivant le projet d’une meilleure situation professionnelle, tout en s’insérant dans un nouveau cadre de vie. Leur projet migratoire parait ainsi relever d’une stratégie d’autonomie individuelle.

Les projets masculins : entre déceptions et stratégies d’installation en famille

  • 49 BUMIDOM 1968 : 49.

21Avant de migrer, les hommes avaient soit chômé, soit occupé divers emplois comme manœuvre en usine, ouvrier agricole, marin pêcheur, aide mécanicien pour automobile, manœuvre en maçonnerie, employé de commerce ou avaient servi sous les drapeaux aux Antilles ou en Algérie. Les hommes ayant transité par le BUMIDOM sont des migrants orientés vers des centres de formation professionnelle, des conscrits démobilisés en France métropolitaine ou des hommes contactant l’agence pour d’autres demandes suite à une migration par recrutement direct ou par leurs propres moyens. Le début de la migration organisée montre, comme pour les femmes, des projets de départ peu préparés. Une minorité d’entre eux avait des membres de la famille déjà résidant en métropole. En 1962-1963, les migrants orientés vers la formation professionnelle ont été envoyés dans des centres à travers l’hexagone, notamment à Metz, Nancy, Rouen, Le Havre, Saint-Brieuc, Angoulême, Béziers, Cannes. Dans les dossiers examinés, aucun migrant n’avait été placé dans un centre en région parisienne. Parmi ceux qui sont arrivés en 1962-1963, 39 hommes avaient été répartis dans 24 centres de formation ; cette dispersion étant une stratégie pour limiter la contestation. Dans son rapport annuel de 196749, le BUMIDOM explique :

  • 50 Cette politique de dispersion n’a pas du tout concerné les femmes migrantes, jugées moins politis (...)

Afin de faciliter au maximum l’adaptation à la vie métropolitaine et professionnelle des migrants admis en stage FPA (Formation professionnelle pour adultes), il a été tacitement convenu avec l’AFPA de ne pas admettre dans chaque stage plus de cinq travailleurs réunionnais ou antillais50.

22Ces hommes, surtout des pères de famille, sans parent proche en France métropolitaine, se sont souvent retrouvés seuls originaires des DOM dans ces formations et le sentiment d’isolement a au contraire nui à l’adaptation au stage et à la vie en métropole. Plusieurs dossiers témoignent de demandes de rapatriement.

23Si les dossiers contiennent moins d’éléments directs sur les motivations des hommes, à part « gagner un salaire suffisant », « apprendre un métier » ou « devenir ouvrier qualifié en usine », la déception et le découragement de beaucoup d’entre eux, suite à la découverte des lieux de formation et du contenu du métier enseigné font que certains abandonnent ou s’orientent vers d’autres emplois en sortant de stage. Ceux qui terminent leur formation restent rarement dans la région pour y chercher un travail et partent vers d’autres secteurs, cherchant généralement un emploi en région parisienne. Puis, au fur à mesure que la communauté antillaise s’installe, cette migration interne à la métropole se fait souvent grâce à un membre de la famille ou un ami résidant déjà à Paris. Les exemples suivants illustrent ces parcours : célibataire, L.F. a quitté la Martinique en décembre 1962 à l’âge de 18 ans. Il a un niveau scolaire de Certificat d’études primaires et est placé en centre de FPA à Épinal (Vosges) en maçonnerie moderne. Il obtient son diplôme en mai 1963. Le même mois, il trouve un emploi comme maçon à Montrouge en banlieue parisienne. Son dossier indique qu’en novembre 1965 il est agent auxiliaire à La Poste ; G. arrive au centre de FPA de Tours à l’âge de 22 ans. Il est orienté vers une formation en plomberie. En 1965, il habite à Paris et devient agent hospitalier à Saint Vincent de Paul ; C. quitte la Martinique en décembre 1962. Placé en centre de FPA à Limoges en maçonnerie moderne, il obtient le CAP en mai 1963. Il a une sœur résidant dans le 19e arrondissement de Paris et part pour la capitale à la fin de sa formation.

  • 51 BUMIDOM 1968: 48-49.
  • 52 BDPA 1968, tome 1: 32.
  • 53 BDPA 1968, tome 3 : 23.

24Le BUMIDOM signale la nécessité de stages d’adaptation plus nombreux pour pallier les désistements (20% des places ont été attribuées à des hommes antillais) et les réorientations après les formations, « les motivations au départ [étant] très souvent indéterminées ou irréalistes »51. L’agence commandite une enquête, réalisée par le BDPA en 1968, qui constate qu’il est « difficile à estimer si le désir d’effectuer un stage correspond à un souci de promotion professionnelle parce que beaucoup de candidats n’ont pas d’idée précise de ce que représente une profession qualifiée, les ouvriers qualifiés étant rares dans les DOM »52. Les auteurs du rapport concluent sur « la diversité des motivations qui se greffent sur les motifs économiques » et notent que les projets d’émigration sont parfois anciens mais manquent de préparation réelle et que les migrants, pensant que la vie sera plus facile à Paris, partent avec peu d’économies53. Ces constats révèlent l’épaisseur des projets migratoires des hommes, qui dépassent la simple nécessité de partir pour trouver un emploi rémunéré. La capitale les attirait, eux aussi, et leur imaginaire sur la France métropolitaine comme cadre de vie les pousse à rechercher une installation en région parisienne. Les informations circulaient entre les migrants en métropole et les candidats à la migration, les avertissant du réel contenu de ces formations et des conditions de vie dans ces centres de l’AFPA localisés loin de l’animation des grandes villes, mais sans les prévenir des difficultés qu’ils y rencontreraient au quotidien. Tout comme pour les femmes antillaises orientées vers le centre de préformation de Crouy dont la directrice observait que les projets professionnels ne correspondaient pas toujours à la formation dispensée, les motivations des hommes migrants n’avaient pas été comprises par le personnel du BUMIDOM.

  • 54 Condon & Ogden 1991 : 510-511.
  • 55 JO 1960 : 3272.
  • 56 Des sentiments relatés lors d’entretiens avec des hommes antillais résidant encore en région pari (...)
  • 57 Entretiens auprès des hommes en région parisienne (Condon 2008).
  • 58 BUMIDOM 1968 : 18.

25Par contraste, les parcours des hommes ayant effectué leur service militaire révèlent des projets d’installation à plus long terme et mieux préparés. L’affectation aux contingents basés en métropole a été généralement bien reçue. Des centaines de jeunes ont accepté cette proposition, la préférant54 à la perspective du service militaire adapté aux Antilles ou en Guyane, et se sont installés en France métropolitaine, en passant souvent par le BUMIDOM pour une formation ou un emploi. Comme dit plus haut, le dispositif, antérieur à la création du BUMIDOM, était présenté par le gouvernement central et les autorités locales comme l’opportunité de « recevoir une formation et d’entrer en contact avec la population métropolitaine »55. Les pouvoirs publics recommandaient une installation des appelés en métropole après leur démobilisation. Ceux-ci avaient la possibilité de partir en formation AFPA. Les attentes des jeunes gens étaient fortes : c’était l’occasion de connaître « la France », de voyager, d’acquérir un savoir-faire56 ; et, à l’image des militaires de carrière ou ayant servi pendant les guerres, ils voulaient montrer qu’ils étaient capables de réussir quelque chose et d’avoir un « parcours » à raconter. Pour les hommes peu scolarisés, s’ouvrait la possibilité d’un métier et de passer le permis de conduire57. À la différence des migrants placés directement en formation, qui partaient avec un billet aller simple, les conscrits affectés en France métropolitaine disposaient d’un billet de retour valable pendant cinq ans. Cependant, comme le regrettait le BUMIDOM en 1967, rares étaient ceux qui attendaient avant de retourner aux Antilles. Par ailleurs, « après un séjour de quelques mois dans l’île natale, la plupart s’adressent aux échelons départementaux du BUMIDOM pour obtenir leur placement direct en Métropole »58, tendance contre laquelle l’agence voulait lutter, préférant orienter les militaires démobilisés directement vers les formations (notamment à Fontenay-le-Comte dans les Deux-Sèvres). Néanmoins, l’agence affirmait que :

  • 59 BUMIDOM 1968 : 88.

[…] les anciens militaires ne sont pas perdus pour la migration mais veulent retourner en métropole et entraînent dans leur sillage un certain nombre de camarades […] D’ailleurs, ils sont beaucoup plus stables que les autres migrants venus en métropole pour la première fois59.

26Si les motivations de beaucoup d’hommes pendant les premières années de la migration peuvent paraître « irréalistes » pour le BUMIDOM, les projets d’installation à long terme sont clairs comme le montrent ces différents exemples : C.T., agriculteur, marié et deux enfants, ayant effectué son service militaire en Martinique, quitte l’île en décembre 1962 à l’âge de 26 ans. Il est placé en CFPA à Vesoul (Haute-Saône) en maçonnerie. Il demande le regroupement familial pour son épouse en 1963 et le couple habite toujours Vesoul en 1970 ; B. quitte la Guadeloupe en mai 1966 et, par le dispositif des emplois réservés aux anciens combattants (il a été manœuvre militaire aux Antilles pendant quinze ans), est placé en tant qu’agent de travaux à Mantes-la-Jolie (Yvelines). Il repart en Guadeloupe (avec l’aide « voyage vacances » du BUMIDOM) et revient en métropole avec sa fiancée de 22 ans (dont le voyage est payé par l’agence). Il obtient un prêt du BUMIDOM en 1972 pour l’installation du couple dans un pavillon à Mantes. Il avait aussi encouragé un ami de la même commune à partir vers la métropole en août 1966. Également marié et père, cet ami est embauché dans la même entreprise que B. et obtient le regroupement familial pour son épouse et son fils en novembre 1966. Certains autres migrants, décidés à s’installer à long terme en France métropolitaine, font venir leur mère « pour aider avec les enfants en métropole ». Par exemple S., parti de Fort-de-France en 1964 à l’âge de 26 ans, rejoint par sa femme, obtient en 1967 le regroupement familial de sa mère et de ses trois enfants dont elle s’occupait.

  • 60 Les demandes d’aide pour trouver un emploi ou un logement sont souvent insistantes, et parfois ar (...)

27Ainsi, en 1967, après quelques années d’activité, le BUMIDOM est perçu comme un service d’aide60 facilitant la venue de la famille en métropole. La source est plus parlante sur les motifs de migration des hommes grâce aux demandes de regroupement familial. La migration en métropole n’est pas seulement recherchée dans la perspective d’un emploi stable mais aussi dans l’idée d’un nouveau cadre de vie, le plus souvent en région parisienne où résident de nombreux autres Antillais assurant ainsi une sociabilité et de l’entraide. En 1967, environ la moitié des dossiers d’hommes migrants consultés indiquait la présence d’un frère, d’un ami, d’un oncle ou d’une tante résidant dans cette région. Ce sont des personnes qui ont pu les encourager à défendre leurs droits, à solliciter l’agence pour de l’aide. Par exemple N., marié et père de trois enfants, a quitté la Martinique en novembre 1962 ; placé dans un centre de l’AFPA à Saint-Brieuc, il obtient son CAP (Certificat d’aptitude professionnelle) en maçonnerie en mai 1963 et part aussitôt à Montrouge (au sud de Paris) où il trouve un emploi de maçon. Il a une sœur qui habite au Havre et des cousins dans le nord de Paris. Il fait une demande de regroupement familial en juin, demande qui est refusée par le BUMIDOM en raison d’un logement trop exigu. Il relance sa demande en expliquant que la maison aux Antilles a été endommagée par un cyclone, mais la demande est refusée de nouveau. Il écrit ensuite à la Préfecture de la Martinique :

Avant mon départ, le service responsable m’avait promis de faire rentrer ma famille en métropole […] Je ne comprends pas pourquoi mon logement n’est pas suffisant, je crains des raisons politiques pourtant j’ai toujours voté pour le Général. Je veux que le BUMIDOM respecte les promesses faites sinon de me faire rentrer le plus vite que possible en Martinique.

28La lettre est transmise au BUMIDOM puis un agent le reçoit à l’automne 1964. Finalement, son épouse et ses enfants le rejoignent par bateau en mai 1965.

29À la différence des femmes, qui ne quittaient pas les Antilles en y laissant un conjoint, les hommes étaient nombreux à le faire. Une fois leur formation terminée et un premier logement trouvé, ils entamaient les démarches pour faire venir leur épouse et enfants éventuels. Leur migration était un projet de couple. Dans les premiers temps, les hommes migrants sont déçus et contrairement aux femmes, les demandes de rapatriement sont assez fréquentes. Cette migration vers la métropole correspondait-elle moins à un « rêve » de longue date que dans le cas des femmes ? Ces demandes de regroupement familial sont peu fréquentes dans l’échantillon de 1967, période pendant laquelle la présence de la famille ou d’amis était plus grande ; par ailleurs, les informations parmi les migrant.es circulaient davantage. Les souhaits d’orientation professionnelle de cette catégorie de migrants peu scolarisés sont aussi genrés mais moins spécifiques (ouvrier qualifié d’usine, électricien…) que ceux indiqués dans les dossiers des femmes (infirmière, aide-comptable…). Les ambitions des hommes étaient-elles moins précises que celles des femmes ? Il est difficile de répondre à cette question car les dossiers des hommes ne contiennent pas l’expression d’aspirations à travers des lettres, comme dans le cas des femmes ; nos interprétations s’appuient donc sur les parcours repérés.

*
**

30Les dossiers personnels du BUMIDOM constituent des témoignages rares qui se distinguent des entretiens menés habituellement, récits de soi dans lesquels les aspirations et les projets sont racontés de façon rétrospective. Ainsi, les personnes que j’ai interviewées dans les années 1990, ayant migré entre 1958 et 1968, ne se permettaient pas de dire qu’elles cherchaient un autre mode de vie ou voulaient quitter définitivement leur île, même si une motivation économique était énoncée. Alors que bon nombre de témoignages de personnes transitant par les services du BUMIDOM, captés en début de séjour, attestent, au-delà des motifs économiques, d’une volonté d’améliorer leur cadre et leur qualité de vie. Cette source sur le début des parcours migratoires met en évidence l’agentivité et les projets des migrant.es, ainsi que la manière dont les jeunes Antillais.es se sont saisie.es des attentes genrées des employeurs et des pouvoirs publics.

  • 61 CGP 1959 : 408.

31L’article entend ainsi contribuer à la littérature sur les migrations caribéennes, à l’étude des mobilités féminines, mais aussi masculines. L’émigration massive à laquelle ces femmes et hommes ont participé a été orchestrée par un État préoccupé par sa position économique dans le contexte politique turbulent des années 1950-1960. Il importait de gérer les nouveaux départements antillais à moindre coût et d’éviter que les Antilles ne deviennent le lieu de nouvelles révoltes pour l’indépendance. Invoquer la « solidarité nationale » pour justifier l’organisation de la migration en promettant aux candidat.es une promotion sociale certaine était centrale dans la propagande diffusée dans ces territoires61. Les candidats.es au départ, exposé.es également aux discours tenus par les mouvements contestataires, n’étaient certainement pas dupes de ces messages. Mais poussé.es par l’espoir d’améliorer significativement leurs conditions de vie, ces jeunes ont accepté l’offre de migration encadrée. Croiser la perspective de l’institution et celle des migrant.es est révélatrice à la fois du rapport qu’entretenaient les individus avec l’institution et du regard de cette dernière sur les personnes transitant par ses services. La migration organisée servait, notamment pour les femmes à travers le placement dans le secteur domestique, de moyen de réaliser un projet de partir en France métropolitaine, vers d’autres possibilités de travail rémunéré, de cadre de vie, de relations amicales ou amoureuses. Si les dossiers des migrants masculins sont souvent plus silencieux, les changements résidentiels à la fin du premier placement en formation ou emploi et leurs demandes adressées au BUMIDOM, dans un cadre plus familial, attestent d’une recherche d’un mode de vie urbain loin de celui connu aux Antilles.

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Notes

1 Commissariat général du plan (CGP) 1954 : 170.

2 Constant 1987 : 10.

3 Dumont 2010.

4 Les trois départements insulaires, Guadeloupe, Martinique et La Réunion étaient concernés par l’émigration, tandis que la Guyane devait être la destination envisagée pour des milliers de migrant.es antillais dans le Plan du Général Némo en 1960 (Mary 2016 : 101).

5 Pattieu 2016 : 84.

6 Freeman 1987 ; Murch 1971 ; Goossen 1976.

7 Anselin 1979.

8 Condon & Ogden 1991 ; Milia-Marie-Luce 2002.

9 Domenach & Picouet 1992 ; Rallu 1997.

10 Giraud & Marie 1987 ; Cognet 1999.

11 Période qui connaît la redécouverte du documentaire Quitter les Antilles (1970, Daniel Karlin) et la réalisation du documentaire L’Avenir est ailleurs (2007, Antoine Léonard-Maestrati), ainsi qu’une adaptation du roman autobiographique Le Gang des Antillais de Loïc Léry (2016, Jean-Claude Barny) et une mini-série de fiction Le Rêve français (2018, Christian Faure).

12 Célestine 2010.

13 Des approches néanmoins centrales dans mes recherches.

14 Morokvasic 1984; Oso Casas 2006.

15 Momsen 1999; Schrover 2013; Watkins-Owens 2001.

16 Anderson 2000 ; Le Petitcorps 2018 ; Mozère 2004.

17 Condon 2008.

18 Anselin 1979 : 100.

19 Voir Milia-Marie-Luce 2002.

20 Mise en place en 1913, la conscription aux Antilles n’est que peu mise en œuvre (pour des raisons budgétaires) avant d’être réactivée par Michel Debré en 1960 ; elle devient obligatoire suite aux événements de Fort-de-France en décembre 1959 et aux inquiétudes de quelques députés d’outre-mer (Dumont 2006). Sur la genèse du Service militaire adapté dans les DOM, voir Mary 2016.

21 Journal Officiel (JO) n° 72 et n° 73, 25 et 26 octobre 1960, Débat sur la loi des finances : crédits concernant les DOM-TOM.

22 Les leaders et militants de ces mouvements étant principalement des hommes, la jeunesse masculine a certainement été considérée comme plus susceptible de s’y joindre. Voir Germain 2010 et Sainton 2012.

23 Sur le contexte des révoltes urbaines aux Antilles et la place des mouvements de contestation, voir le rapport à la ministre des Outre-mer de la Commission temporaire d’information et de recherche historique sur les événements de décembre 1959 en Martinique, de juin 1962 en Guadeloupe et en Guyane, et de mai 1967 en Guadeloupe, 30 octobre 2016, 100 pages [en ligne].

24 Ega 1978.

25 Ega 1978 ; Condon & Ogden 1991.

26 CGP 1959 : 407-408.

27 BUMIDOM 1981, Rapport annuel, Annexe 1.

28 Anselin 1979.

29 Condon & Ogden 1991.

30 Guerry 2010.

31 Mes premiers travaux menés à partir de ces archives analysaient le rôle de l’État dans l’encouragement et l’encadrement de la migration, les caractéristiques des migrant.es et leur installation en France métropolitaine.

32 Un dépouillement des dossiers a été effectué pour quatre périodes couvrant l’activité de l’agence, voir Condon & Ogden 1991.

33 Des informations relatives à « l’enquête sociale » et aux résultats d’un examen médical et d’un test psychotechnique pouvaient être jointes au dossier, surtout pendant les premières années de la migration organisée. Pour une exploitation de ces informations indiquant une volonté d’augmenter le nombre de départs primant sur la « sélection », voir Pattieu 2016 : 90-91.

34 En 1994, il avait été question de détruire ces dossiers lors du déménagement de l’ANT (Agence nationale pour l’insertion et la protection des travailleurs d’outre-mer qui a pris la suite du BUMIDOM en 1982), mais ma présence fortuite dans les locaux, sous l’invitation du directeur de l’ANT, a contribué à confirmer l’intérêt de ces dossiers pour des recherches futures. Un échange avec le conservateur en charge du traitement devait permettre la constitution d’un corpus représentant 10 % des dossiers avec quelques années témoins complètes (au total environ 30 000 dossiers). D’autres recherches à partir de ces archives ont été menées depuis : Milia-Marie-Luce (2002, 2007) et Pattieu (2016).

35 BUMIDOM 1981, Annexe I.

36 BUMIDOM 1981, Annexe IV.

37 Plus des deux-tiers des Antillais résidant en métropole en 1968 avaient quitté l’école avant 13 ans et moins de la moitié de ceux-ci avaient obtenu leur certificat d’études primaires (Condon 1998).

38 Dagenais & Poirier 1985 ; Senior 1991.

39 D’après l’Enquête migrations de l’INSEE (1992), plus du cinquième des femmes antillaises enquêtées travaillaient dans ce secteur au moment du départ (Condon 1998).

40 Châtelain 1969 ; Guerry 2010 ; Momsen 1999 ; Mozère 2004 ; Oso Casas 2006 ; Le Petitcorps 2018.

41 Entretiens biographiques auprès de migrantes arrivées en France métropolitaine entre 1955 et 1960 ; voir également Ega 1978.

42 Guerry 2010.

43 Dans les mois précédant le lancement de l’activité du BUMIDOM, le Bureau pour le développement de la production agricole (BDPA) en Afrique et à Madagascar, organisme chargé à partir de 1952 de l’établissement de migrants réunionnais à Madagascar (enclave française de Sakay), a encadré les premières migrations vers la France métropolitaine. Les dossiers de ces migrant.es ont été transférés ensuite à la nouvelle agence.

44 Confirmé par des entretiens biographiques menés dans les années 1990.

45 Cette formation appelée « spécialisation ménagère » consistait en une « adaptation à la nourriture et au mode de vie métropolitains » (BUMIDOM 1968 : 54).

46 Extraits de notes de sortie dans les dossiers de femmes antillaises arrivées à Crouy-sur-Ourcq en mars-avril 1967.

47 Condon & Ogden 1991 ; sur les difficultés croissantes rencontrées par l’agence pour placer et loger les migrant.es, voir Pattieu 2016.

48 Les enseignantes, sages-femmes, infirmières rencontrées dans la vie quotidienne étaient alors des femmes métropolitaines ; la volonté d’être comme ces femmes et l’identification avec la culture française avaient certainement un lien avec le complexe décrit par Frantz Fanon 1971 [1952].

49 BUMIDOM 1968 : 49.

50 Cette politique de dispersion n’a pas du tout concerné les femmes migrantes, jugées moins politisées.

51 BUMIDOM 1968: 48-49.

52 BDPA 1968, tome 1: 32.

53 BDPA 1968, tome 3 : 23.

54 Condon & Ogden 1991 : 510-511.

55 JO 1960 : 3272.

56 Des sentiments relatés lors d’entretiens avec des hommes antillais résidant encore en région parisienne dans les années 1990, et retrouvés au cours de l’étude d’Alex Mucchielli et Rémy Lemaître (1990).

57 Entretiens auprès des hommes en région parisienne (Condon 2008).

58 BUMIDOM 1968 : 18.

59 BUMIDOM 1968 : 88.

60 Les demandes d’aide pour trouver un emploi ou un logement sont souvent insistantes, et parfois argumentées ; voir le cas détaillé dans Pattieu 2016 : 108-110.

61 CGP 1959 : 408.

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References

Bibliographical reference

Stéphanie Condon, “Entre stratégies individuelles et stratégies de l’État : le genre de l’émigration antillaise dans les années 1960”Clio, 51 | 2020, 119-141.

Electronic reference

Stéphanie Condon, “Entre stratégies individuelles et stratégies de l’État : le genre de l’émigration antillaise dans les années 1960”Clio [Online], 51 | 2020, Online since 02 January 2023, connection on 08 October 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/18071; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.18071

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About the author

Stéphanie Condon

Stéphanie Condon est chercheuse à l’Institut national d’études démographiques. Ses travaux portent principalement sur les migrations dans une perspective de genre, et notamment sur les migrations caribéennes. En parallèle, elle s’est intéressée à la question des violences envers les femmes. Membre de l’équipe de recherche qui a réalisé la première enquête nationale en France (ENVEFF, 2000), elle pilote actuellement une enquête sur les violences et le genre aux Antilles et à La Réunion. Elle a coordonnée avec Ravi Thiara et Monika Schröttle un ouvrage européen Violence against Women and Ethnicity: commonalities and differences across Europe (Barbara Budrich Verlag, 2011). Sur la mobilité des Antillais, elle a publié de nombreux articles dont, avec C. Beaugendre, « Partir pour tourner la page : migrations entre les départements d’outremer français et l’Hexagone après une rupture conjugale », Trajectoires et âges de la vie, Actes du colloque international de l’AIDELF (Bari, 2014). condon@ined.fr

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