Carole Carribon, Dominique Picco, Delphine Dussert-Galinat, Bernard Lachaise & Fanny Bugnon (dir.), Réseaux de femmes, femmes en réseaux (xvie-xxie siècle)
Carole CARRIBON, Dominique PICCO, Delphine DUSSERT-GALINAT, Bernard LACHAISE & Fanny BUGNON (dir.), Réseaux de femmes, femmes en réseaux (XVIe-XXIe siècle), Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2017, 380 p.
Full text
1Cet ouvrage collectif est le fruit de différentes journées d’études bordelaises, organisées entre 2012 et 2014 par les coordinatrices et le coordinateur du volume, au sein de l’axe de recherche Réseaux de femmes, femmes en réseaux. Il fait suite à un premier numéro thématique de la revue Genre et histoire, publié en 2013 sous la direction de Dominique Picco. L’introduction de Delphine Dussert-Galinat et Carole Carribon met en lumière les ambitions des membres de ce groupe d’études, à savoir coupler deux champs de recherches historiques en plein essor : l’analyse de réseaux et l’histoire des femmes et du genre. Les auteures proposent ainsi de « s’intéresser plus particulièrement à la place et au rôle des femmes dans les réseaux, qu’il s’agisse de la formation de réseaux exclusivement féminins ou de la participation à des réseaux mixtes » (p. 13).
2Cet objectif extrêmement vaste est à la fois la force et la faiblesse de l’ouvrage. En effet, l’introduction très synthétique ne définit que peu les concepts d’analyse et laisse ouverte la discussion des méthodes et de l’opérationnalité de ces concepts en histoire. Le terme même de réseaux est entendu dans « son sens le plus large, […] soit un ensemble de relations entre individus englobant parentés, clans, clientèles et divers liens de sociabilités, quels qu’en soient les objectifs » (p. 14). Néanmoins, ce parti pris permet de regrouper une vingtaine de contributions très diverses, provenant en majorité d’historiennes et d’historiens, mais également de chercheuses et chercheurs s’inscrivant dans d’autres champs disciplinaires (sociologie, sciences politiques, sciences de l’éducation et droit). Le choix de la longue durée accentue encore la grande variété des contributions, puisque les périodes étudiées s’étendent du xvie siècle au début du xxie siècle.
3Sur le plan méthodologique, les approches qualitatives prédominent largement et s’éloignent de la tradition historiographique qui se focalise sur les techniques de représentations graphiques des réseaux à partir d’analyses quantitatives. Ainsi, le chapitre de Nicole Dufournaud, Bernard Michon, Benjamin Bach et Pascal Cristofoli sur les réseaux de Marie Boucher, marchande nantaise au xviie siècle, apparaît plutôt comme une exception ; les auteurs y développent toute une réflexion méthodologique sur la mise en représentation de leurs analyses d’une soixantaine d’actes notariés dans lesquels apparaît Marie Boucher, et sur « l’aide à penser » que constituent ces outils graphiques pour replacer la marchande dans ses réseaux familiaux, financiers, commerciaux et professionnels.
4L’ouvrage se divise en deux grandes parties. La première, intitulée « femmes, réseaux et pouvoir(s) », met en lumière la manière dont certaines femmes – appartenant majoritairement à la noblesse – usent de leurs réseaux masculins et/ou féminins pour jouer un rôle politique dans l’Europe moderne, et assurer ce qu’Aubrée David-Chapy nomme dans son chapitre sur Anne de France et Louise de Savoie « un pouvoir au féminin » (p. 26). Dans la plupart des contributions, l’enjeu est donc à la fois de « reconstituer les réseaux » dans lesquels s’insèrent ces femmes nobles, « tout en dégageant les stratégies et les motifs d’action » de ces actrices, comme le synthétise Sarah Bernard dans son chapitre sur Marie Féodorovna (p. 80). Pour ce faire, la part belle est faite à l’analyse des correspondances de ces femmes ou de leurs appuis privilégiés, et à l’étude des livres de comptes des maisons nobles, ces deux types de sources permettant de décrire et d’estimer l’intensité des liens entretenus avec d’autres protagonistes. À côté de six contributions sur les réseaux de femmes nobles et leur intérêt politique, s’intègrent deux chapitres s’intéressant à l’usage que certaines femmes font des réseaux pour s’affirmer professionnellement. Nous y retrouvons le chapitre sur Marie Boucher précédemment cité, ainsi que la contribution de Caroline Giron-Panel, qui décrit les trajectoires de chanteuses italiennes au xviiie siècle pour analyser leurs stratégies d’ascension professionnelle, fondées sur l’utilisation « de complexes réseaux mêlant familiers, amis, mécènes » (p. 156).
5La seconde partie de l’ouvrage, intitulée « les réseaux entre aliénation, affirmation et émancipation des femmes ? », porte surtout sur la période contemporaine, et questionne davantage en quoi la mise en place de divers réseaux permet ou non de porter des intérêts collectifs. Dès lors, les contributions sont moins centrées sur des figures particulières que sur des organisations, telles que des syndicats, des associations, des groupes de pression, mais également des réseaux plus informels, notamment confessionnels, ou encore des réseaux d’exploitation sexuelle de femmes. Pour autant, certaines études de ces collectifs ne délaissent pas les approches biographiques ; c’est le cas du chapitre de Béatrice Haenggelli-Jenni qui propose d’analyser l’imbrication des réseaux éducatifs, pacifistes, religieux et féministes au sein de la Ligue internationale pour l’éducation nouvelle à partir des trajectoires de trois actrices majeures de la Ligue, Beatrice Ensor, Elisabeth Rotten et Helena Radlinska.
6Devant la diversité des types de réseaux proposés, cette seconde partie est subdivisée en trois sous-parties. Tout d’abord, sont présentés des réseaux participant à la professionnalisation des femmes, en particulier dans les contributions de Nathalie Sage Pranchère sur les syndicats de sages-femmes au tournant du xxe siècle, de Carole Carribon sur l’Association française des femmes médecins au cours des années 1930, et de Julie Landour sur l’association des « Mompreneurs » qui entend développer de nouvelles formes de conciliation entre vie professionnelle et familiale. Deux autres contributions s’attachent à décrire l’utilisation par les femmes de réseaux pour s’affirmer sur la scène politique ; Claire Lafon étudie le Lobby européen des femmes, Claudy Vouhé, Élisabeth Hofmann et Joëlle Palmieri le réseau de promotion de l’égalité femmes-hommes Genre et action. La deuxième sous-partie porte sur des réseaux confessionnels et éducatifs avec, à côté du chapitre de Béatrice Haengelli-Jenni, une contribution de Beatrice Zucca Micheletto sur la confrérie religieuse féminine turinoise la Compagnia delle Umiliate aux xviie et xviiie siècles, et un chapitre de Séverine Pacteau de Luze sur les réseaux féminins protestants à Bordeaux. Enfin, la dernière sous-partie s’intéresse aux réseaux d’exploitation du corps des femmes, Lola Gonzalez-Quijano étudiant les réseaux de courtisanes du xixe siècle, Yolande Cohen et Margot Blanchard les formes de mobilisation des réseaux transnationaux féminins dans la lutte contre la prostitution au début du xxe siècle, et Bénédicte Lavaud-Legendre les récents réseaux criminels d’exploitation sexuelle des femmes nigérianes.
7Ainsi, si nous pouvons regretter l’absence d’une conclusion qui dresserait le bilan des apports et des perspectives qu’ouvre le croisement entre genre et réseaux, ce qui aurait permis de davantage problématiser le concept de réseau et son utilité en histoire des femmes et du genre, il n’en demeure pas moins que la variété des contributions présentées dans ce riche ouvrage offre de nombreuses pistes de recherche stimulantes.
References
Electronic reference
Marie-Élise Hunyadi, “Carole Carribon, Dominique Picco, Delphine Dussert-Galinat, Bernard Lachaise & Fanny Bugnon (dir.), Réseaux de femmes, femmes en réseaux (xvie-xxie siècle)”, Clio [Online], 51 | 2020, Online since 01 July 2020, connection on 07 October 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/17997; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.17997
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