Sophie Lalanne (dir.), Femmes grecques de l’Orient romain
Sophie LALANNE (dir.), Femmes grecques de l’Orient romain, Dialogues d’Histoire Ancienne Supplément 18, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2019, 316 p.
Texte intégral
1Cet ouvrage collectif porte sur la place qu’occupent les femmes dans différentes parties de l’Empire romain d’Orient hellénophone. Il résulte de trois rencontres scientifiques organisées dans le cadre du programme GRECS d’ANIHMA entre 2012 et 2014. Comme l’explique Sophie Lalanne dans son introduction, le volume ne reflète que partiellement le contenu de ces rencontres ; l’éditrice formule d’ailleurs des réflexions intéressantes sur la place de l’histoire des femmes et du genre dans le domaine des sciences de l’Antiquité. L’introduction permet également de saisir l’approche de l’ouvrage qui se situe plus dans le domaine de l’histoire des femmes que dans celui des études de genre : la priorité est en effet accordée à la mise en lumière des sources existantes sur les femmes de l’Orient romain. Ces réflexions sont reprises et développées de manière très pertinente dans l’épilogue de Violaine Sebillotte Cuchet, en fin de volume.
2Le recueil est organisé en trois volets, correspondant chacun à une thématique. La première partie est consacrée à la place des femmes dans la sphère religieuse ; la deuxième offre des points de vue sur la vie des femmes dans différentes régions spécifiques ; la troisième est dédiée à la représentation des femmes dans la littérature mais aussi, pour une contribution, dans l’art figuré. Il faut souligner d’emblée que ces thématiques se recoupent en partie et peuvent se retrouver dans plusieurs contributions tout au long du volume. Par exemple, l’article de Sylvain Destephen sur les femmes martyres dans les récits des Passions clôt de manière intéressante la première partie en apportant une perspective chrétienne, mais il peut également être lu en complément aux contributions de la dernière partie sur les représentations littéraires de femmes. La dernière partie réserve une belle place au roman grec, mais le roman est également sollicité comme source aux côtés de l’épigraphie dans les articles de François Kirbihler (première partie) et d’Éric Perrin-Saminadayar (deuxième partie). Cette manière de présenter une même thématique sous plusieurs angles et de faire dialoguer des sources différentes constitue l’un des points forts de l’ouvrage. Il ne sera pas question ici du contenu spécifique de chacune des contributions, mais plutôt de quelques problématiques transversales.
3La première réflexion qui vient à l’esprit à la lecture de ce volume est qu’il parvient effectivement à montrer que les sources sur les femmes de l’Orient romain existent, et qu’il est par conséquent possible d’envisager une histoire mixte – pour reprendre les termes employés par Violaine Sebillotte Cuchet en conclusion du volume. La contribution qui ouvre le recueil, celle de François Kirbihler sur les prêtresses d’Artémis à Éphèse, porte sur plus de 70 inscriptions réparties sur trois siècles. L’auteur souligne en outre que cette prêtrise importante, confiée à des femmes depuis le règne d’Auguste, constitue l’un des éléments de ce qu’il appelle un quasi cursus honorum féminin local (p. 35 et p. 49), visible dans des inscriptions qu’il a traitées ailleurs.
4Au-delà de ce premier constat optimiste, cet ouvrage révèle aussi le type de problématiques et de limitations rencontrées dans le domaine de l’histoire des femmes antiques. On observera notamment que cet ouvrage permet surtout d’accéder à des connaissances sur les femmes de l’élite. Pratiquement toutes les contributions portent sur des sources dans lesquelles les femmes de l’élite occupent une place prépondérante, si ce n’est exclusive. Seule l’étude d’Elias Koulakiotis sur les femmes affranchies de Leucoptéra est consacrée à des femmes de plus basse condition. Si cet état de fait s’explique par la nature des sources, il est important de garder ce biais à l’esprit. Comme le souligne Violaine Sebillotte Cuchet dans l’épilogue, il nous confronte au problème de la représentativité des femmes visibles dans les sources, et à la question de la pertinence de la catégorie « femme » dans un contexte où la classe sociale est tout aussi déterminante.
5L’omniprésence des femmes de l’élite dans ce volume permet de problématiser une autre question très intéressante : celle du rôle de ces femmes au sein de leurs familles. Par exemple, au sujet des rares femmes exerçant des magistratures ou liturgies à Pergame sous le Haut Empire, Olivier Ventroux considère que ce sont les membres masculins de leurs familles qui ont joué un « rôle décisif dans la légitimation de leur implication dans la vie de la cité » (p. 124). Les femmes n’auraient ainsi eu accès que de manière exceptionnelle et grâce à l’influence de leurs familles à un rôle public – une idée que l’on retrouve dans les réflexions de Jean-Baptiste Yon au sujet de Zénobie, dans son article sur les femmes de Palmyre. À l’inverse, l’analyse des sources épigraphiques concernant les femmes de l’entourage d’Hérode Atticus, proposée par Éric Perrin-Saminadayar, démontre que ce sont parfois les femmes qui exercent une influence positive sur la carrière des membres masculins de leur famille. Il oppose ces informations transmises par les sources documentaires à la vision promulguée par Philostrate dans les Vies des Sophistes, qui minimise systématiquement le rôle des femmes. D’une manière analogue, l’étude d’Ewen L. Bowie sur les Vies des Sophistes dans leur ensemble montre le même décalage entre la vision de Philostrate et les données épigraphiques au sujet des femmes de l’entourage d’autres sophistes. Un autre angle est proposé par Jesper Majbom Madsen dans son article consacré aux inscriptions provenant du Pont et de Bithynie. Son analyse met l’accent sur le rôle que jouent les femmes dans les familles de notables lorsque celles-ci cherchent à afficher leur appartenance à la culture romaine.
6La question de l’impact de la culture (dans un sens large) sur la vie des femmes et leur représentation dans les sources est une thématique intéressante que l’on retrouve dans d’autres contributions. Gabrielle Frija montre par exemple que la diffusion du culte des empereurs et des prêtrises féminines qui y sont associées ne s’observe pas de manière uniforme dans les provinces et qu’elle dépend de facteurs religieux et politiques locaux. Elias Koulakiotis nous apprend, quant à elle, que la procédure d’affranchissement des femmes de Leucoptéra s’inscrit dans une vision encore très grecque de l’esclavage.
7La dernière partie du recueil consacrée à la représentation des femmes dans la littérature et les arts pose la question du rapport complexe entre la fiction et la réalité sociale des femmes. Les contributions de Sophie Lalanne et Romain Brethes dédiées aux romans grecs proposent en outre une analyse fine des codes propres à ce genre littéraire et la manière dont ils influencent la représentation des personnages féminins et masculins. Le dernier article, rédigé en collaboration par Alix Barbet et Sophie Lalanne, soulève le problème délicat de l’interprétation des images pour déterminer l’organisation spatiale domestique en fonction du genre.
8Toutes les contributions de ce riche recueil rappellent à leur manière que l’étude de l’histoire des femmes ne peut se faire sans prendre en compte à chaque fois le contexte historique, politique, religieux, social et culturel des sources utilisées ; les diverses réflexions méthodologiques formulées dans ce volume renforcent également sa portée pédagogique. Cet ouvrage constitue donc une lecture précieuse pour l’étude de l’histoire des femmes et du genre, mais aussi pour celle de l’Orient romain en général.
Pour citer cet article
Référence électronique
Sophie Gällnö, « Sophie Lalanne (dir.), Femmes grecques de l’Orient romain », Clio [En ligne], 51 | 2020, mis en ligne le 01 juillet 2020, consulté le 04 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/17979 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.17979
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