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Compléments en ligne : Clio a lu

Marie Bergström, Les nouvelles lois de l’amour. Sexualité, couple et rencontres au temps du numérique

Paris, La découverte, 2019, 228 p.
Sandra Lemeilleur
Bibliographical reference

Marie BERGSTRÖM, Les nouvelles lois de l’amour. Sexualité, couple et rencontres au temps du numérique, Paris, La découverte, 2019, 228 p.

Full text

1L’ouvrage présente les résultats d’un travail de recherche mené sur une dizaine d’années. Il offre une mise en relation entre les statistiques de sites de rencontres, celles de l’INSEE et de l’INED et des éléments d’entretiens de 75 usagers hétérosexuels de ces sites de rencontre ayant entre 18 ans et 68 ans recueillis par la chercheuse. L’écriture suit une trame chronologique, de l’histoire de la rencontre à ses nouveaux usages, ce qui rend la compréhension aisée. Dès le début, l’auteure exprime une volonté forte de sortir ce phénomène social du manichéisme dans lequel il est pris. Elle combat tant l’optimisme qui voudrait que les sites de rencontres signent la fin de l’homogamie et l’avènement d’une révolution sexuelle, que le pessimisme voyant dans ces pratiques une marchandisation des relations et une banalisation du sexe. Elle commence par placer son sujet dans une analyse historique des conceptions de l’amour, attachées au romantisme, et des normes qui en résultent depuis le xixsiècle. Marie Bergström affirme alors que les sites de rencontres mettent ces représentations des relations au défi. Cependant, ces sites très uniformisés (car tous copiés les uns sur les autres) véhiculent les visions stéréotypées de leurs concepteurs qui sont, dans une très large majorité, des hommes, ce qui induit une construction masculine des rencontres en amont. Dans ce contexte d’inégalité de genre, la séduction devient une pratique sociale d’expérimentation de sa conformité aux attentes genrées et hétéronormées.

2Cette recherche offre un premier apport en percevant ces pratiques comme une double privatisation : économique – où les individus ont recours à des entreprises privées pour des rencontres sexuelles et/ou sentimentales ; sociale – où la rencontre n’est plus liée à un groupe d’appartenance, mais se place dans l’insularité sans lien commun avec la vie des partenaires. Rien n’est relié socialement entre eux car cela évite toutes conséquences fâcheuses. La chercheuse observe déjà une certaine forme de pragmatisme. Il ne s’agit donc pas d’une révolution sexuelle, mais d’une modification des usages des rencontres.

3Contre l’idée de marchandisation et de banalisation, l’auteure met en évidence que les normes de genre ne disparaissent pas. En effet, les normes de la réserve féminine et de l’initiative masculine persistent. La sexualité des hommes est du côté d’une libido importante alors que celle des femmes est considérée comme relationnelle. Ce second apport permet de voir que les plus jeunes, qui font le constat de l’allongement des études, souhaitent expérimenter avant de se mettre en couple alors que les 30-40 ans, plus volontaristes, souhaitent se mettre en couple. En effet, le cercle d’amis de ces derniers ne permet plus de rencontres nouvelles et la baisse de la fréquentation des lieux publics leur offre peu d’opportunités, à la différence des plus jeunes qui sortent beaucoup.

4Quel que soit leur âge, les partenaires n’ont pas peur de l’engagement mais sont plus pragmatiques, en choisissant de s’éprouver sexuellement et sentimentalement. Toute relation semble commencer par une rencontre sexuelle. Néanmoins, la norme conjugale est toujours très forte et les inégalités de genre demeurent. L’auteure remarque dans ce troisième apport que les femmes sont plus précoces que les hommes à passer de la phase d’expérimentation à celle du couple. Ce décalage génère de l’incompréhension et se solde malheureusement parfois par des échanges d’insultes. De même, les femmes jeunes préférant les hommes plus âgés rejettent les hommes de leur âge. Dans les aspects positifs, la chercheuse affirme que la pratique des sites de rencontres permet aux femmes de maîtriser l’interaction en s’assurant de leur attractivité sans s’engager pour autant. Les hommes, quant à eux, utilisent des stratégies diverses. Pour chacun, c’est une manière de tester sa séduction surtout après une rupture où les usagers expliquent que cela permet de « passer à autre chose ».

5Marie Bergström, dans une quatrième contribution, met fin à la croyance de la fin de l’homogamie en arguant que les internautes utilisent des démarches différentes selon leur classe d’appartenance afin de pratiquer la distinction tout au long du processus de rencontre. Les dispositions internes incorporées induisent une sélection dès les premiers éléments présents dans le profil comme les photos et la maîtrise de la langue. Puis, cette sélection se complète largement lors des échanges jusqu’à ce qu’un « sujet commun » soit trouvé, signe que la distinction est accomplie.

6Enfin, la contribution majeure de cet ouvrage est la compilation colossale des recherches sur cette question avec des études tout autant francophones qu’anglophones largement prises dans le champ des sciences sociales et de l’histoire. Cependant, les études de genre sont peu envisagées et sur ces questions des inégalités, elles auraient permis un approfondissement certain. De même qu’une perspective plus anthropologique faisant état d’une participation observante ou observation participante aurait sans doute ouvert la réflexion sur les pratiques stimulantes, voire excitantes, de « l’hyper-ception » (toutes ces sensations ressenties lors des échanges depuis les frémissements du corps jusqu’à l’excitation sexuelle) ou du « cyber-onanisme » (Lardellier), sur celles mensongères comme le « catfishing » ou le « kittenfishing » (invention de faux profils pour avoir une relation amoureuse uniquement à distance) ou encore sur celles discriminatoires comme le « ghosting » (l’échange s’arrête subitement et tout contact est impossible) et « l’orbiting » (plus d’échange mais les personnes restent en orbite sur divers réseaux type facebook, instagram). De ce fait, les sciences de l’information et de la communication auraient aussi pu apporter à cette recherche déjà très riche. Par ailleurs, les résultats statistiques des sites sont présentés comme des éléments fondateurs de l’analyse sans que soient expliqués leur protocole d’administration et leur contenu. Une des enquêtes Meetic, pour exemple, précise qu’il est impossible de trouver des « plans cul » sur le site. Cela semble peu probable. Les stratégies des individus pour en trouver ont-elles été analysées ? Comment Meetic est-il arrivé à cette conclusion ? Enfin, une perspective phénoménologique centrée sur le vécu des usagers permettrait de faire émerger de nouveaux usages de la rencontre sexuelle et/ou affective, mais également des modifications des conceptions de l’amour et des mutations de l’intime et de l’intimité, où ce pragmatisme caractéristique relevé par la chercheuse prendrait un sens plus existentiel.

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References

Electronic reference

Sandra Lemeilleur, “Marie Bergström, Les nouvelles lois de l’amour. Sexualité, couple et rencontres au temps du numériqueClio [Online], 51 | 2020, Online since 01 July 2020, connection on 06 October 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/17972; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.17972

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Sandra Lemeilleur

Université Bordeaux Montaigne
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