Navigation – Plan du site

AccueilNuméros51Compléments en ligne : Clio a luMélanie Fabre, Dick May, une femm...

Compléments en ligne : Clio a lu

Mélanie Fabre, Dick May, une femme à l’avant-garde d’un nouveau siècle (1859-1925)

Presses universitaires de Rennes, 2019, 373 p.
Marie-Ève Thérenty
Référence(s) :

Mélanie FABRE, Dick May, une femme à l’avant-garde d’un nouveau siècle (1859-1925), Presses universitaires de Rennes, 2019, 373 p.

Texte intégral

1S’inscrivant dans un courant qui reconsidère aujourd’hui la place des femmes dans l’histoire, Mélanie Fabre publie une édifiante biographie de Dick May, une intellectuelle largement oubliée de la Belle Époque, fondatrice notamment du Collège libre des sciences sociales en 1895, de la première École supérieure de journalisme française en 1899 et de l’École libre des hautes études sociales en 1900. Elle a été aussi active dans la fondation du Musée social en 1894, dans la formation de l’université populaire de la solidarité du xiiie en 1901, dans la création d’une association de secours aux orphelins de guerre en 1915 et dans la fondation en 1921 du Comité d’union latine, organisme européen de coopération culturelle. Elle a réussi à s’imposer dans un monde d’hommes et on lui a peu à peu reconnu une certaine expertise, notamment sur les questions éducatives.

2Cette biographie de Dick May (1859-1925) est intéressante par ce qu’elle laisse découvrir du destin d’une jeune fille juive, Jeanne Weil, sœur de l’historien Georges Weil, petite cousine de Karl Marx, engagée dans tous les combats de son temps au premier rang desquels l’Affaire Dreyfus, la dénonciation des lois scélérates contre l’anarchisme et le combat contre la peine de mort. Mélanie Fabre ne tombe jamais dans l’anecdote gratuite mais donne juste assez de chair à son sujet pour que Dick May ne reste pas une abstraction, malgré son évidente discrétion. Cette femme à l’apparence un peu négligée a fait l’objet de violentes campagnes de presse parfois antisémites, notamment dans les années 1910 où l’extrême droite la présentait comme la tête de pont d’un réseau destiné à ruiner l’identité française. Dick May est restée célibataire, refusant de tomber dans un « modèle matrimonial oppressif » et en a peu dit sur sa liaison avec le doyen de la faculté des lettres, Alfred Croiset ; mais le livre détaille les nombreuses batailles pour une éducation moderne qu’ils ont menées de front. Des pages très intéressantes sont consacrées à la notion de couple d’intellectuels.

3La biographie de Dick May est passionnante aussi parce que les difficultés qu’elle rencontre et la manière dont elle tente de les surmonter éclairent le destin de millions d’autres femmes. Mélanie Fabre désire analyser « la capacité d’un individu à mobiliser des moyens d’action pour contourner la norme ». Ayant été privée, parce que femme, d’une éducation supérieure, elle est méprisée car non diplômée et en rupture avec la morale bourgeoise. Le choix d’un pseudonyme se fait en partageant la démarche des écrivaines qui ont opté pour un nom masculin, comme George Sand ou Daniel Stern. Dans son cas, le caractère anglo-saxon du nom choisi correspond peut-être à une envie de cacher son origine juive. Dans tous ses combats, Dick May sait que sa position de femme lui interdit les premières places ; elle préfère donc organiser en coulisses, se réservant dans ses entreprises la place stratégique de secrétaire générale. Mélanie Fabre signale ironiquement que sa biographie aurait pu être intitulée « Dick May, secrétaire générale ».

4Le livre insiste aussi franchement sur les ambivalences et les contradictions de Dick May. Assez symptomatiquement, et elle partage cette caractéristique avec d’autres femmes comme Marcelle Tinayre ou Suzanne Normand, les fictions qu’elle écrit montrent des héroïnes d’abord en situation de transgression, puis acceptant ensuite de rentrer dans le rang et de se soumettre aux conventions sociales, ce que Dick May, elle, n’a jamais fait. Elle meurt seule dans une course en montagne en 1925 et la conclusion du livre évoque, sans trancher, l’hypothèse d’un suicide. Par ailleurs, Dick May se plaît à naviguer dans des milieux essentiellement masculins. Elle ne fraie pas par exemple avec les femmes journalistes de La Fronde (Marguerite Durand, Séverine) et ne milite pas pour l’intervention de femmes au Collège libre. Enfin, le livre montre que, malgré son statut d’outsider, elle ne résiste pas toujours aux préjugés de la petite bourgeoisie. Elle adopte ainsi une position de surplomb envers les femmes prolétaires comme à l’égard des colonisés dont elle parle avec un angélisme qui témoigne de son inscription dans un républicanisme messianique.

5Particulièrement intéressante est l’action de Dick May en faveur du journalisme. D’abord, elle utilise elle-même des journaux et des revues comme La Revue philanthropique pour diffuser ses idées sur la question sociale à la fin du xixe siècle (promotion de l’éducation ménagère, professionnalisation des infirmières, nécessité des colonies de vacances). Elle a aussi une idée précise des maux de la presse de son époque : elle explique préférer les faits selon le modèle anglo-saxon aux arrangements littéraires de la presse française. L’École supérieure de journalisme qu’elle fonde comme une des branches de l’École libre des hautes études sociales apporte une nouveauté fondamentale en se pensant comme la promotrice d’un nouveau journalisme moral et éthique. L’école est accessible financièrement et ouverte aux non diplômés et aux filles (17 élèves sur 184 étudiants). Ils ont accès à des cours qui traitent de l’actualité et à des cours pratiques fondés sur la rédaction d’articles et la production d’un journal, L’Épreuve. L’école suscite de multiples réactions de rejet de la part des journaux conservateurs qui estiment que le journalisme ne s’apprend pas. Drumont s’écrie  : « On naît journaliste, on ne le devient pas, voyons ! » La crainte est évidemment que le métier s’ouvre à de nouvelles classes sociales, plus populaires. Le Temps du 14 juin 1899 prévoit que l’école « va produire un prolétariat de déclassés qui existait déjà en fait, mais qui ne se croyait pas de droits acquis ». En fait, l’école ne réussit pas à obtenir le soutien des associations de presse et connaît une forme d’épuisement qui l’oblige à se transformer en école de la formation à la vie politique.

6Dick May n’était pas une révolutionnaire, elle n’était pas vraiment socialiste, même si elle a emprunté à ce courant son pragmatisme et son idée de réforme par le biais des syndicats, bourses de travail, universités populaires et autres initiatives. Mélanie Fabre propose de voir dans cette orientation « un réformisme socialo-solidaro-dreyfusiste ».

7Cette biographie provient d’un mémoire de master soutenu sous la direction de Vincent Duclert qui préface l’ouvrage. Permettre la publication de ce genre de travaux est évidemment une excellente idée. Dans la continuité de son master, Mélanie Fabre est maintenant engagée dans une thèse où elle retrace l’engagement d’intellectuelles dans les débats sur l’éducation à la Belle Époque.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Marie-Ève Thérenty, « Mélanie Fabre, Dick May, une femme à l’avant-garde d’un nouveau siècle (1859-1925) »Clio [En ligne], 51 | 2020, mis en ligne le 01 juillet 2020, consulté le 14 septembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/17944 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.17944

Haut de page

Auteur

Marie-Ève Thérenty

Université Paul Valéry, Montpellier-3
RIRRA21

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search