Caroline B. Brettell, Gender and Migration
Caroline B. BRETTELL, Gender and Migration, Cambridge, Polity Press, 2016, viii + 219 p.
Texte intégral
1Caroline Brettell, professeure d’anthropologie, spécialiste des rapports sociaux de sexe en migration, a publié plusieurs articles et ouvrages sur les femmes portugaises en France et au Canada. Dans cet ouvrage, elle synthétise les principales publications en sciences humaines et sociales, principalement dans le contexte américain, tout en les comparant à d’autres études internationales. Le livre commence par un examen historique de l’intérêt grandissant pour les femmes dans la littérature scientifique sur les migrations. Il appréhende les querelles initiales auxquelles furent confrontés les spécialistes de la migration et l’hésitation des approches prédominantes pour reconnaître le genre, non seulement comme l’une des nombreuses variables/catégories importantes, mais aussi comme l’une des caractéristiques déterminantes qui façonne et prédétermine la nature de toutes les étapes du processus migratoire.
2L’introduction, rédigée de manière claire et aisée présente au lecteur les études passées et présentes, ainsi que les différentes approches théoriques, en s’appuyant sur l’histoire des migrations des communautés portugaises, vietnamiennes, indiennes, sud-américaines, mais aussi de nombreuses autres communautés de migrants. Dans le premier chapitre, la littérature dominante (mainstream) et la plus influente sur le genre et la migration est analysée de manière factuelle, avec l’ajout de quelques considérations intéressantes et des parallèles pertinents entre les contextes d’immigration européen et américain. Sans aucun doute instructifs, certains passages sont parfois trop descriptifs. Ils présentent certaines causes bien connues qui ont été analysées de manière exhaustive par les spécialistes des questions de genre et de migration au cours des vingt dernières années. Cependant, l’auteure situe le contexte migratoire américain dans un ensemble plus large, où les migrations féminines sont mises en évidence comme un phénomène criblé de discriminations, de controverses et d’un manque continu de reconnaissance. Dans les quatre chapitres suivants, qui posent le genre comme catégorie déterminante et le place au centre de toutes les analyses, bien qu’en interaction avec d’autres caractéristiques, en particulier la race et l’ethnicité, l’approche intersectionnelle se lit en filigrane.
3Tout d’abord, l’auteure s’intéresse à la démographie genrée de la migration vers les États-Unis. Elle examine, compare et analyse statistiquement le passé et le présent, en utilisant des données démographiques pour tirer des conclusions et échafauder des comparaisons entre les hommes et les femmes qui ont immigré aux États-Unis. Ainsi, C. Brettell démontre que la féminisation des flux n’est pas une caractéristique des mobilités contemporaines, mais souvent un oubli des études migratoires qui, trop souvent et trop longtemps, n’ont pris en considération que les hommes migrants. L’aperçu des chiffres et de la démographie de l’immigration américaine dans le premier chapitre la conduit à approfondir, dans le deuxième, l’analyse de la législation genrée sur l’immigration. Comme dans les parties précédentes du livre, le deuxième chapitre utilise des études de cas et présente plusieurs groupes d’immigrés/immigrées aux États-Unis. Lorsque cela est possible, l’auteure présente aussi les études faites dans d’autres contextes nationaux. C. Brettell appuie son analyse sur un important corpus de publications pointant comment la dimension intersectionnelle traverse l’expérience des femmes migrantes ainsi que les politiques migratoires. Les lois définissent qui a le droit de traverser les frontières et qui ne l’a pas, qui est l’immigré en droit de travailler et qui le suit (dans le cas du regroupement familial) et n’a pas droit d’exercer une activité professionnelle, qui se voit accorder un droit de séjour et l’accès à la citoyenneté (et au vote) et qui en est exclu. L’auteure souligne ainsi que les lois sur l’immigration et la citoyenneté sont façonnées par des représentations sur le genre, la sexualité, la classe, la race, l’ethnicité et la nation ; parfois, elles sont également influencées par des conceptions genrées des nations d’origine. Ces lois ont souvent défini les hommes comme les gagne-pain de la famille et les femmes comme des dépendantes, perpétuant les inégalités de genre et privant les femmes de leur agentivité (agency).
4Ces mêmes lois influencent la division genrée du travail, présentée dans le chapitre trois, assignant souvent les femmes migrantes à des secteurs spécifiques (textile, care, sexe et, pour une minorité, entreprenariat ethnique) où les salaires sont plus faibles, les conditions de travail difficiles, précaires, informelles, voire dangereuses. Les femmes migrantes participent ainsi à la bien connue « global care chain » (Hochschild 2000), mais elles sont aussi présentes dans les usines de production textile, dans des petits magasins d’alimentation ethniques, ainsi que dans des secteurs hautement qualifiés comme celui de la santé. Cette division genrée du marché de l’emploi n’est pas une caractéristique américaine, mais est présente dans d’autres pays. C. Brettell expose ainsi une vaste littérature sur les différents secteurs d’activité.
5Cette division du travail a des effets sur l’organisation familiale des migrants, objet du quatrième chapitre du livre. Les études citées montrent comment la mobilité géographique, ainsi que le travail et la vie dans un pays culturellement différent, affectent la vie familiale et les rapports de genre en son sein. L’accès à l’activité rémunérée pour les femmes migrantes peut être parfois un facteur de changement de leur rôle au sein de la famille, bien que ces dernières continuent à exercer les activités traditionnellement féminines (liées au care et à la reproduction). Le chapitre présente aussi les études les plus récentes sur les familles transnationales et les nouveaux modèles parentaux et familiaux : quel rôle et quelle place dans l’éducation des enfants et dans la prise en charge des parents âgés pour les migrants/migrantes distant.es ? L’auteure met en parallèle les publications qui appréhendent un changement de rôle pour les femmes migrantes actives professionnellement – activité rémunérée qui leur donne plus d’autonomie dans la prise de décisions –, avec celles qui évoquent des femmes dont la position, au sein de la famille, reste immuable.
6C. Brettell conclut en soulignant la fluidité et la multiplicité des cas de figure. Elle réaffirme l’importance d’une analyse intersectionnelle dans l’étude des migrations et la nécessité de poursuivre des recherches sur les points suivants : dimensions genrées de l’intégration politique, de l’activisme et de la résistance politiques dans les contextes locaux, nationaux et surtout transnationaux ; dimension genrée de la santé des migrants ; intersections entre le genre, la sexualité et la migration, y compris les expériences des immigrants LGBT ; évolution des rapports de genre et intersections chez les descendants d’immigrants (deuxième génération).
7Le texte mobilise une bibliographie importante et pluridisciplinaire (histoire, anthropologie, sociologie, économie, droit, démographie, science politique) ; parfois, il est regrettable de ne pas pouvoir en lire davantage au sujet des études citées (surtout pour les plus anciennes). La littérature mobilisée est exclusivement anglophone et c’est probablement la limite majeure de cet ouvrage. Mais le texte est fluide, facile à lire et agréable. Il s’agit d’une bonne synthèse de l’état de la question de la littérature anglophone. Néanmoins, elle s’adresse davantage à un public d’étudiants (niveau Master et doctorat) car les études les plus récentes présentées et les approches mobilisées sont assez connues par les spécialistes du genre et des migrations.
Pour citer cet article
Référence papier
Francesca Sirna, « Caroline B. Brettell, Gender and Migration », Clio, 51 | 2020, 333-336.
Référence électronique
Francesca Sirna, « Caroline B. Brettell, Gender and Migration », Clio [En ligne], 51 | 2020, mis en ligne le 01 juillet 2020, consulté le 12 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/17934 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.17934
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