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Clio a lu « Femmes et genre en migration »

Claire Lévy-Vroelant, L’incendie de l’Hôtel Paris-Opéra, 15 avril 2005. Enquête sur un drame social

Paris/Grâne, Créaphis Éditions, 2018, 480 p.
Linda Guerry
p. 331-333
Bibliographical reference

Claire LEVY-VROELANT, L’incendie de l’Hôtel Paris-Opéra, 15 avril 2005. Enquête sur un drame social, Paris/Grâne, Créaphis Éditions, 2018, 480 p.

Full text

1Cet ouvrage de Claire Lévy-Vroelant, sociologue de la ville et des formes précaires et transitoires de logement, professeure à l’université Paris 8, livre quinze récits liés à l’incendie de l’hôtel Paris-Opéra. Dans la nuit du 14 au 15 avril 2005, les flammes tuent 24 personnes (dont 11 enfants) et en blessent 54 autres. Situé dans le 9e arrondissement de Paris, cet hôtel sur-occupé et inhospitalier logeait depuis l’année 2000 des familles en situation précaire, la plupart sans papiers, placées par les pouvoirs publics. En raison de la saturation et de l’inadaptation des centres d’hébergements existants, le placement de familles avec des enfants mineurs en « hôtel social » s’est institutionnalisé depuis la fin des années 1990 et représente un marché florissant pour les hôteliers (Erwan Le Méner, « L’hôtellerie sociale : un nouveau marché de la misère ? Le cas de l’Ile de France », Politiques sociales et familiales, n° 114, 2013, p. 7-18).

2Dans l’introduction, la sociologue replace l’événement dans son contexte, évoque le déroulement d’un « procès sans fin » (p. 6) qui se termine par la condamnation du gérant de l’hôtel, de son fils et sa compagne qui a déclenché l’incendie lors d’une dispute ; elle rappelle aussi que « les donneurs d’ordre et les représentants de l’État ont été progressivement dégagés de toute responsabilité » (p. 10). Claire Lévy-Vroelant présente ensuite le développement de son enquête et la triple dimension de son travail : « épistémologique, puisqu’il construit de la connaissance à partir de la vision de ceux qui mettent en récit leur expérience ; éthique, puisqu’il produit de la reconnaissance, misant pleinement sur la capacité de témoigner ; enfin, une dimension créative et identitaire de la narration » (p. 18-19). Menant une réflexion sur sa posture dans le recueil de récits de vie, la sociologue décrit avec précision le cheminement du « pacte d’écriture » qui s’est construit avec les témoins et « la prise d’écriture » après la « prise de parole » (p. 27) ; elle clôt son introduction par une réflexion plus large sur « la condition faite à ceux qui viennent du dehors » (p. 32), sur les histoires de vie et la mémoire.

3Constituant le cœur de l’ouvrage (plus de 400 pages), les quinze témoignages sont écrits à la première personne à partir d’entretiens réalisés en 2014 et 2015. Des femmes, des hommes, des couples racontent dans le détail leur « trajectoire d’épreuves » (p. 21), leur migration et le drame qui a bouleversé leur vie. Les récits retracent des parcours migratoires de la Côte d’Ivoire, du Sénégal, du Cameroun, d’Algérie, du Portugal, vers la France. À la demande de sa sœur qui habite Paris, Maïmouna Coulibaly est arrivée d’Abidjan trois ans avant l’incendie « pour avoir une vie meilleure, pouvoir aider la famille qui est restée au pays ». D’abord logée chez sa famille, elle devient mère et doit se « débrouiller toute seule » (p. 148). Elle se retrouve à l’hôtel après avoir appelé « le 115 ». Elle obtient un titre de séjour qui lui permet de suivre une formation. Elle loge pendant une année à Paris-Opéra et raconte la solidarité entre personnes hébergées : « on se soutenait tout le temps » pour faire face aux difficultés (p. 150). Les témoignages racontent le logement précaire, l’instabilité du placement d’urgence, quelques nuits dans un hôtel puis dans un autre, dans des conditions de logement difficiles et dangereuses. Aïcha Alouache, demandeuse d’asile arrivée d’Algérie en 2002 avec son époux et son fils, raconte : « on est allés à Bastille, c’était une petite chambre, on cuisinait dans la salle de bains, il y avait des souris, des cafards […] Il y a eu Ménilmontant aussi. Il y a eu tellement d’hôtels ! » (p. 293). Ces récits disent aussi la violence du drame, la souffrance et le traumatisme de perdre un enfant, un parent, une épouse. Le rapport au corps blessé, à la mort, le deuil, la question du lieu des sépultures et l’organisation des funérailles sont décrits dans plusieurs témoignages. On y lit aussi une histoire collective et une volonté de raconter pour que ce qu’ils/elles ont traversé n’arrive plus. Les paroles sont intimes mais aussi politiques : on lit des prises de position critiques sur la politique du logement d’urgence, la dénonciation des contraintes liées à la situation de sans-papiers et des conséquences de l’instabilité résidentielle. Les récits livrent également une réflexion sur le statut de victime et les relations difficiles avec les institutions judiciaires.

4Ces témoignages sont complétés par celui d’une militante pour la cause des sans-papiers, soutien de la première heure, et par celui d’Aomar Ikhlef, acteur central de la lutte menée depuis 14 ans par l’Association des victimes de l’incendie de l’hôtel Paris-Opéra (Avipo). Cette association a rapidement été créée pour le relogement des rescapé.es et la régularisation des familles mais aussi pour « un procès juste et équitable » (p. 233). Aomar Ikhlef rappelle, à travers l’exemple de son petit neveu victime de l’incendie, orphelin et très gravement handicapé, que « ce sont des vies entières qui ont été bouleversées à jamais » (p. 224). Dans son témoignage, il souligne l’importance de s’organiser collectivement pour défendre ses droits et analyse la mobilisation de l’association, ce qui a fait sa force et les obstacles rencontrés ; il dénonce « un système coupable » (p. 252), et les dysfonctionnements de l’institution judiciaire qui a malmené les victimes, mais aussi les humiliations par la culpabilisation ; il mentionne également le rôle des autres associations (Gisti, Mrap, CAL, DAL, Coordination des sans-papiers, etc.) dans cette mobilisation dont l’histoire reste à écrire. Le dernier récit, celui de Mariam Koné, fille aînée d’une victime décédée, livre l’histoire d’une enfance à distance de ses parents, raconte l’arrivée de la nouvelle du drame « au pays », le deuil, la venue en France en 2007, les visites au cimetière, les commémorations, l’admiration pour ses parents qu’elle considère comme « des battants » qui ont essayé de donner une vie meilleure à leurs enfants par l’immigration en France et « qui ont perdu tout ce qu’ils avaient ». Marquée par l’injustice subie par ses parents, elle veut devenir journaliste.

5Ce livre, qui est aussi un objet original (petit format et papier fin), comprend dans sa dernière partie une chronologie détaillée de l’histoire de l’incendie (2005-2017) et se ferme sur la liste des 78 personnes hébergées la nuit de l’incendie dans les 32 chambres de l’hôtel. La tragédie de l’hôtel Paris-Opéra est considérée comme un précédent du point de vue des obligations de sécurité dans les hôtels sociaux, mais les conditions de vie des familles hébergées à l’hôtel sont encore difficiles et la question de l’accès au logement n’est pas réglée. L’hôtellerie sociale, évolution de la longue histoire du logement de migrant.es en hôtels meublés et garnis, s’autonomise et devient aujourd’hui un marché lucratif, notamment pour les grandes chaînes hôtelières. Dans le prolongement de la démarche de recueil de témoignages, le dépôt à La contemporaine (ex. BDIC) des archives de l’association Avipo a été réalisé en 2019 avec le soutien de l’Institut des migrations ; ce fonds a été enrichi d’archives privées de familles et de soutiens, ainsi que d’entretiens filmés. Avec le livre de Claire-Lévy-Vroelant, cette démarche d’archivage ouvre un nouveau chapitre du « drame social » Paris-Opéra : celui de la mémoire et de l’histoire.

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References

Bibliographical reference

Linda Guerry, “Claire Lévy-Vroelant, L’incendie de l’Hôtel Paris-Opéra, 15 avril 2005. Enquête sur un drame socialClio, 51 | 2020, 331-333.

Electronic reference

Linda Guerry, “Claire Lévy-Vroelant, L’incendie de l’Hôtel Paris-Opéra, 15 avril 2005. Enquête sur un drame socialClio [Online], 51 | 2020, Online since 01 July 2020, connection on 07 October 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/17932; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.17932

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LARHRA et Institut des migrations

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