Marie Ruiz, British Female Emigration Societies and the New World, 1860-1914
Marie RUIZ, British Female Emigration Societies and the New World, 1860-1914, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2017, 292 p.
Texte intégral
1Cette monographie propose de reconstruire l’histoire d’un certain nombre de sociétés britanniques d’émigration féminine destinées à aider les femmes anglaises en excédent démographique (surplus women), à émigrer en Australie et en Nouvelle-Zélande dans les années 1860-1914. Parmi les organisations féminines étudiées figurent la Female Middle Class Emigration Society (1862-1886), la Women’s Emigration Society (1880-1884), la British Women’s Emigration Association (1884-1919) et la Church Emigration Society (1886-1929). L’objectif du livre est de montrer comment l’émigration féminine vers les colonies de l’Empire, qui étaient supposées manquer de femmes « respectables », « s’est imposée comme une solution à la question des femmes excédentaires » (p. 3).
2L’étude débute avec une discussion des statistiques de recensement et celle de la presse victorienne pour montrer que la catégorie de femmes « excédentaires », dont la plupart étaient des femmes de la classe moyenne célibataires et sans emploi, est en fait une invention de l’époque pour résoudre nombre de questions sociales du milieu du xixe siècle. À ces femmes qui n’arrivaient pas à trouver de conjoints ou d’emplois, l’émigration fut présentée comme une solution pour alléger leur sort. À cette fin, des sociétés d’émigration féminine d’initiatives privées furent fondées afin de fournir à ces femmes une aide pour se rendre dans l’Empire. Ces sociétés recherchaient surtout les candidates-gouvernantes qu’elles trouvaient plus raffinées, même si leurs services étaient en réalité peu demandés dans les colonies.
3Les chapitres qui suivent se concentrent principalement sur les activités des sociétés d’émigration féminine. Le chapitre « Sociétés d’émigration féminine et philanthropie » examine les origines sociales des donatrices et des militantes de ces sociétés et interroge leur caractère « désintéressé » car, selon l’auteure, certaines de ces organisatrices tiraient un bénéfice social, voire financier, de leur travail. Le chapitre « Sélection et formation des femmes émigrantes » montre comment les sociétés utilisaient des critères eugénistes pour sélectionner les candidates « idéales » à l’émigration, femmes devant posséder la beauté physique, une santé robuste, l’intelligence, ainsi qu’un caractère vertueux et travailleur. Un tel choix était en partie motivé par leur désir de s’assurer que l’Australie, en tant que colonie la plus britannique, ne soit pas dominée par des femmes de la classe ouvrière qui avaient émigré en grand nombre avec l’aide du gouvernement. Les candidates sélectionnées par les sociétés se devaient de recevoir une formation d’entretien ménager avant leur départ : nettoyage, budget du ménage, couture, cuisine, lessive, hygiène et premiers secours (p. 115). Dans le chapitre intitulé « De l’enlèvement des Sabines à l’exportation des femmes britanniques », l’auteure relève les avis contradictoires qu’émettent les sociétés d’émigration vis-à-vis de leurs clientes. D’une part, les sociétés affirment qu’en raison de leur caractère « raffiné », les femmes des classes moyennes ont besoin de protection et d’encadrement particuliers, tant pendant leur voyage qu’après leur arrivée dans les colonies, en conséquence de quoi les sociétés se doivent d’exercer un certain contrôle sur leurs clientes. D’autre part, en fournissant ces femmes respectables aux colonies, les sociétés les traitent dans les faits comme des marchandises et objets de transfert de capital humain (p. 130). En vue de cette relation asymétrique entre les recruteuses et leurs clientes, l’auteure se demande si les sociétés d’émigration féminine ont vraiment contribué à créer une nouvelle identité féminine et à donner une vie nouvelle aux émigrantes comme elles le prétendaient. Le chapitre « Les femmes impérialistes : une recodification du genre » continue la discussion sur les organisatrices de l’émigration féminine qui ont réussi à se tailler une place dans le schéma impérial en adoptant la rhétorique impérialiste masculine. Selon elles, c’est en assumant le rôle traditionnel victorien de mères de famille et de femmes au foyer dans les colonies que les femmes seraient le mieux à même de contribuer à la construction de l’Empire, car ce faisant, elles reproduisent biologiquement et culturellement la « pure » race britannique. Le reste du chapitre est consacré à la carrière de Maria Rye, fondatrice de la Female Middle Class Emigration Society, saluée par ses contemporains comme la plus zélée des organisatrices de l’émigration féminine.
4Les deux derniers chapitres s’intéressent au travail des sociétés australienne et néo-zélandaise. Dans « Australie et Nouvelle-Zélande : hétérotopies de la métropole », l’auteure montre que les sociétés d’émigration ont cherché à promouvoir une idéologie pro-anglo-saxonne dans l’Empire, en essayant de remodeler l’Australie et la Nouvelle-Zélande comme des hétérotopies reproduisant le modèle métropolitain. À cette fin, elles ont cherché à contrebalancer l’influence néfaste des émigrants des classes inférieures, et la « menace interne » qu’ils représentaient pour la pureté de la nation impériale, par l’importation de femmes issues de la classe moyenne dont la présence créerait un espace social et culturel plus raffiné. Ainsi, dans l’esprit des organisatrices des sociétés d’émigration, le rôle des émigrantes de la classe moyenne était d’assurer la reproduction biologique et culturelle de la « pure » race britannique (p. 194-196). Le dernier chapitre, « Arrivée dans les colonies : la construction d’un nouveau corps social par le genre, la classe et la race », traite de l’intégration des femmes blanches dans les classes moyennes coloniales. Il évoque aussi la manière dont les sociétés féminines d’émigration traitaient les populations autochtones des colonies comme une catégorie inférieure, ne leur accordant aucune voix dans leurs publications.
5Tout en s’appuyant sur des travaux antérieurs qui ont longuement étudié le rôle des différentes sociétés féminines d’émigration dans la résolution du « problème » des femmes « excédentaires » en Grande-Bretagne, la monographie apporte une contribution utile aux études sur le genre et l’Empire. Néanmoins, certains arguments de l’ouvrage demandent une plus grande clarification, en particulier en ce qui concerne la relation entre la métropole et les colonies. D’un côté, la Grande-Bretagne est présentée par les sociétés comme le modèle pour les colonies qui ont été dénigrées comme « des territoires inférieurs manquant de raffinement », mais de l’autre côté l’auteure affirme que ces mêmes sociétés « ont contribué à la création du fantasme de l’Australie comme territoire utopique » (p. 120-121). Comment concilier la perception des colonies comme étant à la fois « inférieures » et « utopiques » ? Dans le même ordre d’idées, le livre affirme que la métropole « est restée le modèle à imiter » dans les colonies, mais que c’est « dans les hétérotopies du Pacifique » que « la perfection humaine doit être atteinte puisqu’elle échoue à l’être en Grande-Bretagne » (p. 189). Comment comprendre le paradoxe de la métropole comme modèle pour les colonies si c’est dans ces dernières, plutôt qu’en Grande-Bretagne, que la perfection humaine pourrait être atteinte ? Un autre point à clarifier concerne la distinction que les animatrices des sociétés ont faite entre émigration et migration. Pour ces dernières, contrairement aux personnes émigrant en dehors du territoire britannique, se rendre au sein de l’Empire ne signifie pas quitter les frontières nationales. Par conséquent, le terme « émigration » fut jugé inapproprié et devait être remplacé par « migration » (p. 199). Pourtant, la raison pour laquelle les organisatrices ont continué de conserver le terme inapproprié d’« émigration » plutôt que d’adopter celui de « migration » dans le nom de leurs sociétés n’est pas claire. En dernier lieu, lorsque l’auteure parle des femmes autochtones et indigènes, il n’est pas précisé à quels groupes elle fait référence. On lit que le dernier chapitre « propose d’étudier la contribution des sociétés féminines d’émigration à la construction de l’autochtonéité, qui se réfère aux colons nés ou établis de longue date » (p. 212). Les colons évoqués sont-ils des Européens blancs installés dans les colonies avant le xixe siècle ou s’agit-il des aborigènes ? S’il s’agit de ce dernier groupe, ils ne sont pas nés colons puisqu’ils s’y étaient établis bien avant la colonisation européenne.
6Puisque les émigrantes sont un des groupes principaux étudiés dans l’ouvrage, on aurait souhaité un usage plus grand de sources primaires émanant de ces femmes elles-mêmes ; celles-ci sont peu utilisées au regard de la grande quantité de documents d’archives, de rapports annuels, de publications et d’articles de journaux issus des sociétés d’émigration féminine. Par conséquent, l’histoire des sociétés d’émigration est racontée principalement à partir de l’optique de leurs organisatrices, au détriment de celui des femmes émigrées. Tout au long du livre, nous lisons surtout les points de vue de celles-là et la manière dont elles traitaient les femmes qu’elles prenaient en charge, mais nous savons très peu de choses sur les réactions de ces dernières. Pourtant, il doit exister sans doute un écart entre la rhétorique des publications émanant des sociétés, destinée principalement aux soutiens et donateurs métropolitains et la réalité sur le terrain colonial beaucoup plus complexe. Outre les lettres des émigrantes dans les archives de la Female Middle Class Emigration Society que l’auteur utilise, il existe d’autres types de documents qui auraient pu fournir des informations plus variées sur les femmes émigrées, comme la presse, les annuaires et les sources statistiques, les listes de passagers des colonies, autant de sources inventoriées par un numéro de septembre 1997 du Bulletin des Amis des Collections Hocken publié par l’université d’Otago consacré à « l’immigration en Nouvelle-Zélande ». L’introduction de plus de sources primaires sur et par les femmes émigrées aurait certainement permis de mieux comprendre leurs expériences coloniales et d’évaluer de façon plus pointue les contributions réelles (et pas seulement rhétoriques) des sociétés d’émigration à la genèse de la politique genrée de l’Empire britannique.
Pour citer cet article
Référence papier
Marie-Paule Ha, « Marie Ruiz, British Female Emigration Societies and the New World, 1860-1914 », Clio, 51 | 2020, 315-319.
Référence électronique
Marie-Paule Ha, « Marie Ruiz, British Female Emigration Societies and the New World, 1860-1914 », Clio [En ligne], 51 | 2020, mis en ligne le 01 juillet 2020, consulté le 04 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/17901 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.17901
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page