Françoise F. Laot & Claudie Solar (dir.), Pionnières de l’éducation des adultes, perspectives internationales
Françoise F. Laot & Claudie Solar (dir.), Pionnières de l’éducation des adultes, perspectives internationales, Paris, L’Harmattan, 2018, 207 p. Préface de Rebecca Rogers
Texte intégral
1Ce livre intitulé Pionnières de l’éducation des adultes brosse en neuf chapitres onze portraits de femmes engagées au xixe et au xxe siècle. Leur grande diversité à la fois en ce qui concerne leur nationalité, leur milieu social d’origine, leur formation intellectuelle, leur culture politique et la forme concrète que prennent leurs actions en faveur de l’éducation des adultes est à la source des forces et de quelques faiblesses de cette étude.
2C’est une des forces de l’ouvrage, car dans son éclectisme même, il permet de révéler quelques traits communs à ces pionnières a priori si différentes les unes des autres. Il faut tout d’abord noter l’importance des trajectoires transnationales de beaucoup de ces femmes forcées, parfois, de fuir leur pays, ou tout simplement curieuses d’autres cultures et avides de nouvelles expériences éducatives. C’est le cas de Caroline Spurgeon et de Virginia Gildersleeve à la tête de la Fédération internationale des femmes diplômées des Universités (FIFDU) qu’analyse Marie-Élise Hunyadi ; celui d’Helena Radlinska, dont la vie entre Sibérie et Pologne est étudiée par Ewa Marynowicz-Hetka et Françoise F. Laot ; de Jeanne Deroin qui connut elle aussi l’expérience de l’exil (chapitre de Françoise F. Laot) ou de la Belge Zoé Gatti de Gamond qui entretint des contacts avec Jean Macé et la Ligue française de l’enseignement (chapitre d’Elsa Roland).
3Ensuite, le lecteur trouvera dans cette diversité de portraits le désir partagé par ces femmes de renouveler des pratiques pédagogiques pour les adapter à un public d’adultes recevant l’instruction hors du cadre scolaire. Ainsi, la Française Marie-Jeanne Bassot et l’Américaine Mary Follet (étudiées respectivement par Jacques Éloy et Claudie Solar) créent des cercles d’études dans des milieux populaires, persuadées que l’éducation doit se fonder sur une logique d’interaction dans une démarche bottom-up reposant sur la discussion libre et critique. De même, Helena Radlinska se heurte à la nécessité de repenser ses méthodes pédagogiques lorsqu’elle s’adresse à un public peu lettré : « J’ai enseigné l’histoire de la Pologne à des adultes que l’histoire n’intéressait pas (c’était des ouvriers presque analphabètes). Il a fallu commencer par l’histoire contemporaine et, dès les premiers cours, utiliser une méthode rétrospective » (p. 178). Marguerite Champendal, étudiée par Joëlle Droux, fait quant à elle à la fois œuvre pédagogique et œuvre philanthropique dans l’association Goutte de lait qu’elle annexe à son école d’infirmières, en imposant à toute mère qui souhaite recevoir du lait de participer à la visite médicale à laquelle elle doit conduire régulièrement son nourrisson. De plus, en encourageant la présence de plusieurs mères autour du médecin, Marguerite Champendal stimule l’émulation entre elles et les force à s’impliquer dans la consultation.
4Enfin, quels que soient la période où elles ont vécu, leur ancrage social ou la cause qu’elles défendent, ces femmes ont en commun de devoir composer avec les normes de genre. Comme Rebecca Rogers le souligne à juste titre dans sa préface, nombre des femmes étudiées ici vivent en couple avec d’autres femmes. De même, plusieurs sont célibataires, et celles qui se marient le font par amour et épousent un homme dont elles partagent l’engagement, formant ainsi des couples d’égaux. Aussi les unes comme les autres échappent-elles aux contraintes du mariage traditionnel et aux entraves qu’il pose généralement à l’activité publique féminine. Comme le constate la préfacière, ces femmes « agissent, dans bien des cas, sans heurter les normes de genre. Leurs engagements sont fréquemment ceux qui sont les mieux acceptés, à commencer par l’enseignement, activité jugée appropriée pour les femmes, maternité oblige » (p. 10). Un des intérêts du livre est donc d’éclairer en quoi l’éducation des adultes peut ouvrir aux femmes une stratégie de contournement de leur exclusion de la sphère publique.
5Mais le caractère hétéroclite des contributions est aussi une des limites de ce travail issu d’un symposium du Réseau de recherche en éducation et en formation. Ainsi est-il certain que Jeanne Deroin ait vraiment sa place parmi les pionnières de l’éducation des adultes, puisque par-delà son discours marqué par l’empreinte saint-simonienne, par-delà la fondation d’un journal féministe qu’elle souhaite pédagogique, on ne sait presque rien de ses réalisations concrètes concernant l’instruction des femmes ? Par ailleurs, la définition volontairement assez floue du concept d’éducation des adultes explique que certains chapitres paraissent marginaux par rapport à la problématique d’ensemble. L’introduction de l’ouvrage précise bien que « ce mot “adulte” [...] pose question lorsqu’il s’agit des femmes puisque le droit les a longtemps cantonnées dans un statut civil et civique de mineures » (p. 21). D’où la volonté de laisser la définition d’éducation des adultes la plus ouverte possible.
6Malgré tout, s’il ne fait aucun doute qu’Isabelle et Zoé Gatti de Gamond sont des penseuses et des actrices de l’instruction des femmes, est-il légitime de les qualifier de pionnières de l’éducation des adultes ? Le chapitre qui leur est consacré – et qui, plus qu’une recherche originale, est un bilan des connaissances scientifiques à leur sujet – insiste sur l’importance de leur action auprès d’un public de jeunes filles issues de la bourgeoisie. Les coordinatrices de l’ouvrage définissaient pourtant les adultes dans leur introduction comme « toutes les personnes déjà impliquées dans la vie active, notamment au travail » (p. 21), ce qui place ces jeunes bourgeoises légèrement en marge du sujet d’ensemble, à côté « des pauvres, des mères, des ouvriers » (p. 5), qui constituent, comme le résume Rebecca Rogers dans sa préface, le principal public visé. Ainsi, à l’exception d’une école d’adultes pour ouvrières à peine évoquée, le champ d’initiatives principal d’Isabelle et de Zoé Gatti de Gamond nous semble relever plus de l’enseignement secondaire féminin que de l’éducation des adultes. Partant d’une définition peut-être insuffisamment restrictive de cette notion, l’ouvrage court donc le risque de voir sa problématique se dissoudre dans ces parcours féminins si variés et si éloignés dans l’espace et dans le temps.
7Plusieurs éléments ont pourtant visé à homogénéiser les contributions pour les recentrer autour de l’interrogation principale du livre. Ainsi, dans une dynamique fructueuse visant à lier l’intime à l’action publique, tous les articles se composent d’une première partie dévolue à l’analyse du parcours personnel de la pionnière suivie d’une deuxième partie consacrée à l’étude de son action éducative. Si ces premières parties biographiques donnent la plupart du temps des renseignements tout à fait intéressants sur les ressorts privés de l’engagement public, elles manquent parfois de problématisation, comme c’est le cas de la contribution, par ailleurs tout à fait pertinente, sur Mary Follet.
8À l’inverse, certains articles répondent à la problématique d’ensemble avec brio et permettent de découvrir des personnalités peu connues. Celui de Marianne Thivend sur Élise Luquin présente une femme atypique, restée à l’écart des réseaux féministes ; venue du petit commerce et diplômée de l’enseignement primaire, elle crée à Lyon les premiers cours du soir du pays pour les femmes et les jeunes filles se destinant à la comptabilité. L’auteure apporte des statistiques sur la fréquentation du cours, étudie les liens entre la directrice, la municipalité et les instances de l’Instruction publique et aborde les contenus pédagogiques enseignés. Tout y est !
9De même, le travail de Marie-Élise Hunyadi sur les deux fondatrices de la FIFDU permet d’éclairer leur action éducative par leur propre vie personnelle. D’abord pionnières dans leur parcours universitaire, elles s’ingénient à ouvrir aux autres femmes les portes qu’elles ont forcées et à entretenir au sein de leur association un système de conférences pour stimuler la curiosité intellectuelle de leurs membres.
10Loin de cette forme d’éducation des adultes pour une élite, le parcours de Marie-Jeanne Bassot dans la Résidence sociale de Levallois permet de percer le secret de la longévité d’une œuvre sociale qui s’adresse à toute la population du quartier alors qu’à la même époque, les universités populaires furent un triste feu de paille. Enfin, les parcours de l’exceptionnelle Helena Radlinska et de Victoire Cappe (étudiée par Marie-Thérèse Coenen) font découvrir des vies non seulement consacrées à l’éducation des adultes mais surtout à l’instruction populaire considérée comme un ressort primordial de l’instauration d’une démocratie.
11Cet ouvrage permet donc de découvrir diverses initiatives éducatives parfois peu connues de l’historiographie. Certaines de ces initiatives se veulent une formation à la citoyenneté par la discussion politique, d’autres cherchent à offrir de nouvelles compétences professionnelles à des adultes en quête d’une plus grande indépendance financière. Plusieurs pionnières s’attachent à ouvrir aux femmes de nouvelles perspectives de carrière, dans des métiers qui leur sont jusqu’alors interdits. Enfin, d’autres éducatrices proposent une instruction à l’hygiène et à la puériculture dans une perspective de progrès social. Mais quels qu’ils soient, ces projets menés par des pionnières ont en commun d’avoir pris en compte la nécessité particulière de l’instruction féminine, condition de leur empowerment à l’échelle de la société.
Pour citer cet article
Référence électronique
Mélanie Fabre, « Françoise F. Laot & Claudie Solar (dir.), Pionnières de l’éducation des adultes, perspectives internationales », Clio [En ligne], 50 | 2019, mis en ligne le 01 décembre 2019, consulté le 18 septembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/17687 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.17687
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