Lin Foxhall, Studying Gender in Classical Antiquity
Lin Foxhall, Studying Gender in Classical Antiquity, Cambridge, Cambridge University Press, coll. « Key themes in Ancient History », 2013, 202 p.
Texte intégral
1Cet ouvrage offre une rapide et commode synthèse d’un champ de recherche particulièrement dynamique depuis les années 1980. Essentiellement destiné aux étudiants et enseignants de l’Antiquité classique, il constitue une entrée utile pour quiconque s’intéresse à l’histoire des femmes, du genre et de la sexualité dans les mondes grec et romain ainsi qu’à la réception de l’Antiquité.
2Rédigé par une spécialiste d’histoire sociale maîtrisant autant la documentation textuelle (grecque et latine) qu’archéologique, et impliquée dans les récents débats historiographiques sur la question de l’agency des femmes de l’Antiquité et sur celle de l’apport du gender dans le champ des études anciennes, ce manuel fait figure de point d’étape dans la production anglophone. Il s’inscrit dans une historiographie qui a débuté, rappelons-le, en 1975 avec le livre pionnier de Sarah Pomeroy (Goddesses, Whores, Wives and Slaves : women in classical antiquity). Organisé en sept chapitres thématiques (Gender in the study of classical antiquity ; Households ; Demography ; Bodies ; Wealth ; Space ; Religion) auxquels s’ajoute une courte conclusion en forme de plaidoyer pour l’étude du genre dans l’Antiquité classique, le livre aborde les différents thèmes grâce à des repères bibliographiques clairement discutés mais, et c’est un bémol, uniquement choisis dans une production accessible en anglais.
3Depuis Pomeroy, les études de genre dans le domaine de l’Antiquité ont une histoire qui justifie d’autant plus le premier chapitre (historiographique) qu’elles nécessitent la maitrise de nouveaux outils théoriques. En mettant l’accent sur l’implication du chercheur dans son objet – dès lors que nous sommes tous pris dans un dispositif de genre et de sexualité – et sur les changements radicaux des attitudes sociales face au genre survenus au cours des xxe et xxie siècles, L. Foxhall rappelle à quel point notre regard sur l’Antiquité a été renouvelé depuis la fin du xxe siècle. Les études critiques menées en sciences sociales sur la sexualité, sur les femmes et sur le genre forment un socle épistémologique dont la maîtrise est nécessaire à toute étude sérieuse sur la distinction de sexe. L. Foxhall souligne également l’apport des travaux historiques dans la lutte contre toutes les formes de discrimination, dont celle du genre, y compris lorsque ces travaux portent sur une période lointaine comme l’Antiquité classique. Après avoir rappelé l’importance fondamentale de la critique historienne des sources – documentation textuelle (transmission manuscrite et inscriptions) et culture matérielle (archéologie, arts visuels) – et sa méfiance envers les généralisations hâtives réalisées à partir d’un seul type de document, l’historienne souligne le caractère systémique des études de genre. Celles-ci relient toujours histoire politique, institutionnelle, économique, intellectuelle. Dans le chapitre « Households », elle insiste sur la centralité de la famille dans l’Antiquité grecque et romaine, notamment dans la construction des rapports de genre : éducation, mariage, adultère. Elle souligne les fonctions différenciées pour les femmes et les hommes envisagées selon leur place dans les rapports interpersonnels : ils et elles sont, selon les contextes, des pères ou mères, des frères ou sœurs, des fils ou filles, des serviteurs ou servantes. Le chapitre « Demography » exploite en particulier les données fournies par les recensements réalisés en Égypte ptolémaïque pour rappeler les termes du débat sur l’infanticide, la composition des familles et leur répartition ville/campagne. L’iconographie sur vases, les épitaphes versifiées, mais aussi les correspondances (à Rome), sont données comme exemple de sources permettant de répondre à la question de l’accès des jeunes filles à l’éducation et aux arts, comparé à celui des garçons, mais aussi à l’initiation sexuelle. Le chapitre « Bodies » évoque d’emblée un enjeu fondamental des études de genre : montrer comment les corps sont diversement signifiés par la polarisation que produit le genre. Si les deux types de corps, masculin et féminin, constituent les piliers de l’ordre symbolique des sociétés antiques, selon L. Foxhall, celles-ci ont néanmoins toujours pensé l’entre-deux, comme le montre l’exemple de Favorinus d’Arles, célèbre rhéteur du iie siècle de notre ère parfois qualifié d’eunuque. Rappelant le mythe de Pandora formulé par le poète Hésiode, L. Foxhall rappelle aussi les stéréotypes, véhiculés par nombre de documents, qui fondent la hiérarchie entre masculin et féminin et représentent le corps féminin comme un simple récipient. Le développement de recettes ou de régimes visant à améliorer le degré de masculinité de corps déjà masculins est un trait des deux cultures, grecque et romaine, et vise à distinguer une élite parmi les hommes : ceux qui possèdent véritablement l’andreia (en grec) ou la uirtus (en latin). Le corps manifeste la qualité d’un individu, une qualité d’autant plus valorisée qu’elle s’éloigne des caractéristiques attribuées au genre féminin. Le chapitre « Wealth » rappelle ensuite l’inégalité devant l’héritage, les filles ne recevant en général qu’une demi-part de l’héritage de leurs frères, dot incluse. Intéressante est la comparaison entre le kuria qui pèse sur les femmes grecques libres et adultes, une « tutelle » souple et occasionnelle, nous dit L. Foxhall, et la tutela plus rigide et formelle pesant sur les Romaines. Dans les deux cas cependant, les femmes disposent d’une persona économique et politique d’une nature différente de celle des hommes. Cela dit, cette persona n’entrave pas l’exercice d’activités économiques. Le secteur textile semble leur être le plus approprié – et il s’agit là d’un jugement social – alors que le commerce du sexe fait l’objet de réprobation pour les deux genres. Le chapitre « Space » expose, à partir des analyses menées par les archéologues sur les maisons d’Olynthe en Grèce du Nord et de Pompéi en Italie romaine, le débat sur l’existence ou non de pièces séparées pour les hommes et les femmes dans les maisons privées. Il conclut sur l’idée d’un usage différencié selon les moments de la journée et le calendrier saisonnier, les pièces ne semblant pas être réservées à l’un ou l’autre sexe. Si les fêtes religieuses offrent de nombreuses occasions de rencontres entre hommes et femmes, ce sont avant tout les bains – surtout développés dans la culture romaine – qui fournissent les moments de détente, de jeux et de plaisirs où toutes et tous peuvent se retrouver puisque la mixité des lieux y est attestée. La moderne partition public/privé n’a donc rien à voir avec la polarité masculin/féminin. Le chapitre « Religion » rappelle que les activités cultuelles sont généralement inclusives, par les rituels, ceci en Grèce comme à Rome. Les offrandes votives, conservées ou enregistrées dans des listes d’inventaires, peuvent parfois être interprétées en termes de genre. Ainsi, les offrandes liées au textile (poids des métiers à tisser, vêtements, tissus) sont toujours dédiées par des femmes. Par le biais des prêtrises et autres responsabilités au sein des sanctuaires, la religion est un domaine qui, dans le monde grec comme à Rome, offre des espaces d’autonomie et l’occasion d’exercer une certaine autorité pour les femmes qui y ont accès. Pour conclure, L. Foxhall insiste sur le rôle du genre dans la construction des hiérarchies, des frontières et des espaces dans les sociétés de l’Antiquité classique. Ce faisant, elle souligne aussi la capacité des individus à transgresser ces limites.
4L’ouvrage est une excellente introduction au champ des études anglophones sur le genre, appuyée sur une bibliographie abondante et très bien exploitée dans les limites linguistiques déjà évoquées. Il présente un panorama portant à la fois sur le monde grec et sur le monde romain, ce qui est assez rare pour être relevé. On pourra regretter toutefois que les conclusions des différents chapitres ne posent pas systématiquement la question des spécificités de ces deux ensembles linguistiques et culturels. Comme tout manuel, celui-ci n’évite pas le risque de la simplification, ce que l’auteure n’ignore pas. Sans doute parce que le temps a passé – six ans depuis sa publication –, ce qui frappe le plus est le peu de recul par rapport aux élites civiques, celles qui font familles dans le cadre du mariage légitime. La perspective intersectionnelle inviterait pourtant à intégrer – au moins sur le plan théorique – les femmes et les hommes esclaves, affranchis ou étrangers. La prise en compte des non-libres et des non-citoyens, femmes et hommes restés encore dans l’ombre, inviterait à relativiser – ou réinterroger ? – la polarité masculin/féminin que L. Foxhall décrit comme structurante. Cette partition du genre, orchestrée par l’idéologie civique véhiculée par des documents au caractère très normatif, est-elle valable en dehors de la sphère des familles légitimes, celles-là précisément qui forment les maisons traitées dans le premier des chapitres thématiques, un chapitre qui organise la lecture générale ? Il reste à articuler le genre – et continuer ainsi à le dénaturaliser, dans la perspective de L. Foxhall – à d’autres formes de domination, souvent beaucoup plus efficientes dans l’Antiquité, en l’occurrence celles qui pèsent sur les exclus des familles citoyennes. L’écriture d’une histoire mixte, désormais avec les femmes, ne signifie pas nécessairement l’écriture d’une histoire polarisée entre « hommes » et « femmes ».
Pour citer cet article
Référence électronique
Violaine Sebillotte Cuchet, « Lin Foxhall, Studying Gender in Classical Antiquity », Clio [En ligne], 50 | 2019, mis en ligne le 01 décembre 2019, consulté le 18 septembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/17602 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.17602
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