Anne Lafont, Une Africaine au Louvre en 1800. La place du modèle
Anne Lafont, Une Africaine au Louvre en 1800. La place du modèle, Paris, Éditions de l’Institut national d’histoire de l’art, coll. « Dits », 2019, 56 p.
Texte intégral
1Adaptation de plusieurs conférences de l’auteure, ce petit livre (par son format et son nombre de pages) a l’ambition de nous présenter, à partir du Portrait de femme noire (1800), visible au musée du Louvre depuis deux siècles, « une histoire impériale des formes » (p. 19) en replaçant l’expérience de la diaspora africaine dans le champ des beaux-arts occidentaux. L’œuvre d’art n’est plus seulement considérée comme le fruit d’une volonté individuelle de l’artiste mais doit être replacée dans des mondes sociaux en contexte colonial et impérial. Le pari est réussi et il s’agit bien, en déplaçant « la focale de l’artiste à son modèle », d’une relecture du tableau de Marie-Guilhemine Laville-Leroulx, épouse Benoît. On savait depuis 1914 que la jeune femme noire portraiturée était arrivée en France en tant que domestique du beau-frère de l’artiste, administrateur en Guadeloupe depuis 1789 et fonctionnaire de la Marine. Pour Anne Lafont, le portrait de Madeleine, puisque tel était son prénom, fait écho au portrait par Girodet de Jean-Baptiste Belley, député de Saint-Domingue à la Convention (1797) qui incarne l’émancipation des esclaves et un idéal égalitariste. Cependant, si les portraits se ressemblent stylistiquement (les deux peintres ayant fait leurs classes dans le même atelier), les artistes ne sont pas sur les mêmes positions politiques : Marie-Guilhemine Laville-Leroulx-Benoît et son époux, royalistes convaincus, s’insurgent contre les obstacles mis à la traite atlantique, alors que Girodet soutient le régime révolutionnaire régicide.
2En rapprochant le portrait de Madeleine de celui des femmes sénégalaises, les signares (autonomes, riches et puissantes), Anne Lafont interprète le sein nu de Madeleine peint par Marie-Guilhemine Benoît comme appartenant au cycle de représentations des usages du corps conçu comme instrument d’émancipation des femmes dans le système de domination impériale. L’auteure rapproche également ce portrait de Madeleine de celui, poitrine dénudée, de Joanna (Jean-Baptiste Tardieu, 1793), esclave et concubine d’un colon de la Guyane hollandaise, « figure archétypique de la relation interraciale dans le monde colonial et esclavagiste » (p. 36). En effet la pose altière de Madeleine reflète une personnalité autonome qui va à l’encontre du traitement des esclaves dans les plantations et des interdits stricts de relations interraciales dans les textes juridiques, peu respectés en pratique. Le vêtement de Madeleine rappelle par ailleurs les trois couleurs – bleu (du châle posé sur le dos du fauteuil) blanc (du costume) et rouge (le lien qui soutient le vêtement) – associées à une coiffure africaine-caribéenne, un turban orientaliste proche du bonnet phrygien. Anne Lafont évoque le portrait antérieur d’un artiste québécois, Portrait de femme noire à la nature morte (1786) qui, vêtement blanc, sein pointé érotiquement vers l’extérieur, foulard de madras sur la tête, est « la première version de l’icône féminine noire moderne » (p. 54). Le portrait de « Madeleine, africaine, caribéenne et américaine, esclave et affranchie, domestique et concubine, noire et française, modèle et sujet » (p. 56) témoigne d’une performance corporelle à travers les siècles dans le processus d’émancipation des femmes.
Pour citer cet article
Référence papier
Michelle Zancarini-Fournel, « Anne Lafont, Une Africaine au Louvre en 1800. La place du modèle », Clio, 50 | 2019, 288-289.
Référence électronique
Michelle Zancarini-Fournel, « Anne Lafont, Une Africaine au Louvre en 1800. La place du modèle », Clio [En ligne], 50 | 2019, mis en ligne le 01 décembre 2019, consulté le 14 septembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/17574 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.17574
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