- 1 Archives nationales [AN], 27 AP 12, dossier 2. Cette pièce est aussi citée dans Pluchon 1987 : 22 (...)
Rapport anonyme sur Kingé, sorcière et guérisseuse1
La nommée Marie Catherine, dite Kingué, négresse esclave, dit-on, d’un sieur Coillon dit Belhumeur, habitant au quartier du Margot, avoit pris un ascendant si étonnant sur l’esprit des nègres, et même sur celui des têtes foibles parmi les blancs, qu’elle leur faisoit croire que les absurdités les plus dégoutantes étoient des faits incontestables.
Sa sorcellerie tendoit surtout à découvrir les macandals des ateliers. Beaucoup de nègres innocens ont été, à son instigation, sacrifiés inhumainement et livrés aux flammes par des imbéciles trop crédules. La rigidité et l’excès du travail avoient-ils conduit quelqu’esclaves au tombeau, on consultoit Kingué ; et Kingué, trouvant du poison partout, faisoit connoître les prétendus coupables.
Pour prouver son sçavoir, elle faisoit certains tours de gibecière qui lui donnoient la réputation la plus étendue.
Elle commença d’abord par exercer sa magie sur le bien de son maitre et sous ses yeux. Elle lui fit connoître les malfaiteurs de son habitation ; et le Sr Belhumeur eut la cruauté de la croire, et de faire périr des malheureux, sans autre forme de procès que le jugement de cette négresse. (Un nègre pourtant eut l’adresse de se rendre tout mutilé auprès du juge du Cap, et de se mettre sous la sauvegarde du Roy et de la justice).
On raconte un tour si grossier qu’elle fit devant son maitre, qu’il est impossible de le croire, à moins d’être convaincu que le Sr Belhumeur fut en démence. Quoiqu’il en soit, le voicy. Une négresse enceinte étoit malade et on la soupçonnoit d’avoir été macandalisée. L’instant d’accoucher arrivé, Kingué se transporte à la cabane de la malade et fait dire à son maitre de s’y rendre. Elle accouche cette négresse, après quelques tranchées préalables ; mais ô merveille ! l’enfant se trouve être une grosse couleuvre morte. Kingué présente aussitôt ce premier nouveau [né] au Sr Belhumeur qui, tout stupéfié, admire l’animal, et croit qu’il n’i a plus à douter que ce phénomène ne provienne effectivement d’un poison qu’une nouvelle Circé a donné à la mère et à l’enfant.
Un autre fait, qui n’est pas apocryphe, et qui est connu de tout Plaisance, prouvera autant que le premier, comment une tête foible peut être abusée. Le commandant de ce quartier, ami de Belhumeur et très digne de l’être, étoit depuis quelque tems indisposé de suite de son intempérance, et il se croioit empoisonné. Il attira cette négresse sur son habitation, et lui fit part de ses soupçons. Elle vit un nouvel illuminé, et elle se prépara à en tirer le parti le plus avantageux. Elle confirma le soupçon de ce riche commandant. Elle lui dit qu’en effet, on lui avoit fait passer au poison, mais que ce poison n’étoit que de l’espèce à le rendre bon, qu’il ne courroit aucun danger en le prévenant, et qu’elle alloit lui extirper tout le venin. Après tous les préparatifs du grand-œuvre, elle lui tira un crapaud du crâne ; il se sentit un peu soulagé. Elle lui en tira un second de son côté ; et il parut guéri.
Cet homme émerveillé ne put plus alors se passer de cette nouvelle Médée. Dès ce moment, elle fit sa résidence chez lui (du consentement de Belhumeur vraisemblablement). Ce commandant avoit perdu quelques nègres, et attribuoit cette perte au poison. On consulte l’oracle, qui entre toujours dans la passion de son nouvel initié. Il est aussitôt question de découvrir l’auteur ; et Kingué n’est pas embarrassée. Elle se fait conduire précisément dans les cases de coupables ; elle fouille, et son œil de lynx lui fait apercevoir le poison même caché sous terre (que sa main ou celle de son agent avoit placé sans doute).
Il n’en faut pas davantage pour convaincre un visionnaire. On s’empare des malheureux nègres (victimes de la haine de leurs camarades qui avoient payé Kingué) et on les abandonne au tribunal de cette négresse, qui leur fait donner la question et les dévoue aux flammes.
Tels étoient à peu près tous les procédés de Kingué. Cependant ses prodiges, tous absurdes et tout horribles qu’ils étoient, lui avoient acquis une renommée qui s’étendoit dans toute la partie du nord. On l’envoyoit chercher de tous les cotés. Elle savoit tous les secrets des habitations. Elle gagnoit beaucoup d’argent en mettant à contribution tous les simples des différens quartiers. Elle faisoit d’ailleurs des élèves, qui étoient sans cesse à l’affux de tout ce qui se passoit dans les ateliers. Elle vendoit des gardes de corps dix et douze gourdes, et elle n’en avoit pas pour les demandeurs. Tout Plaisance portoit un garde de corps, comme on porte un saint suaire.
Le vulgaire, toujours susceptible du merveilleux et du nouveau, saisissoit avec avidité tout ce qu’on racontoit d’elle et tout ce qui lui paroissoit extraordinaire. Chacun vouloit consulter son expérience. Enfin, le fanatisme à son égard étoit devenu à un point que les plus grands désordres alloient naître dans les ateliers, si le ministère public en chef n’en n’eut à propos arrêté le cours, en faisant décréter et arrêter la sorcière.
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- 2 Pluchon 1987 : chap. 7.
- 3 Pluchon 1987 : 223-230 ; Weaver 2006 : 76-97.
- 4 Fonds François de Neufchâteau (AN, 27 AP 12, dossier 2).
1Depuis le milieu du xviiie siècle et l’affaire Macandal, la riche colonie esclavagiste de Saint-Domingue est profondément marquée par la peur de l’empoisonnement. Exécuté le 20 janvier 1758, cet esclave avait été reconnu coupable d’avoir pris la tête pendant des années d’un vaste réseau d’esclaves empoisonneurs souhaitant faire périr les blancs2. Cette angoisse joue dès lors un rôle majeur dans les relations entre libres et esclaves, alors même que s’affirme aussi la fascination pour le vaudou et les pratiques surnaturelles des esclaves. Femme esclave, Marie Kingué est présentée par les historiens comme une guérisseuse ou une sorcière exerçant un fort ascendant sur les esclaves, les libres de couleur et les blancs, à travers son activité, qui relève à la fois du soin et du vaudou selon Pierre Pluchon3. Décrite comme une femme de nation Congo, d’environ trente-six à quarante ans, marquée de cicatrices au visage, qui soigne les maléfices, découvre les empoisonneurs, vend des talismans et, lorsqu’elle entre en transe, prend une voix d’homme. Elle agit dans le quartier du Limbé, dans la partie nord de la colonie française de Saint-Domingue, dans les terres, à Plaisance et au Borgne, mais aussi dans la paroisse côtière de Port-Magot, premier lieu d’installation des Français dans l’île, en 1640, à proximité du Cap-Français. Ses activités sont renseignées par des rapports qui la dénoncent, en septembre 1785, aux autorités royales. Ils sont conservés dans les archives privées de François de Neufchâteau, procureur général du Conseil supérieur du Cap, aujourd’hui versées aux Archives nationales, à Pierrefitte4. Ces rapports témoignent du danger que représente, selon les magistrats, le pouvoir que cette femme esclave exerce sur d’autres esclaves et des libres de couleur, mais surtout sur des hommes blancs. Cette figure subversive, à travers ces descriptions critiques, offre un éclairage original sur la complexité des rapports de genre et de race dans la Caraïbe française du xviiie siècle. Guérisseuse et sorcière, cette esclave exerce un très fort ascendant sur des planteurs et des gérants de plantations, qui font brûler ou fouetter plusieurs de leurs esclaves qu’elle leur dit être empoisonneurs. Ce dossier témoigne donc de ses pratiques de soin et de sorcellerie, mais aussi de son influence dans la société coloniale et des délicats efforts entrepris pour la faire arrêter.
- 5 Weaver 2002 : 429-460.
- 6 Le serpent fait d’ailleurs partie du culte vaudou à Saint-Domingue voir Pluchon 1987 : 107.
- 7 Moreau de Saint-Méry Louis-Élie, Description topographique, physique, civile, politique et histor (...)
- 8 Pluchon 1987 : 59-60 ; « Extrait d’une déclaration faite par le Sr Gressier de la Jalousière, hab (...)
2Tout d’abord, les agissements de Marie Kingué, tels qu’ils sont portés à la connaissance de la justice, allient guérison et purification surnaturelle. Accoucheuse et guérisseuse, elle exerce le rôle d’hospitalière, dévolu à des femmes esclaves, âgées, chargées dans les plantations, aux côtés du chirurgien, de soigner les esclaves5. Mais son activité dépasse l’accompagnement des malades, puisqu’elle assume aussi un rôle de protectrice contre les poisons et les maléfices, que ses détracteurs dénoncent comme supercherie et charlatanisme. Ainsi, elle délivre le commandant du quartier de Plaisance, Chailleau, de douleurs, le guérissant en extrayant de sa tête un crapaud, et fait accoucher une femme ensorcelée, d’un serpent6. Elle fabrique et vend des talismans, ou « garde-corps » : ces fétiches, de bois ou pierre, qui représentent des figures animales ou humaines, sont utilisés pour se protéger de maléfices7. De même, les « macandals » désignent des talismans formés de petits paquets d’objets mouillés d’eau bénite et considérés comme sacrilèges8. Pour les fabriquer, elle tombe sous le coup de l’article 2 de l’arrêt du Conseil supérieur du Cap, rendu le 7 avril 1758, qui interdit la fabrication et l’usage de tels talismans, à la suite de la condamnation à mort de Macandal, le 20 janvier précédent.
3Marie Kingué pratique aussi une autre activité illicite, la divination en matière d’empoisonnement. Elle utilise ses dons de divination pour identifier les empoisonneurs et retrouver les poisons, répondant ainsi à la peur collective du poison : ce dossier montre ainsi que cette angoisse, propre aux planteurs, touche aussi les esclaves. Pour les auteurs des différents rapports, il s’agit d’une supercherie, moyen utile pour certains esclaves de se débarrasser de leurs ennemis en payant Marie Kingué pour qu’elle désigne ces derniers comme empoisonneurs. Ces coupables, ainsi fabriqués par cette femme, sont ensuite punis par leur maître ou son agent, au bûcher ou au fouet. De telles pratiques, qui dépassent largement le droit de correction prévu par le Code noir, sont condamnées par l’administration royale dès les années 1720, qui interdit aux propriétaires d’esclave de se faire justice en cas de soupçon de sorcellerie9.
- 10 Pluchon 1987 : 90, « cette espèce de magnétisme qui porte ceux qui sont réunis à danser jusqu’à l (...)
- 11 Edelman 1995 : 17 sq, 21-22.
- 12 Arrêt de la cour qui défend aux gens de couleur l’exercice du magnétisme & renouvelle les défense (...)
- 13 Les assemblées nocturnes d’esclaves de la Marmelade, en 1786 sont aussi connues par les archives (...)
4Enfin, Marie Kingué se plonge dans des transes, lors desquelles, affaiblie, elle adopte d’autres voix, dont l’une masculine. Si ses détracteurs voient là une supercherie, son activité de médium fait partie de son succès, à une période d’engouement pour des pratiques à la fois curatives et spirituelles mettant en jeu des femmes. Moreau de Saint-Méry, évoquant les « danses » d’esclaves, utilise le terme de magnétisme pour désigner les transes10. Ce terme renvoie au magnétisme animal, diffusé à Saint-Domingue peu avant l’affaire Kingué, à partir du séjour du comte et de la comtesse de Puységur en juin 1784. Puységur organise des séances de guérison à l’hôpital de la Providence, au Cap-Français, grâce au baquet magnétisé inventé par Mesmer. Son frère découvre alors le somnambulisme magnétique, rebaptisé hypnose au cours du xixe siècle, une pratique qu’il emploie comme moyen thérapeutique, surtout sur des femmes, dont Jeanne Rochette11. Ces pratiques venues d’Europe, influencent peut-être les transes de Marie Kingué, ou, du moins, leur réception par les Blancs. De fait, la diffusion du magnétisme animal touche aussi les libres de couleur et les esclaves de Saint-Domingue, qui l’associent à d’autres pratiques. En témoigne aussi l’interdiction pour les esclaves de l’usage du magnétisme, par l’arrêt du Conseil du Cap du 16 mai 1786, qui constate que cette pratique, « par l’indiscrétion des Blancs, a pénétré parmi les Noirs & répandu dans leurs esprits, naturellement disposés aux superstitions & à l’enthousiasme, un levain dont l’effervescence devient digne d’attention »12. Contrairement à ces réunions nocturnes d’esclaves hors du regard des Blancs, l’affaire Marie Kingué traverse les barrières de race13. Son immense autorité s’exerce à la fois sur les esclaves, qui respectent ses dons de guérison et de voyance, jusqu’à la considérer « comme un Dieu », douée du pouvoir de ressusciter les morts, et à voler pour la payer, et sur des Blancs qui lui accordent une confiance aveugle, au point de sacrifier des vies humaines.
5Son maître, Belle-Humeur, fait tuer et vendre plusieurs esclaves sur ses dires, « sans autre forme de procès que le jugement de cette négresse ». Juridiction et sorcellerie s’entremêlent dans cette affaire, qui témoigne de maîtres renonçant à leur souveraineté domestique pour la déléguer à une femme esclave, ce qui constitue une véritable distorsion de la hiérarchie sociale.
6Ses activités de soin, de divination et de sorcellerie, variées, assurent à Marie Kingué une véritable autorité morale dans la société coloniale. Elles suscitent les critiques des détracteurs du magnétisme et de pratiques curatives et magiques qu’ils considèrent comme des escroqueries, fondée sur la crédulité d’habitants trop confiants dans des esclaves forcément hostiles à l’ordre colonial qu’ils incarnent.
- 14 Pluchon 1987 : 214.
- 15 Ibid. : 108.
7Le rayonnement de cette femme apparaît donc exceptionnel, la rapprochant d’autres descriptions de cérémonies d’esclaves, qui comportent deux acteurs principaux, une femme et un homme. Ainsi, le juge Courtin évoque une « grande sorcière », qui se charge de conférer des pouvoirs aux talismans qu’elle distribue ensuite à l’assemblée réunie autour d’elle, tout en étant accompagnée d’un « grand sorcier » qui chante, et anime des danses et des transes collectives14. Malenfant évoque dans ses mémoires sa tolérance envers une « grande prêtresse du vaudou, et un Noir, grand chef : je n’ai jamais voulu les dénoncer ; ils eussent été pendus ou brûlés de suite »15. Par contraste avec de telles cérémonies dirigées à deux, dans ce dossier, le partage des rôles est très inégal : les rapports mentionnent un homme, l’esclave Polidor, qui travaille avec elle, mais ne font que le mentionner : la dénonciation est à la fois de race et de genre, celle d’une femme esclave qui bouscule les hiérarchies sociales par sa puissance.
8Les réseaux de Marie Kingué s’étendent dans la partie nord de l’île, surtout sur le quartier du Limbé. Son statut est flou : esclave du sieur Belle-Humeur, ou peut-être d’une libre de couleur vivant chez lui, au Port-Margot, elle verse à son maître un salaire tout en vivant ailleurs, chez Chailleau, le commandant de milice du quartier du Limbé, à Plaisance. L’une des accusations portées contre elle est celle de « vagabondage », d’autant qu’elle agit dans plusieurs paroisses où elle se déplace librement, pour se rendre sur les habitations où elle est consultée. Les rapports mentionnant nommément au moins quatre planteurs l’ayant sollicitée pour rechercher des empoisonneurs sur leur habitation. Elle adopte des comportements de Blanc, puisqu’elle se déplace librement, en voiture, et n’hésite pas à entrer en conflit ouvert avec ceux qui ne suivent pas ses dénonciations.
- 16 L’affaire n’est pas mentionnée dans le recueil d’arrêts conservés à partir de novembre 1786 [ANOM (...)
9Les difficultés à l’appréhender sont aussi un signe de son autorité dans le quartier du Limbé. En effet, elle est d’abord dénoncée par une lettre anonyme du 3 septembre 1785, dont l’auteur se dit dans une position trop fragile pour porter plainte publiquement, la centaine d’esclaves de son habitation lui étant acquis de même qu’une partie de ses voisins. Il évoque l’impuissance du gérant Pidoux, qui a tenté de l’arrêter : elle l’a mordu publiquement et les esclaves placés sous son autorité l’ont laissée partir, ayant peur d’elle plus que de lui. Plus grave encore que cette impunité est le soutien que lui accorde le commandant de quartier, Chailleau, chez qui elle réside. Suite à cette lettre anonyme, le procureur général du roi demande un rapport à Demay, à Plaisance, qui lui parvient le 17 novembre et confirme la première dénonciation. Il rappelle aussi que plusieurs démarches antérieures ont déjà été engagées, mais en vain. La plainte d’un esclave mutilé auprès du juge du Cap a permis en mai de porter une première fois ses agissements à l’attention des autorités. Le propriétaire de Marie Kingué, Belhumeur, a été convoqué chez le sénéchal du Cap : s’étant engagé de faire cesser « les désordres » que cette femme cause sur son habitation, il a préféré l’envoyer sur une autre habitation pour la protéger. Almeida de Suarez, substitut du procureur à Plaisance, envoie à son tour un rapport à partir de ces dénonciations privées. Il recommande de la faire arrêter, tout en restant très sceptique sur la capacité de la maréchaussée de Plaisance, six hommes, à cause de l’ampleur de ses soutiens locaux. Il propose que soit envoyée une troupe depuis le Cap-Français. Le dernier rapport est rédigé par François de Neufchâteau : il s’agit de justifier la décision de l’arrêter, de résumer l’affaire aux magistrats, et de dresser une liste de témoins, blancs, libres de couleur et esclaves, susceptibles de témoigner contre elle. Pour autant, il n’est pas sûr qu’elle ait véritablement été portée devant les juges, aucun autre document n’attestant de sa condamnation, les registres du Conseil supérieur du Cap pour cette période ayant été détruits16.
- 17 « Extrait d’une déclaration… » 1929 : 73-74.
- 18 Il est élu le 1er mai 1785, c’est-à-dire au moment où Marie Kingué est dénoncée une première fois (...)
- 19 Pluchon 1987 : 223-230.
10Le réquisitoire de Neufchâteau, prononcé l’année suivante dans l’affaire des assemblées nocturnes d’esclaves à la Marmelade, lui aussi conservé dans ses archives personnelles, témoigne cependant de condamnations rigoureuses, à la même période, pour des activités jugées superstitieuses. S’il qualifie d’escroquerie et de charlatanisme ces pratiques, il dénonce aussi la mobilité non approuvée des esclaves et le risque que représentent pour les Blancs ces réunions non autorisées, lors desquelles les esclaves prônent l’indépendance17. Il invoque l’arrêt du 7 avril 1758, qui interdit aux esclaves les « assemblées et cérémonies superstitieuses » à la suite d’un décès (art. 1), la vente de talismans (art. 2) et les attroupements (art. 4, qui reprend l’art. 16 du Code noir de 1685). Membre honoraire du Cercle des Philadelphes, fondé le 15 août 1784, en réaction au développement du magnétisme animal, François de Neufchâteau représente ainsi un mouvement rationaliste hostile au désordre social causé par la superstition dans les colonies18. Cependant, si cette affaire a été analysée en termes de « macandalisme » ou de sorcellerie vaudou, elle peut aussi être lue comme une affaire de juridiction et d’atteinte à la souveraineté royale, par usurpation du droit de punir19.
11Le succès de Marie Kingué subvertit les hiérarchies de race et de genre, mine l’ordre colonial et suscite l’hostilité manifeste des officiers royaux. Elle révèle la complexité des rapports sociaux, d’une part entre des esclaves qui ne sont pas forcément solidaires entre eux, et surtout la possibilité que des hommes blancs s’appuient sur une femme esclave, plutôt que sur les agents royaux, pour mettre en œuvre sur leurs plantations des rituels punitifs d’une extrême violence.