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CLIO a lu

Joshua S. GOLDSTEIN, War and Gender. How Gender Shapes the War System and Vice Versa, Cambridge, Cambridge University Press, 2001, 523 p.

Bruno Benvindo
p. 271-273

Texte intégral

1Pourquoi faire la guerre est-il dans l’immense majorité des cultures et à toutes les époques une activité exclusivement masculine ? Comment expliquer que de nombreuses sociétés aient préféré périr plutôt que d’appeler leurs femmes à combattre sur le champ de bataille ? Ces questions sont au coeur d’un ouvrage particulièrement ambitieux qui tente de repenser les rapports entre le genre et la guerre, en s’appuyant sur les acquis de disciplines aussi diverses que la biologie, l’anthropologie, la psychologie, la sociologie, la science politique et l’histoire.

2Goldstein part du constat que les rôles attribués aux hommes et aux femmes dans les guerres sont très similaires dans toutes les cultures, alors que si on les analyse séparément, les guerres comme les relations de genre prennent des formes extrêmement diverses dans ces sociétés. Pour tenter de résoudre cette énigme qu’est l’« universal gendering of war » (p. 10), l’auteur émet une série d’hypothèses. S’appuyant sur les travaux historiques, il démontre que lorsque les femmes participent aux opérations militaires, elles sont aussi « efficaces » que les hommes. Leur presque totale exclusion des armées ne peut donc s’expliquer par un manque de capacités. Ceci est confirmé par l’analyse des différences biologiques entre hommes et femmes. Si des différences de taille et de force existent en moyenne, l’auteur souligne qu’elles sont trop faibles pour justifier à elles seules les catégorisations fixes et absolues que subit le genre dans les guerres.

3L’explication centrale réside dans la culture : les normes culturelles de la masculinité incitent les hommes à se battre pour prouver leur virilité dans de très nombreuses sociétés. En liant masculinité et activité guerrière, elles confèrent aux hommes le statut exclusif de combattants et cantonnent les femmes dans des rôles d’auxiliaires. La division sexuée de la guerre résulte donc d’une combinaison de facteurs, d’où émergent deux causes principales : d’abord des différences biologiques mineures entre hommes et femmes et surtout la construction culturelle d’hommes « courageux » et prêts à se battre, d’autre part. Ce dernier facteur transforme des « tendances biologiques en impératifs historiques » (p. 406).

4La principale qualité de cet ouvrage réside dans son caractère réellement interdisciplinaire. L’auteur jongle avec les acquis de différentes disciplines et n’hésite pas à croiser des travaux empiriques très disparates avec des réflexions théoriques globales. La bibliographie, de plus de 65 pages, est tentaculaire. Ce travail de grande ampleur décloisonne brillamment les disciplines mais, revers de la médaille, ne constitue pas à proprement parler une recherche originale car Goldstein n’a travaillé sur aucune source directe. Il s’agit d’une synthèse, ce qui explique que tout, loin de là, n’apparaîtra pas novateur aux spécialistes du genre. Le propos est en outre parfois dilué dans une surabondance de détails qui font perdre le fil au lecteur. On a par exemple du mal à comprendre en quoi les comportements des cichlidés, une espèce de poissons d’eau douce sur lequel l’auteur s’attarde, éclairent le sujet.

5Son approche pose un problème plus sérieux. « Les cultures utilisent le genre pour élaborer des rôles sociaux permettant la guerre » (p. 251). Mais où sont les agents ? Goldstein accorde beaucoup d’attention aux cultures mais passe sous silence les acteurs et institutions qui forgent ces cultures, les reproduisent et les modifient. Sous sa plume, les cultures deviennent des données. Cette invisibilisation des agents revient à faire abstraction de l’histoire, à nier les luttes sociales dont la définition des normes n’est jamais que le résultat. Cela empêche aussi de penser tout changement puisqu’il n’y a pas d’institutions et d’acteurs qui seraient susceptibles d’être modifiés. En soulignant avec raison que ce sont avant tout les cultures (plus que la biologie) qui excluent presque systématiquement les femmes des champs de bataille, l’auteur ne fait que déplacer le problème. Sa question initiale était : pourquoi les combattants sont-ils exclusivement des hommes dans presque toutes les cultures ? En refermant ce livre, on se demande toujours pourquoi la plupart des cultures encouragent-elles les hommes à combattre et à considérer la guerre comme un test de virilité. Goldstein, qui a le mérite d’accorder à la biologie sa juste place, reste étrangement muet sur ce point.

6Ce livre n’en reste pas moins une excellente synthèse qui ouvre des perspectives sur un sujet relativement neuf : l’identité masculine. S’appuyant très largement sur la littérature féministe, Goldstein livre ici une contribution importante sur la masculinité. Il démontre ainsi, si besoin en était, tout l’intérêt qu’ont les historien(ne)s du genre à se pencher autant sur les hommes que les femmes.

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Pour citer cet article

Référence papier

Bruno Benvindo, « Joshua S. GOLDSTEIN, War and Gender. How Gender Shapes the War System and Vice Versa, Cambridge, Cambridge University Press, 2001, 523 p. »Clio, 20 | 2004, 271-273.

Référence électronique

Bruno Benvindo, « Joshua S. GOLDSTEIN, War and Gender. How Gender Shapes the War System and Vice Versa, Cambridge, Cambridge University Press, 2001, 523 p. »Clio [En ligne], 20 | 2004, mis en ligne le 06 juin 2005, consulté le 06 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/1423 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.1423

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