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Les matrones romaines, gardiennes de la mémoire. L’annonce de la défaite de Trasimène

Roman matronae, guardians of memory: the announcement of the defeat of Trasimeno
Anne Kubler
p. 249-266

Résumés

L’annonce à Rome de la défaite de l’armée romaine face à Hannibal au lac Trasimène (217 av. J.-C.) déclenche une forte émotion collective. Un passage de l’épopée des Punica de Silius Italicus, un auteur de la fin du ier siècle, rapporte notamment cet épisode. Le personnage de Marcia, incarnation de l’idéal de la matrone romaine, évoque la mémoire de son défunt époux, le héros de la première guerre punique, Régulus. Elle tient un rôle de médiatrice et permet, par son deuil, de transformer la « mort tragique » de Régulus en souvenir apaisé. Par le deuil collectif des soldats morts sur le champ de bataille, la société romaine reconnaît aux matrones une fonction « politique » : celle d’expulser, par leurs pleurs et leurs lamentations, la mort et l’émotion de la cité et d’assurer la transmission du souvenir des disparus, gage de la pérennité de la cité.

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Texte intégral

  • 1 Plutarque l’atteste fort bien quand il compare l’annonce de la défaite romaine faite par le préte (...)
  • 2 Tite-Live, Histoire romaine, xxii, 7,11 : ad portas maior prope mulierum quam uirorum multitudo s (...)
  • 3 Bonnefond-Coudry 1989 : 753-793.
  • 4 Hillard 1983 : 6-9.
  • 5 Voir Loraux 1990 : 19-22.
  • 6 Tite-Live, Histoire romaine, xxii, 7, 7 : Matronae uagae per uias, quae repens clades allata quae (...)
  • 7 Est matrone la femme que le mariage destine à l’enfantement en lui donnant ce nom, qui lui reste (...)
  • 8 Loraux 1990 : 50-53.
  • 9 Ibid. : 17.
  • 10 Pour l’Antiquité, voir en particulier Hartmann 2007.
  • 11 Voir en particulier Thomas 1991.
  • 12 Chatelard 2016 : 24.
  • 13 Nous reprenons notre définition du « civisme » à Chatelard 2016 : 43.
  • 14 Voir aussi Loraux 1990 : 57-58.

1En 217 avant J.-C. se produit un épisode militaire fameux de la deuxième guerre punique, le conflit le plus mémorable de l’histoire de la République romaine qui vit Romains et Carthaginois aux prises pendant seize ans (218-202 av. J.-C.). Alors que Romains et Carthaginois s’affrontent depuis près d’une année sur le sol italien, le consul Flaminius est victime d’une embuscade dressée par le général punique Hannibal au lac Trasimène. L’annonce à Rome de la défaite de l’armée romaine et de la mort du consul sur le champ de bataille suscite une forte émotion populaire1. Dans le récit de Tite-Live, elle provoque une sorte de régression collective : en introduisant la passion, le páthos, au sein de la cité, l’annonce du désastre militaire du lac Trasimène transforme le peuple (populus), élément de stabilité de la cité, en une foule inorganisée et désordonnée (multitudo), où se mêlent presque plus de femmes (mulieres) que d’hommes (uiri)2. Face à la foule, en proie à l’émotion collective, s’oppose la sagesse du Sénat, symbole du consilium. Dans les sources grecques et romaines relatives à l’annonce de la défaite de Trasimène, le Sénat remplit sa fonction de guide de la communauté civique3. Cependant, si la prise de décision reste l’apanage du Sénat, face au doute, au malaise et à la désorientation des esprits engendrés par la faillite des hommes, les femmes sont exceptionnellement amenées à exercer un rôle que l’on pourrait qualifier de politique à Rome4. En introduisant le páthos dans la cité, l’annonce de la défaite de Trasimène menace l’équilibre politique de la cité et met en avant le rôle des mères en deuil5. Mais les lamentations féminines ne sont pas celles de n’importe quelles femmes : ce sont celles de matrones romaines. Le mot a son importance sous la plume de Tite-Live6, car le mot matronae, terme d’abord juridique, appellation de la femme en son statut de femme mariée7, semble bien impliquer l’intervention quasi officielle d’une partie de la civitas en corps constitué. Le lexique distingue ainsi les femmes (mulieres) des matrones (matronae). Comme l’a justement fait remarquer N. Loraux8, en qualifiant les femmes de matrones, Tite-Live désigne un sujet collectif qui relève d’un tout autre registre que celui de la seule différence des sexes, et donne à l’affaire une dimension avant tout politique. Dans son étude, N. Loraux cherchait à « comprendre ce qui, dans le champ grec, fait du deuil des mères un enjeu pour la politique telle que la vie en cité la définit »9. L’épisode de l’annonce de la défaite du lac Trasimène permet de reprendre la réflexion entamée par N. Loraux il y a près de trente ans, et de comprendre ce qui, dans le champ spécifiquement romain, fait du deuil des mères un enjeu politique pour la cité. Depuis les années 1970 et l’émergence de l’histoire des femmes puis du genre, de nombreuses études sont parues sur la place des femmes dans la sphère privée (mariage, statut d’épouses, etc.)10. On s’est également intéressé au statut juridique des femmes dans le droit romain, et notamment à leurs incapacités juridiques11. Au-delà des rôles dévolus aux femmes par le droit ou par les mythes, l’historiographie récente questionne la participation des femmes aux affaires de la cité et débat de la pertinence de la notion de « citoyenne romaine  »12. Notre étude s’inscrit pleinement dans ces problématiques en portant la réflexion sur le « civisme » des matrones romaines. Celui-ci est fondé sur une participation volontaire à tout ce qui peut toucher la construction et le devenir de la communauté civique13. Nous nous interrogerons ainsi sur le fait de savoir si le deuil des matrones romaines, mères et épouses, peut être considéré comme une forme de participation à un processus de régénération de la cité, nécessité par le désastre militaire et se déroulant de manière concomittante à la prise de décision effective, où intervient le Sénat. Nous appuierons notre réflexion sur l’analyse de textes littéraires et surtout poétiques. Le poète latin Silius Italicus a en effet consacré un long développement à l’annonce de la défaite du lac Trasimène dans l’épopée qu’il consacra à la deuxième guerre punique, les Punica. Écrite à la fin du ier siècle de notre ère par un ancien consul et proconsul romain, cette épopée historique en dix-sept livres met en scène, au Livre vi, la matrone Marcia, épouse du héros romain mort à la première guerre punique, Régulus. Comme d’autres textes poétiques ou tragiques, les Punica donnent à la figure féminine un nom illustre et une place centrale et permettent, sous l’effet de l’extériorisation de la douleur et des sentiments, d’entrer dans l’intime et les ressorts du deuil social14. Certes, décrite par Silius Italicus, un homme éminent de l’élite politique romaine, la figure de Marcia est une sorte d’archétype féminin. Mais mise en regard avec des extraits issus d’autres contextes narratifs, elle permet de transcender le particulier et de mesurer le « civisme » des matrones romaines. Après avoir bien cerné les enjeux narratifs liés à la figure de Marcia dans les Punica dans une première partie, nous analyserons la représentation et la fonction de son deuil en deuxième partie. Dans une troisième partie enfin, nous élargirons notre propos en confrontant les conclusions partielles relevées à partir du cas particulier de la figure de Marcia dans les Punica à d’autres références littéraires. Nous espérons ainsi mettre en évidence le rôle social du deuil des matrones, mères et épouses, ses formes d’expression et les enjeux collectifs dont il est porteur quant à la participation politique des matrones en tant que « citoyennes » à Rome.

Les personnages de Régulus et de Marcia dans le Livre vi des Punica

La figure exemplaire de Régulus

  • 15 Miniconi & Devallet 1981 : 54, n. 2 à vi, 580.
  • 16 Sur Régulus, cf. Mix 1970 ; Fröhlich 2000.
  • 17 Sur la construction de la figure exemplaire de Régulus, cf. Gendre & Loutsch 2001 : 131-172, en p (...)

2Dans le livre narrant l’annonce de la défaite de Trasimène, Silius traite dans son poème du thème du retour du fils, un soldat rescapé de la bataille de Trasimène, auprès de sa mère à Rome. L’extrait met en scène trois protagonistes : Serranus, le fils, Marcia, la mère et Marus, un ancien soldat qui a recueilli et soigné Serranus, blessé à Trasimène, et le ramène à Rome. Serranus est le fils de Marcus Atilius Régulus, un héros de la première guerre punique, dont les exploits sont racontés à Serranus par Marus, un ancien soldat de son père. Les personnages de Serranus, de Marcia et de Marus sont inventés, comme l’épisode de la mère reconnaissant son fils parmi les blessés revenant de Trasimène15. Au contraire, Régulus est une figure historique emblématique16. Marcus Atilius Régulus avait été élu consul pour la deuxième fois en 256 av. J.‑C. Il avait alors rempli avec son collègue la mission de mener une campagne militaire en Afrique. Bien qu’ayant reçu l’ordre de revenir à Rome à l’hiver 256/255, Régulus poursuivit seul l’expédition militaire. Après avoir défait les Carthaginois, ceux-ci renversèrent la situation militaire, détruisirent presque entièrement l’armée romaine et firent prisonnier Régulus. La suite du destin de Régulus, connue à travers la tradition romaine, est aussi narrée dans les Punica : en l’an 251/250, Régulus aurait été envoyé à Rome par les Carthaginois, dans le cadre soit d’un échange de prisonniers, soit de négociations de paix ; en cas de refus des Romains, il avait été convenu que Régulus retournerait à Carthage. Le Sénat ayant rejeté les propositions puniques, Régulus, fidèle à son serment, retourna à Carthage où il fut supplicié. Le personnage de Régulus est devenu, dès l’époque cicéronienne, un exemplum17. Chez Silius Italicus, il incarne la fides et la patienta (Punica, vi, 131-132 ; 545) ; il se distingue par une rigueur morale exemplaire (Punica, vi, 123-124) et sait affronter les épreuves de la guerre (Punica, vi, 141-260) et les derniers supplices (Punica, vi, 529-550) de manière conforme aux préceptes du stoïcisme. D’après P. Miniconi et G. Devallet, la « geste » de Régulus que Silius a mise dans la bouche de Marus à partir du vers 118, qui se termine juste avant notre extrait et par laquelle il aurait voulu exalter l’héroïsme de Régulus, est « tant bien que mal raccordée au récit de Trasimène ». Mais l’insertion de la « geste » de Régulus dans l’épisode de Trasimène devient cohérente si on la conçoit sous le rapport de la mémoire et du deuil de son épouse, Marcia.

Marcia, une incarnation de la bona matrona

  • 18 Cf. Šterbenc-Erker 2004 : 259-291, en particulier 265 ; Loraux 1990 : 50-54 ; Dupont 1995 : 66-67 (...)
  • 19 Silius Italicus, Punica, vi, 575-576.
  • 20 Silius Italicus, Punica, vi, 577.
  • 21 Augoustakis 2010 : 158.
  • 22 Gardner 1986 : 50-51.
  • 23 Silius Italicus, Punica, vi, 287, 535-536.

3Le rituel du deuil est considéré comme une tâche spécifiquement féminine. Les pratiques et les dimensions symboliques du deuil montrent en effet que les femmes sont en contact avec le monde de la mort, un domaine incompatible avec les devoirs quotidiens des hommes qui consistent à entretenir de bonnes relations avec les dieux célestes18. Dans notre extrait des Punica, c’est Marcia, la mère de Serranus, qui porte ainsi le deuil de son défunt époux. Silius Italicus décrit Marcia comme une femme recluse chez elle depuis la mort de son époux19. Marcia ne souffrait la vie qu’à cause de ses fils20, de sorte qu’elle incarne de manière paroxystique un des aspects de la féminité, à savoir le statut de mère21. En ne vivant que pour ses enfants, elle semble définie par son rôle de mère. Cette attitude de retrait de la vie sociale et de repli sur la sphère domestique et familiale est conforme à l’idéal de la matrone romaine. En outre, Marcia, une fois devenue veuve, ne s’est jamais remariée. Par son refus du remariage, elle incarne un autre aspect de l’idéal de la matrone. Dans la Rome antique, la femme qui ne s’est mariée qu’une seule fois, l’univira, était considérée, selon J. Gardner, comme ayant en quelque sorte accompli l’idéal du mariage22. Enfin, Marcia est une femme qui a partagé le destin de son époux. Marcia qualifie les rudes souffrances qu’elle a éprouvées dans sa vieillesse de supplicia (Punica, vi, 588), terme qui renvoie aux supplices endurés par Régulus à Carthage23 qui constituent l’épisode exemplaire de la vie du héros romain. Ainsi, Marcia incarne le statut de bona materna selon trois aspects complémentaires : l’investissement dans la sphère domestique et familiale, le refus de se remarier et le partage du destin malheureux de son défunt époux.

  • 24 Cf. entre autres, Albrecht 1964 : 65 n. 52 ; Brouwers 1982 : 79 ; Augoustakis 2010 : 164. La figu (...)
  • 25 L’importance accordée à la maternité (Lucain, Pharsale, ii, 338-339) et au devoir d’une épouse qu (...)

4 À travers la figure féminine de Marcia, Silius Italicus, qui compose son épopée sous les Flaviens, projette ainsi dans le passé exemplaire de Rome, les idéaux qu’une matrone romaine est censée incarner à ses yeux. Ces représentations traditionnellement attachées au statut de matrone semblent encore partagées au ier siècle. En effet, le choix même du prénom de Marcia indique que le personnage de Silius Italicus emprunte ses traits à Marcia, la femme de Caton d’Utique, un modèle des valeurs républicaines traditionnelles, dans la Pharsale de Lucain24 ; un parallèle25 qui confirme, s’il en était besoin, l’incarnation par Marcia de l’idéal de la matrone romaine. Cette insistance sur le statut de matrone de Marcia et les valeurs traditionnelles qui lui sont attachées nous paraît significative : elle révèlerait le lien étroit unissant le rituel du deuil, le souvenir des disparus et les matrones.

Marcia face à la mort tragique de son époux

La question de la mémoire et du deuil

  • 26 Silius Italicus, Punica, vi, 575-578.
  • 27 Tite-Live, Histoire romaine, xxii, 7, 13.
  • 28 Silius Italicus, Punica, vi, 582-583.

5À la vue de son fils, Marcia accourt au-devant d’un chagrin semblable à l’ancien26. La différence entre la réaction de Marcia et celle des feminae anonymes chez Tite-Live, dont certaines meurent de joie en voyant leur fils revenir vivant de la défaite de Trasimène27, est remarquable. La ressemblance entre le fils et le père éveille ainsi en elle des souvenirs pénibles et sans doute oubliés. Ce retour douloureux de la mémoire refoulée provoque une forte émotion qui la bouleverse. Silius Italicus décrit le ressenti de Marcia en usant d’un terme signifiant, au sens propre, le « désordre » (turba) : reconnaissant Marus, le fidèle compagnon de son époux, Marcia est dite turbata repente (Punica, vi, 578). Silius semble ainsi vouloir traduire le páthos, qui submerge Marcia et la bouleverse : Marcia se souvient et prie les dieux que les Carthaginois ne renouvellent pas le monstrueux supplice de Régulus28.

Un processus de transformation de « bad death » en « better memorie »

  • 29 Huskinson 2011 : 113-125, en particulier 113 et 115. Pour un développement plus complet de la not (...)

6Dans les commémorations à Rome, les morts sont rappelés en tant qu’individus, voire en tant que peuple, illustrant, par leur vie ou la manière dont ils sont morts, des qualités sociales importantes, qu’il s’agisse de vertus ou de vices. Les « morts tragiques » ou « bad deaths » – pour reprendre l’expression de J. Huskinson – étaient des expériences redoutées, qui devaient être particulièrement pleurées ; il était important que ceux qui avaient péri de manière tragique fussent commémorés, parce que le deuil créait des pratiques positives qui pouvaient en définitive venir contrebalancer le désastre29.

  • 30 Tite-Live, Abrégés 18, 1 ; Valère Maxime, Faits et dits mémorables i, 8, ext. 19 ; Silius Italicu (...)
  • 31 Silius Italicus, Punica, vi, 288.
  • 32 Häussler 1978 : 172, la qualifie de « tragisch-unvermeidlicher Schuld ».
  • 33 Augoustakis 2010 : 182.

7 L’évocation de la mémoire de Régulus par sa veuve, Marcia, incarnation de la bona matrona, pourrait s’interpréter comme un processus de transformation de « bad death » en « better memorie ». En effet, les conditions de la mort, et plus généralement le contexte de l’expédition d’Afrique de Régulus, relèguent son souvenir dans la catégorie des « morts tragiques » dont l’évocation est pénible. Dans son discours, Marcia qualifie le châtiment de Régulus à Carthage de monstra (Punica, vi, 583) : Régulus fut enfermé à l’intérieur d’une cage munie de pointes aiguës qui transperçaient son corps (Punica, vi, 539-544). Comme l’a noté A. Augoustakis, hormis la justesse de l’emploi du terme de monstra pour définir le supplice de Régulus, le mot fait également allusion à la mise à mort, par Régulus, d’un serpent en Lybie. L’exploit le plus fameux de Régulus durant son expédition d’Afrique est en effet la mise à mort d’un gigantesque serpent sur les rives du Bagrada30. Or, en faisant tuer le serpent, serviteur (famulus) des Naïades31, Régulus commet un sacrilège. Cette faute32, véritable transgression des frontières entre le sacré et le profane, est tenue par le poète pour la cause de la mort du général à Carthage33. Les deux événements, la mise à mort du serpent et la mort de Régulus, apparaissent ainsi liés par une même désignation – l’emploi du terme de monstra – et un mode opératoire identique, puisque le serpent meurt également transpercé de lances (Punica, vi, 273-278).

  • 34 Silius Italicus, Punica, vi, 584-587.
  • 35 Polybe, Histoires, i, 29-35 ; Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, xxiii, fr. 11-16. Voir (...)

8 Au-delà de la manière particulièrement horrible dont Régulus est mort, c’est son commandement en Afrique qui paraît problématique. S’adressant à Serranus, Marcia lui rappelle combien de fois elle l’a prié de ne pas imiter la fougue (ira) et la fureur (animus) de son père au combat, qui ont entraîné Régulus à sa perte34 : c’est bien l’ira qui a perdu Régulus puisque, par son intransigeance, il a incité les Carthaginois, enclins à négocier la paix après leurs premières défaites, à poursuivre la guerre. L’expédition de Régulus en Afrique a d’ailleurs été jugée de manière critique par une certaine tradition historiographique, représentée par Polybe et Diodore de Sicile. Ces deux historiens soulignent les échecs, les fautes et les faiblesses du commandement romain sous Régulus35.

  • 36 L’injonction de Marcia renvoie au topos de la mère tentant vainement par ses prières de tenir son (...)

9 Ainsi, s’il faut certes faire la part des motifs attendus propres au genre épique36, la mémoire du héros romain de la première guerre punique, Régulus, peut être qualifiée de « tragique » par la manière particulièrement cruelle dont il est mort, et les erreurs qu’il a commises durant son commandement en Afrique ; elle justifierait le processus de transformation du souvenir de Régulus de « bad death » en « better memorie », opéré par Marcia dans les Punica. L’exemple de la figure de Marcia nous paraît révélatrice du rôle des matrones dans les rituels de deuil collectif et les processus de régénération de la cité suite aux désastres militaires. En effet, à travers l’extériorisation des sentiments, le poème historique met en évidence des ressorts sociaux, attestés également dans d’autres textes narratifs.

Le culte du souvenir et le rôle des matrones romaines

La fonction du deuil des matrones

  • 37 Augoustakis 2010 : 158.
  • 38 Cette fonction sociale peut être considérée comme une fonction politique si l’on entend par ce te (...)
  • 39 Margaret Alexiou a bien montré que les lamentations et les gestes de deuil en Grèce ancienne sont (...)

10L’importance du personnage féminin de Marcia et sa place centrale dans le poème a été soulignée par A. Augoustakis. Selon lui, la « présence subversive » de Marcia nuance l’incarnation exemplaire par Régulus des valeurs stoïques de fides et de uirtus37. Or, Marcia est l’incarnation féminine d’un modèle exemplaire, celui de la matrone romaine. Sa place dans le poème, à l’épisode relatant l’annonce à Rome de la défaite du lac Trasimène, met en scène, en réalité, une fonction « politique » au sens large38 des matrones, qui en tant qu’épouses et mères de soldats morts au combat ont pour charge d’expulser, par leurs pleurs et leurs lamentations, la mort et l’émotion de la cité d’une part, et d’assurer la transmission du souvenir des disparus et ainsi de garantir la pérennité de la cité d’autre part39. Ce rôle des matrones relève du politique, parce qu’il est caractéristique du processus de régénération et de reconstruction de la société qui s’opère simultanément, lors d’une défaite militaire, à la prise de décision relevant de la sphère de compétence des hommes.

  • 40 Boëls-Janssen 2008 : 249.
  • 41 Silius Italicus, Punica, vi, 560-563.
  • 42 Boëls-Janssen 1993 : 266-268. Sur la valeur magique de la comploratio féminine, cf. Gagé 1963 : 1 (...)
  • 43 Boëls-Janssen 1993 : 267. Sur le luctus matronarum, cf. Gagé 1963 : 104-106.
  • 44 Les matrones, du fait de leur pouvoir féminin de porter le deuil, peuvent représenter pour les au (...)

11 Sur le rôle des matrones dans l’expulsion hors de la cité de l’émotion collective et de la mort, N. Boëls-Janssen a montré que la présence féminine était indispensable dans les cérémonies funèbres. Les cheveux épars, en vêtements de deuil, elles se lamentaient bruyamment, se frappaient la poitrine ou même se déchiraient les joues40. La même scène est décrite dans les Punica et précède de quelques vers l’apparition de Marcia41. Les pleurs des femmes étaient inséparables des rites funéraires et la comploratio féminine avait une valeur magique, sans doute apotropaïque42. Celle-ci explique sans doute le fait que le luctus matronarum accompagne nécessairement deuils collectifs ou désastres publics43. C’est précisément à un luctus matronarum que la scène décrite par Silius Italicus (Punica, vi, 560-573) fait référence : l’expression collective du chagrin des matrones, leurs pleurs et leurs cris ont pour fonction de libérer la cité de l’émotion qui s’est emparée de la communauté à l’annonce de la défaite de l’armée romaine, et du deuil qui la frappe44. Mais à côté de la fonction purement apotropaïque, le statut de matrone de ces femmes témoigne du civisme dont elles font preuve en tant que gardiennes de la mémoire collective.

Un rôle de médiatrices

  • 45 Augoustakis 2010 : 158.
  • 46 Ibid. : 173 ; pour Häussler 1978 : 175, « Das ist der Sinn des 6. Buches: Verheißung aus Erinneru (...)
  • 47 Augoustakis 2010 : 157.
  • 48 Ibid. : 158-159.
  • 49 Ibid. : 158-159 et 193.
  • 50 Silius Italicus, Punica, vi, 584.
  • 51 Sur les trois discours de Marcia dans les Punica, cf. Silius Italicus, Punica, vi, 437-449 ; 500- (...)
  • 52 Loraux 1990 : 31-33. Voir Plutarque, Coriolan, 1, 2-6 ; 4, 5-7.

12Silius établit, à travers ses trois protagonistes, Marcia, Serranus et Marus, une sorte de continuité historique entre la première et la deuxième guerre punique. Le récit du vieux Marus établit un lien entre la première guerre punique et le hic et nunc de la défaite de Trasimène45. Le jeune soldat Serranus, destinataire du récit, est instruit par Marus : l’ancien compagnon de son père lui raconte, par un procédé de flash-back, l’histoire des exploits héroïques de Régulus en Afrique et à Rome46. À travers les préceptes d’un vieil homme, c’est la continuité générationnelle qui est de la sorte assurée47. Pour A. Augoustakis, le discours de Marcia intervient comme une antithèse au récit de Marus48. En voulant écarter son fils du modèle paternel par la production d’un portrait subversif des exploits de son époux49, Marcia briserait la chaîne des générations. Or, selon nous, le personnage de Marcia assume un rôle identique de transmission envers le fils, Serranus. Mais tandis que Marus, en qualité de senex, l’assumerait dans un domaine réservé aux hommes, à savoir l’éducation et la transmission de la uirtus militaire, faite par le biais du récit des exploits de Régulus, Marcia assumerait ce rôle dans une sphère dévolue traditionnellement aux mères par la société romaine, à savoir celle du culte du souvenir. C’est également à Serranus que s’adresse le dernier discours de Marcia50 – le seul des trois discours qu’elle tient de vive voix et non à travers les paroles que lui attribue Marus au cours de son récit51. Aussi la parole féminine de Marcia remplit-elle la même fonction sociale que le récit de Marus, à savoir l’instruction de la jeune génération. On rejoint ainsi l’opposition « éducation » (paideía) paternelle et « nourriture » (trophḗ) maternelle, soulignée par N. Loraux à l’exemple de l’épisode de Coriolan relaté par Plutarque52.

13 Mais cette transmission apparaît problématique dans le poème des Punica. D’une part, la succession des générations est menacée suite à la défaite des Romains au lac Trasimène. Serranus l’exprime clairement dans la plainte qu’il adresse aux dieux :

  • 53 D’après la traduction de P. Miniconi et G. Devallet, CUF, 1981, p. 36, de Silius Italicus, Punica(...)

Eh bien, où êtes-vous, cette fois encore, dieux
d’en haut ? Régulus offre au glaive sa poitrine
et le rejeton d’une aussi noble maison est, en
pleine croissance, tranché par Carthage la
parjure.53

  • 54 Comme l’analyse de façon pertinente Polybe, les grands hommes de la République sont rappelés à la (...)
  • 55 Voir à ce propos Salluste, Jugurtha, 4, 5-6.
  • 56 Hope 2009 : 35.
  • 57 Ce rappel des faits glorieux des ancêtres se fait notamment à travers l’exhibition des portraits (...)

14Avec la mort des soldats sur le champ de bataille, c’est la transmission du père au fils qui est rompue. Or si la chaîne des générations est rompue, la transmission des valeurs ancestrales et de la mémoire des ancêtres n’est alors plus assurée. L’oubli des exploits et des grandes figures de la gens, comme ceux des grands hommes de l’histoire romaine menace l’identité même de Rome54. La perte du souvenir entraîne celle des valeurs qui sont attachées aux exempla, et par suite celle de l’identité de la communauté tout entière. Le drame familial qui se déroule dans la gens Atilia entre Marcia, Marus et Serranus illustre en réalité un enjeu collectif pour la cité tout entière. Car c’est au sein de la famille que s’enracinent les notions de gloire et de réputation (fama) pour lesquelles les membres de l’aristocratie entraient en compétition55. Ainsi, au centre de cette véritable lutte contre l’oubli56, il y a la famille qui veille à la mémoire de ses membres, au sein de laquelle se transmet aux jeunes générations le souvenir des ancêtres prestigieux et de leurs exploits57.

Le rôle des matrones comme gardiennes de la mémoire

15La société reconnaît aux matrones une fonction que l’on pourrait qualifier de politique : celle de lutter contre l’oubli et la perte du souvenir, dont on a vu l’enjeu pour la communauté romaine. En qualité de custos domi, les femmes assument ce rôle de gardiennes de la mémoire à la fois sur le plan familial, en commémorant la mémoire de l’époux et père décédé, et sur le plan collectif, en participant de manière collective aux deuils, quand elles rappellent par leurs lamentations et leurs cris le souvenir des soldats morts sur le champ de bataille.

  • 58 Plutarque, Coriolan, 39, 10 (trad. R. Flacelière et É. Chambry), CUF, 1969, p. 217.
  • 59 Plutarque, Publicola, 23, 4 (trad. R. Flacelière, É. Chambry et M. Juneaux), CUF, 1968, p. 85.
  • 60 Denys d’Halicarnasse remarque que les femmes des Romains (γυναῖκες αὐτῶν) ont pris le deuil dura (...)

16 Ainsi, à la mort de Coriolan, autre héros de l’histoire romaine, c’est à la demande des femmes (γυναιξὶν), que les Romains leur permettent d’en porter le deuil pendant dix mois, « comme elles avaient coutume de le faire chacune pour un père, un fils ou un frère », nous précise Plutarque58. Par ailleurs, tandis que le peuple (δῆμος) décrète que Publicola serait enterré aux frais du public, les femmes (γυναῖκες) s’entendent entre elles de leur côté « pour porter son deuil pendant une année entière, lui rendant ainsi un honneur enviable »59. Ces deux exemples, extraits de Vies rédigées par Plutarque, un auteur grec de la seconde moitié du ier siècle, montrent que les femmes (γυναῖκες), en l’occurrence les matrones, assument un rôle politique en décidant de leur propre initiative de porter le deuil public et privé de grands hommes tels que Coriolan ou Publicola, dont les exploits ont sauvé la cité. Ainsi oeuvrent-elles afin de transmettre le souvenir du défunt à la postérité60 et participent-elles pleinement à la construction et au devenir de la communauté civique.

*

17L’analyse de l’annonce à Rome de la défaite de Trasimène, à partir d’un extrait de l’épopée des Punica de Silius Italicus, nous a permis de mettre en valeur un des aspects de la participation des matrones romaines à la vie politique, à savoir leur rôle dans le rituel de deuil et le culte du souvenir faisant partie intégrante du processus de régénération de la cité qui s’opère à la suite du désastre militaire.

18 Ainsi considérée, l’insertion de la « geste » de Régulus au centre de l’épisode narrant l’annonce à Rome de la défaite du lac Trasimène devient cohérente dans la composition du poème. Par les traits qu’il prête au personnage de Marcia, la veuve de Régulus, Silius en fait l’incarnation du modèle idéal de la matrone en deuil, chargée de veiller au culte du souvenir de son époux mort au combat. Car avec la mort sur le champ de bataille des jeunes soldats, c’est le renouvellement des générations qui est menacé, et par conséquent l’existence même de Rome. Parce qu’elles sont les gardiennes de la mémoire des défunts, les matrones ont pour rôle d’assurer la transmission du souvenir et des exploits militaires des hommes de leur famille. L’apparition des femmes dans l’espace public est donc non seulement tolérée mais attendue : la défaite militaire, parce qu’elle signe la faillite des hommes et menace l’existence même de la cité par l’extinction des générations et l’oubli, justifie l’intervention des matrones. En qualité de gardiennes du foyer, les matrones doivent pleurer les soldats disparus. Certes, chaque femme pleure les siens mais leur intervention dans les espaces publics se fait bien de manière collective. Ainsi on peut reconnaître une fonction que l’on pourrait qualifier de politique aux matrones dans la société romaine, celle de veiller au culte du souvenir des défunts et à la transmission de la mémoire des grands hommes de Rome.

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Bibliographie

Sources

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Notes

1 Plutarque l’atteste fort bien quand il compare l’annonce de la défaite romaine faite par le préteur Pomponius devant une foule (δῆμος) immense au vent sur la mer, comparaison qui insiste sur le grand désarroi ressenti par la population à Rome : Plutarque, Fabius 3, 6. Sur cet épisode, voir aussi Polybe, Histoires, iii, 85, 7-10 ; Tite-Live, Histoire romaine, xxii, 7, 6-14.

2 Tite-Live, Histoire romaine, xxii, 7,11 : ad portas maior prope mulierum quam uirorum multitudo stetit [aux portes de Rome, une foule, où se mêlaient presque plus de femmes que d’hommes, se tenait immobile] (trad. de l’auteur).

3 Bonnefond-Coudry 1989 : 753-793.

4 Hillard 1983 : 6-9.

5 Voir Loraux 1990 : 19-22.

6 Tite-Live, Histoire romaine, xxii, 7, 7 : Matronae uagae per uias, quae repens clades allata quaeue fortuna exercitus esset, obuios percontantur [Les matrones, errant par les rues, s’enquièrent auprès de ceux qu’elles rencontrent des nouvelles de la récente défaite ou du sort de l’armée] (trad. de l’auteur).

7 Est matrone la femme que le mariage destine à l’enfantement en lui donnant ce nom, qui lui reste attaché, qu’elle soit effectivement mère, veuve, ou sans enfants : voir Thomas 1986 : 221 ; et sur matrimonium comme « condition légale de mater », Benveniste 1969 : 243.

8 Loraux 1990 : 50-53.

9 Ibid. : 17.

10 Pour l’Antiquité, voir en particulier Hartmann 2007.

11 Voir en particulier Thomas 1991.

12 Chatelard 2016 : 24.

13 Nous reprenons notre définition du « civisme » à Chatelard 2016 : 43.

14 Voir aussi Loraux 1990 : 57-58.

15 Miniconi & Devallet 1981 : 54, n. 2 à vi, 580.

16 Sur Régulus, cf. Mix 1970 ; Fröhlich 2000.

17 Sur la construction de la figure exemplaire de Régulus, cf. Gendre & Loutsch 2001 : 131-172, en particulier 143-147.

18 Cf. Šterbenc-Erker 2004 : 259-291, en particulier 265 ; Loraux 1990 : 50-54 ; Dupont 1995 : 66-67 et 204 ; Prescendi 1995 : 151-152 ; ainsi que les nombreuses représentations de femmes endeuillées dans la littérature ancienne : Ovide, Fastes, ii, 813-814 ; iii, 213-232 ; v, 453-454 ; Tite-Live, Histoire romaine, i, 13 ; ii, 7, 4 ; xxxiv, 6, 15.

19 Silius Italicus, Punica, vi, 575-576.

20 Silius Italicus, Punica, vi, 577.

21 Augoustakis 2010 : 158.

22 Gardner 1986 : 50-51.

23 Silius Italicus, Punica, vi, 287, 535-536.

24 Cf. entre autres, Albrecht 1964 : 65 n. 52 ; Brouwers 1982 : 79 ; Augoustakis 2010 : 164. La figure de Marcia renverrait aussi, selon les commentateurs, à une autre matrone exemplaire : Cornelia, la mère des Gracches. Cf. Burckhardt & Ungern-Sternberg 1994.

25 L’importance accordée à la maternité (Lucain, Pharsale, ii, 338-339) et au devoir d’une épouse qui consiste à être aux côtés de son époux et de s’associer à ses souffrances (Lucain, Pharsale, ii, 346-347) se retrouve dans le portrait de la Marcia des Punica.

26 Silius Italicus, Punica, vi, 575-578.

27 Tite-Live, Histoire romaine, xxii, 7, 13.

28 Silius Italicus, Punica, vi, 582-583.

29 Huskinson 2011 : 113-125, en particulier 113 et 115. Pour un développement plus complet de la notion de bad death, cf. Hope 2009 : 60-63.

30 Tite-Live, Abrégés 18, 1 ; Valère Maxime, Faits et dits mémorables i, 8, ext. 19 ; Silius Italicus, Punica, vi, 140-293.

31 Silius Italicus, Punica, vi, 288.

32 Häussler 1978 : 172, la qualifie de « tragisch-unvermeidlicher Schuld ».

33 Augoustakis 2010 : 182.

34 Silius Italicus, Punica, vi, 584-587.

35 Polybe, Histoires, i, 29-35 ; Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, xxiii, fr. 11-16. Voir également Walbank 1957 : 92-94.

36 L’injonction de Marcia renvoie au topos de la mère tentant vainement par ses prières de tenir son fils éloigné des combats (cf. Stace, Achilléide, i, 20-284, en particulier 252-274). De même, la démonstration excessive de la virilité qui conduit finalement à la mort du héros est un topos bien connu et largement exploité dans la tradition épique.

37 Augoustakis 2010 : 158.

38 Cette fonction sociale peut être considérée comme une fonction politique si l’on entend par ce terme, non pas seulement les formes attendues de l’exercice du pouvoir comme les magistratures, mais aussi toutes les activités sociales et rituelles destinées à gouverner et à sauvegarder la res publica. Pour Darja Šterbenc Erker, les matrones accèdent à un rôle politique par le biais des pratiques de deuil. Cf. Šterbenc-Erker 2004 : 259-291.

39 Margaret Alexiou a bien montré que les lamentations et les gestes de deuil en Grèce ancienne sont des pratiques traditionnelles qui servent à canaliser les émotions (fonction subjective) ou à honorer les morts (fonction objective). Cf. Alexiou 1974 : 55. Les mêmes mécanismes sont présents à Rome et dans les coutumes traditionnelles (mores) de deuil. Cf. Šterbenc-Erker 2004 : 267-268.

40 Boëls-Janssen 2008 : 249.

41 Silius Italicus, Punica, vi, 560-563.

42 Boëls-Janssen 1993 : 266-268. Sur la valeur magique de la comploratio féminine, cf. Gagé 1963 : 105.

43 Boëls-Janssen 1993 : 267. Sur le luctus matronarum, cf. Gagé 1963 : 104-106.

44 Les matrones, du fait de leur pouvoir féminin de porter le deuil, peuvent représenter pour les auteurs anciens une force positive, qui participe pleinement au fonctionnement des institutions politiques de la cité. Cf. Šterbenc-Erker 2004 : 284 ; Dupont 1995 : 67 ; Mustakallio 1999 : 60-61.

45 Augoustakis 2010 : 158.

46 Ibid. : 173 ; pour Häussler 1978 : 175, « Das ist der Sinn des 6. Buches: Verheißung aus Erinnerung »; selon Gendre & Loutsch 2001 : 157, « L’originalité de Silius Italicus consiste à montrer Marus nous signaler à tout moment les réactions que Régulus aurait dû avoir, s’il avait été un homme normal, mais qu’il n’a pas eues en tant que grand homme exceptionnel ».

47 Augoustakis 2010 : 157.

48 Ibid. : 158-159.

49 Ibid. : 158-159 et 193.

50 Silius Italicus, Punica, vi, 584.

51 Sur les trois discours de Marcia dans les Punica, cf. Silius Italicus, Punica, vi, 437-449 ; 500-518 ; 579-588.

52 Loraux 1990 : 31-33. Voir Plutarque, Coriolan, 1, 2-6 ; 4, 5-7.

53 D’après la traduction de P. Miniconi et G. Devallet, CUF, 1981, p. 36, de Silius Italicus, Punica, vi, 87-89.

54 Comme l’analyse de façon pertinente Polybe, les grands hommes de la République sont rappelés à la mémoire du peuple lors des funérailles d’un personnage illustre. Cf. Polybe, Histoires, vi, 53, 3. C’est également lors des funérailles que s’accomplit la transmission des valeurs militaires et des vertus d’une génération à la suivante. Cf. Polybe, Histoires, vi, 53, 9-10.

55 Voir à ce propos Salluste, Jugurtha, 4, 5-6.

56 Hope 2009 : 35.

57 Ce rappel des faits glorieux des ancêtres se fait notamment à travers l’exhibition des portraits des ancêtres dans l’atrium, comme le rapporte Valère Maxime, Faits et dits mémorables, v, 8, 3. Cf. aussi Flower 1996.

58 Plutarque, Coriolan, 39, 10 (trad. R. Flacelière et É. Chambry), CUF, 1969, p. 217.

59 Plutarque, Publicola, 23, 4 (trad. R. Flacelière, É. Chambry et M. Juneaux), CUF, 1968, p. 85.

60 Denys d’Halicarnasse remarque que les femmes des Romains (γυναῖκες αὐτῶν) ont pris le deuil durant une année pleine et que le souvenir de Coriolan s’est ainsi conservé pendant près de cinq cent ans, jusqu’à son époque comme un homme pieux et juste (Antiquités Romaines, viii, 62).

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Pour citer cet article

Référence papier

Anne Kubler, « Les matrones romaines, gardiennes de la mémoire. L’annonce de la défaite de Trasimène »Clio, 46 | 2017, 249-266.

Référence électronique

Anne Kubler, « Les matrones romaines, gardiennes de la mémoire. L’annonce de la défaite de Trasimène »Clio [En ligne], 46 | 2017, mis en ligne le 01 décembre 2020, consulté le 06 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/13792 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.13792

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Auteur

Anne Kubler

Kubler Anne est agrégée d’histoire et docteure en histoire romaine, membre associée au Centre de recherche en histoire européenne comparée (CRHEC – EA 4392) de l’Université Paris-Est Créteil Val-de-Marne. Après une thèse de doctorat, menée en cotutelle avec l’Université suisse de Berne, consacrée à « La mémoire de la deuxième guerre punique », elle poursuit actuellement ses recherches sur la mémoire culturelle, les cultures mémorielles et les usages du passé de Rome et du monde romain, en s’intéressant notamment aux liens entre histoire et mémoire, aux conflits entre mémoires concurrentes ainsi qu’aux enjeux politiques et identitaires de l’écriture de l’histoire. Outre divers articles publiés ou à paraître, elle s’apprête à publier une synthèse de ses travaux, intitulée La Mémoire culturelle de la deuxième guerre punique, aux éditions Schwabe. Contact : annekubler@gmail.com

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Droits d’auteur

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