Dominique GODINEAU, Les femmes dans la société française, XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Armand Colin, collection U, 2003, 254 p.
Full text
1Depuis une trentaine d’années les travaux sur les femmes se sont multipliés, leurs approches se sont diversifiées, mais ils restaient souvent fragmentaires à travers les époques, segmentés en des études de thèmes, consacrés à des catégories de femmes, ou à un secteur socio-économique ou politique particulier, de la violence à l’éducation, des prostituées aux reines, des statuts de soumission à ceux d’autonomie, de l’imaginaire social ou littéraire à la représentation médicale, philosophique ou théologique. La monumentale Histoire des femmes en Occident publiée sous la direction de Georges Duby et Michelle Perrot, au début des années 1990 a constitué une première et précieuse synthèse. Vient maintenant le temps des manuels permettant de diffuser les acquis de cette histoire auprès des étudiants.
2Dominique Godineau, bénéficiaire pour une part de cet héritage1, spécialiste des femmes durant la Révolution2 qui a contribué à de nombreux ouvrages collectifs3, nous propose une étude globale sur Les femmes dans la société française du XVIe au XVIIIe siècle, qui arrive à son heure. Manuel sérieusement informé - ce dont témoigne sa bibliographie générale et thématique même si l’auteur, contraint par les dimensions et le genre de l’ouvrage, n’y prétend pas à l’exhaustivité (p. 241) -, il offre une première synthèse pour l’époque moderne française conforme à l’esprit et aux canons de sa collection, comme l’avait fait Christine Bard pour le XXe siècle4. Faisant état des dernières recherches, comprenant un index des noms cités, il est un outil pédagogique indispensable pour les étudiants, quand on sait que l’histoire des femmes est de plus en plus enseignée dans les universités françaises. Sans doute manque-t-il une illustration iconographique - collection impose -, mais beaucoup de citations sont heureusement intégrées dans le texte, quelques notices biographiques de femmes célèbres ou inconnues, des tableaux récapitulatifs et/ou statistiques et des documents fort divers sont opportunément insérés dans les chapitres selon les thèmes abordés, donnant force et vie à l’ensemble.
3De la Renaissance et de la Réforme aux Lumières et à la Révolution, Dominique Godineau inscrit son étude entre « deux ruptures retentissantes » (p. 5) qui, si elles rendent « particulièrement visibles » les « interventions féminines » (p. 238), encadrent une période féconde en transformations de tout ordre dans lesquelles elle entend restituer leur juste place aux femmes et en faire des « actrices de l’histoire »5. C’est en effet le propos central de l’auteur de faire non une « histoire au féminin », mais une histoire totale de la France moderne où - et car - les femmes sont partie intégrante de la société et de l’histoire, dans la grande diversité de leur appartenance sociale, de leur milieu socio-économique, de leur culture, de leur proximité plus ou moins grande avec les sphères de pouvoir, de leur religion. Dominique Godineau les présente dans leur statut juridique, leur vie quotidienne, leurs fonctions sociales voire politiques, leur participation aux événements violents ou leur rôle dans les grands mouvements littéraires, religieux, culturels et politiques de la modernité française. Elle offre ainsi une étude riche et précise des femmes, avec de belles figures célèbres ou anonymes, mais dans le cadre d’une histoire générale, culturelle, sociale, économique et religieuse, avec ses mouvements marquants, et dans la diversité des conditions féminines et des appartenances confessionnelles. Elle est aussi sensible à la problématique du genre construite sur les relations entre les sexes dans la famille, le monde du travail et l’espace public qu’elle inscrit dans « un système politique de domination masculine, qui a des répercussions sur l’ensemble de la cité » (p. 4), réintroduisant le masculin-féminin, les rapports hommes-femmes et le partage des rôles dans le récit et l’analyse d’une « histoire commune », mais sans céder à la victimologie de l’approche idéologique fondatrice ou du discours militant.
4Par sa composition, l’ouvrage s’ordonne selon un plan essentiellement chronologique. La première partie est largement structurelle, présentant les femmes dans la famille et l’espace public jusque pendant la Révolution, dans tout l’éventail de leurs conditions et de leurs rôles, des ouvrières et femmes publiques aux femmes d’affaires et aux émeutières défendant la communauté. Son premier chapitre traite des représentations et de la législation qui réduisent la femme à l’état de « beste imparfaite » et au rôle d’épouse et de mère de la Renaissance jusqu’au début des Lumières ; mais le chapitre 7 de la dernière partie souligne encore bien des continuités au XVIIIe siècle. Femmes certes mineures, se conformant au modèle social, mais arrangements ou résistances, individuels ou collectifs, sont éclairés. Même si la subordination féminine est conçue comme nécessaire à l’ordre social et politique, ce même ordre offre des opportunités d’affirmation, ce que le titre interrogatif de la deuxième partie déjà révèle : « Des domaines interdits ? (XVIe-XVIIe siècle) » ; son contenu le met en lumière. Sans doute des femmes sont persécutées pour hérésie, pourchassées comme sorcières, mais d’autres trouvent des formes d’accomplissement dans l’engagement religieux des deux Réformes et dans l’investissement éducatif, intellectuel et culturel, les grands axes de ces deux siècles. Quant aux reines et grandes dames, elles peuvent s’illustrer sur le devant de la scène politique. Des voix s’élèvent aussi pour défendre l’égalité des sexes en termes nouveaux. C’est dans la troisième et dernière partie qui analyse la « nouvelle image ? » de la femme dans la complémentarité des sexes et les « mutations » du XVIIIe siècle, et les « Citoyennes sans citoyenneté » de la Révolution, que l’auteur révèle le mieux sa perspective téléologique implicite : la longue et difficultueuse marche des femmes vers l’idée d’égalité et sa réalisation. L’affirmation triomphante du principe d’égalité n’a fait qu’engendrer une inégalité nouvelle : seuls les hommes sont citoyens ; mais elle est porteuse d’avenir.
5Cette belle synthèse noue ainsi les relations hommes-femmes et l’histoire qui leur est commune en restituant aux femmes leur rôle, tout en permettant de mesurer l’écart entre la Femme et les femmes, la réalité et les normes, et de suggérer la difficile naissance de l’idée d’égalité.
6Il faut aussi saluer la parution plus récente d’un autre manuel publié par Scarlett Beauvallet-Boutouyrie qui propose, elle aussi, une histoire de la condition des femmes dans l’Europe occidentale moderne en une vision d’ensemble cohérente et sensiblement renouvelée6.
Notes
References
Bibliographical reference
Christine VICHERD, “Dominique GODINEAU, Les femmes dans la société française, XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Armand Colin, collection U, 2003, 254 p.”, Clio, 20 | 2004, 280-283.
Electronic reference
Christine VICHERD, “Dominique GODINEAU, Les femmes dans la société française, XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Armand Colin, collection U, 2003, 254 p.”, Clio [Online], 20 | 2004, Online since 06 June 2005, connection on 03 December 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/1367; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.1367
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