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Dossier

L’émergence d’une « conscience féministe » juive. Europe, États-Unis, Palestine (1880-1930)

The emergence of a Jewish “feminist consciousness.”
Europe, the United States and Palestine (1880-1930)
Isabelle Lacoue Labarthe
p. 95-122

Résumés

À partir de la fin des années 1880, des femmes juives participent à l’émergence d’une « conscience féministe », en Europe, aux États-Unis, puis en Palestine. Certaines d’entre elles militent au sein de mouvements généraux, d’autres contribuent à la création d’organisations ayant pour point commun de rassembler des Juives, mais par ailleurs d’une grande diversité dans leurs revendications et ses positionnements. Quelque peu négligées par l’historiographie, ces femmes juives de la fin du xixe siècle tissent des liens, par-delà les frontières, et proposent un nouveau regard sur la place des femmes dans les communautés juives. Un peu en retrait à partir de la fin des années 1920, elles ouvrent néanmoins la voie à celles qui, dans les années 1960, entament un nouveau chapitre des luttes féministes, et contribuent à éclipser leurs aînées.

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Texte intégral

  • 1 Cf. par exemple Baum, Hyman et Michel 1977 ; Glanz 1976 ; Baker 1993 ; Koltun 1976.
  • 2 Elle est présente dans Greenberg 1981 ; Heschel 1983.
  • 3 Evans 1977 ; Stites 1978.
  • 4 Par exemple : Levin 1977 ; Frankel 1981 ; Ertel 1986.
  • 5 Entre autres : Reinharz & Raider 2005 ; Las 1996.

1Si l’histoire contemporaine ou la sociologie des femmes juives font l’objet de nombreux travaux et de vastes synthèses1, couvrant les États-Unis, l’Europe ou la Palestine/Israël, l’articulation entre féminisme et judaïsme2 est moins documentée et il faut souvent en traquer les mentions dans des ouvrages qui ne lui sont pas spécifiquement consacrés mais embrassent, par exemple, l’ensemble des mouvements de femmes3 ou des sociétés juives4. Depuis les années 1990, les organisations féminines juives, en particulier sionistes, ont gagné cependant peu à peu l’attention des chercheur.e.s5.

  • 6 Sur les féministes juives de la « deuxième vague », cf., en français, Pouzol 2008 ; sur le fémini (...)

2Les recherches de ces vingt dernières années privilégient néanmoins les féministes juives des années 1960 et 1970, en particulier celles qui remettent en cause, de l’intérieur, les rapports entre femmes et hommes au sein de communautés religieuses, orthodoxes en tout premier lieu. Leur sont en effet consacrés de nombreux articles et ouvrages de sociologie, d’anthropologie et d’histoire6.

  • 7 Comme le fut, pendant longtemps en France, celle à laquelle Christine Bard a tout récemment donné (...)
  • 8 Kuzmack 1990.
  • 9 Par exemple : Bijaoui 1981 ; Bernstein 1987 ; Izraeli 1981.
  • 10 Vilmain 2008 et 2011 ; Lacoue-Labarthe 2012.

3Les femmes juives engagées dans les mouvements féministes actifs en Europe, en particulier en Allemagne et au Royaume-Uni, aux États-Unis et en Palestine mandataire, au cours des premières années du xxe siècle, ou qui, au même moment et dans les mêmes espaces, créent leurs propres mouvements, sont moins présentes dans l’historiographie. Cette sorte de première vague semble, à quelques exceptions près, rejetée dans le flou d’un arrière-plan nébuleux7. Elle a pourtant existé et suscité des études qui en dévoilent la grande diversité. Une étude comparative minutieuse et nourrie d’archives abondantes et variées (rapports de réunions et congrès, articles de presse, correspondances, Mémoires et même entretiens oraux ou épistolaires menés par l’auteure) est ainsi parue, en 1990, sous la plume de l’historienne américaine Linda Gordon Kuzmack : elle rapproche le mouvement des femmes aux États-Unis et au Royaume-Uni de 1881 à 1933 et met à jour la diversité des mobilisations, mais aussi les échanges nationaux et internationaux noués entre les femmes juives – et non juives – de ces deux pays8. Son étude est assez révélatrice des relations à géométrie variable qu’entretiennent ces femmes avec leur appartenance confessionnelle, tantôt renvoyée à la sphère privée et, sans être reniée, presque absente, tantôt au cœur de leur mobilisation. Sur les femmes juives, en particulier féministes, de la Palestine mandataire, des travaux ont commencé à être publiés par des chercheur.e.s israélien.ne.s et européen.ne.s9, dès les années 1980 et les recherches se poursuivent aujourd’hui ; elles s’intéressent aux figures oubliées d’une historiographie en plein renouvellement10.

  • 11 Lerner G. 1976 : 357.
  • 12 Bard 2015 : 20.
  • 13 Lerner G. 1993.

4Certaines des organisations de femmes se sont historiquement définies avant tout comme philanthropiques et engagées dans l’action sociale et culturelle ; d’autres se sont explicitement revendiquées comme féministes, en ce sens qu’elles mettaient l’accent sur le caractère déterminant des rapports de sexe dans la société et dans l’appropriation du pouvoir tout en formulant la possibilité de modifier ces rapports dans une perspective égalitaire. Gerda Lerner souligne que le féminisme commence lorsque les femmes se reconnaissent des intérêts spécifiques en tant que groupe et rejettent leur subordination historique11 ; c’est aussi la définition que nous adopterons ici, tout en suivant la recommandation de Christine Bard, soucieuse d’éviter anachronisme et subjectivisme, de prendre en compte la diversité des féminismes, en portant une attention toute particulière à l’autodéfinition des actrices/acteurs de l’émancipation des femmes ainsi qu’au contexte de son énonciation12. C’est avant tout de l’éveil d’une « conscience féministe » qu’il est ici question13.

Des femmes juives dans les mouvements féministes

  • 14 Kaplan 1991 : 218.
  • 15 Cité dans Kaplan 1991 : 218. Voir aussi Fassmann 1996.

5Au tournant des xixe et xxe siècles, l’Europe et les États-Unis voient éclore divers mouvements de défense des droits des femmes, en particulier, du droit de vote. Des femmes juives y prennent une part remarquée ; en Allemagne, étudiée par Marion A. Kaplan, elles sont en surreprésentation dans les mouvements réformistes et féministes que ce soit comme militantes ou comme dirigeantes. Leur présence vaut d’ailleurs au féminisme l’accusation d’être « enjuivé »14. La journaliste et féministe allemande Minna Cauer a témoigné de cette exceptionnelle activité : « Les femmes juives semblent s’être donné pour tâche de lutter pour les droits de toutes les femmes : c’est parmi elles qu’on rencontre les femmes les plus actives, mais aussi les plus talentueuses et les plus courageuses15 », écrit-elle en 1898.

  • 16 Stites 1978 : 169 et 228-229.

6Dans sa magistrale étude sur l’émergence d’un féminisme russe à partir de 1860, l’historien américain Richard Stites mentionne la présence de jeunes étudiantes juives, pour la plupart issues de la bourgeoisie russe, parmi les élèves des cours Bestoujev à Saint-Pétersbourg. Ces cours, ouverts aux jeunes filles dans les années 1870 avec le soutien du pouvoir impérial, deviennent un vivier du féminisme à partir de 1905, et doivent à la ténacité et à l’engagement féministe de leur direction, d’échapper à la fermeture progressive qui frappe ce type d’établissement. Dressant le panorama sociologique du féminisme russe avant 1917, il constate que celui-ci était, comme hors de Russie, urbain et avant tout issu des classes moyennes, même si les féministes les plus âgées étaient plus souvent d’origine noble ou grande bourgeoise, tandis que les plus jeunes venaient de milieux plus modestes, et en particulier juifs16.

  • 17 Sur la participation de femmes juives d’Europe centrale et orientale à des mouvements politiques (...)
  • 18 Glanz 1976 : 90-94 et 99-100.

7Aux États-Unis, surtout lorsqu’elles sont originaires de Russie, ces femmes contribuent à l’expansion du suffragisme ; des Juives américaines s’insèrent dans le mouvement général en faveur du droit de vote féminin, sans établir d’organisations séparées. Au cours des années 1910, deux facteurs principaux – l’un structurel, l’autre plus conjoncturel – favorisent cette mixité : la tolérance religieuse accrue, au sein d’une société américaine en voie de sécularisation et, d’autre part, la volonté d’une nouvelle génération de suffragistes de recueillir le soutien de femmes de tous horizons, y compris de celles qui, arrivées d’Europe centrale et orientale, ont davantage été engagées dans le mouvement ouvrier et dans divers mouvements politiques progressistes, que dans la lutte pour l’émancipation des femmes17. Il faudrait également souligner le soutien de rabbins progressistes et de l’American Jewish Congress, du moins jusqu’en 1900-1910, lorsque la peur qu’un tel combat, mené aux côtés de militantes de toutes confessions, ou même athées, ne contribue à éloigner les femmes de la religion18.

  • 19 Ce parti suffragiste newyorkais, né à Carnegie Hall en octobre 1919, est une ramification locale (...)
  • 20 Lerner 1981 : 448.
  • 21 Elle en devient présidente en 1917 ; de 1926 à 1950, elle dirige la WTUL nationale.
  • 22 Kuzmack 1990 : 152 notamment.

8La part de Juives parmi les suffragistes se distingue tout particulièrement à New York : elle est de 17 % des membres fondatrices du Woman Suffrage Party (WSP)19. Certaines militantes parviennent même à des postes de responsabilité : Maud Nathan devient ainsi la première vice-présidente de la New York City Equal Suffrage League, prend la tête du quinzième district d’assemblée du Woman Suffrage Party et représente son pays à Budapest, en 1913, à la réunion de l’Alliance Internationale pour le Suffrage des Femmes20. Rose Schneiderman, militante du mouvement ouvrier féminin devient vice-présidente de la branche newyorkaise de la Women’s Trade Union League (WTUL) en 190821 ; la même année, elle s’engage aux côtés de la Equality League of Self-Supporting Women. De plus en plus convaincue de l’impérieuse nécessité du vote féminin, condition sine qua non pour obtenir une législation favorable aux ouvrières, elle devient une militante acharnée, notamment aux côtés de la National American Woman Suffrage Association (NAWSA), qui la sollicite pour organiser et défendre, en Ohio, le référendum sur le vote des femmes (1912) ou pour les campagnes du WSP de New York en 1915 et 1917. Ces figures de proue attirent au suffragisme de nombreuses ouvrières juives, dont la présence massive aux côtés de la NAWSA, de l’Equality League ou du WSP permet le succès de referendums sur le droit de vote féminin à New York, capitale du suffragisme22, et favorise l’adoption du xixe amendement à la Constitution américaine, en 1919.

  • 23 Kuzmack 1990 : 139.
  • 24 Cf. Klejman & Rochefort 1989 : 150-151 ; sur les femmes juives dans le CNFF, Cohen 2011.
  • 25 La secrétaire général de l’UFSF est, à partir de 1913, Cécile Brunschvicg. Issue d’une famille ju (...)
  • 26 Le CNFF entend ainsi dépasser les clivages confessionnels et atteindre l’ensemble des femmes. Il (...)

9À l’inverse, au Royaume-Uni, la participation de Juives aux organisations suffragistes demeure, dans l’ensemble, limitée aux femmes de la bourgeoisie qui partagent, avec les militantes chrétiennes du même milieu, codes et normes sociales et sont, de ce fait mieux acceptées d’elles. La présence de nombreuses femmes juives est ainsi attestée lors de la marche de juin 1911, organisée par la Women’s Social and Political Union, organisation suffragiste créée par Emmeline Pankhurst en 1903, dans un contexte de discussion parlementaire au sujet du vote des femmes23. En France aussi, bourgeoises juives et protestantes sont particulièrement présentes dans les organisations féministes, comme le Conseil National des Femmes Françaises24, dont quelques figures de proue sont de familles juives (Gabrielle Alphen-Salvador, Eugénie Weill et Louise Cruppi) ou encore l’Union Française pour le Suffrage des Femmes25 ; dans ces organisations, si les militantes ne la renient pas, leur appartenance confessionnelle n’est pas mise en avant26. Pour autant, dans de nombreux cas, en particulier aux États-Unis, le suffragisme juif se déploie surtout au sein d’organisations séparées.

Des féminismes juifs

10Le choix de militer au sein de leurs propres structures s’impose parfois aux femmes juives. La raison la plus évidente tient à l’antisémitisme plus ou moins larvé de certaines féministes européennes ou américaines. Aux États-Unis, au tournant des xixe et xxe siècles, certaines suffragistes, voulant rompre avec ce qu’elles perçoivent comme une oppression des femmes dans le christianisme, diffusent en effet une vision très négative du judaïsme, qui tient lieu de critique plus générale – et plus discrète – du sort réservé aux femmes dans les grandes religions.

  • 27 Grand Colomb 1980 : 55-56.
  • 28 Kuzmack 1990 : 39-40.
  • 29 Kuzmack 1990 : 139.

11C’est dans cette veine qu’Elizabeth Cady Stanton publie en 1895 Woman’s Bible, une lecture si ce n’est ouvertement antisémite, du moins hypercritique du Pentateuque, accusé d’être à l’origine de la domination des femmes dans l’histoire du monde27. Certes, la NAWSA dit, dès 1896, son rejet du texte de Stanton ; pour autant, l’antisémitisme de certaines féministes américaines, très atténué en comparaison avec ce qu’il était au milieu du xixe siècle, met du temps à s’effacer28. Il se transforme parfois en méfiance à l’égard des migrants et des migrantes, dont une sorte de “retard” socio-politique pourrait compromettre le progrès espéré par les féministes. Aux a priori “raciaux” se mêle incontestablement du mépris social. Ces préventions existent tout autant, sinon davantage, parmi les féministes britanniques ; au sein de l’organisation suffragiste que Sylvia Pankhurst a créée dans l’East End en 1913, circulent quelques réticences à l’égard des adhérentes juives, qui peuvent avoir découragé plus d’une candidate29.

  • 30 Solomon 1911 : 224-225.
  • 31 « Nous n’avions pas l’intention d’exclure les hommes […]. Nous étions prêtes à accueillir ceux qu (...)
  • 32 Solomon 1911 : 260.

12Outre le sentiment d’être parfois peu désirées au sein des organisations de femmes partageant des origines majoritairement chrétiennes, les Juives qui, des années 1880 aux premières décennies du xxe siècle, souhaitent que s’ouvre pour elle l’horizon des possibles, ressentent le désir de la liberté de parole que peut apporter un entre-soi de femmes, et plus encore de femmes juives. Les recueils de discours et d’articles, les écrits autobiographiques, les Mémoires laissés par nombre d’entre elles, en témoignent. Dans un discours de 1904, Hannah G. Solomon, fondatrice, en 1893, de la première association nationale de femmes juives aux États-Unis, justifie le choix d’organisations séparées par une double nécessité, religieuse et philanthropique. Il s’agit de renforcer la formation religieuse de femmes laissées en déshérence spirituelle, et d’autre part, de les aider à prendre en main leur rôle dans la transmission générationnelle au sein de la communauté30. Les hommes ne sont pas exclus de l’organisation qu’elle dirige, précise Hannah Solomon, mais ils ne semblent guère désireux d’y adhérer31. Dans un rapport d’activité de 1899, elle précise par ailleurs que la séparation évite les préjugés auxquels s’exposent les Juifs dans des organisations où les confessions sont mêlées32. Contrairement à celles qui intègrent des mouvements et organisations mixtes et se revendiquent plus comme femmes que comme juives, les féministes qui choisissent des structures exclusivement juives tiennent ensemble, imbriquées et indissociables, leurs identités de Juives et de femmes. C’est là le point commun à la multitude d’associations qui éclosent dans les dernières années du xixe siècle et au début du nouveau millénaire.

  • 33 Kaplan 1991 : 192.

13Aux États-Unis comme en Europe, en Allemagne et au Royaume-Uni notamment, l’engagement féministe juif prend appui sur de nombreuses organisations féminines en lutte pour un progrès social, entre autres pour les femmes. Si elles ne se présentent pas comme féministes, ces formations contribuent néanmoins à éveiller la conscience et l’activisme politiques de leurs membres33. De fait, les premières organisations féministes juives sont issues d’anciens clubs sociaux dont l’activité se politise et se tourne vers des revendications de plus en plus radicales ; des années 1880 jusqu’à l’aube du xxe siècle, en philanthropes aguerries, elles se préoccupent des plus démunis, leur procurent nourriture, soins médicaux et même funérailles. Mais à partir des années 1900, les priorités de certaines d’entre elles se modifient. Ainsi, à Lautenberg comme à Kissingen, les activités d’associations caritatives féminines juives se transforment entre 1879 et 1919, passant du soutien aux malades ou à des établissements pour jeunes filles, à la mise en place de cours ou de conférences sur l’histoire juive, le statut des femmes dans le judaïsme ou des questions d’actualité concernant spécifiquement les femmes. Les traditions juives restent certes présentes, les fêtes religieuses sont le plus souvent respectées, mais ces rencontres offrent néanmoins à leurs participantes une ouverture vers de nouveaux horizons.

  • 34 Kuzmack 1990 : 13.
  • 35 Spence 2004 : 506-507.

14Au Royaume-Uni, les premières associations juives féminines apparaissent dans les années 1840, le premier club d’ouvrières juives, en 1885, à l’initiative de Louise Lady Rothschild. Le West Central Friday Night Club propose des activités sociales, éducatives et de loisir, en particulier aux immigrantes ; il est aussi un instrument de conscience de soi, voire d’éducation politique, comme le devinent très tôt ses détracteurs, convaincus de son pouvoir délétère sur la famille, voire sur la moralité des femmes34. En 1893, une jeune femme de la bourgeoisie juive londonienne, Lily Montagu, reprend, avec sa sœur Marion et sa cousine Beatrice Franklin, le club de Lady Rothschild, désormais désigné comme West Central Jewish Girls’ Club ; des cours (religion, anglais, hébreu, travaux manuels, musique, etc.) y sont dispensés aux jeunes ouvrières lors du shabbat. Le club met également en place un foyer qui loge une partie des femmes accueillies. Le succès de l’entreprise de Lily Montagu fait école et les organisations de ce type se multiplient au tournant des xixe et xxe siècles. La dimension émancipatrice de ces organisations ne fait d’ailleurs pas de doute ; elle se renforce avec le temps. Comme le souligne l’historienne Jane Spence, pour Lily Montagu, il s’agit d’aider les femmes à s’organiser par elles-mêmes et à devenir actrice de leur propre vie35.

  • 36 Cf. Dianne Ashton, Jewish Women’s Archives, http://jwa.org/encyclopedia/article/gratz-rebecca
  • 37 Solomon 1946 : 43.
  • 38 Cf. Lemons 1973 : vii-viii.

15Aux États-Unis, une même évolution se dessine, des premières « Sunday Schools » ouvertes par Rebecca Gratz à Philadelphie en 183836, aux clubs féminins, apparus à New York en 1846 et démultipliés dans les années 1880-1890. Hannah G. Solomon est la première Juive admise dans un club féminin américain, le Chicago Woman’s Club, en 1877. Elle souligne dans son autobiographie combien il était alors important de différencier club et société féminine : « Adhérer à une organisation de “femmes” – et non de “dames” – et à une association portant le titre de “club” plutôt que de “société”, était en soi une avancée radicale »37. Ces organisations donnent en effet bien naissance à des mouvements plus amples, plus ambitieux et que l’on peut qualifier de féminisme social38.

  • 39 Kaplan 1979 : notamment 12-14, mais aussi chapitre 3 : 59-101.
  • 40 Sisyphus-Arbeit, 1924 ; édition française : Pappenheim 1986.
  • 41 La Ligue compte ainsi environ 35 000 membres en 1914, 50 000 à la fin des années 1920 ; ses filia (...)

16Ce glissement de l’action sociale au féminisme se perçoit particulièrement dans les associations juives de lutte contre la « traite des blanches », selon la terminologie alors souvent usitée. La plus importante d’entre celles qui émergent au tournant des xixe et xxe siècles est allemande. Créée à Francfort en 1904 par Bertha Pappenheim, sa présidente jusqu’en 1924, la Ligue des Femmes Juives (Jüdische Frauenbund, JFB) affiche des ambitions modérées, à l’instar des autres mouvements de femmes allemandes qui la précèdent : défense de la famille, de la maternité, de l’éducation et du mode de vie de la bourgeoisie éduquée renvoient à l’appartenance sociale de ses membres39. Elle est beaucoup plus radicale en revanche dans son combat contre ce qui est présenté comme le fléau prostitutionnel, combat mené non seulement en Allemagne, mais à travers l’Europe centrale et orientale que sa dirigeante parcourt pendant plusieurs années. Ces voyages donnent lieu à une correspondance dont une partie est publiée, dès 1924, sous un titre évocateur, Le travail de Sisyphe40. Destinées aux « filles » dont elle s’occupe à travers la JFB et à diverses amies intimes, les lettres des Balkans, de Palestine (1911) ou de Galicie (1912) révèlent une féministe autoproclamée, ne ménageant pas ses efforts pour susciter la création d’équivalents locaux à la Ligue allemande et se réjouissant de ses évidents succès et des ralliements d’autres associations41.

17Fière de son engagement, elle se montre volontiers cassante à l’égard d’interlocuteurs plus réticents ; l’un d’eux, à bord du Tsarévitch qui relie Tripoli à Jaffa fait les frais de son mépris :

  • 42 À bord du Tsarevitch, 26 avril 1911, Pappenheim 1986 : 142.

Hier soir, la conversation est tombée sur le mouvement féministe, et j’ai eu une vive altercation avec mon voisin de table, l’énergumène prussien. J’ai même dû défendre [la militante féministe] Hélène Lange que cet imbécile attaquait sans mâcher ses mots42.

  • 43 Frauenrechte. Schauspiel in Drei Aufzügen, Dresden, Verlag Pierson.

18L’épisode peut paraître anecdotique ; il révèle néanmoins à quel point la conviction que l’avenir sera féministe est chevillée au corps de militantes qui y sont nées par l’action sociale et que confortent lectures et rencontres. Que Bertha Pappenheim ait traduit en allemand A Vindication of the Rights of Woman de Mary Wollstonecraft et publié, la même année (1899), une pièce de théâtre intitulée Les Droits des femmes43 prend ici tout son sens.

  • 44 Kaplan 1979 : 22.

19Par un autre aspect, le profil de la militante allemande fait écho aux organisations féministes juives apparues, à la même période, dans le reste de l’Europe et aux États-Unis : l’éducation des femmes, la formation professionnelle, mais aussi religieuse tendent vers un même but, le « développement de la vie religieuse et de la communauté juives »44, dans un contexte marqué par le maintien, voire l’amplification de l’antisémitisme, qu’évoque plusieurs fois B. Pappenheim dans sa correspondance. Toute évolution de la place des femmes, de leur statut et de leurs droits, doit s’opérer au service d’un judaïsme renforcé et marchant enfin sur ses deux jambes. Ce lien étroit entre féminisme et judaïsme constitue la matrice de nombreuses organisations créées depuis la fin du xixe siècle.

Féministes juives ou juives féministes ?

20Hannah G. Solomon l’exprime clairement dans un discours tenu en octobre 1904 à Saint-Louis :

  • 45 Solomon 1911 : 123.

Nous ne nous constituons pas en organisation pour ce que nous pouvons recevoir, mais pour ce que nous pouvons donner45.

21Rebekah Kohut, tient sensiblement le même discours :

  • 46 Kohut 1925 : 30.

J’ai grandi à une époque où les femmes commençaient à demander l’égalité des droits, la participation pleine et entière à la vie de la communauté. C’était un mouvement avec lequel j’étais entièrement en accord46.

  • 47 Las 1996 : 18.
  • 48 Baum, Hyman et Michel 1977 : 51.
  • 49 Chiffres donnés par Solomon 1946 : 113 et 213.

22Ainsi s’expriment deux figures de proue du National Council of Jewish Women (NCJW), créé en 1893 lors du premier congrès américain de femmes juives et, comme on l’a dit plus haut, dirigé par Hannah G. Solomon jusqu’en 1905. « Première organisation féminine de dimension nationale »47, elle tisse un réseau national dense : en 1896, présente dans une cinquantaine de villes américaines48, elle compte environ 3 000 membres. En 1902, 7 000 femmes ont rejoint le NCJW et en 1926, le nombre de sections a doublé, pour 53 000 adhérentes49. Cette organisation de poids suit une ligne de conduite définie dès le congrès fondateur :

  • 50 Solomon 1911 : 129. Sur les premiers pas du NCJW, voir Las 1996 : 15-20 ; Solomon 1946 : 79-91 et (...)

Le National Council of Jewish Women doit 1) s’efforcer d’unir étroitement les femmes intéressées par les activités religieuses, philanthropiques et éducatives et de considérer les moyens pratiques de résoudre les problèmes qui se posent dans ces domaines ; 2) organiser et encourager l’étude des principes fondamentaux du judaïsme ; de l’histoire, de la littérature et des coutumes juives, et les relations entre l’histoire des Juifs et celle du reste du monde ; 3) utiliser les connaissances acquises grâce à cette étude pour perfectionner les Écoles du Shabbat et mener le travail social ; 4) s’assurer l’intérêt et l’aide de personnes influentes, pour susciter un sentiment général de rejet des persécutions religieuses, partout, à n’importe quel moment et quiconque en soit victime, et trouver les moyens d’éviter de telles persécutions50.

  • 51 Solomon 1911 : 60 et 68. La conférence s’intitule : « Women as Breadwinners ». Solomon insiste ré (...)
  • 52 Solomon 1911 : 122.
  • 53 Solomon 1911 : 184. Discours au NCJW, Baltimore, décembre 1902.
  • 54 Rebecca Gratz (1781-1869) est une philanthrope et éducatrice américaine ; Emma Goldman (1869-1940 (...)

23L’action du NCJW peut ainsi sembler un simple prolongement des activités philanthropiques développées jusqu’alors. Pourtant, cette présentation masque des combats bien réels pour les droits des femmes, voire l’égalité entre femmes et hommes, soit par les engagements collectifs du Conseil, soit par les initiatives individuelles de certaines de ses adhérentes et dirigeantes. C’est au nom du Conseil qu’Hannah G. Solomon s’exprime en 1896 devant un club masculin de Chicago pour y défendre le travail des femmes, l’égalité des salaires et une éducation permettant à chacun-e de jouer son rôle dans la société51, au premier chef dans la communauté. Au sein de celle-ci, l’apprentissage de l’hébreu52 et des textes religieux, mais surtout la reconnaissance du droit de vote des femmes doivent permettre un rééquilibrage des rôles, voire éviter que les synagogues ne se vident, délaissées par les hommes53 ! Au-delà du vote communautaire, certaines adhérentes du NCJW soutiennent les suffragistes américaines : Rebekah Kohut, qui préside dès 1894 la section newyorkaise du Conseil puis dirige, à partir de 1923, le World Congress of Jewish Women ne comprend pas même qu’il puisse en être autrement et, dès les années 1880, compare les « grandes femmes d’Israël » (Rebecca Gratz, Emma Goldman, Grace Aguilar54, etc.) avec les pionnières du mouvement des femmes américaines :

  • 55 Kohut 1925 : 72

Ces Juives, elles avaient sauvé et perpétué le judaïsme. À quoi ressembleraient-elles aujourd’hui ? La comparaison s’impose d’elle-même avec les femmes qui menaient alors la bataille pour l’émancipation de leur sexe (…). J’associais le travail de ces femmes avec l’histoire des femmes de mon propre peuple, et trouvais beaucoup de ressemblance à leurs idéaux et à leurs aspirations55.

  • 56 Kuzmack 1990 : 148.

24Cette comparaison éveille son désir de lutter elle aussi pour le suffrage féminin. Désir trop peu partagé, néanmoins, pour que le NCJW, ou toute autre organisation de femmes juives américaines, le revendique officiellement avant le xixe amendement56.

  • 57 UJW Report, 1905, p. 9, cité in Kuzmack 1990 : 49.
  • 58 Pour les activités philanthropiques, Kuzmack 1990 : 50 ; pour un bilan de l’activité de formation (...)

25L’Union of Jewish Women (UJW) de Grande-Bretagne est tout aussi timide sur ce point. Créée en 1902 par des “dames” juives anglaises, cette organisation aspire à rassembler des Juives « de tous niveaux et de toutes les nuances d’opinion, religieuse, sociale et intellectuelle »57 ; elle n’y parvient pas, et cet entre-soi de femmes privilégiées ne s’ouvre que dans les activités philanthropiques traditionnelles de soutien matériel aux ouvrières. Sa priorité reste l’éducation et la formation professionnelle des femmes de la bourgeoisie et surtout des classes moyennes, domaine dans lequel elle se révèle fort efficace. Pourtant, d’autres préoccupations l’animent dès 1902, qui se renforcent au point que, dix ans plus tard, s’engage une ardente mobilisation pour le suffrage des femmes sur les questions religieuses, au sein de leur communauté. Sous l’influence d’organisations internationales auxquelles elle se lie, l’UJW élargit l’éventail de ses causes : égalité à l’emploi, amélioration des conditions de travail des femmes, mais aussi suffrage religieux et politique des femmes, aussi bien issues des classes moyennes que de la bourgeoisie58. Après la Grande Guerre, cette ouverture se poursuit, tandis que s’intensifie le combat pour les droits religieux.

  • 59 Comme la National Union of Women’s Suffrage Societies ou la London Society for Woman Suffrage.
  • 60 Au premier chef par Linda Kuzmack qui a étudié les écrits de Lily Montagu et dépouillé les docume (...)
  • 61 Montagu 1899 : 223.
  • 62 Jewish Chronicle, 15 mars 1912 : 17-18. (http://archive.thejc.com/search/pagedetail.jsp?gofrom=nu (...)

26Ce double combat est aussi celui que mène, durant sa brève existence, de 1912 au début de la Grande Guerre, la Jewish League for Woman Suffrage, un temps seule organisation juive entièrement consacrée à la défense des droits religieux et politiques des femmes. Cette ligue est animée par des figures centrales – masculines et féminines – du judaïsme britannique, qui entretiennent des liens étroits avec des organisations suffragistes non juives59 ; elle est emmenée par son éminence grise charismatique – à ce titre, très étudiée par les historien.ne.s60 – Lily Montagu que nous avons déjà rencontrée comme fondatrice de clubs féminins. Cette militante, également co-fondatrice de la Jewish Religious Union for the Advancement of Liberal Judaism, s’impose en 1918 comme la première femme à prononcer un sermon dans une synagogue anglaise, tout en continuant à affirmer son attachement à la famille, au rôle de protectrices de la morale joué par les femmes, mais surtout à la vitalité d’un judaïsme qu’elle invite, dès la fin du xixe siècle, à sortir, par la réforme, de la « léthargie »61 dans laquelle elle l’estime tombé. Certaines militantes sont tout aussi transgressives lorsqu’elles font irruption, dans les années 1912-1914, au beau milieu d’offices religieux et sont expulsées des synagogues, parfois même arrêtées62.

  • 63 Pour une comparaison entre les organisations de femmes allemandes et britanniques, cf. Tananbaum (...)

27Moralité, réformisme religieux, action sociale : ces trois exigences communes rapprochent à l’évidence les associations américaines (NCJW), britanniques (UJW, JLWS) et allemandes (JFB) des années 1890-192063. Toutes peuvent s’enorgueillir d’avancées dans leurs domaines de prédilection, ceux pour lesquels, avant tout, elles se sont constituées en organisations séparées, les droits religieux pour les femmes.

Féministes sionistes ou sionistes féministes ?

28Au cours de la même période et surtout à la fin des années 1910, émergent des féminismes d’un type nouveau : sionistes, ils se développent dans la Palestine ottomane puis mandataire. Mais ils émanent de milieux socio-politiques différents et, de fait, s’adressent à des publics différenciés. Le premier, chronologiquement, est un mouvement féminin ouvrier, étroitement lié au développement de la colonisation de la Palestine par les Juifs arrivés par vagues migratoires (aliyot) depuis les années 1880 d’Europe et des États-Unis, pour fuir l’antisémitisme et concrétiser un projet national.

  • 64 Communauté juive de Palestine avant la création de l’État d’Israël en 1948.
  • 65 Maimon 1962 : 28.
  • 66 Une instance exécutive, le Comité des ouvrières, est par exemple mise en place (Maimon 1962 : 38) (...)
  • 67 Maimon 1962 : 28, 36 et 60 : 17 représentantes de colonies juives en 1911, 30 représentantes ouvr (...)

29En 1911, se tient à Kinneret, en Galilée, une première réunion d’ouvrières parvenant difficilement à trouver du travail dans un Yishouv64 qui privilégie l’emploi masculin. Celle qui devient bientôt la figure de proue, puis l’historienne du mouvement, Ada Maimon, souligne le désir de ces femmes de prendre une parole qui leur est trop souvent refusée pour aborder les difficultés qui leur sont propres : « il est apparu clairement aux femmes qu’elles ne pourraient faire entendre leurs voix dans les conférences générales et que les délégués ne mettraient pas les problèmes spécifiques des ouvrières à l’ordre du jour »65. Non seulement la réunion est organisée par des femmes, mais elle leur est réservée. Trois ans plus tard s’amorcent les prémices de l’institutionnalisation d’un mouvement ouvrier féminin66, favorisée par une participation de plus en plus vaste67. En 1918, la conscience féministe s’aiguise ; une déléguée, Hayuta Bussel, constate amèrement :

  • 68 Propos rapporté par Maimon 1962 : 52.

Il nous est malheureusement devenu très clair que nous serions les seules, dans nos réunions, à prendre en considération nos problèmes. Nos camarades hommes n’ont aucun intérêt à nous voir prendre part aux discussions générales à propos des questions de travail68.

  • 69 Lacoue-Labarthe 2012 : 213.
  • 70 Maimon 1962 : 87, 260 et 268.

La volonté de créer une structure spécifique aux ouvrières donne naissance, en 1921, au Conseil des femmes ouvrières, branche féminine de la Confédération générale des travailleurs juifs en Palestine (Histadrout, 1920), dont Ada Maimon prend alors la tête en tant que secrétaire générale. L’égalité professionnelle des femmes et des hommes résume son programme général : accès aux mêmes professions, notamment dans les colonies agricoles qui les accueillent moins volontiers, égalité salariale, protection du droit des femmes au travail, en particulier lors des crises économiques, amélioration de la formation professionnelle féminine, ouverture de structures d’accueil pour jeunes enfants, afin de faciliter le travail des mères, puis, à partir de la fin des années 1920 et du début des années 1930, reconnaissance du statut de travailleuses aux femmes au foyer69. Ces revendications s’expriment lors des différentes conventions du Conseil des femmes ouvrières70 ; elles proposent une refondation sociale sur la base de l’égalité des sexes et d’une redistribution des rôles des femmes et des hommes. Fluidité et interchangeabilité doivent permettre d’éradiquer des stéréotypes encore très prégnants auprès de militants sionistes, pourtant eux aussi désireux de créer une nouvelle société plus égalitaire.

  • 71 Izraeli 1992 : 200-205.
  • 72 Eisin 1989 : 13.
  • 73 L’attachement des syndicats à la fonction maternelle des femmes, au détriment de leur rôle socio- (...)

30L’arrimage du Conseil des femmes ouvrières à la Histadrout est cependant révélateur du double attachement de ces militantes certes féministes, mais avant tout fidèles au sionisme et à ses institutions naissantes. Dans le contexte tendu de la Palestine mandataire, où la colonisation provoque des émeutes (1929 puis 1936), où la crise économique frappe (1926-1927 surtout), il n’est pas bon d’être accusé de séparatisme et il faut, au contraire, resserrer les rangs sionistes ; aussi le conflit de loyauté se résout-il, en quelques années, par une mise au second plan des aspirations féministes, favorisée par l’arrivée en Palestine de migrants et de migrantes moins politisés et plus conservateurs. Le remplacement, à la tête du Conseil, de la « radicale » Ada Maimon par les « loyalistes » Golda Meir en 1927 puis Beba Idelson en 193071 reflètent cette évolution des priorités, également soulignée par l’adjonction au Conseil d’une Organisation des mères travailleuses72. L’existence de cette organisation, qui propose un travail social traditionnel, est symptomatique de la priorité accordée à la fonction maternelle des femmes, dans le Yishouv de la fin des années 192073. L’autre féminisme juif de Palestine semble, en revanche, rester davantage en harmonie avec l’air du temps. Contrairement au mouvement ouvrier qui l’a relégué au second plan, c’est avant tout pour le droit de vote des femmes qu’il se mobilise.

  • 74 Cf. Yanait Ben Zvi 1963. Sur les débats au sujet du vote des femmes, cf. le récit de Maimon 1962  (...)
  • 75 Bijaoui 1981 : 134 ; Maimon 1962 : 233.
  • 76 Lacoue-Labarthe 2012 : 200.

31La réunion de 1903 où s’esquissent les premières institutions sionistes de Palestine, refuse le droit de vote aux femmes du Yishouv, alors même qu’il est en vigueur au sein de l’Organisation sioniste mondiale depuis 1899. Ce rejet est réitéré en 1917 par le Conseil temporaire des Juifs de Palestine – qui comprend pourtant une femme, suffragiste convaincue, Rachel Yanait74. Enfin, lorsqu’est établi, en 1918, le principe de l’élection d’une Assemblée nationale du Yishouv, le même refus s’impose. Des débats opposant délégués du secteur ouvrier et représentants religieux, notamment orthodoxes, conduisent à un compromis qui, comme tous les compromis, ne satisfait au fond personne : les femmes pourront voter mais non être élues. Finalement, une troisième Assemblée constitutive réunie en décembre 1918, où les religieux sont moins présents, entérine le vote féminin. Mais le débat n’est pas clos pour autant : les religieux remettent en cause cette décision et repoussent sans cesse les élections. La menace qui pèse sur ce droit nouvellement reconnu suscite une ample mobilisation : si certaines femmes étaient parvenues à se faire élire au sein de conseils municipaux (Jaffa en 1918, Rishon-le-Zion et Haïfa en 1919), et avaient adressé des courriers de protestation au conseil temporaire75, en 1919, elles se constituent en une Union des femmes hébraïques pour l’égalité des droits en eretz-Israël, regroupement de différentes associations de militantes. Cette Union est dirigée par un groupe de femmes souvent originaires de Russie – Sarah Azaryahu, Nehamah Pukhachewsky – et arrivées en Palestine entre les années 1880 et 1914, bien intégrées dans le Yishouv. Certaines exercent des professions libérales (médecine, enseignement) et sont socialement établies. Elles drainent autour d’elles des militantes surtout issues des classes moyennes urbaines, éduquées, actives dans la communauté76 et mues par un mot d’ordre apolitique : « une constitution et une loi identiques pour les hommes et les femmes ». Si leur égalitarisme ne peut être mis en doute, il est subordonné au projet sioniste, auquel ces femmes veulent contribuer au mieux :

  • 77 Groupe de migrants arrivés à Jaffa en juillet 1882.
  • 78 Le propos reprend ici, pour s’en moquer, les préjugés alors courants véhiculés à propos des jeune (...)
  • 79 Azaryahu 1957 : 158.

Nous, femmes de la dernière vague d’une immigration qui dure depuis plus de trente ans, depuis l’arrivée du groupe Bilu77, ne sommes pas venues ici comme de « délicates créatures78 », mais comme des femmes de la nation qui souhaitent remplir le devoir national que le destin a imposé à cette génération79.

  • 80 En attendant, les femmes ultra-orthodoxes ne votent pas, mais le vote de leurs maris compte doubl (...)
  • 81 Rachel Yanait Ben Zvi, Sarah Azaryahu, Ada Maimon par exemple.
  • 82 Bijaoui 1992 : 271-272.
  • 83 Maimon 1962 : 240.

32Les élections à l’Assemblée des Élus finissent par se tenir en avril 1920 – les religieux espèrent une victoire qui leur permettrait d’abroger le suffrage féminin80 – et voient l’élection de cinq femmes présentées par l’Union, sans coloration politique spécifique, pour un total de 14 femmes (sur 314 élu.e.s), dont certaines sont très proches de l’Union. Au cours des années qui suivent et devant l’hostilité des religieux, l’Union, avec l’appui d’autres militantes (celles du Conseil des femmes ouvrières, notamment) ou même d’associations internationales de femmes juives, redouble d’activité pour rendre le suffrage féminin irrévocable. En 1926, un an après une nouvelle élection de l’Assemblée – 20 femmes y siègent désormais, dont quelques féministes “historiques”81 –, elles obtiennent satisfaction. Leur combat a fait éclater la droite religieuse, mais constitue la base de la législation du pré-État82. Suffragiste, l’association entend enfin, comme son nom le laisse deviner, défendre d’autres causes liées à l’égalité des droits entre femmes et hommes : contre le mariage des très jeunes gens (des filles, en fait) ; pour le droit des femmes à obtenir des certificats d’immigration pour leur famille restée en diaspora ; mais surtout pour l’élaboration d’un code civil et la création d’un tribunal civil juif remplaçant les tribunaux rabbiniques pour les questions de droit personnel83 ; pour l’ouverture de certaines professions, avant tout libérales, encore réservées aux hommes et la reconnaissance, pour les femmes au foyer, du statut d’indépendantes. La question religieuse, on le voit parfaitement ici, ne se limite pas à la foi, mais est porteuse d’implications beaucoup plus vastes, qui viennent par exemple bouleverser le cadre juridique dans lequel évoluent les femmes.

  • 84 Lacoue-Labarthe 2012 : 223-232 notamment.
  • 85 Sur les diverses collaborations entre féministes « libérales » et ouvrières au cours des années 1 (...)

33Dans la Palestine ottomane puis mandataire, le mouvement ouvrier féminin et l’Union pour l’égalité des droits partagent certes une même hiérarchie des priorités : le sionisme est le combat principal, le féminisme lui est largement subordonné84. Ils peuvent collaborer – Ada Maimon est, par exemple, aussi bien suffragiste que militante ouvrière85 – mais ne se confondent néanmoins pas. Cette multipolarité d’activités féministes qui, au-delà de leurs différences, parviennent à croiser leurs combats, n’est alors pas propre au Yishouv.

Diversité et interconnexions

  • 86 Kaplan 1979 : 91.

34La même diversité existe, on l’a vu, dans les pays européens et aux États-Unis où naissent également des mouvements féministes juifs : sionistes, non sionistes, voire antisionistes (JFB allemand) ; suffragistes (JLWS) ou plutôt favorables à des réformes sociales et à l’égalité des droits religieux et communautaires (NCJW, UJW) ; religieux ou laïcisés – ce qui est plus rare. Parfois, cette diversité s’immisce à l’intérieur des mouvements eux-mêmes. La dirigeante du JFB, Bertha Pappenheim, est hostile au sionisme ; pourtant certaines adhérentes du mouvement sont sensibles à ce nationalisme juif86. Rebekah Kohut se souvient des divisions qu’elle s’efforce d’estomper au sein de la branche newyorkaise du NCJW. Outre les tensions entre femmes de vagues migratoires et d’origines différentes :

  • 87 Kohut 1950 : 122. Plus loin, elle dresse le portrait d’adhérentes aux profils divers (p. 202-203)

Il y avait aussi celles qui étaient farouchement orthodoxes, celles qui opposaient à l’orthodoxie un judaïsme profondément réformé ; et celles qui ne s’intéressaient nullement aux clivages religieux, mais plutôt au travail d’aide sociale87.

  • 88 Tamar Ross souligne combien, depuis le xixe siècle, la « ligne orthodoxe » est « coupée de l’hist (...)
  • 89 Dès 1876, le rabbin de Cincinnati Isaac Mayer Wise défend le vote des femmes (Nadell 1999 : 21). (...)
  • 90 Kuzmack 1990 : 167. Dans le judaïsme libéral, le divorce devient civil ; hommes et femmes siègent (...)
  • 91 Cette réunion de rabbins libéraux énonce en six points l’égalité des droits et des devoirs pour l (...)
  • 92 Décision de la Central Conference of American Rabbis (Bebe 2008 : 136). Apparu en Europe, le juda (...)
  • 93 Décision de la CCAR en 1922 (Nadell 1999 : 68-71).
  • 94 Depuis 1918, Lily Montagu, figure de proue du judaïsme libéral, prêche au Royaume-Uni. Elle devie (...)
  • 95 Résolution du CCAR en 1917 (Kuzmack 1990 : 149).
  • 96 Kuzmack 1990 : 170.
  • 97 Nadell 1999 : 89.

35La ligne de faille entre fidèles à l’orthodoxie juive et partisanes d’un judaïsme conservative ou même réformé, est une constante de mouvements qu’elle tend d’ailleurs à distinguer. Elle reflète les divisions plus générales d’un judaïsme en transition, entre conservatisme88 et perméabilité aux évolutions séculières, amené à se positionner face au mouvement de la Haskalah (Lumières juives) apparu au xviiie siècle, et à s’interroger sur l’historicité de la réception de la Torah. Ainsi, en Europe, aux États-Unis et en Palestine, des rabbins justifient religieusement l’élargissement des droits des femmes, en particulier la reconnaissance de leur droit de vote89, acceptent des modifications de la place des femmes dans la communauté et du droit, notamment concernant le divorce90, en cohérence avec les principes énoncés lors de la conférence rabbinique de Breslau (1846) à ce sujet91, acceptent le principe de l’éligibilité des femmes aux conseils d’administrations des synagogues, aux États-Unis, par exemple, dès 189292, voire admettent la direction des offices par des femmes93 et ouvrent ainsi la voie aux premières femmes rabbins94. Certains appuient, à l’aube de la Première Guerre mondiale, les revendications des féministes suffragistes95. D’autres restent au contraire attachés à la répartition ancestrale des rôles entre hommes et femmes, ou n’admettent que des changements marginaux : le judaïsme orthodoxe accorde peu de satisfactions aux femmes qui demandent davantage de droits et un rôle accru dans la communauté96. Entre réforme et orthodoxie, le judaïsme conservative
– appelé massorti en Europe – est apparu en Allemagne dans la seconde moitié du xixe siècle, puis s’est répandu en Europe et aux États-Unis ; il accepte des changements limités comme la bat mitzvah pour les filles, par exemple : aux États-Unis, cet équivalent féminin de la bar mitzvah, cérémonie d’entrée dans la majorité religieuse, s’est tenu pour la première fois en 1922. Le judaïsme conservative tient compte du contexte social dans l’application de la loi religieuse97. Dans tous les cas, la place et les droits des femmes sont devenus sujets de débats dans les communautés.

  • 98 Au début des années 1920, les mouvements féminins juifs se multiplient mais se consacrent avant t (...)
  • 99 Pappenheim 1986.
  • 100 Kohut 1925 : 265-274 et 285.
  • 101 Solomon 1946 : 120.
  • 102 Kohut 1925 : 272.
  • 103 Cf. le récit de cette réunion par celle qui la présida, Rebekah Kohut 1925 : 279-284.
  • 104 Las 1996 : 37.

36Étroitement liée au contexte historique général (émancipation des Juifs, développement de l’instruction des filles et du modèle familial de la bourgeoisie urbaine, émergence de féminismes européens et américains, etc.), l’histoire des féminismes juifs est diverse, dans l’espace comme dans le temps98. Cette diversité a toutefois tendance à être masquée par les relations et les connexions internationales qu’entretiennent les différentes associations. Depuis le tout début du xxe siècle, en effet, des femmes juives engagées dans des mouvements à dimension féministe circulent entre États-Unis, Europe et même Palestine. On a vu Bertha Pappenheim effectuer plusieurs voyages dans les Balkans, en Palestine, puis en Galicie dans sa lutte contre la « traite des Blanches »99. Après la Grande Guerre, Rebekah Kohut se rend à 23 reprises en Europe afin de préparer la venue d’unités féminines du NCJW, chargées de participer à la reconstruction et d’aider les femmes à s’organiser localement et à créer des Conseils de femmes juives, sur le modèle de l’organisation américaine. Elle se rend ainsi à Londres et Berlin, où des organisations de femmes juives sont, on l’a vu, particulièrement ancrées, mais aussi à Paris, Rotterdam, Vienne, Budapest ou encore Anvers, Francfort et Katowice100. Ces circulations favorisent échanges et collaborations : Hannah Solomon représente le NCJW au Congrès international des femmes, à Berlin, après une étape à Londres où elle rencontre des membres de l’UJW et des « pionnières mondialement reconnues de l’émancipation des femmes101 », juives, comme Bertha Pappenheim, ou non. En 1920, Rebekah Kohut assiste au congrès annuel du JFB, à Eberfeld102. Ces rencontres aboutissent à la tenue à Vienne, en 1923, d’un Congrès mondial des femmes juives qui entérine la création, restée théorique en 1914, d’un International Council of Jewish Women103. Cette instance, autant préoccupée par la lutte contre l’antisémitisme que par l’émancipation des femmes juives, s’efforce d’éviter les « sujets controversés dans certaines communautés juives, tels que les questions de l’orthodoxie et de la réforme, du sionisme et de l’antisionisme »104. Consensuelle, elle renforce les liens d’organisations féministes nationales mais contribue aussi à brouiller leurs spécificités et à marginaliser les discours plus radicaux.

*

  • 105 Lerner G. 1993.

37L’interconnexion des mouvements de femmes juives d’Europe, des États-Unis, de Palestine, révèle ainsi une véritable effervescence à partir des années 1890 et l’existence de féminismes, non étanches les uns aux autres, plutôt que d’un féminisme juif ; dans le même temps, les échanges et circulations féminines, s’ils en favorisent la visibilité, en réduisent la dimension critique et peuvent, paradoxalement, contribuer à leur moindre reconnaissance, dans l’historiographie féministe, au profit des mouvements apparus dans les années 1970 et inscrits dans une « deuxième vague » perçue comme plus radicale. Parler d’une première vague à leur propos ne semble néanmoins pas impropre, dans la mesure où ils ont, comme les mouvements non juifs, balisé le terrain pour leurs successeurs, en participant, y compris à l’échelle internationale, à la « création d’une conscience féministe »105.

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Yanait Ben Zvi Rachel, 1963, Coming Home, Tel-Aviv, Massadah-P.E.C. Press [trad. de l’hébreu par David Harris et Julian Meltzer].

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Notes

1 Cf. par exemple Baum, Hyman et Michel 1977 ; Glanz 1976 ; Baker 1993 ; Koltun 1976.

2 Elle est présente dans Greenberg 1981 ; Heschel 1983.

3 Evans 1977 ; Stites 1978.

4 Par exemple : Levin 1977 ; Frankel 1981 ; Ertel 1986.

5 Entre autres : Reinharz & Raider 2005 ; Las 1996.

6 Sur les féministes juives de la « deuxième vague », cf., en français, Pouzol 2008 ; sur le féminisme et le judaïsme contemporain, citons Plaskow 1991 ; Barack Fishman 1993 et 2000 ; Ross 2000 et 2004 ; Israel-Cohen 2012.

7 Comme le fut, pendant longtemps en France, celle à laquelle Christine Bard a tout récemment donné une « deuxième vie ». Cf. Bard 2015 : notamment 19-20.

8 Kuzmack 1990.

9 Par exemple : Bijaoui 1981 ; Bernstein 1987 ; Izraeli 1981.

10 Vilmain 2008 et 2011 ; Lacoue-Labarthe 2012.

11 Lerner G. 1976 : 357.

12 Bard 2015 : 20.

13 Lerner G. 1993.

14 Kaplan 1991 : 218.

15 Cité dans Kaplan 1991 : 218. Voir aussi Fassmann 1996.

16 Stites 1978 : 169 et 228-229.

17 Sur la participation de femmes juives d’Europe centrale et orientale à des mouvements politiques et au mouvement ouvrier, voir Shepherd 1993 et Kuzmack 1990 ; pour le cas du Bund, où les femmes représentent environ un tiers des militant.e.s, voir Glenn 1990 : 37 et suivantes, et la notice de Jack Jacobs sur le Bund, dans l’encyclopédie en ligne Jewish Women’s Archive, http://jwa.org/encyclopedia/article/bund.

18 Glanz 1976 : 90-94 et 99-100.

19 Ce parti suffragiste newyorkais, né à Carnegie Hall en octobre 1919, est une ramification locale de la National American Woman Suffrage Association. Il est organisé en districts, sur le modèle des partis politiques. Cf. Schaffer 1962. Les chiffres fournis sont ceux d’Elinor Lerner 1981 : 449.

20 Lerner 1981 : 448.

21 Elle en devient présidente en 1917 ; de 1926 à 1950, elle dirige la WTUL nationale.

22 Kuzmack 1990 : 152 notamment.

23 Kuzmack 1990 : 139.

24 Cf. Klejman & Rochefort 1989 : 150-151 ; sur les femmes juives dans le CNFF, Cohen 2011.

25 La secrétaire général de l’UFSF est, à partir de 1913, Cécile Brunschvicg. Issue d’une famille juive de la bourgeoisie parisienne, la jeune femme entre en 1907 au CNFF, puis en 1909 dans l’association suffragiste dont elle devient présidente en 1923 (Pichon 2012 : 132).

26 Le CNFF entend ainsi dépasser les clivages confessionnels et atteindre l’ensemble des femmes. Il s’affiche comme féministe et laïque (Cohen 2011 : 85), au moins neutre (Bard 2006 : 4).

27 Grand Colomb 1980 : 55-56.

28 Kuzmack 1990 : 39-40.

29 Kuzmack 1990 : 139.

30 Solomon 1911 : 224-225.

31 « Nous n’avions pas l’intention d’exclure les hommes […]. Nous étions prêtes à accueillir ceux qui auraient réclamé leur admission. À ce jour, ils ne l’ont pas fait » (Solomon 1911 : 140).

32 Solomon 1911 : 260.

33 Kaplan 1991 : 192.

34 Kuzmack 1990 : 13.

35 Spence 2004 : 506-507.

36 Cf. Dianne Ashton, Jewish Women’s Archives, http://jwa.org/encyclopedia/article/gratz-rebecca

37 Solomon 1946 : 43.

38 Cf. Lemons 1973 : vii-viii.

39 Kaplan 1979 : notamment 12-14, mais aussi chapitre 3 : 59-101.

40 Sisyphus-Arbeit, 1924 ; édition française : Pappenheim 1986.

41 La Ligue compte ainsi environ 35 000 membres en 1914, 50 000 à la fin des années 1920 ; ses filiales sont présentes dans l’ensemble de l’Allemagne (Kaplan 1979 : 90). Le groupe de Kissingen rejoint en 1919 la Ligue des Femmes Juives (Kaplan 1991 : 203).

42 À bord du Tsarevitch, 26 avril 1911, Pappenheim 1986 : 142.

43 Frauenrechte. Schauspiel in Drei Aufzügen, Dresden, Verlag Pierson.

44 Kaplan 1979 : 22.

45 Solomon 1911 : 123.

46 Kohut 1925 : 30.

47 Las 1996 : 18.

48 Baum, Hyman et Michel 1977 : 51.

49 Chiffres donnés par Solomon 1946 : 113 et 213.

50 Solomon 1911 : 129. Sur les premiers pas du NCJW, voir Las 1996 : 15-20 ; Solomon 1946 : 79-91 et Grand Colomb 1980 : 57-61. Sur les thèmes abordés lors de cette réunion constitutive, cf. Jewish Women’s Congress, 1894.

51 Solomon 1911 : 60 et 68. La conférence s’intitule : « Women as Breadwinners ». Solomon insiste régulièrement sur la complémentarité des femmes et des hommes dans la société en général et dans la communauté en particulier (Solomon 1911 : 175).

52 Solomon 1911 : 122.

53 Solomon 1911 : 184. Discours au NCJW, Baltimore, décembre 1902.

54 Rebecca Gratz (1781-1869) est une philanthrope et éducatrice américaine ; Emma Goldman (1869-1940) est une militante anarchiste russe ; Grace Aguilar (1816-1847), poétesse et romancière anglaise a notamment publié en 1845 Les femmes d’Israël, vaste série de récits biographiques.

55 Kohut 1925 : 72

56 Kuzmack 1990 : 148.

57 UJW Report, 1905, p. 9, cité in Kuzmack 1990 : 49.

58 Pour les activités philanthropiques, Kuzmack 1990 : 50 ; pour un bilan de l’activité de formation professionnelle de l’JUW, voir Kuzmack 1990 : 81-82 et Tananbaum 1999 ; sur l’évolution des activités Kuzmack 1990 : 83.

59 Comme la National Union of Women’s Suffrage Societies ou la London Society for Woman Suffrage.

60 Au premier chef par Linda Kuzmack qui a étudié les écrits de Lily Montagu et dépouillé les documents (correspondance et sermons) de la collection de microfilms Ellen M. Umansky (Archives Juives Américaines, Cincinnati, Ohio) qui lui sont consacrés.

61 Montagu 1899 : 223.

62 Jewish Chronicle, 15 mars 1912 : 17-18. (http://archive.thejc.com/search/pagedetail.jsp?gofrom=null&goto=null&issue=MARCH%2015%201912&refno=/archive/output/1912/1912-1-%20-%200311.gif).

63 Pour une comparaison entre les organisations de femmes allemandes et britanniques, cf. Tananbaum 1999 : 377-378.

64 Communauté juive de Palestine avant la création de l’État d’Israël en 1948.

65 Maimon 1962 : 28.

66 Une instance exécutive, le Comité des ouvrières, est par exemple mise en place (Maimon 1962 : 38).

67 Maimon 1962 : 28, 36 et 60 : 17 représentantes de colonies juives en 1911, 30 représentantes ouvrières en 1914, 70 en 1918.

68 Propos rapporté par Maimon 1962 : 52.

69 Lacoue-Labarthe 2012 : 213.

70 Maimon 1962 : 87, 260 et 268.

71 Izraeli 1992 : 200-205.

72 Eisin 1989 : 13.

73 L’attachement des syndicats à la fonction maternelle des femmes, au détriment de leur rôle socio-économique n’est pas propre au mouvement ouvrier du Yishouv : au cours de cette période, en Europe, notamment en France, un tel discours reste très présent, cf. Frader 1998.

74 Cf. Yanait Ben Zvi 1963. Sur les débats au sujet du vote des femmes, cf. le récit de Maimon 1962 : 235.

75 Bijaoui 1981 : 134 ; Maimon 1962 : 233.

76 Lacoue-Labarthe 2012 : 200.

77 Groupe de migrants arrivés à Jaffa en juillet 1882.

78 Le propos reprend ici, pour s’en moquer, les préjugés alors courants véhiculés à propos des jeunes femmes venues d’Europe ou des États-Unis et supposées inaptes à participer à la construction, notamment au sens propre du terme, du Yishouv ; au contraire, certaines de ces migrantes se voient comme des pionnières et revendiquent la possibilité de contribuer comme les hommes à ce projet, y compris par les travaux les plus éprouvants physiquement, cf. Lacoue-Labarthe 2012 : en particulier 211-217.

79 Azaryahu 1957 : 158.

80 En attendant, les femmes ultra-orthodoxes ne votent pas, mais le vote de leurs maris compte double (Bijaoui 1992 : 267).

81 Rachel Yanait Ben Zvi, Sarah Azaryahu, Ada Maimon par exemple.

82 Bijaoui 1992 : 271-272.

83 Maimon 1962 : 240.

84 Lacoue-Labarthe 2012 : 223-232 notamment.

85 Sur les diverses collaborations entre féministes « libérales » et ouvrières au cours des années 1920 et 1930, cf. Lacoue-Labarthe 2012 : 202-211.

86 Kaplan 1979 : 91.

87 Kohut 1950 : 122. Plus loin, elle dresse le portrait d’adhérentes aux profils divers (p. 202-203).

88 Tamar Ross souligne combien, depuis le xixe siècle, la « ligne orthodoxe » est « coupée de l’histoire », en ce qui concerne la loi religieuse (Ross 2007 : 244).

89 Dès 1876, le rabbin de Cincinnati Isaac Mayer Wise défend le vote des femmes (Nadell 1999 : 21). Plus tardivement, le grand rabbin séfarade du Yishouv puis d’Israël, de 1939 à 1953, se prononce en faveur du suffrage féminin (Ross 2007 : 249).

90 Kuzmack 1990 : 167. Dans le judaïsme libéral, le divorce devient civil ; hommes et femmes siègent ensemble dans nombre de synagogues, tandis que se répandent l’étude du judaïsme et la confirmation pour les filles, y compris dans certaines communautés orthodoxes.

91 Cette réunion de rabbins libéraux énonce en six points l’égalité des droits et des devoirs pour les femmes et les hommes (Bebe 2008 : 134). Cette déclaration ne sera suivie d’effets que peu à peu, dans les premières décennies du xxe siècle (Nadell 1999 : 18-19). Elle influence néanmoins les réformistes américains.

92 Décision de la Central Conference of American Rabbis (Bebe 2008 : 136). Apparu en Europe, le judaïsme réformé se répand rapidement aux États-Unis dans la seconde moitié du xixe siècle, notamment par le biais de rabbins venus du Vieux Continent (Nadell 1999 : 14). Voir aussi, pour le Royaume-Uni, Kuzmack 1990 : 168-169.

93 Décision de la CCAR en 1922 (Nadell 1999 : 68-71).

94 Depuis 1918, Lily Montagu, figure de proue du judaïsme libéral, prêche au Royaume-Uni. Elle devient rabbin en 1944 (Kuzmack 1990 : 136-139). Aux États-Unis, il faut attendre 1972 pour que Sally Priesand soit officiellement et publiquement ordonnée rabbin (Bebe 2007 : 220).

95 Résolution du CCAR en 1917 (Kuzmack 1990 : 149).

96 Kuzmack 1990 : 170.

97 Nadell 1999 : 89.

98 Au début des années 1920, les mouvements féminins juifs se multiplient mais se consacrent avant tout au travail social, dans le contexte de reconstruction d’après-guerre puis de crise économique. Le nazisme fait disparaître le JFB et d’autres organisations de femmes juives.

99 Pappenheim 1986.

100 Kohut 1925 : 265-274 et 285.

101 Solomon 1946 : 120.

102 Kohut 1925 : 272.

103 Cf. le récit de cette réunion par celle qui la présida, Rebekah Kohut 1925 : 279-284.

104 Las 1996 : 37.

105 Lerner G. 1993.

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Pour citer cet article

Référence papier

Isabelle Lacoue Labarthe, « L’émergence d’une « conscience féministe » juive. Europe, États-Unis, Palestine (1880-1930) »Clio, 44 | 2016, 95-122.

Référence électronique

Isabelle Lacoue Labarthe, « L’émergence d’une « conscience féministe » juive. Europe, États-Unis, Palestine (1880-1930) »Clio [En ligne], 44 | 2016, mis en ligne le 01 décembre 2019, consulté le 07 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/13235 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.13235

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Isabelle Lacoue Labarthe

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