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Dossier

Minorité juridique et citoyenneté des femmes dans la Rome républicaine

Women in republican Rome : legally minors but citizens in civil society
Aude Chatelard
p. 23-46

Résumés

En tant que mineures juridiques, les femmes romaines sont normalement exclues des privilèges politiques tel que le droit de vote, tout comme elles sont exemptes des devoirs des citoyens (armée ou charges fiscales). Les femmes bénéficiaient cependant pleinement des privilèges garantis par le droit civil. Et bien que leur prise de parole dans des contextes politiques relève de l’exceptionnel, les lieux d’exercice de la citoyenneté leur étaient accessibles. C’est dans la religion publique que le terme civis Romana apparaît finalement. De cette étude, il résulte que la citoyenne romaine existait bel et bien, et que cette citoyenneté se rapprochait de la civitas sine suffragio. La société romaine reposait avant tout sur des inégalités et une hiérarchie omniprésentes : entre les hommes citoyens de plein droit, entre eux et les citoyens sans suffrage, et entre citoyens et femmes citoyennes. Cependant, tous pouvaient expérimenter une forme de citoyenneté à travers des actes civiques.

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Texte intégral

  • 1 Ulpien, cité par le Digeste, 50, 17, 2 (traduction personnelle).

« Les femmes sont tenues à l’écart des fonctions publiques et civiques (feminae ab omnibus officiis civilibus vel publicis remotae sunt).
Elles ne peuvent être juges ou jurés, tenir des magistratures, paraître au tribunal, y agir au nom d’autrui ou être procureur »1

  • 2 Tous ces juristes, à savoir Ulpien, Gaius, Paul Diacre ou l’auteur du code de Justinien ont vécu en (...)
  • 3 Tout au long de cet article, sauf mention contraire, les femmes mentionnées devront être comprises (...)
  • 4 La formule de Valère-Maxime est Quid feminae cum contione ? Si patrius mos seruetur, nihil (Faits e (...)
  • 5 En dernier lieu : Valentini 2013.
  • 6 Peppe 1984 ; Thomas 1991.
  • 7 Notons toutefois la récente thèse de M. Safran sur la figure de la civis Romana dans le premier liv (...)
  • 8 D’autres sources permettent de compléter notre connaissance du droit romain ainsi que son évolution (...)

1La vision qu’Ulpien et d’autres juristes romains2 nous ont transmise de la capacité qu’auraient eue les femmes3 à exercer des droits propres à la citoyenneté est particulièrement décourageante. À la suite de Valère-Maxime, nous pourrions alors nous demander : « Qu’est-ce que les femmes ont à voir avec une assemblée délibérative (contio) ? Selon la tradition ancestrale, rien ! »4. De fait, avec l’émergence de l’histoire des femmes, puis de l’histoire du genre, un très grand nombre d’ouvrages et d’articles ont mis en lumière les différents aspects de la vie des femmes dans la Rome ancienne. Beaucoup a été écrit sur le mariage et leur statut d’épouse5. Les années 1970 et les mouvements féministes ont ouvert la voie à des études sur le statut juridique des femmes, et notamment sur leurs incapacités juridiques6. Elles ont aussi permis de démontrer leur émancipation principalement au niveau familial, économique et sexuel au cours de la République romaine. Présentées généralement par les auteurs anciens comme une catégorie de la population qui doit demeurer dans la sphère privée, les femmes ont désormais gagné dans l’historiographie une reconnaissance pour leurs actions dans la sphère publique. Cependant, le terme de « citoyennes » pour désigner les femmes libres nées de parents citoyens reste encore souvent d’emploi rare, tout comme les études spécialisées sur la citoyenneté des femmes à Rome7. Il faut dire que l’historiographie de la citoyenneté romaine repose essentiellement sur l’étude du droit romain8 ; or, comme nous l’avons vu, ce dernier est formel : il n’est de citoyenneté possible que pour les hommes.

  • 9 Cizek 1990 : 75. Sous la République, la citoyenneté romaine se révèle au travers de textes de loi c (...)
  • 10 Humm 2005 : 576-584 et 590-600.

2Longtemps, il n’y eut aucun « code » définissant la citoyenneté à Rome et il fallut attendre les juristes de l’Empire pour que des règles de la citoyenneté soient compilées9. En latin, le mot civitas désigne aussi bien la cité de Rome que l’ensemble du peuple romain, c’est-à-dire les citoyens (cives, sg : civis) à l’exclusion des étrangers et des esclaves, ainsi que l’exercice des droits et des devoirs découlant de l’appartenance à ce peuple. L’exercice des droits politiques, comme le droit de vote, ne constitue donc qu’un des sens possibles de cette civitas. Cependant, la civitas romaine ne peut être synonyme de l’idée de citoyenneté telle qu’elle est actuellement définie. Si au xxie siècle la citoyenneté est assez généralement comprise comme impliquant avant tout l’appartenance à un pays, assortie de l’exercice du droit de vote, on peut supposer qu’il n’en fut pas toujours le cas. Après la Révolution française, c’est le suffrage censitaire masculin qui est adopté, et il faut attendre 1848 pour que le suffrage universel masculin devienne la norme. Les inégalités sociales faisaient le lit des inégalités dans l’exercice de la citoyenneté et, ainsi, le droit de vote pouvait difficilement constituer une référence pour tous en matière de citoyenneté. La comparaison avec la République romaine fait sens, dans la mesure où elle fut l’un des modèles des expérimentations de la Révolution française. Or dans la République romaine, l’inégalité entre citoyens se trouve justifiée par le principe de l’égalité géométrique, selon lequel chacun a des droits et des devoirs en fonction de ses moyens, de ses qualités et ses mérites10.

  • 11 Pour une définition de la citoyenneté sociale en histoire contemporaine, voir Castel 2008 : 135.

3De fait, qu’est donc la citoyenneté dans la Rome républicaine ? Quelles formes revêt-elle et comment se situent les femmes au sein de la civitas ? Par-delà la confrontation du droit théorique et des pratiques sociales telles qu’on les lit au détour des textes anciens, un détour destiné à déterminer si les femmes appartenaient à la citoyenneté selon les critères retenus par les juristes, cet article propose une réflexion sur l’idée de citoyenneté à l’époque de la Rome républicaine. Partant d’une vision floue de l’appartenance des femmes à la cité, j’interrogerai cette appartenance en premier lieu à travers les sources juridiques qui définirent des contours de la citoyenneté selon le prisme des capacités électives, délibératives et judiciaires et en font une affaire strictement masculine même si, ainsi que le montre le mythe des origines de Rome, certaines femmes se voient symboliquement reconnues un rôle essentiel dans les fondements de la citoyenneté romaine. Au-delà de rôles dévolus aux femmes, par le droit ou par les mythes, la participation aux affaires de la cité constitue un pan essentiel de l’analyse, comme on le verra dans un deuxième temps. Elle apparaît comme un terme clé de la citoyenneté et justifie l’usage, chez les historiens actuels, de l’expression de citoyenneté sociale11. Enfin, la religion étant inséparable de la sphère publique et politique, c’est sur ce terrain que je clôturerai mon enquête, là où le terme de civis Romana, c’est à dire de la citoyenne romaine, apparaît finalement dans des sources anciennes.

Aux hommes la citoyenneté, aux femmes la mise sous tutelle ?

4Contrairement au grec πολῖτις, il n’existe pas de terme spécifique, en latin, permettant de désigner une citoyenne. À Rome, la curie (curia) constitue le plus ancien critère d’appartenance à la communauté des Quirites. Étymologiquement, le mot désigne littéralement « un rassemblement d’hommes ». À ce titre, le citoyen, que le latin désigne sous les termes de civis ou de quiris, ne peut être qu’un homme (vir), et un homme libre de surcroît, qui n’accède à la plénitude de son rôle que lorsqu’il est parmi d’autres vires, réunis au service de la cité (Populus Romanus Quiritium).

  • 12 L’ensemble de ces droits constitue le ius civile, divisé en droit public (ius publicum) et droit pr (...)
  • 13 Nicolet 1976 : 122-149 ; Carrié 1992 : 127-172.
  • 14 Le tributum est officiellement suspendu à partir de 167 av. J.-C. grâce à l’énorme butin fait par P (...)

5Le propre du citoyen est de bénéficier de droits12, mais aussi d’être soumis à des devoirs, parmi lesquels, en premier lieu, celui d’être soldat au service de la cité. Pendant la période républicaine, Rome est avant tout une « communauté de guerriers » constituée de “citoyens-soldats”13. Et parce qu’il est mobilisable, le citoyen est inscrit sur les registres du cens : il est alors intégré dans l’une des centuries censitaires en fonction de sa fortune et paie en proportion sa part du tributum destiné au financement de l’armée et du stipendium14. Ces unités censitaires à caractère militaire sont également des unités de vote. En effet, l’exercice de la citoyenneté se définit aussi par la capacité, au moins théorique, à participer de manière active à la vie politique de la cité, lors du vote des lois ou des élections de magistrats, dans le cadre d’assemblées centuriates ou tributes. Que ce soit sous la République romaine ou sous l’Empire, les femmes sont exclues aussi bien de l’armée que des comices. Ces critères étant ceux qui sont encore généralement retenus pour définir la citoyenneté romaine, les femmes apparaissent effectivement exclues d’un tel modèle de citoyenneté.

6Cependant, il existe d’autres droits associés à l’exercice de la citoyenneté des Quirites, ainsi le droit d’être élu magistrat (ius honorum) – dans la pratique uniquement utilisable par les membres de l’aristocratie –, le droit à la propriété (ius census), le droit de faire appel au tribun de la plèbe pour être défendu (ius auxilii) ou encore le droit de faire appel au peuple après une décision de justice (ius provocationis). En terme de droit public, il faut également compter le ius sacrorum, c’est-à-dire le droit de participer aux sacerdoces. Celui-ci est reconnu aux femmes, du moins à certaines d’entre elles. La religion romaine ne compte que peu de prêtresses : les vestales, l’épouse du flamen Dialis (la flaminica), celle du rex sacrorum (la regina sacrorum) et la prêtresse publique de Cérès. De même, aucune femme ne fait partie des collèges de prêtres, sauf les vestales, qui sont sous l’autorité du pontife. Ainsi, à première vue, les femmes romaines de la République ne paraissent pas trouver dans la religion une forme de compensation à leur globale mise à l’écart.

7À ces droits et devoirs relatifs à la vie publique s’ajoutent des droits civils d’ordre privé. Ceux-ci sont essentiellement le droit de se marier légalement avec une personne d’origine romaine (ius conubii), le droit d’acheter ou de vendre sur le territoire romain (ius commercii) ou le droit d’intenter une action judiciaire devant un tribunal romain (ius legis actionis).

8À présent que nous avons dressé un rapide bilan de ce que recouvre la citoyenneté romaine selon les sources juridiques, nous pouvons commencer l’enquête destinée à déterminer si les femmes romaines possédaient certains droits ou devoirs d’ordre politique, sachant que ce sont ces derniers qui font d’une personne libre un citoyen à part entière.

La tutelle des femmes

  • 15 Gaius, Institutes, 1, 144 et 145.
  • 16 On peut dater ces dispositions au moins de l’époque des XII Tables. D’après Gaius, Institutes, I, 1 (...)
  • 17 Tite-Live, Histoire romaine, xxxiv, 2-7 ; Valère-Maxime, Faits et dits mémorables, ix, 1, 3. Voir A (...)
  • 18 Burck 1992 : 161-162 ; Mineo 2006 : 327-330.
  • 19 Bien que les femmes soient tenues de rester sous tutelle perpétuelle en raison de leur « faiblesse  (...)

9Le mos maiorum, qui désigne la tradition et le mode de vie que l’on attribuait aux ancêtres, ainsi que la jurisprudence romaine probablement issue de la loi des XII tables, datée du ve siècle avant J.-C., prévoient que même majeures, les femmes doivent rester sous tutelle « en raison de leur légèreté d’esprit » (propter animi levitatem). Ceci concerne toutes les femmes, même mariées, sauf les vestales, « par considération pour leur sacerdoce »15. Dans le cas où le père ou l’époux vient à mourir, l’épouse ou la fille deviennent autonome juridiquement (sui iuris) et peuvent hériter, mais la tutelle perpétuelle des femmes (tutela mulierum perpetua) ne disparaît pas. Un tuteur doit être attribué à la femme, qu’il soit issu de la même famille ou non16. Selon Tite-Live, qui écrit à la fin du ier siècle avant J.-C, Caton aurait tenu un discours au sénat, en 195 avant J.-C., rappelant que les femmes ne pouvaient mener aucune affaire, même privée, « sans l’autorité d’un tuteur » (sine tutore auctore)17, et ce, parce qu’elles devaient rester en permanence sous une autorité masculine, que ce soit la potestas du père, la manus du mari, ou la tutelle d’un frère, d’un oncle ou d’un membre extérieur à la famille. Pourtant, la situation des femmes a probablement déjà évolué même à l’époque de Caton18. La pratique du mariage sans tutelle du mari (sine manu) semble être devenue fréquente au cours de la République. De fait, le mariage avec tutelle du mari (cum manu) pourrait être tombé en désuétude entre la fin de la République et l’Empire19. Au regard du droit, la femme demeure dans sa famille d’origine.

  • 20 Cicéron, Pro Murena, 27.
  • 21 Gaius, Institutes, 1, 190. Il est vraisemblable que cette situation soit déjà d’actualité à l’époqu (...)

10Même si les femmes n’ont jamais pu mener des affaires, même privées, sans la présence d’un tuteur, on constate que dans la pratique, la situation est plus complexe, au point que Cicéron ironise, sur l’ascendant pris par les femmes sur leur propre tuteur20. Finalement, Gaius admet lui-même que l’argument de la légèreté d’esprit, justifiant la tutelle des femmes, est spécieux puisque non seulement les femmes gèrent leurs propres affaires, mais les tuteurs se montrent souvent peu intéressés par l’exercice de leur autorité au point que les préteurs doivent les obliger à accorder leur autorisation « pour la forme », parfois même contre leur gré21.

Une capacité à se représenter elles-mêmes dans le domaine judiciaire

  • 22 Ulpien, Tituli ex corpore Ulpiani, 11, 1.
  • 23 Paul, cité par le Digeste, 5, 1, 12, 2.

11La « faiblesse de la nature féminine » (infirmitas sexus) a souvent été invoquée comme raison, ou comme excuse, à la tutelle des femmes, au nom de la protection des intérêts économiques des femmes, ainsi que de ceux de leurs parents. Cependant, Ulpien admet que l’infirmitas sexus n’est pas la seule explication à la tutelle des femmes : celle-ci se justifierait également par leur ignorance de la vie du forum et des affaires qui s’y déroulent, c’est-à-dire des affaires politiques et judiciaires22. Cette ignorance des affaires du forum serait due, d’après Paul, au fait que les femmes ne sont pas autorisées à assumer des « charges civiles » (civilia officia)23 : pour le juriste, les femmes ne seraient donc pas empêchées d’agir à cause d’une nature prétendument inférieure, mais à cause d’usages anciens établis par la tradition.

  • 24 Les plus célèbres cas sont ceux de Fannia de Minturnes, Maesia de Sentinum et Afrania (ou Carfania) (...)
  • 25 Cette évolution se situe entre le iie et le ier siècle avant J.-C. L’exemple le plus ancien de femm (...)
  • 26 Dans ses commentaires sur l’Édit du préteur au sujet des restrictions relatives à la représentation (...)
  • 27 Thomas 1991 : 197-200.

12Dans les faits cependant, en ce qui concerne les affaires judiciaires, des femmes ont pu se défendre elles-mêmes lors de procès car il était admis qu’une femme puisse agir en son seul nom. Sans pouvoir avancer que la majorité des femmes en avaient la capacité ou étaient spécialistes du droit, cette situation ne semble pas avoir été exceptionnelle à la fin de la République24. À mesure que les femmes– du moins celles des couches supérieures – accédèrent à une meilleure éducation au cours de la République25, leur connaissance du droit s’accrut probablement. Certaines auraient même offert des conseils juridiques, ou auraient représenté autrui lors de procès26. Ce constat se trouve en contradiction avec les textes de droit qui soulignent l’ignorance que les femmes auraient eue des affaires publiques au forum. Pour conclure, nous pouvons dire que, dans les faits, Rome reconnaît non seulement aux femmes le droit d’intenter un procès, mais également et dans une certaine mesure les mêmes droits et les mêmes devoirs qu’aux hommes, à savoir le devoir de connaître la loi et le droit de se représenter elles-mêmes. Le droit de représenter autrui leur échappe cependant. S’il s’agit indéniablement d’une restriction aux actions judiciaires que les femmes étaient en droit d’engager, cette incapacité à représenter autrui les exclut définitivement des civilia officia, ces devoirs et ces droits qui incombaient spécifiquement aux citoyens hommes, comprenant le droit de vote et le droit à accéder aux magistratures27.

Transmission de la citoyenneté par les femmes et origines mythiques de l’identité civique

  • 28 Ibid. : 136-140.
  • 29 Un tel cas s’est posé en 171 avant J.-C. lorsque les habitants de Cortéia demandent au Sénat la cit (...)
  • 30 Cette disposition (ius adipiscendae civitatis per magistratum), issue du droit latin (ius Latii), e (...)

13À Rome, le mariage est indispensable aux hommes pour créer un lien de paternité ; en effet, un citoyen est un homme romain libre, né d’une femme romaine libre28. Cette dernière est définie comme fille de citoyen, sœur de citoyen, épouse de citoyen et mère de citoyen, plutôt que comme citoyenne elle-même. Quant aux enfants que des citoyens romains ont eus avec des femmes étrangères libres, il faut un décret du Sénat ou une décision du préteur urbain pour qu’ils puissent devenir citoyens29. En fait, la transmission de la citoyenneté ne peut se faire, de manière automatique, que si la mère la possède également. D’ailleurs, dans le cadre du droit latin (ius latii), la citoyenneté est accordée aux anciens magistrats des municipes et des colonies latines, ainsi qu’à leurs femmes et à leurs enfants30.

  • 31 Tite-Live, Histoire romaine, i, 9, 10-16 ; 13, 1-7 ; Denys d’Halicarnasse, Antiquités Romaines, ii, (...)
  • 32 Tite-Live, Histoire romaine, i, 13, 6.
  • 33 Cicéron, De la République, ii, 4. Cette légende est également reprise par Tite-Live (Histoire rom (...)
  • 34 Voir Poucet 1967 : 214-240.

14L’épisode légendaire de l’enlèvement des Sabines, placé aux origines de Rome, puis de la création des 30 curies auxquelles elles auraient donné leurs noms, permet de comprendre la place occupée par la femme citoyenne dans l’organisation politique et institutionnelle de la cité31. C’est en effet grâce aux Sabines et à leur union avec des citoyens romains que la cité a pu continuer à exister et se perpétuer en donnant naissance, non pas à des enfants étrangers, mais à des citoyens32. Non seulement les curies portent le nom des Sabines enlevées33, qui avaient été en quelque sorte « naturalisées romaines », mais l’épisode montre que la transmission de la citoyenneté romaine ne se conçoit que si la mère est citoyenne romaine, intégrée à la cité par le biais du mariage reconnu par la loi. Le mythe de l’enlèvement des Sabines, puis de leur intégration dans la citoyenneté romaine par l’éponymie des curies, premier cadre institutionnel de la citoyenneté à Rome, constitue ainsi un récit étiologique qui faisait sens au moins dès la fin de la République pour expliquer la place des femmes dans la cité34.

Citoyenneté sociale et participation civique des femmes

Les femmes et la fiscalité

  • 35 Humm 2005 : 375-397.
  • 36 Tite-Live, Histoire romaine, i, 43, 9. Cicéron (De la République, ii, 20) mentionne également le pa (...)
  • 37 Voir Nicolet 1966 : 36-45 ; Humm 2005 : 168-169.

15L’exercice de la citoyenneté comprend bien entendu des devoirs, parmi lesquels la participation à l’armée et le paiement des impôts, qui, à Rome, vont de pair. Les femmes ne sont jamais appelées à combattre dans l’armée ni ne sont concernées par le paiement de l’impôt direct, le tributum, qui, calculé sur les biens fonciers possédés par les citoyens, sert à financer la solde des légionnaires35. Est néanmoins prévue la participation de certaines femmes à une forme d’impôt : l’argent pour payer l’orge des chevaux publics (aes hordearium), requise sous la forme d’« une taxe annuelle de deux mille as, payée par les veuves »36. Cette taxe permet aux chevaliers disposant du “cheval public” (equites equo publico) d’entretenir leurs chevaux37. Il s’agit bien entendu de veuves dont l’époux entrait dans les catégories censitaires concernées par le tributum et qui avaient donc les moyens de payer cette taxe. Avec la mort d’un membre de l’ordre équestre, Rome perdait à la fois un chevalier capable d’assurer son service militaire et un citoyen aisé capable de payer un tributum élevé. Par le paiement de l’aes hordearium, qui, comme le tributum, est destiné à couvrir des frais militaires, la veuve se substitue ainsi, d’une certaine façon, au mari disparu afin que la contribution de l’époux à la cité ne disparaisse pas complètement. Ces veuves se trouvent dans l’obligation d’assumer la charge d’une « taxe de chef de famille » probablement en raison de leur veuvage. Par ailleurs, dans la mesure où le tributum est supprimé en 167 avant J.-C., il est assez probable que l’aes hordearium ne lui survécut pas.

16On comprend donc qu’une fois le paterfamilias décédé, et lorsque les enfants sont manifestement mineurs, la veuve devient ainsi, aux yeux de la fiscalité romaine, une sorte de chef de famille « de transition ». Cependant, plutôt que d’assurer une simple continuité des impôts versés par le chef de famille, le fait qu’une telle taxe soit exigée de la part de veuves de chevaliers montre que ces femmes constituent une catégorie fiscale particulière et originale : les veuves continuent d’être perçues à travers leur statut marital, mais dans un même temps, la taxe qui leur incombe est unique à Rome en ce qu’elle vise en premier lieu des citoyennes.

Des femmes dans les lieux de la citoyenneté

  • 38 Tite-Live, Histoire romaine, xxxiv, 2, 6-11.
  • 39 Un exemple célèbre est celui de Terentia, l’épouse de Cicéron, qui joua un rôle dans le dénouement (...)
  • 40 Tite-Live, auteur de la fin du ier siècle avant J.-C., écrit son Histoire romaine dans une perspect (...)

17Le texte de Tite-Live censé reprendre le discours de Caton l’Ancien sur la tutelle des femmes, que nous avons cité précédemment, permet de relativiser les affirmations des juristes sur la prétendue méconnaissance des affaires du forum par les femmes38. La circonstance est alors exceptionnelle : en 195, les femmes auraient manifesté en faveur de l’abrogation d’une loi somptuaire, limitant vêtements et bijoux de luxe. Au moment de cette « manifestation », la guerre est terminée depuis sept ans et les femmes « parcourent les rues et les places » (per uias et compita), « descendent au Forum, se mêlent aux discussions des assemblées préparatoires et aux comices » (foro prope et contionibus et comitiis immisceri) et font pression sur leurs maris avant la tenue des votes39. Bien que la réaction choquée que Tite-Live prête à Caton suggère qu’un tel comportement n’était ni commun, ni en adéquation avec la pudeur que des matrones romaines au début du iie siècle avant J.-C., se devaient de garder40, ce texte permet au moins de constater que, en 195 avant J.-C., ni le Forum, ni les assemblées où le peuple se réunissait sans procéder à un vote (contiones) n’étaient interdits aux femmes, et qu’aucune tentative n’avait été faite pour les en chasser.

  • 41 Tite-Live, Histoire romaine, xxxiv, 2, 6.
  • 42 Sur l’organisation des matrones en ordre (ordo matronarum), voir Gagé 1963 ; Nicolet 1976 : 193-195 (...)

18Le discours prêté à Caton va jusqu’à comparer cette manifestation féminine avec la sécession de la plèbe sur le mont sacré qui déboucha, en 494 avant J.-C., sur la création des premiers tribuns de la plèbe41. Certes, la proposition d’abrogation de la loi émanait de tribuns de la plèbe ; mais Caton pouvait-il réellement craindre qu’au-delà de l’abrogation de la loi Oppia, les femmes, comme la plèbe autrefois, ne se dotent d’institutions et de représentantes citoyennes, comme si elles constituaient un ordo à part42 ? Qu’elles ne réclament une participation pleine et entière à la citoyenneté romaine ? La rhétorique que Tite-Live prête à Caton semble davantage destinée à souligner l’incongruité voire l’impossibilité d’une telle situation. Néanmoins, Caton a certainement dû percevoir le caractère subversif d’une telle manifestation de femmes, qu’il n’a pas manqué de rejeter publiquement.

Les femmes aux contiones : une situation ordinaire ou exceptionnelle ?

  • 43 Le vocabulaire employé par Tite-Live ne permet pas de discerner, dans ce cas, si ces femmes sont to (...)
  • 44 Tite-Live, Histoire romaine, xxii, 7, 1.
  • 45 Tite-Live, Histoire romaine, xxii, 60, 1.

19Les circonstances exceptionnelles de la Deuxième guerre punique, qui ont conduit à la perte ou à une longue absence d’un grand nombre de citoyens, ont pu être favorables à une certaine émancipation féminine. C’est le cas en ce qui concerne la gestion du patrimoine des femmes. C’est aussi le moment où apparaissent pour la première fois des mentions de la présence de femmes aux contiones43. Selon Tite-Live, après la défaite de Trasimène, les femmes se seraient mêlées à la foule qui attendait les nouvelles dans le comitium44, et après la bataille de Cannes, elles étaient de nouveau là pour réclamer au Sénat le rachat des prisonniers de guerre à Hannibal45. Le lieu mentionné, le comitium, laisse penser à la tenue d’une assemblée (contio).

  • 46 Valère Maxime, Faits et dits mémorables, iii, 8, 6.
  • 47 Appien, Guerre civile, iv, 32-34.

20En dehors de ces actions collectives, on trouve également le cas, chez Valère-Maxime, d’une femme qui apparaît à titre personnel dans une contio : Sempronia, sœur des Gracques et épouse de Scipion, y fut amenée par un tribun. Sa présence ne relève pas, en ce cas, de sa propre initiative, au contraire des femmes de 216 ou de 195 avant J.-C. mentionnées chez Tite-Live. Il s’agissait de défendre l’honneur de son frère Tibérius et de l’ensemble de sa famille face à ceux qui affirmaient qu’un certain Equitius était le fils de Tiberius ; elle vint certifier que ce n’était pas le cas46. Selon Valère Maxime, les femmes n’auraient rien à faire dans une contio, du moins si on respecte « l’autorité de la coutume d’autrefois » (priscae consuetudinis auctoritas) ; toutefois, il compare Sempronia aux plus grands citoyens, dont elle aurait repris l’attitude pleine de gravitas, digne de ses illustres ancêtres. Plus tard, en 43 avant J.-C., Appien reformule le discours prononcé par Hortensia au Forum pour empêcher que les 1 400 femmes les plus riches de Rome n’aient à faire estimer leurs biens pour verser aux triumvirs leur contribution financière à la guerre civile, arguant qu’elles n’ont pas à payer puisqu’elles n’ont « aucune part au pouvoir, aux honneurs, au commandement des armées, bref au gouvernement de la cité »47. Les triumvirs apparaissent furieux de l’intervention de ces femmes dans une réunion publique. Ces dernières justifient cependant leur présence sur le Forum comme leur ultime recours puisque Fulvia, l’épouse de Marc-Antoine alors triumvir, avait refusé d’écouter et de transmettre leurs doléances à son époux. Par le biais du discours d’Hortensia, Appien révèle le mode de fonctionnement habituel des femmes lorsque celles-ci avaient une demande à formuler au Sénat ou au Peuple romain : elles s’adressaient d’abord aux épouses des magistrats, afin que ces dernières en fassent à leur tour part à leurs époux. Tout ceci se passe dans un cadre privé et en respectant la hiérarchie sociale qui réglait tous les rapports interpersonnels dans la société romaine, que ce soit entre hommes ou entre femmes. Si l’on en croit ces récits, l’espace public se trouve investi par les femmes soit dans des moments de crise exceptionnelle, soit lorsque le mode d’ingérence politique ordinaire des femmes ne fonctionne plus, comme c’est le cas pour l’épisode du discours d’Hortensia.

21Si on se penche sur les catégories sociales de femmes prenant part aux contiones, on constate que celles qui sont citées sont issues des familles les plus illustres, et c’est à elles seules qu’il est permis de s’exprimer publiquement. On peut légitimement se demander si la parole, lorsqu’elle est donnée aux femmes, n’est possible que pour celles issues des meilleures familles.

  • 48 Voir note 4.
  • 49 Hiebel (2009 : 57-58) considère que les femmes sont exclues des contiones car juridiquement incapab (...)
  • 50 Tite-Live, Histoire romaine, ii, 56, 12 : Si uobis uidetur, discedite, Quirites. Sur le mode de con (...)
  • 51 Tite-Live, Histoire romaine, ii, 56, 10 : « Laetorius commande d’écarter tous ceux qui n’ont pas dr (...)
  • 52 Pina Polo 1989 : 71-72.
  • 53 Bauman 1992 : 82.

22Par ailleurs, Valère Maxime paraît vouloir excuser la présence de Sempronia en arguant qu’elle a été contrainte à comparaître et à parler dans une contio, où une femme ne devait normalement pas se trouver. Dans le cas d’Hortensia, les triumvirs s’indignèrent d’avoir vu des femmes avoir l’audace de se réunir et de prendre la parole en public. Aussi, malgré ces exemples, un débat historique existe-t-il pour savoir si les femmes pouvaient réellement participer aux contiones. La formule de Valère Maxime, « Qu’est-ce que les femmes ont à voir avec une assemblée délibérative (contio) ? Selon la tradition ancestrale, rien ! »48, laisse entendre que les femmes n’avaient pas leur place dans les contiones en raison de la tradition, et que les contre-exemples, extrêmement rares, seraient « des exceptions confirmant la règle »49. La formule prononcée par le crieur public à l’issue de la contio : « S’il vous plaît, répartissez-vous, citoyens »50, en appelant les citoyens à se regrouper en unités de vote pour la tenue des comices consécutifs à l’assemblée préparatoire, marque le passage aux opérations de vote et chasse ceux qui ne peuvent pas voter51, ce qui sous-entend la possibilité de la présence de femmes lors des contiones, de même que celle d’esclaves52. En vérité, il semble que rien n’ait été fait pour empêcher la présence des femmes dans les contiones, du moins dans les exemples que nous avons cités. Les Romains, très précis lorsqu’il s’agit de droit et de règles religieuses ou politiques, n’auraient pas manqué de préciser que les contiones étaient interdites aux femmes si tel avait été le cas. De plus, la réalité des pratiques ne suit pas forcément l’idéal moral – ici le comportement approprié pour une femme honorable  que cherchent à véhiculer les auteurs. Cependant, comme nous l’avons dit, la parole féminine n’y est pas bien perçue, surtout lorsqu’elle émane de l’initiative des femmes53. Aussi, nous concluons-nous en faveur d’une participation des femmes aux contiones, avec une parole limitée à de rares occasions, et plutôt pour celles qui étaient issues des meilleures familles romaines.

La religion, lieu privilégié de l’exercice de la citoyenneté pour les femmes ?

  • 54 Cicéron, Pro Balbo, 55. Des occurrences similaires existent chez Plaute (Persa, 475 : civi femina ; (...)
  • 55 Il est intéressant de noter que c’est en tant que spécialiste d’un culte grec qu’elle reçoit le pri (...)

23À travers les exemples évoqués précédemment, nous avons cherché à définir des prérogatives citoyennes qui concerneraient également les femmes. Si nous avons pu constater que des femmes en possédaient certaines, il manque toutefois une reconnaissance publique de leur appartenance à la communauté civique. Il n’existe en effet qu’une seule occurrence de l’expression citoyenne romaine (civis Romana) pour la période républicaine : elle se trouve dans un passage du Pro Balbo de Cicéron, dans lequel ce dernier utilise par quatre fois le terme de civis (civis Romana ou mente civili) à propos d’une femme ; il s’agit de la prêtresse grecque de Cérès que les anciens Romains faisaient venir de Grande Grèce, surtout de Naples ou de Vélie, afin de pouvoir pratiquer à Rome le culte du sacrum anniversarium Cereris selon le rite grec54. Or, s’il faut que cette femme soit d’origine grecque, après avoir été initiée à ce rite strictement féminin, comme le rapporte Cicéron, elle doit par ailleurs avoir été faite citoyenne romaine pour que ces rites puissent être réalisés au bénéfice du peuple romain, pro populo55.

  • 56 Pailler 1995 : 43. L’auteur fait référence à l’expression utilisée par De Polignac (1984) pour qual (...)

24C’est donc dans le cadre de la religion publique qu’on découvre l’appellation civis Romana. L’usage de cette expression peut se justifier par la nature même du service religieux rendu à Rome par cette prêtresse. En officiant dans le cadre de la religion publique, dont le rôle est d’assurer la pérennité et la sauvegarde de la cité, cette prêtresse doit obtenir une forme de « naturalisation », l’intégrant au peuple romain comme si elle était née de citoyens romains. Il est, chez Cicéron, moins question des droits civiques qu’elle obtiendrait que de son agrégation comme membre à part entière de la cité, de sorte qu’elle puisse la représenter dans le cadre de la religion publique. Certains auteurs, comme J.-M. Pailler, considèrent que, contrairement à la Grèce, il n’est pas possible de parler de citoyenneté cultuelle pour les femmes à Rome, car peu de prêtrises y sont dévolues aux femmes56. Mais il ne s’agit pas ici de parler de citoyenneté cultuelle ; l’expression de civis Romana, associée à des actions accomplies « avec l’esprit d’une citoyenne » (mente civili), dépasse la seule idée de naturalisation et ne restreint pas l’honneur au domaine des cultes. Il est attendu de cette prêtresse qu’elle agisse en ayant à cœur les intérêts de Rome, parmi lesquels des intérêts directement politiques et militaires, comme on l’attendrait de n’importe quel citoyen.

  • 57 Aulu Gelle, Nuits Attiques, i, 12, 9 ; Gaius, Institutes, 1, 130 ; Ulpien, Tituli ex corpore Ulpian (...)
  • 58 Cicéron, Lettres à Atticus, i, 12, 3 ; i, 13, 3 ; De Domo Sua, xxix, 77 ; De Haruspicum Responsis, (...)
  • 59 Cette situation évolue sous l’Empire. Avec la création du culte impérial, les flaminiques de ce cul (...)
  • 60 Notamment en 218, 217 et 207 avant J.-C. Voir Tite-Live, Histoire romaine, xxi, 62, 8 (218 av. J-C. (...)
  • 61 Voir Šterbenc Erker 2014 : 224.

25On peut établir un parallèle entre cette prêtresse d’origine grecque, qui devient civis Romana pour sacrifier pro populo, et le statut juridique particulier dont jouissent les vestales, elles aussi rares prêtresses de Rome, qui ont la particularité de ne pas être soumises à une tutelle masculine. Il est permis de s’interroger sur les conditions juridiques requises pour pouvoir sacrifier pro populo à Rome. Pour les femmes, le « minimum requis » était-il d’être sui iuris57 et civis Romana ? Ceci laisserait entendre que certaines femmes à Rome possédaient au moins le droit politique du ius sacrorum reconnu aux citoyens romains. En outre, si toutes les prêtresses publiques étaient habilitées à sacrifier pro populo, les matrones pouvaient être investies de la même capacité lors de certains rites annuels, tels que les rites nocturnes célébrés en décembre en l’honneur de Bona Dea58. Bien qu’il n’existe pas d’attestation d’autres sacrifices qui auraient été réalisés pro populo par des femmes romaines – en-dehors des vestales – durant la République romaine59, l’autorité implicite d’un tel sacrifice au bénéfice du peuple romain ne peut que répondre à une logique d’intégration civique de ces matrones, habilitées à s’adresser aux dieux au nom de la cité en tant que membres à part entière de cette dernière. D’ailleurs, lors des pires moments de crise, comme cela arriva à plusieurs reprises durant la seconde guerre punique60, le Sénat fait appel au corps civique dans son ensemble, hommes et femmes, pour réaliser des supplication rituelles. Parmi l’ensemble des rites réalisés, les jeunes filles et les matrones jouent un rôle essentiel et prépondérant afin d’apaiser les dieux et préserver la République61.

  • 62 Tite-Live, Histoire romaine, xxxviii, 36, 5.
  • 63 Gaius Institutes, I, 29, 30, 32, 56, 66-68, 70, 71, 74, 75, 77, 78, 80, 84, 84, 88, 90-92 ; ii, 142 (...)

26L’appellation civis Romana se trouve de nouveau chez Tite-Live62, lorsque les Campaniens demandèrent en 189 avant J.-C. le droit de pouvoir se marier avec des citoyennes romaines, dans le cadre de l’union légale (ius conubii). Plus tardivement, dans le droit romain, l’expression civis Romana est citée dans le corpus du droit romain, notamment dans les Institutes de Gaius ainsi que dans les Institutes de l’empereur Justinien63. Parmi ces dernières occurrences, la dimension juridique prédomine en raison du ius conubii et de la transmission possible de la citoyenneté par les femmes citoyennes.

27Faire la distinction entre l’usage que fait Cicéron de l’expression civis Romana et celui que font Tite-Live et les juristes du iiie siècle après J.-C. est important. Car, dans le premier cas, la citoyenneté est active : la prêtresse participe à la cité en réalisant un rite pro populo dans le cadre de la religion publique. La civis Romana qui apparaît au début du iie siècle avant J.-C. chez Tite-Live puis chez les juristes d’époque impériale s’inscrit, quant à elle, dans le cadre du droit privé relatif au mariage et à la succession.

*

28Au terme de cette enquête, il apparaît que même si la citoyenneté des femmes est une question complexe, la civis Romana existe. Celle-ci est directement attestée dès la République romaine dans le cadre de la religion, qui revêt à Rome un caractère à la fois publique et politique. Il s’agit de reconnaissance d’une citoyenneté active pour des femmes, prêtresses ou non, chargées par la cité d’effectuer des sacrifices pro populo.

  • 64 Peppe (1984 : 14-16) arrive également à la même conclusion, en axant son argumentation sur l’appart (...)
  • 65 Sur l’histoire de la civitas sine suffragio, voir Humbert 1978 : 151-220 ; et Oakley 1998 : 538-559 (...)
  • 66 Bauman 1992 : 220. Concernant la ciuitas sine suffragio comme punition et instrument de domination, (...)

29Hors du contexte de la religion, qui offre cette forme de participation active aux affaires de la cité à des femmes issues des classes supérieures, les éléments qui caractérisent la civis Romana rapprochent la citoyenneté des femmes de la citoyenneté sans suffrage (ciuitas sine suffragio) qui a été octroyée à certains peuples d’Italie (Étrusques, Campaniens, Volsques, Sabins, etc.)64. Cette forme de citoyenneté est bien réelle, juridiquement reconnue, mais dépourvue des droits politiques que sont le droit de vote ou le droit d’être élu aux magistratures65. Une telle citoyenneté incomplète est généralement accordée à des peuples vaincus que Rome souhaite voir privés de souveraineté, tout en les intégrant à son empire territorial grandissant et en leur imposant les obligations liées à la citoyenneté66. En même temps, la ciuitas sine suffragio constitue une « étape transitoire » sur le chemin de l’acquisition de la citoyenneté complète (ciuitas optimo iure). D’autre part, le droit privé romain est reconnu et garanti aux ciues sine suffragio, comme c’est le cas pour les femmes citoyennes qui disposent du droit de mariage (ius conubii), du droit de commerce (ius commercii) et du droit d’intenter des actions en justice (ius legis actionis). Il s’agit donc bien d’une forme de citoyenneté, qui place dans certains cas les femmes au cœur de la cité, sur la place du Forum, de par les rues et les carrefours, et jusqu’au comitium, sans oublier les lieux de cultes. Les femmes romaines ne peuvent bien entendu pas répondre à la définition juridique de la citoyenneté telle qu’elle est appliquée aux hommes citoyens. Plutôt que de chercher à considérer que l’ensemble des exemples présentés ici constituent des pratiques habituelles et largement répandues – ce que ces mêmes exemples semblent plutôt contredire – ou plutôt que de conclure à l’inexistence de la citoyenneté des femmes parce qu’elle ne répond pas aux mêmes critères que la citoyenneté du civis Romanus, il reste à partir à la recherche de la citoyenne romaine, au-delà des définitions uniquement juridiques qui lui nient toute capacité à agir pour autrui. Nous avons constaté à plusieurs reprises, du tribunal à la religion publique, que cette affirmation du droit romain ne se vérifie pas dans les faits, ou du moins pas systématiquement.

  • 67 Cicéron, i, 43 et I, 47.
  • 68 Ando 2013 : 185-186.
  • 69 Ibid. : 185.
  • 70 Patterson 2009 : 64.

30Dans la mesure où la société romaine est fondée sur un système d’inégalité entre les citoyens, dans lequel les droits et les devoirs sont à géométrie variable, et étaient essentiellement proportionnels à l’importance de la naissance et de la fortune, il est permis de se demander s’il est encore pertinent de penser la citoyenneté selon une définition unique. Cicéron explique, dans le De Republica, que la liberté (libertas) est le propre du citoyen, qui en use pour participer à la délibération et au pouvoir dans la communauté67. Mais, en commentant ce passage, C. Ando estime que non seulement les citoyens, à Rome, n’ont pas le droit de parler dans les assemblées législatives, mais que tous les citoyens ne disposaient pas de la liberté d’y participer68. Comme nous l’avons vu précédemment, c’est lors des contiones que les prises de parole sont autorisées, et c’est lors de ces assemblées que la présence des femmes est également autorisée. En fait, que reste-t-il de spécifique à la citoyenneté politique masculine, si une grande partie des hommes citoyens est réduite au silence, c’est-à-dire à l’état d’auditeurs sans réelle possibilité de donner leur suffrage ou d’exprimer leur opinion ? Est-il légitime de décrire le simple fait d’écouter comme une « participation à une délibération au sein de la communauté » ? Cette question, que C. Ando choisit de laisser de côté69, peut laisser penser que les femmes citoyennes ne sont pas plus mises à l’écart politiquement qu’une grande partie des hommes citoyens et n’ont finalement pas eu un statut ou un sort moins enviable que certains citoyens hommes, auxquels on ne dénie pas pour autant la qualité de citoyens70.

  • 71 CIL, iv, 111 ; CIL, iv, 7863 ; CIL, iv, 7864 ; CIL, iv, 7841. Voir ici l’article de Philippe Akar d (...)
  • 72 Tite-Live, Histoire romaine, iii, 7 ; v, 18 et 23 ; Denys d’Harlicarnasse, 8, 22, 2 ; 9, 39, 1 ; Po (...)

31Il peut être intéressant de revenir à un des aspects de la citoyenneté, à savoir l’appartenance à une communauté civique, et avec elle, l’intérêt porté au devenir de cette dernière, au-delà des devoirs que le droit désigne comme des obligations pour les citoyens. On quitte alors le concept de citoyenneté pour aborder celui de civisme, qui en est une composante. Mais là où la citoyenneté est un état de fait, une appartenance à une cité ou un état assorti de droits et de devoirs, le civisme en constitue la conscience. Celui-ci se fonde sur une participation volontaire à tout ce qui peut toucher la construction et le devenir de la communauté civique. À ce titre, tous les exemples cités qui concernent la participation des femmes romaines aux contiones ou leurs revendications exprimées dans la sphère publique peuvent entrer dans la catégorie des actions menées avec une conscience civique. Elles sont le ciment d’une véritable citoyenneté sociale. Les femmes, quelle que fût leur classe sociale, n’étaient pas ignorantes des affaires du forum et, même, s’y intéressaient suffisamment pour s’impliquer dans des campagnes électorales, si l’on en croit des graffitis trouvés à Pompéi71. Les épisodes décrivant des « ruées » de femmes vers les temples et des prières pour la sauvegarde de la cité, présentées comme spontanées dans les sources anciennes, offrent un autre témoignage de leur volonté de participer à l’effort collectif aux moments où Rome était en péril72. Ces quelques exemples laissent entrevoir des formes d’engagement que les femmes romaines ont pu avoir au sein de la cité. Ces actions étaient réalisées avec les moyens dont disposaient les femmes, mais cela témoigne indubitablement de l’existence de citoyennes conscientes des enjeux civiques et politiques de leur époque, et de leur désir de ne pas rester à l’écart.

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Bibliographie

Sources

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Notes

1 Ulpien, cité par le Digeste, 50, 17, 2 (traduction personnelle).

2 Tous ces juristes, à savoir Ulpien, Gaius, Paul Diacre ou l’auteur du code de Justinien ont vécu entre le iie et le vie siècle après J.-C., soit plus de deux siècles après la République romaine. Aussi, même si ces juristes sont une formidable source de connaissance du droit pour toute la période romaine, le droit fut-il probablement sujet à une élaboration progressive, et les réalités du iiie ou du iie siècle avant J.-C. purent différer de celles présentées par ces juristes.

3 Tout au long de cet article, sauf mention contraire, les femmes mentionnées devront être comprises comme étant des femmes libres, filles de citoyens romains. Les autres, telles les esclaves, étaient dénuées de tout droit juridique et n’entrent donc pas en compte dans l’analyse.

4 La formule de Valère-Maxime est Quid feminae cum contione ? Si patrius mos seruetur, nihil (Faits et dits mémorables, III, 8, 6). L’auteur cherche ici à souligner, selon les usages considérés comme anciens, l’incongruité de la présence de femmes dans des assemblées préparatoires au vote : les contiones. En même temps, la question posée constitue aussi un aveu selon lequel, dans les faits, les femmes pouvaient bel et bien y être présentes.

5 En dernier lieu : Valentini 2013.

6 Peppe 1984 ; Thomas 1991.

7 Notons toutefois la récente thèse de M. Safran sur la figure de la civis Romana dans le premier livre de Tite-Live (2010).

8 D’autres sources permettent de compléter notre connaissance du droit romain ainsi que son évolution. C’est le cas par exemple de discours et de traités de Cicéron qui abordent des questions aussi bien politiques que philosophiques et juridiques.

9 Cizek 1990 : 75. Sous la République, la citoyenneté romaine se révèle au travers de textes de loi comme la loi des XII Tables ainsi que dans les récits sur l’histoire de la République, comme c’est le cas de l’Histoire romaine de Tite-Live ou des traités philosophiques et politiques, comme ceux de Cicéron. Sur la citoyenneté à l’époque républicaine, voir en particulier Nicolet 1976.

10 Humm 2005 : 576-584 et 590-600.

11 Pour une définition de la citoyenneté sociale en histoire contemporaine, voir Castel 2008 : 135.

12 L’ensemble de ces droits constitue le ius civile, divisé en droit public (ius publicum) et droit privé (ius privatum).

13 Nicolet 1976 : 122-149 ; Carrié 1992 : 127-172.

14 Le tributum est officiellement suspendu à partir de 167 av. J.-C. grâce à l’énorme butin fait par Paul-Émile sur Persée de Macédoine (Valère-Maxime, Faits et dits mémorables, IV, 3, 8 ; Plutarque, Vie de Paul-Emile, 38, 1). Sur le mécanisme du paiement du tributum pour le financement du stipendium des légionnaires, voir Humm 2005 : 375-397.

15 Gaius, Institutes, 1, 144 et 145.

16 On peut dater ces dispositions au moins de l’époque des XII Tables. D’après Gaius, Institutes, I, 155 : Quibus testamento quidem tutor datus non sit, iis ex lege XII tabularum agnati sunt tutores, qui vocantur legitimi.

17 Tite-Live, Histoire romaine, xxxiv, 2-7 ; Valère-Maxime, Faits et dits mémorables, ix, 1, 3. Voir Astin 1978 : 25-27 et 173-174.

18 Burck 1992 : 161-162 ; Mineo 2006 : 327-330.

19 Bien que les femmes soient tenues de rester sous tutelle perpétuelle en raison de leur « faiblesse » supposée ou de leur « légèreté d’esprit » (Cicéron, Pro Murena, xii, 17 ; Gaius, Institutes, I, 144), il est très rare, à la fin de la République, qu’elles tombent sous la manus de leur mari, sauf dans de rares cas de nécessité rituelle, comme pour l’épouse du Flamine de Jupiter (Aulu-Gelle, Nuits Attiques, x, 15, 26-30). De fait, juridiquement, l’épouse reste dans sa famille d’origine, et si elle a échappé à la puissance paternelle, elle jouit d’une capacité de droit.

20 Cicéron, Pro Murena, 27.

21 Gaius, Institutes, 1, 190. Il est vraisemblable que cette situation soit déjà d’actualité à l’époque de Cicéron.

22 Ulpien, Tituli ex corpore Ulpiani, 11, 1.

23 Paul, cité par le Digeste, 5, 1, 12, 2.

24 Les plus célèbres cas sont ceux de Fannia de Minturnes, Maesia de Sentinum et Afrania (ou Carfania) rapportés par Valère-Maxime (Faits et dits mémorables, 8, 2-3) ainsi que le cas de Manilia, rapporté par Juvénal (Satires, 6, 242-5 et 2, 51-2). À ce sujet et sur la présence des femmes au tribunal sous la République, voir Marshall 1989 ; Marshall 1990 et Bauman 1992.

25 Cette évolution se situe entre le iie et le ier siècle avant J.-C. L’exemple le plus ancien de femme ayant reçu une éducation poussée est Cornélie, la mère des Gracques (Cicéron, Brutus, 211 ; Quintilien, Institution oratoire, I, 1, 6 ; Plutarque, Vie de Caius, 19).

26 Dans ses commentaires sur l’Édit du préteur au sujet des restrictions relatives à la représentation d’autrui lors d’un procès, Ulpien (Digeste, 3, 1, 1, 5) cite l’exemple de Carfania, qui aurait été à l’origine de la mention concernant l’interdiction des femmes de représenter une personne autre qu’elles-mêmes.

27 Thomas 1991 : 197-200.

28 Ibid. : 136-140.

29 Un tel cas s’est posé en 171 avant J.-C. lorsque les habitants de Cortéia demandent au Sénat la citoyenneté pour leurs enfants nés de femmes indigènes, en dehors du conubium (Tite-Live, Histoire romaine, xliii, 3, 1-4). Voir à ce sujet Humbert 1976 : 221-242 ; Cels-Saint-Hilaire 1985 : 354-360 et Humm 2005 : 223-226.

30 Cette disposition (ius adipiscendae civitatis per magistratum), issue du droit latin (ius Latii), est clairement exposée dans la lex Irnitana datant de l’époque de Domitien et réglant l’accès à la magistrature pour les magistrats des municipes provinciaux, ainsi que leur épouse et leurs enfants (voir Kremer 2006 : 146-148). L’existence de ce droit remonte cependant à la République, quoique sa datation précise soit sujette à débat. Sherwin-White (1973 : 111-112) date sa création à une période proche du début de la guerre sociale (91-88 avant J.-C.), tandis que Mouritsen (1998 : 104-105) la conçoit après la guerre sociale. Pour une datation de ce droit au dernier quart du iie siècle avant J.-C., ainsi que sur l’inclusion des femmes et des enfants dans ce droit, voir l’analyse de Luraschi (1979 : 303-329) et de (Piper 1988 : 59-68).

31 Tite-Live, Histoire romaine, i, 9, 10-16 ; 13, 1-7 ; Denys d’Halicarnasse, Antiquités Romaines, ii, 30, 3-6 ; 47, 1-4 ; Plutarque, Vie de Romulus, 14, 1-8 ; 19, 8-10.

32 Tite-Live, Histoire romaine, i, 13, 6.

33 Cicéron, De la République, ii, 4. Cette légende est également reprise par Tite-Live (Histoire romaine, i, 13, 6) et par l’auteur antiquaire Festus Paulus (Lindsay 1913 : 42). Cette interprétation tardive pourrait provenir d’une extrapolation de nature étiologique à partir du nom de la curia Rapta (voir Heurgon 1969 : 214).

34 Voir Poucet 1967 : 214-240.

35 Humm 2005 : 375-397.

36 Tite-Live, Histoire romaine, i, 43, 9. Cicéron (De la République, ii, 20) mentionne également le paiement d’un tel impôt par des veuves, auxquelles il ajoute les orphelins (orbi). Ainsi, dans le cas où la mère n’est plus vivante, la taxe semble avoir pu peser sur les descendants mineurs du chevalier. Toutefois, cela tend à confirmer l’idée selon laquelle l’aes hordearium faisait figure de taxe « de remplacement » du chef de famille.

37 Voir Nicolet 1966 : 36-45 ; Humm 2005 : 168-169.

38 Tite-Live, Histoire romaine, xxxiv, 2, 6-11.

39 Un exemple célèbre est celui de Terentia, l’épouse de Cicéron, qui joua un rôle dans le dénouement de l’affaire Catilina en 63 avant J.-C. après qu’elle ait vu la flamme de l’autel de Bona Dea se rallumer Plutarque rapporte cet épisode en ajoutant que Terentia « avait de l’ambition et, comme le dit Cicéron lui-même, prenait part à ses soucis politiques plus qu’elle ne lui faisait part des affaires domestiques » (Plutarque, Vie de Cicéron, xx). Voir Bauman (1992).

40 Tite-Live, auteur de la fin du ier siècle avant J.-C., écrit son Histoire romaine dans une perspective de glorification de l’histoire de Rome, au moment où s’installe le nouveau régime impérial. Républicain de conviction, il appuie néanmoins la politique d’Auguste, notamment en matière de restauration des mœurs anciennes. Si l’épisode du discours de Caton contre la lex Oppia permet de rendre compte d’un fait de l’histoire romaine, l’auteur met également en scène le conservatisme notoire de Caton l’Ancien et son attachement au mos maiorum, qu’Auguste souhaite voir remis au goût du jour.

41 Tite-Live, Histoire romaine, xxxiv, 2, 6.

42 Sur l’organisation des matrones en ordre (ordo matronarum), voir Gagé 1963 ; Nicolet 1976 : 193-195 ; Boëls-Janssen, 1993 : 275 et 2008 : 223-264, et plus récemment Valentini (2013 : 44-49). Une définition de ce qui semble s’apparenter à un ordo matronarum peut être trouvée chez Plaute pour la période républicaine (Plaute, Cistellaria, 23-41). Sous l’Empire, Suétone rapporte un conventus matronarum (Vie de Galba, V, 1) qui fait écho à une convocation par le sénat de l’ensemble des matrones chez Tite-Live (xxvii, 37, 9). Plus tard, sous Elagabale, un sénat des femmes (senaculus sive senatus matronis) est cité dans l’Histoire Auguste (Vie d’Aurélien, 49, 6), qui se moque des débats et décisions futiles qui s’y seraient tenu. Voir Gagé 1963 : 100-101 et Valentini 2013 : 49-53.

43 Le vocabulaire employé par Tite-Live ne permet pas de discerner, dans ce cas, si ces femmes sont toutes libres et citoyennes. Les contiones pouvaient vraisemblablement être fréquentées par des hommes non citoyens, il ne peut donc pas être totalement exclu que des femmes non citoyennes y aient également pris part. Sur la difficulté de vérifier que seuls des citoyens participent aux contiones, voir Hiebel 2009 : 58-59.

44 Tite-Live, Histoire romaine, xxii, 7, 1.

45 Tite-Live, Histoire romaine, xxii, 60, 1.

46 Valère Maxime, Faits et dits mémorables, iii, 8, 6.

47 Appien, Guerre civile, iv, 32-34.

48 Voir note 4.

49 Hiebel (2009 : 57-58) considère que les femmes sont exclues des contiones car juridiquement incapables.

50 Tite-Live, Histoire romaine, ii, 56, 12 : Si uobis uidetur, discedite, Quirites. Sur le mode de convocation des citoyens aux comices, voir aussi Varron, De la Langue Latine, VI, 9.

51 Tite-Live, Histoire romaine, ii, 56, 10 : « Laetorius commande d’écarter tous ceux qui n’ont pas droit de voter » (Submoueri Laetorius iubet, praeterquam qui suffragium ineant).

52 Pina Polo 1989 : 71-72.

53 Bauman 1992 : 82.

54 Cicéron, Pro Balbo, 55. Des occurrences similaires existent chez Plaute (Persa, 475 : civi femina ; Poenulus, 372 : civis Attica ; Rudens, 742 : civis tuas, qui signifie concitoyenne). Voir Peppe 1984 : 14. D’autres occurrences chez Térence, dans un contexte de comédie, ne peuvent être rattachées à la citoyenneté romaine puisqu’elles désignent à chaque fois des personnages qui sont étrangers.

55 Il est intéressant de noter que c’est en tant que spécialiste d’un culte grec qu’elle reçoit le privilège de la citoyenneté. Voir, en dernier lieu, Isayev 2011.

56 Pailler 1995 : 43. L’auteur fait référence à l’expression utilisée par De Polignac (1984) pour qualifier une forme de citoyenneté dans le monde grec.

57 Aulu Gelle, Nuits Attiques, i, 12, 9 ; Gaius, Institutes, 1, 130 ; Ulpien, Tituli ex corpore Ulpiani, 10, 5. Les vestales étaient dotées d’un statut juridique exceptionnel du fait de la captio initiale, une « captation » que le grand pontife exerçait afin de soustraire les vestales à la potestas du père sans pour autant devenir un tuteur pour celles-ci. Sur le statut juridique des vestales, voir Van Haeperen 2008 : 311-315.

58 Cicéron, Lettres à Atticus, i, 12, 3 ; i, 13, 3 ; De Domo Sua, xxix, 77 ; De Haruspicum Responsis, xvii, 37 ; Sénèque, Ad Lucilium Epistolarum Moralium, xvi, 97, 2.

59 Cette situation évolue sous l’Empire. Avec la création du culte impérial, les flaminiques de ce culte y étaient habilitées. Des femmes sont également en charge de sacrifices lors des jeux séculaires. En outre, contrairement aux rites de Bona Dea et de Cérès, ces sacrifices sont désormais réalisés en public, et ne sont plus cachés (comme c’est ce cas des rites réalisés pour Cérès) ou réalisés secrètement dans la maison du consul, une forme de compromis entre l’espace privé et l’espace public. Voir Šterbenc Erker 2014 : 224-225.

60 Notamment en 218, 217 et 207 avant J.-C. Voir Tite-Live, Histoire romaine, xxi, 62, 8 (218 av. J-C.) ; xxii, 1, 18 (217 av. J.-C.) et xxvii, 37, 5-12 (207 av. J.-C.).

61 Voir Šterbenc Erker 2014 : 224.

62 Tite-Live, Histoire romaine, xxxviii, 36, 5.

63 Gaius Institutes, I, 29, 30, 32, 56, 66-68, 70, 71, 74, 75, 77, 78, 80, 84, 84, 88, 90-92 ; ii, 142 ; Ulpien, cité par les Institutes de Justinien, 1.

64 Peppe (1984 : 14-16) arrive également à la même conclusion, en axant son argumentation sur l’appartenance des femmes à l’identité nationale et collective.

65 Sur l’histoire de la civitas sine suffragio, voir Humbert 1978 : 151-220 ; et Oakley 1998 : 538-559, notamment 544-554.

66 Bauman 1992 : 220. Concernant la ciuitas sine suffragio comme punition et instrument de domination, voir Ando 2013 : 186-188.

67 Cicéron, i, 43 et I, 47.

68 Ando 2013 : 185-186.

69 Ibid. : 185.

70 Patterson 2009 : 64.

71 CIL, iv, 111 ; CIL, iv, 7863 ; CIL, iv, 7864 ; CIL, iv, 7841. Voir ici l’article de Philippe Akar dans la rubrique « Documents ».

72 Tite-Live, Histoire romaine, iii, 7 ; v, 18 et 23 ; Denys d’Harlicarnasse, 8, 22, 2 ; 9, 39, 1 ; Polybe, Histoires, 9, 16 ; Appien, Hannibalique, 27.

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Pour citer cet article

Référence papier

Aude Chatelard, « Minorité juridique et citoyenneté des femmes dans la Rome républicaine »Clio, 43 | 2016, 23-46.

Référence électronique

Aude Chatelard, « Minorité juridique et citoyenneté des femmes dans la Rome républicaine »Clio [En ligne], 43 | 2016, mis en ligne le 01 juin 2019, consulté le 10 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/13145 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.13145

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Auteur

Aude Chatelard

Doctorante en histoire romaine à l’Université de Strasbourg. Elle travaille autour de trois axes principaux, que sont les femmes, la citoyenneté et la religion à Rome, afin de déterminer quelle était la place des femmes dans la cité à travers la religion à Rome, du ive au ier siècle avant J.-C.
Aude.chatelard@etu.unistra.fr

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Droits d’auteur

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