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CLIO a lu

Marie-Jo BONNET, Les deux amies. Essai sur le couple de femmes dans l'art, Paris, Editions Blanche, 2000, 305 p.

Florence Tamagne
p. 269-270

Texte intégral

1Dans ce livre richement illustré et documenté, Marie-Jo Bonnet s'interroge sur la symbolique du couple de femmes dans l'art, en privilégiant l'exemple français, et ressuscite des figures d'artistes oubliées, comme Louise Janin, ou méconnues, telles Louise Abbéma ou Claude Cahun. Tribades, précieuses, amazones et garçonnes sont conviées à livrer leurs secrets : Marie-Jo Bonnet s'intéresse à la mise en scène du désir, longtemps orchestrée en fonction des attentes du spectateur masculin, mais également porteuse d'une charge subversive, lorsqu'elle entend révéler la force de « l'éros féminin », ou dénoncer l'invisibilité de la lesbienne dans la Cité.

2Marie-Jo Bonnet montre bien comment, à partir du milieu du XIXe siècle, le couple de femmes s'inscrit comme un enjeu dans la représentation de la modernité. Alors que le lesbianisme devient une préoccupation sociale, alimentée par les études médicales sur les névroses, et les discours homophobes qui dénoncent la « séduction » homosexuelle comme facteur de dénatalité, la double affirmation des mouvements féministes et des revendications lesbiennes entraîne une multiplication des œuvres de femmes, soucieuses de substituer au voyeurisme masculin le regard amoureux de femmes libres et autonomes. Louise Breslau ose ainsi se représenter avec son amie, dans un cadre intime et chaleureux, affirmant la « normalité » d'un désir toujours présenté comme pervers. Les œuvres de Marie Laurencin, réduites à l'expression d'un féminin délicat et naïf, traduisent cependant bien la difficulté d'accepter les implications amoureuses du couple de femmes.

3En choisissant l'angle d'approche original du couple de femmes, l'auteure entend démontrer que l'art a offert, alors même que l'homosexualité féminine était condamnée au silence par la justice divine ou la morale sociale, une possibilité d'expression au désir lesbien. Cette analyse, qui s'avère particulièrement pertinente pour le XIXe siècle, est cependant moins convaincante pour les périodes antérieures. Certes, il est toujours possible, et parfois justifié, d'investir telle ou telle œuvre de la Renaissance ou du XVIIe siècle, qui joue de l'ambiguïté des situations, dans un contexte mythologique (Diane et les nymphes), religieux (Marie et Elisabeth) ou simplement familial (le couple mère/fille, l'union de deux sœurs) d'une charge érotique ou contestataire. Néanmoins, la rareté de telles représentations ne permet guère d'établir une comparaison avec la période contemporaine. L'analyse de l'école de Fontainebleau est à cet égard révélateur : Marie-Jo Bonnet remarque avec justesse combien le regard sur les femmes a évolué sous l'influence de l'humanisme et de la culture de cour, alors que le retour aux sources de l'Antiquité grecque et romaine modifiait sensiblement la vision de l'amour et de la sexualité. Affirmer cependant que « la publication en 1550 de l'ode À Aphrodite et de l'ode À une aimée retentit comme un véritable choc identitaire » apparaît comme prématuré, au regard par exemple des études menées par Joan DeJean (Sapho, Les Fictions du désir : 1546-1937, Hachette supérieur, 1994) sur la réception de l'œuvre de Sapho en France et en Europe.

4On regrettera que cette réflexion utile ne se prolonge pas au delà de la Seconde Guerre mondiale. Au discours esthétique, Marie-Jo Bonnet substitue alors l'analyse politique, dépassant le cadre de l'histoire des représentations pour s'engager dans une discussion sur la place des lesbiennes dans le mouvement de libération homosexuelle et le féminisme. Selon elle, la culture de « l'entre-femmes », qui se met alors en place, délaisse les arts plastiques comme lieu privilégié d'expression et se tourne vers l'écriture et le langage, plus à même de traduire les préoccupations nouvelles des lesbiennes radicales concernant l'identité et le genre. On remarquera pourtant que le couple de femmes ne disparaît pas de l'art, que ce soit comme expression de l'amour entre femmes (ainsi les œuvres de Monica Sjoo, Sadie Lee, ou Rachel Field), ou comme support fantasmatique de l'érotisme masculin. L'utilisation de plus en plus fréquente de l'imaginaire du couple lesbien dans la photographie (récupérée par la publicité) aurait ainsi permis de faire le lien entre le paradoxe de la banalisation du fait homosexuel et la difficulté à exprimer le désir lesbien dans une perspective féministe.

5Retrouver les traces d'un désir lesbien nié par l'histoire et longtemps gommé des représentations est une entreprise nécessaire, qui peut cependant s'avérer frustrante, lorsque les images sont muettes ou trompeuses. Le livre de Marie-Jo Bonnet a le grand mérite d'offrir des pistes de réflexion neuves sur un sujet trop longtemps négligé, et d'élargir considérablement le champ des sources à étudier.

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Pour citer cet article

Référence papier

Florence Tamagne, « Marie-Jo BONNET, Les deux amies. Essai sur le couple de femmes dans l'art, Paris, Editions Blanche, 2000, 305 p. »Clio, 14 | 2001, 269-270.

Référence électronique

Florence Tamagne, « Marie-Jo BONNET, Les deux amies. Essai sur le couple de femmes dans l'art, Paris, Editions Blanche, 2000, 305 p. »Clio [En ligne], 14 | 2001, mis en ligne le 19 mars 2003, consulté le 05 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/130 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.130

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