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Revendiquer des droits politiques au Nigéria. Le Women Movement dans les années 1950

Campaigning for political rights in Nigeria: the Women Movement in the 1950s
Sara Panata
p. 174-183

Résumés

La révision de la Constitution nigériane prévue en 1956 fut perçue par le Women Movement of Nigeria (WM) comme une occasion pour revendiquer l’inclusion politique des femmes. L’article Allocation system for women, écrit en 1954 par Mrs Elizabeth Adekogbe, présidente du WM, met en évidence les droits politiques qu’elles réclament, notamment l’accès au suffrage et à l’éligibilité. Ces revendications divisent les femmes qui, selon leur appartenance politique, ont des conceptions différentes de l’émancipation politique. Ces divisions invitent à déconstruire la catégorie « femmes du Nigéria » et à interroger la pluralité de leurs revendications, largement inspirées des débats qui ont eu lieu en Europe occidentale à propos de l’accès au suffrage féminin. Cet article permet aussi de s’interroger sur les parallélismes avec les suffragistes occidentales et en conséquent sur le concept de « citoyenneté » et sur son emploi et non-emploi de la part de ces femmes africaines

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Texte intégral

  • 1 Barthélémy 2012.

1Comme ailleurs en Afrique de l’Ouest, les années 1950 sont marquées au Nigéria par l’émergence de débats sur l’accès des femmes aux responsabilités politiques, en particulier au droit de vote1. Dans ces années-là, sous la pression des partis politiques locaux, Nigérians et Britanniques entament une révision du mode de gouvernement de la colonie, déclenchant une série de conférences constitutionnelles qui se poursuivent jusqu’en 1960, date de l’indépendance du pays. Une partie des Nigérianes de l’espace yoruba, au sud-ouest du pays, perçoit ce moment de réformes comme l’occasion pour elles de se mobiliser afin d’obtenir une constitution qui leur soit plus favorable en leur reconnaissant certains droits politiques, avant tout l’accès au suffrage et à l’éligibilité.

  • 2 Cette organisation se présente comme un parti féminin, mais n’a pas l’ambition de présenter des c (...)

2Le document présenté ici se penche sur les revendications politiques dont les Nigérianes du parti politique féminin2 Women Movement of Nigeria (WM) se font les porte-paroles. Il présente les réformes électorales demandées par ces femmes qui veulent prendre une part active à la construction de l’avenir de leur pays. Daté du 15 février 1954, ce texte est écrit par Mrs Elizabeth Adekogbe, enseignante, directrice d’école, journaliste et présidente du WM, fondé à Ibadan en décembre 1952. C’est dans la perspective de la conférence constitutionnelle prévue au Nigéria en 1956 et chargée de préparer l’indépendance que Mrs Adekogbe rédige cet article, saisissant cette occasion pour faire avancer la discussion sur les droits politiques des Nigérianes.

  • 3 Bien que l’on n’ait pas trouvé l’article publié dans les journaux de l’époque, il est impossible (...)

3Retrouvé dans les archives privées de la militante sous forme non-publiée3, ce document rédigé en anglais permet d’approcher les discussions entre les militantes de l’époque. Les débats qui ont lieu entre elles sont liés aux clivages partisans et notamment à l’opposition entre les adhérentes du WM et les affiliées de la section féminine de l’Action Group, parti majoritaire dans la région occidentale qui tolère mal la volonté d’indépendance du WM. Ces fractures amènent par conséquent à réfléchir sur la catégorie de « femmes nigérianes » et à s’interroger sur les conceptions plurielles qu’elles ont de leur émancipation politique. Par ailleurs, ces débats sont largement inspirés de ceux qui ont eu lieu dans les pays occidentaux quelques décennies auparavant à propos de l’accès à la citoyenneté. L’expérience des femmes britanniques est prise par Mrs Adekogbe comme un modèle à suivre. Cependant, dans le document proposé, les mots citizenship ou citizen ne sont jamais employés. Cela invite à réfléchir aux termes de « citoyen/ne » et « citoyenneté » et à se demander de quelle manière ils sont employés en yoruba, langue maternelle de ces femmes.

ALLOCATION SYSTEM FOR WOMEN

The nomination of women as “special members” in our Legislature can be regarded as the beginning of the recognition of women’s rights to such Assemblies. We have scored. But this system will not persist as it cannot stand the test of time and popularity; and I hope that men who cling tenaciously to old practises and prejudices when women’s problems are discussed will keep their minds open and study exactly what women want.

The nomination system will never satisfy us, just as it failed to satisfy men. It confers an inferior status on the women of this country and the fact that we have been relegated to the background should make us think very seriously of our future status. The future is bright and there is nothing in our way if only we could work hard to win public co-operation and arouse their support towards our cause. The year 1956, when the amended constitution will be due for revision should be a year of triumph for the women of Nigeria.

We should be able, then, to force through, by persuasion, a provision to allocate seats to women by provincial basis, one to a province, and each seat will be contested. If this can be achieved, we can be sure to a certain extent, that we have true representatives of women in the Legislatures. It is highly undemocratic, grossly unfair and very insulting to the women of this country when men have to nominate who should represent women in the Legislatures. Anybody could be pitchforked from obscurity. At times such selection may by popular, for example, the choice of Mrs. Margaret U. Ekpo of Aba fame in the East. She has all along identified herself with the aspirations of women of Nigeria. On the other hand, the nomination of Mrs. Remi Aiyedun met with popular resentment in the Western Region. Why? Nobody knew she lived before her appointment, excepting Mr. Awolowo who put her there. Her name cannot be mentioned as somebody who has made any contribution to the cause of women. She is seen, not heard, only when the House of Assembly sits at Ibadan.

We cannot leave our future to chances. There is no reason why women should not identify themselves with women’s emancipatory movements besides joining political parties. The National Council of Women of Great Britain has women from the Labour, the Conservative and other political parties. I sat this on authority. These women regard women’s problems as above politics, they are united in the struggle for the emancipation of women. That is the proper thing to do.

Nigerian women should put on a new look and follow the examples of women of other lands. Here in Nigeria, an NCNC woman and an AG women can’t be friends, an NPC woman will not fraternise with an AG woman and so on. Let us learn from the visit of two members of Parliament who are now on a visit to Nigeria, Lt.Col.J.D.R Tilney (Conservative) and Mr. I Winterbottom (Labour). We should demonstrate a good amount of goodwill, broadmindedness and tolerance when dealing with one another. We all work towards the same goal, only in the way each understands.

One of the resolutions of the Women Movement of Nigeria at its last General Assembly is a demand for women representation on provincial basis in the Legislatures and copies of the resolutions were forwarded to the Governor, the three Lt. Governors and the three Leaders of our Regional Governments for their information and sympatric consideration.

Let us see what 1956 will bring.

  • 4 Lagos constitue une exception, puisque le suffrage universel est introduit dès 1950 pour les élec (...)

4Complètement exclues de la scène électorale jusqu’en 1951, sauf dans la municipalité de Lagos4, les Nigérianes du Sud qui paient des impôts obtiennent finalement les droits de vote et d’éligibilité avec la Constitution Macpherson, instituée en 1951, suite à la Conférence d’Ibadan. Cette nouvelle constitution introduit pour la première fois un vrai système électoral pour les femmes, mais dont la base censitaire limite le pouvoir effectif des électrices qui pour beaucoup d’entre elles, ne paient pas d’impôts. À cette conférence, parmi les cinquante-trois participants, on ne compte qu’une seule femme : Mrs Funmilayo Ransome-Kuti, qui s’était en vain opposée à l’adoption d’un suffrage censitaire plutôt qu’universel.

  • 5 Adekogbe E., « Nigerian Women & The New Constitution », Nigerian Tribune, 5 mai 1952, p. 2; « Was (...)

5Le Women Movement of Nigeria se fait dès lors le porte-parole du mécontentement féminin vis-à-vis de cette nouvelle constitution en revendiquant un suffrage universel indépendant de la contribution fiscale5, ainsi qu’un ensemble de réformes du système électoral, dénoncé comme défavorable à une inclusion des femmes dans l’arène politique.

Un système électoral à réformer

  • 6 Le lieutenant-gouverneur est le représentant britannique du gouverneur dans les trois régions du (...)
  • 7 Souvenir Booklet of the New Constitution. As signed by HM King George VI and the Court of Windsor (...)

6La première critique adressée par Mrs Adekogbe au système électoral en vigueur porte sur le système de nomination de femmes en tant que membres spéciaux de la chambre des députés de l’Ouest. Depuis 1951, le Nigéria a entamé une mutation vers un système fédéral, caractérisée par une nouvelle partition du territoire en trois régions (Northern, Eastern et Western Regions) et par une nouvelle répartition des fonctions et des postes dans les institutions. Dans la Western Region, la constitution prévoit l’exercice du pouvoir exécutif par un Conseil exécutif formé des ministres du gouvernement et présidé par le Premier régional. Le système législatif est bicaméral, avec une chambre des chefs (House of Chiefs), dont les membres sont nommés, et une chambre des députés. Cette dernière est composée de quatre-vingts membres élus par les contribuables et de cinq membres nommés par le lieutenant-gouverneur6, auxquels il peut ajouter jusqu’à trois autres membres7, désignés « membres spéciaux de la chambre des députés » pour représenter les intérêts des communautés sous- représentées.

  • 8 Martineau 2006.
  • 9 Sklar 1963.
  • 10 Le système indirect des collèges électoraux est vivement critiqué par les femmes, qui le dénoncen (...)

7Les députés sont élus par un système indirect à trois niveaux. Le premier collège comprend les villages ; le collège intermédiaire, les districts ; et enfin le troisième collège, les divisions8. Ce système de collèges reprend la division administrative au niveau territorial : chaque région est divisée en provinces, chaque province en divisions, à leur tour découpées en districts. Le suffrage direct s’applique aux deux premiers niveaux d’élection, où les électeurs/électrices (tout.e.s contribuables) s’expriment en levant la main. Si ce système de choix public persiste au niveau du deuxième collège, dans le district, le collège final s’exprime par un vote à bulletin secret9. Les collèges électoraux à scrutin public sont un terrain de jeu idéal pour le clientélisme et la corruption. Ils favorisent les hommes dans la poursuite vers les collèges supérieurs alors que les femmes ne parviennent pas au-delà du premier collège, parce qu’elles bénéficient d’un moindre soutien parmi les hommes et que les femmes qui auraient voulu les soutenir ne sont pas nombreuses à cause du suffrage censitaire10.

8La sous-représentation des femmes à la Chambre, en partie liée à ce système d’élection corrompu, semble cependant à ce point indéfendable que les députés eux-mêmes, qui sont tous des hommes dans les années 1950, demandent au lieutenant-gouverneur britannique d’accorder aux femmes l’un des trois sièges destinés aux membres spéciaux. Cette prise de parole en faveur des femmes révèle aussi une volonté des députés de choisir des femmes qui leur soient favorables. C’est en effet un député de l’AG, principal opposant aux revendications de Mrs Adekogbe, qui propose cette réforme. Les femmes sont donc perçues comme un groupe à part entière, et plus précisément comme une « communauté minoritaire », ayant le droit de détenir une place particulière au sein de la chambre. Ainsi, à partir d’avril 1953, au lieu de proposer des réformes électorales pour faciliter l’accès des femmes aux chambres, la loi fait de celles-ci un groupe ayant droit à un membre « spécial » nommé par le lieutenant-gouverneur. La presse nigériane salue cette réforme comme marquant un progrès de la situation des femmes. Mais pour le WM, cette proposition, loin de représenter une avancée, est une façon d’ôter aux femmes la possibilité d’élire leurs candidates et d’ignorer la nécessité de réformer le système électoral. Par ailleurs, il permet aux partis au pouvoir de choisir des femmes qui leur conviennent, mais qui ne représentent pas forcément les intérêts de l’ensemble des femmes.

  • 11 Elle est la première femme du Nigéria et de l’Afrique de l’Ouest à avoir été nommée dans une légi (...)
  • 12 Par ailleurs, Mrs Aiyedun est la femme du Révérend Aiyedun, cousin de l’Alake Ademola II, roi d’A (...)

9À peine le système de nomination entré en vigueur, le choix du lieutenant-gouverneur s’est en effet porté sur Mrs Remilekun Iseoluwa Aiyedun, une enseignante d’Abeokuta, au sud-ouest du pays, très active au sein de l’église protestante. Mrs Adekogbe critique fortement cette nomination considérant que les mérites de cette femme sont liés à son activité ecclésiastique plutôt qu’à son activité politique en faveur des femmes11 : présidente de la Christian Ladies Progress Union, secrétaire de la Diocesan Women’s Guild depuis les années 1940, Mrs Aiyedun serait cooptée en tant que figure respectée dans le milieu chrétien. Du fait de son absence de la scène des mobilisations féminines de l’époque, Mrs Adekogbe lit sa nomination comme le résultat du lobbying de l’Action Group, lequel est opposé à la constitution d’un parti féminin et pense probablement pouvoir contrôler cette femme qu’il a contribué à promouvoir12.

  • 13 Ce système est introduit pour la première fois en Afrique de l’Ouest au Ghana, où, à partir de 19 (...)

10Le document invite donc les femmes à réfléchir à l’avenir qui les attend dans un système ainsi établi et réclame une réforme reconnaissant aux femmes une place effective dans les institutions. Pour éviter la corruption et la cooptation de femmes peu représentatives, le texte propose d’introduire dans la nouvelle constitution de 1956 un système d’allocation de sièges pour les femmes : un quota de sièges leur serait réservé, à hauteur d’un par province, soit huit pour la Western Region. Ainsi, les femmes pourraient être représentées par des femmes qu’elles auraient contribué à choisir, puisque les représentantes seraient élues par l’ensemble des électeurs et électrices, et non plus nommées13. Cette idée avait déjà été proposée par la Federation of Nigerian’s Women Societies (FNWS) un an auparavant. Cette fédération avait été créée à l’initiative du WM qui, au début de l’année 1953, décida de se tourner vers Mrs Ransome-Kuti et Mrs Margaret Ekpo, autre grande militante nigériane, pour s’unir afin de lutter pour obtenir la modification du système électoral. Les femmes seraient ainsi devenues électrices et destinataires de places réservées. Ce point n’est pas repris par Mrs Adekogbe dans sa poursuite autonome du combat, puisqu’elle propose que ces sièges réservés aux femmes soient attribués par l’ensemble des électeurs, hommes comme femmes.

  • 14 Scott 1998.

11Une tendance contradictoire semble donc émerger de ces revendications : d’une part, ces femmes exigent, au nom de l’égalité hommes/femmes, que le système soit réformé afin qu’elles puissent obtenir la même reconnaissance et le même traitement que les hommes. De l’autre, elles valorisent leur altérité de femme et demandent des droits particuliers pour leur groupe14. L’obtention d’une reconnaissance politique passe donc par la revendication d’une égalité tout en préservant une certaine altérité, caractéristique qui a déjà marqué les discours des militantes féministes en Europe. Mais cette démarche n’est pas partagée par l’ensemble des Nigérianes.

Les responsabilités politiques, un sujet qui divise les femmes

12Ces revendications du WM sont mal perçues par de nombreuses femmes de l’époque, notamment celles qui sont liées à la section féminine de l’Action Group. Elles critiquent l’ingérence de Mrs Adekogbe dans la sphère politique en considérant que c’est un domaine qu’il faut réserver aux hommes, seuls capables de prendre des décisions politiques.

13Ce point de vue est aussi visible dans l’opposition des femmes de l’AG à la proposition du WM d’inviter les femmes à se fédérer au-delà de leurs différentes appartenances politiques et de façon autonome par rapport à l’action des partis politiques majoritaires, de manière à créer un front plus puissant. Mrs Adekogbe soutient que l’identité féminine doit permettre de transcender les clivages partisans, et que ce dépassement est nécessaire pour faire entendre la voix des femmes, minoritaires au sein de ces partis. Elle fait notamment référence à l’expérience du National Council of Women of Great Britain (NCW), une organisation qui, à partir de 1918, réunit plusieurs associations féminines britanniques ayant des colorations politiques et idéologiques différentes, dans le but d’aider les femmes à revendiquer leur droits sociaux, économiques et politiques. À l’inverse, la section féminine de l’AG critique profondément l’idée d’une organisation autonome et propose de lutter pour les droits des femmes au sein des partis existants, perçus comme plus à même d’assurer l’émancipation politique des femmes du fait de leur important poids politique. Pour les militantes de l’AG, l’affiliation des femmes aux partis majoritaires est une condition de leur succès électoral, car sans une telle affiliation les femmes n’attireraient aucun suffrage masculin.

14Ces débats montrent que l’accès aux responsabilités politiques n’est pas envisagé de la même manière par toutes les Nigérianes, divisées par leurs appartenances politiques. Cela amène à repenser la catégorie « femmes du Nigéria » qui ne constitue pas un ensemble homogène. C’est l’appartenance politique de chaque femme, plutôt que le fait « d’être une femme » qui détermine la nature des revendications.

Citizen et citizenship, des concepts ambivalents

15Tout au long de son argumentation, Mrs Adekogbe fait référence à des catégories de pensée occidentales. Les circulations et les échanges qu’elle a avec les mouvements féminins d’autres pays, notamment le NCW britannique, s’intensifient à partir de 1953, quand elle demande l’affiliation du WM au Conseil international des femmes (ICW). Cela se reflète dans le discours présenté ici : le fait d’envisager une fédération réunissant toutes les femmes, quelle que soit leur orientation politique, fait clairement référence à la structure du NCW britannique. C’est en effet à travers une organisation fédéraliste regroupant des femmes de l’ensemble de l’échiquier politique que le NCW a lutté pour le suffrage universel. Puis, une fois celui-ci obtenu en 1928, il incite les femmes à agir en citoyennes, c’est-à-dire à se mobiliser pour la reconnaissance d’un ensemble de droits, aussi bien politiques que sociaux, devant leur permettre d’avoir une place véritable dans le façonnement de leur État.

16Bien que Mrs Adekogbe soit fortement influencée par les démarches du NCW et que leurs objectifs soient très proches (obtention du suffrage universel et encouragement des femmes à revendiquer des droits politiques et sociaux), les termes de citizens et citizenship, au cœur de la rhétorique du NCW, sont absents de son discours. Cela n’est pas un effet de source. Il s’agit, dans les revendications politiques des Nigérianes, de lutter pour le suffrage universel ou pour l’éligibilité, sans qu’il soit fait référence à la citoyenneté.

17Ce décalage provient de l’absence d’équivalence entre le terme anglais, citizen/s, et le terme yoruba utilisé pour le traduire, ará ìlú. Ce terme désigne « l’habitant de la ville/du pays », mais n’est pas associé à la possession de droits politiques ou sociaux. Il se distingue du terme ọmọ ìlú qui détermine un lien de naissance entre l’individu et le territoire en question. À l’échelle provinciale et locale, l’ọmọ ìlú détient des droits politiques différents de ceux de l’ará ìlú car il peut exercer des charges politiques dans le système de chefferie yoruba et concourir à des postes administratifs provinciaux ou locaux. La notion d’ará ìlú diffère donc significativement de celle de citizen, qui comporte la même notion d’appartenance territoriale, mais lui associe des droits civils et politiques. Quant au mot citizenship, il n’a pas d’équivalent en yoruba.

*

18Du fait de ce décalage terminologique, le terme citizen n’est pas employé quand il s’agit de désigner des revendications politiques ou socio-économiques. Cependant, il apparaît dans d’autres contextes, notamment dans le manifeste du WM, rédigé en anglais en 1954. Un des objectifs du mouvement est alors de « former les femmes à leurs responsabilités de citoyennes ». Ce terme renvoie ici à l’ensemble des femmes qui habitent le Nigéria – non pas à la petite portion qui détient le droit de vote – et qui ont de ce fait des devoirs envers leur pays, notamment celui de contribuer à son développement. Bien que le terme citizen ne soit pas employé avec le même sens qu’en contexte britannique, les Nigérianes militent pour leur inclusion dans la construction de leur pays. Cette inclusion est un droit qui a été obtenu avec le suffrage universel pour les suffragistes occidentales, et un devoir qui serait encore mieux exercé une fois obtenu le droit de vote et d’éligibilité pour ces femmes du Nigéria.

19Cet article, produit dans une période de grande transformation des structures politiques du Nigéria, est un document essentiel pour analyser la manière dont les Nigérianes conçoivent leur inclusion dans la sphère politique. Il met en évidence les inégalités genrées du système politique telles qu’elles sont perçues par une partie des Nigérianes, tout en montrant comment l’accès aux responsabilités politiques fait débat parmi elles. En deuxième lecture, il se prête à des parallélismes avec les débats qui ont eu lieu en Europe occidentale à propos de l’accès au suffrage des femmes et il permet en conséquence de s’interroger sur le concept de « citoyenneté » au Nigéria.

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Bibliographie

Barthélémy Pascale, 2012, « Citoyennes, enfin ! », L’Histoire, 371, p. 60-61.

Johnson-Odim Cheryl & Nina Emma Mba, 1997, For Women and the Nation: Funmilayo Ransome-Kuti of Nigeria, Urbana, University of Illinois Press.

Martineau Jean-Luc, 2006, Oba et constructions identitaires dans l’espace yoruba nigérian, Lille, Atelier national de reproduction des thèses.

Mba Nina Emma, 1982, Nigerian Women Mobilized: 1900-1965, Berkeley, University of California Press.

Scott Joan Wallach, 1998, La Citoyenne paradoxale. Les Féministes françaises et les droits de l’homme, Paris, Albin Michel [trad. de Only Paradoxes to Offer. French Feminists and the Rights of Man, Harvard University Press, 1996].

Sklar Richard, 1963, Nigerian political parties, power in an emergent African nation, Princeton, Princeton University Press.

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Notes

1 Barthélémy 2012.

2 Cette organisation se présente comme un parti féminin, mais n’a pas l’ambition de présenter des candidates aux élections, et sa définition comme parti féminin signifie plutôt sa volonté d’opérer non seulement dans le champ social et économique, mais aussi dans le champ politique, à la différence des autres organisations féminines d’Ibadan. Plus précisément, l’obtention de droits dans le champ socio-économique (éducation des filles, ouverture de garderies, santé des femmes, meilleures conditions économiques pour les commerçantes) doit préparer la voie pour accéder aux droits politiques, notamment le suffrage universel et l’éligibilité.

3 Bien que l’on n’ait pas trouvé l’article publié dans les journaux de l’époque, il est impossible d’en attester la non-publication, faute de pouvoir dépouiller toute la presse de ces années.

4 Lagos constitue une exception, puisque le suffrage universel est introduit dès 1950 pour les élections du Lagos Town Council. Lors des élections qui se tiennent le 16 octobre 1950, 114 000 électeurs et électrices sont attendus. Anonyme, « How To Vote In Pictures », Daily Times Supplement, 14 octobre 1950; Municipal Office, « Directions for the guidance of voters in voting », Daily Times Supplement, 14 octobre 1950.

5 Adekogbe E., « Nigerian Women & The New Constitution », Nigerian Tribune, 5 mai 1952, p. 2; « Was Mrs Kuti right? » archives privées de Mrs Adekogbe, The Press, 23 avril 1953.

6 Le lieutenant-gouverneur est le représentant britannique du gouverneur dans les trois régions du Nigéria.

7 Souvenir Booklet of the New Constitution. As signed by HM King George VI and the Court of Windsor, on Saturday, 30th June 1951, Daily Times, Section 30-34.

8 Martineau 2006.

9 Sklar 1963.

10 Le système indirect des collèges électoraux est vivement critiqué par les femmes, qui le dénoncent comme une entrave à leur réussite. Mrs Adekogbe « Was Mrs Kuti Not Right? », non publié, 4 mai 1953.

11 Elle est la première femme du Nigéria et de l’Afrique de l’Ouest à avoir été nommée dans une législature régionale. En Gold Coast, Miss Mabel Dove est la première femme élue dans une législature nationale.

12 Par ailleurs, Mrs Aiyedun est la femme du Révérend Aiyedun, cousin de l’Alake Ademola II, roi d’Abeokuta et proche de l’Action Group. Cet Alake est au centre des luttes des femmes d’Abeokuta contre la taxation pendant les années 1940, luttes menées par Mrs Ransome-Kuti.

13 Ce système est introduit pour la première fois en Afrique de l’Ouest au Ghana, où, à partir de 1959, les femmes obtiennent le droit à dix sièges au sein de l’Assemblée nationale. Anonyme, « Seats For Ghana Women », Daily Times, 22 juillet 1959.

14 Scott 1998.

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Pour citer cet article

Référence papier

Sara Panata, « Revendiquer des droits politiques au Nigéria. Le Women Movement dans les années 1950 »Clio, 43 | 2016, 174-183.

Référence électronique

Sara Panata, « Revendiquer des droits politiques au Nigéria. Le Women Movement dans les années 1950 »Clio [En ligne], 43 | 2016, mis en ligne le 01 juin 2019, consulté le 09 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/12988 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.12988

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Auteur

Sara Panata

Doctorante au CNRS, en partenariat avec l’IMAF et l’IFRA Nigeria. Elle s’intéresse aux mobilisations féminines et aux dynamiques de construction de genre à l’époque coloniale et postcoloniale. Après une première recherche axée sur la ville d’Ibadan, elle travaille désormais sur le sud du Nigéria. Ses recherches portent sur l’engagement politique et socio-économique des femmes aux échelles locale, nationale et internationale. Elle emploie, entre autres, une approche prosopographique, accordant une attention particulière à la représentation de ces femmes au travers de l’analyse des photos et des vêtements.
sarapanata@gmail.com

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