Christine von Oertzen, Science, Gender, and Internationalism. Women’s Academic Networks, 1917-1955
Christine von Oertzen, Science, Gender, and Internationalism. Women’s Academic Networks, 1917-1955, London/New York, Palgrave Macmillan, 2014, 325 p.
Texte intégral
1Depuis une vingtaine d’années, le phénomène d’internationalisation des mouvements féministes a été principalement exploré à travers les trois « grandes » associations internationales de femmes créées successivement au tournant du XXe siècle : le Conseil International des Femmes, l’Alliance Internationale pour le Suffrage des Femmes, et la Ligue Internationale des Femmes pour la Paix et la Liberté. Dans cet ouvrage, Christine von Oertzen s’intéresse à une quatrième association actuellement moins étudiée et réalise le premier travail d’envergure sur la Fédération Internationale des Femmes Diplômées des Universités (FIFDU). Conçue comme la plupart des organisations internationales de femmes comme une fédération d’associations nationales, la FIFDU se démarque par son recrutement sélectif, puisqu’il est nécessaire d’avoir obtenu un diplôme de l’enseignement supérieur pour y adhérer. Au-delà d’un réseau transnational de femmes, il s’agit donc également d’un réseau académique ayant des besoins et des revendications spécifiques, en particulier en ce qui concerne l’accès des femmes aux études, aux professions supérieures et aux postes universitaires.
2L’articulation entre sciences, genre et internationalisme mise en évidence dans le titre du livre forme le cœur du projet de la Fédération et permet à von Oertzen de positionner son travail à la croisée des champs de l’histoire culturelle et genrée des sciences, de l’histoire de l’éducation supérieure, de l’histoire des relations internationales et de l’histoire des mouvements nationaux et internationaux de femmes (p. 2). Si cette recherche constitue incontestablement un ouvrage de référence sur l’émergence de la FIFDU au sortir de la Première Guerre mondiale et sur les débuts de son fonctionnement, l’intérêt de l’étude réside surtout dans le jeu d’échelle auquel se prête l’auteure. En effet, von Oertzen se place tantôt au niveau international de la Fédération, tantôt à un niveau national, étudiant le cas des scientifiques allemandes. L’exemple de l’association allemande, tiraillée entre sa volonté de s’affirmer sur la scène politique et scientifique internationale et le contexte politique nationaliste de son pays, permet à l’historienne d’explorer les interconnexions existantes entre réseaux associatifs et scientifiques formels et informels, nationaux et internationaux. Elle tente ainsi d’écrire une véritable histoire transnationale, montrant que la FIFDU ne peut se concevoir autrement que par ses interactions avec ses groupes nationaux, ces derniers étant eux même façonnés par leurs relations à la Fédération.
3S’appuyant sur l’analyse d’archives provenant de la FIFDU, de quelques unes de ses fondatrices, des associations allemande, britannique, américaine et française et d’universités allemandes, von Oertzen accorde une importance fondamentale aux trajectoires des membres de ce réseau associatif et aux relations personnelles qui les lient. L’ouvrage se termine d’ailleurs par un index biographique particulièrement utile, donnant notamment des informations sur la nationalité, la formation universitaire, la carrière, et les engagements associatifs de quarante des principales actrices de la FIFDU. Le livre est structuré en sept chapitres, qui se suivent dans l’ordre chronologique et qui permettent chacun d’éclairer différents aspects du réseau international et de ses relations avec les membres de l’association allemande, la Deutscher Akademikerinnenbund (DAB).
4Les deux premiers chapitres retracent la fondation de la Fédération Internationale et son programme d’actions conduit dans les années 1920. Le mouvement de création de la FIFDU est porté par des diplômées britanniques et américaines dans un contexte particulier, puisque la rencontre entre ces femmes se fait au cours d’un voyage d’universitaires britanniques cherchant à contrer l’influence des universités allemandes aux États-Unis, à la fin de la Première Guerre mondiale. Convaincues que les femmes instruites ont un rôle à jouer sur la scène internationale pour favoriser la paix, les fondatrices utilisent la longue tradition de regroupement associatif des femmes universitaires américano-britanniques pour inciter et aider nombre de pays européens à créer leurs propres associations et à les rejoindre. L’expansion géographique de la FIFDU s’effectue rapidement, rassemblant les diplômées autour d’idéaux de compréhension et de coopération internationale, ainsi que de promotion des droits des femmes dans la société et les sciences. Le programme de la Fédération durant les années 1920 est marqué par la réalisation de deux projets majeurs répondant au double objectif de développement des possibilités académiques des femmes et de rapprochement entre les peuples : la mobilité internationale des membres est facilitée par la mise en place de bourses d’études et de recherches, et par la création de foyers internationaux dans les villes universitaires de Washington, Paris et Londres.
5Christine von Oertzen consacre ensuite un chapitre à la fondation de l’association allemande et à son fonctionnement durant l’entre-deux-guerres. Elle montre comment la DAB est créée en 1926 sur le modèle des associations américaines et britanniques, dans le but d’intégrer la FIFDU et de réaffirmer le rayonnement de l’Allemagne au niveau international. D’après l’auteure, les femmes universitaires allemandes ont, bien plus que leurs homologues masculins, saisi l’opportunité de l’internationalisme. De fait, l’intégration des diplômées allemandes à une association spécifiquement féminine leur fait prendre conscience que leur genre peut constituer une nouvelle forme d’identification, au même titre que leurs appartenances professionnelles. La DAB se sert de la Fédération internationale comme d’une tribune politique, mais l’influence de la FIFDU a aussi des répercussions sur la situation universitaire allemande. En effet, les femmes se positionnent désormais comme un groupe spécifique cherchant à développer ses propres intérêts, par exemple en créant plusieurs foyers pour étudiantes.
6Les trois chapitres suivants traitent des changements qui s’opèrent au sein de la Fédération et de l’association allemande du fait de la nazification de celle-ci à partir de 1933. Si les membres de la DAB tentent dans un premier temps de maintenir leur adhésion à la FIFDU, cette dernière critique fortement les choix politiques pris par les allemandes, et finit en 1934 par modifier ses statuts pour pouvoir interdire l’adhésion d’une association qui refuserait un membre pour raison raciale, politique ou religieuse. Cependant, même la sortie de la DAB de la Fédération en 1936 ne signe pas la fin des liens internationaux créés précédemment. En particulier, la FIFDU met en place un système d’assistance à destination des femmes juives se trouvant contraintes de quitter l’Allemagne. À partir d’un certain nombre de trajectoires biographiques de femmes exilées, l’auteure met en évidence l’importance de l’aide matérielle apportée par les associations britannique puis américaine pour aider les diplômées réfugiées à retrouver une position professionnelle et à poursuivre leur carrière à l’étranger.
7L’ouvrage de von Oertzen, qui se conclut par une réflexion sur les tentatives de reconstruction de la DAB en Allemagne de l’Ouest à la fin de la Seconde Guerre mondiale, pose ainsi des bases solides pour écrire l’histoire de la Fédération Internationale des Femmes Diplômées des Universités. Il est à souhaiter que de nouvelles recherches analysent aussi finement d’autres cas nationaux au prisme du transnational.
Pour citer cet article
Référence papier
Marie-Élise Hunyadi, « Christine von Oertzen, Science, Gender, and Internationalism. Women’s Academic Networks, 1917-1955 », Clio, 42 | 2015, 312-312.
Référence électronique
Marie-Élise Hunyadi, « Christine von Oertzen, Science, Gender, and Internationalism. Women’s Academic Networks, 1917-1955 », Clio [En ligne], 42 | 2015, mis en ligne le 19 janvier 2016, consulté le 06 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/12703 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.12703
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