Luciana M. Jinga & Florin S. Soare (eds), Corina Doboş & Cristina Roman, Politica pronatalistă a regimului Ceauşescu. Vol. 2, Instituţii și practici [La politique pronataliste du régime Ceauşescu. Tome 2, Institutions et pratiques]
Luciana M. Jinga & Florin S. Soare (eds), Corina Doboş & Cristina Roman, Politica pronatalistă a regimului Ceauşescu. Vol. 2, Instituţii și practici [La politique pronataliste du régime Ceauşescu. Tome 2, Institutions et pratiques], Iaşi, Polirom, 2011, 304 p.
Texte intégral
1Une dizaine d’années après la publication du travail de référence écrit par Gail Kligman (The politics of duplicity. Controlling reproduction in Ceauşescu’s Romania, 1998), l’ouvrage ci-dessus, paru en 2011, s’inscrit dans la suite du premier volume publié l’année précédente Politica pronatalistă a regimului Ceaușescu. O perpectivă comparativă (La politique pronataliste du régime Ceauşescu. Une approche comparative), coordonné par Corina Doboş, Luciana Jinga et Florin Soare. Tandis que le livre américain est une ethnographie de la politique de la reproduction pendant le régime de Ceauşescu, les deux volumes roumains présentent une analyse historique de la politique pronataliste du régime communiste. Le premier tome se penche sur les spécificités des politiques de la population en Roumanie, en les comparant à celles d’autres pays de l’ancien bloc communiste et aux mesures pronatalistes françaises dans la période d’après-guerre. Dans le deuxième tome, les auteurs s’attachent à déceler la manière dont le fonctionnement du système politique communiste en Roumanie a facilité la mise en œuvre de la législation interdisant l’avortement (p. 14).
2L’ouvrage est structuré en deux parties réunissant douze chapitres, chacun d’eux étant écrit par un des quatre auteurs (Jinga, Soare, Doboş et Roman). Ces chapitres sont suivis par des annexes (p. 253-298) qui présentent une sélection des diverses sources inédites consultées. Celles-ci sont issues du ministère de la Santé, du Conseil National pour l’étude des archives de la Sécurité (CNSAS), du ministère du Travail, du ministère de l’Intérieur (MAI), du ministère des Affaires externes (MAE), et d’Open Society Archives de Budapest. La première partie du volume, intitulée « Institutions » (p. 25-155), est centrée sur l’analyse institutionnelle des organismes décisionnels responsables de la mise en œuvre des politiques pronatalistes avant 1990. Les auteurs s’attachent à montrer que le contrôle de la population allait au-delà de la répression traditionnelle effectuée par la Milice et la Procurature, le système médical et hospitalier en étant un des principaux instruments. Dans une société totalitaire dans laquelle l’augmentation des taux de natalité était un but politique déclaré, une large variété de mécanismes de contrôle des grossesses et des naissances transgressait l’incompatibilité entre le serment d’Hippocrate et les ordres du parti unique. La deuxième partie du volume, intitulée « Pratiques » (p. 159-249), se penche sur les effets des politiques natalistes au niveau de la population. Les cinq derniers chapitres sont notamment le résultat de l’analyse des documents inexploités auparavant concernant l’avortement, la mortalité maternelle et infantile, l’abandon familial et les orphelins, ou encore les institutions d’accueil des enfants en bas âge.
3La conjonction de l’analyse institutionnelle et des effets des politiques natalistes permet de mesurer la faillite des politiques de population en Roumanie communiste. Les auteurs s’attachent à montrer que les spécificités des politiques démographiques natalistes en Roumanie sont intrinsèquement liées au « nationalisme ethnocentrique » et au caractère autarcique du régime, annoncés dès la fin des années 1960 (p. 21). Cette thèse est le fil rouge qui parcourt l’ensemble de l’ouvrage.
- 1 Données recueillies du site officiel du ministère du Travail : http://www.mmuncii.ro/j33/index.ph (...)
4Luciana Jinga est la seule des quatre auteurs qui interroge son terrain empirique au prisme des rapports de genre. Dans les premiers chapitres dédiés au rôle du ministère de la Santé dans la mise en œuvre des politiques de population, elle montre que les inégalités horizontales et surtout verticales régissant la profession médicale et les structures dirigeantes sont l’une des explications majeures de l’absence d’une résistance systématique des professionnels du système médical face aux politiques natalistes intrusives. Par exemple, dans la période 1966-1989, 90% des postes de direction du ministère de la Santé sont occupés par des hommes (p. 44). Mais les rapports de genre ne se trouvent pas au centre de l’attention des auteurs, préoccupés plutôt par le fonctionnement des institutions, que ce soient des institutions centrales (ministères, directions, etc.) ou territoriales (hôpitaux, crèches, orphelinats, etc.). De surcroît, l’ouvrage laisse le lecteur sur sa faim à propos de certains aspects qui ne sont qu’abordés. Tout d’abord, il faudrait expliciter le sens donné à la « protection sociale » à une époque où idéologiquement l’économie planifiée était censée résoudre tout problème social. Par ailleurs, une analyse institutionnelle du ministère du Travail, y compris de la signification de son inexistence dans la période 1957-19671, pourrait compléter l’analyse. Enfin, approfondir la réflexion sur les ressemblances, mais aussi sur les différences qui séparaient les stratégies de l’élite politique des stratégies ordinaires concernant l’avortement, pourrait incontestablement nuancer les résultats de la recherche.
5Le travail est cependant un outil inestimable pour nombre d’aspects concernant la vie familiale sous le régime communiste en Roumanie. À titre d’exemple, le chapitre quatre montre en quoi et surtout comment les données statistiques en général et celles concernant la vie familiale en particulier étaient politiquement censurées. Ou encore, le chapitre huit est une analyse très détaillée des taux de l’avortement, qu’il s’agisse d’une pratique illégale ou conforme au cadre légal en vigueur. Cette analyse est précédée par un regard minutieux porté aux mesures politiques concernant les interruptions de grossesse, du Code pénal de 1865 rédigé selon le modèle français aux derniers décrets adoptés à la fin du régime communiste (chapitre sept). Le volume coordonné par Jinga et Soare est une recherche de référence qui comble, au moins en partie, les lacunes existantes concernant la Roumanie dans la littérature comparative sur les systèmes de protection sociale dans les pays de l’Europe de l’Est (notamment les travaux de Jacqueline Heinen, Monika Wator, Steven Saxonberg, etc.). Ce travail permet de comprendre qu’en Roumanie, comme dans d’autres pays de la région, l’augmentation des taux de l’emploi féminin a été imposée comme un moyen au service de l’économie planifiée, et non pas comme le résultat de revendication liée à l’émancipation des femmes.
6Enfin, ce travail qui s’appuie sur une vaste consultation d’archives poursuit et complète les recherches sur les politiques natalistes en Europe de l’Est, un sujet qui reste (encore) loin d’être épuisé. Il représente ainsi un apport significatif à la littérature autochtone concernant les effets des politiques de population sur la vie privée en Roumanie.
7Remerciements : Ce document a bénéficié d’une subvention du Programme opérationnel sectoriel de développement des ressources humaines (DRH SOP), financé par le Fonds social européen et par le gouvernement roumain sous le numéro de contrat POSDRU/159/1.5/S/133675.
Notes
1 Données recueillies du site officiel du ministère du Travail : http://www.mmuncii.ro/j33/index.php/ro/minister/istoric/55-1945-1989, consulté le 12 juillet 2014.
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Référence papier
Anca Dohotariu, « Luciana M. Jinga & Florin S. Soare (eds), Corina Doboş & Cristina Roman, Politica pronatalistă a regimului Ceauşescu. Vol. 2, Instituţii și practici [La politique pronataliste du régime Ceauşescu. Tome 2, Institutions et pratiques] », Clio, 41 | 2015, 297-299.
Référence électronique
Anca Dohotariu, « Luciana M. Jinga & Florin S. Soare (eds), Corina Doboş & Cristina Roman, Politica pronatalistă a regimului Ceauşescu. Vol. 2, Instituţii și practici [La politique pronataliste du régime Ceauşescu. Tome 2, Institutions et pratiques] », Clio [En ligne], 41 | 2015, mis en ligne le 15 juillet 2015, consulté le 21 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/12573 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.12573
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