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Les larmes romaines et leur portée : une question de genre ?

Roman tears and their significance: a question of gender?
Sarah Rey
p. 243-263

Résumés

Dans la Rome républicaine et impériale, les pleurs accompagnent des événements de la vie privée et publique. Pour agrémenter leurs discours et asseoir leur autorité, des sénateurs, des empereurs et de brillants chefs d’armes n’hésitent pas à verser des larmes quand l’heure est grave. L’effet de leurs sanglots dépend de leur position sociale et de leur renommée : les plaintes d’un aristocrate ont plus de portée que celles d’un simple soldat. Aux femmes, en revanche, les larmes sont souvent interdites (hormis dans le deuil), quand bien même leur « nature » et leur imbecillus animus (Tite-Live, 3, 48, 8) les prédisposent aux pleurs. Le chantage à l’émotion est surtout féminin, pense-t-on. Malgré ses prescriptions de retenue, la philosophie, notamment stoïcienne, n’arrive pas à contrevenir à ce grand usage des larmes, qui est progressivement détourné et revalorisé par les auteurs chrétiens dans leur éloge de la pénitence.

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Texte intégral

  • 1 Lateiner 2009 : 128 : « In the Lives δακρυ-terms appear 134 times, 79 for Romans and 55 for Greek (...)
  • 2 En vérité, les hommes ne se sont pas retenus de pleurer jusqu’au xixe siècle, malgré le contrôle (...)
  • 3 Sur cette question des larmes et de leur « sexe », même constat chez Suter 2009 : 59. Dans la tra (...)
  • 4 C’était déjà la remarque de R. Barthes : « Depuis quand les hommes (et non les femmes) ne pleuren (...)

1Dans la Rome républicaine et impériale, les pleurs font partie intégrante de la vie politique, sociale et religieuse. Les empereurs et les sénateurs, les soldats comme le peuple s’épanchent largement. D’après Plutarque, il apparaît même que les Romains ont la larme plus facile que les Grecs1. Ils ne connaissent pas la honte de pleurer en société2 et, dans l’expression de leurs sentiments, les hommes ne semblent jamais en reste par rapport aux femmes, bien au contraire3. C’est l’étonnement que provoque toute recherche sur les pleurs romains : ils mettent à l’épreuve les identités sexuées et leur « genre » ne se trouve pas là où on l’imagine4.

  • 5 Cf. infra.
  • 6 Liv., 3, 48, 8.
  • 7 Marcellus entre autres : cf. Liv., 25, 24, 11.

2Certes, hommes et femmes ne pleurent pas toujours dans les mêmes circonstances. La taxinomie des larmes romaines est souvent sexuée. Dans les rituels funéraires, les lamentations sont surtout féminines, tandis que les larmes philosophiques, celles qui accompagnent les méditations sur les inconstances de la fortune, sont une prérogative masculine : c’est ainsi que l’on voit de hauts personnages succomber à une tristesse démonstrative, des chefs d’armes s’apitoyant sur le sort des vaincus5. Classer les pleurs comme une attitude typiquement féminine, c’est donc accepter de se contredire, à l’image de Tite-Live qui s’en prend à l’imbecillus animus6 des femmes les prédisposant aux pleurs, et qui, dans le même temps, dépeint de grands hommes en proie aux larmes7.

  • 8 Dans la veine de l’étude ancienne de Mauss 1921 qui se fondait sur une matière ethnographique océ (...)

3Les pleurs sont tellement répandus dans la société romaine qu’ils méritent d’être soumis à un examen minutieux8. Ils sont longtemps passés inaperçus, car l’histoire des émotions, désormais très en vogue, est encore récente du côté latin, là où les pleurs de l’épopée grecque ont déjà fait couler beaucoup d’encre. Les Romains et leur (mauvaise) réputation de rudesse ont peut-être suffi à décourager à leur sujet toute enquête « dacryologique » approfondie. Lorsque les pleurs romains ont, malgré tout, été étudiés, c’est par des œuvres singulières prises isolément, sans perspective d’ensemble, ce qui ne permet pas de restituer le sens social de tels comportements.

  • 9 D. Ambaglio a trouvé chez Hérodote (VII, 45-46) l’archétype de ces portraits de grands hommes en (...)

4Bien qu’elles ne soient que rarement contemporaines des événements qu’elles relatent, les sources littéraires sont, semble-t-il, les plus à même d’informer cette histoire des émotions romaines : les larmes y fournissent la matière de nombreuses scènes topiques, dont il faut chercher les premières occurrences dans l’historiographie grecque de l’époque classique9. Les historiens de la fin de la République romaine et du début de l’Empire, tout comme les philosophes avec d’autres intentions, n’hésitent pas à reprendre ces stéréotypes, reformulés ensuite, dès le iie siècle, par les auteurs chrétiens.

5Dans ce registre lacrymal, le genre est-il l’élément le plus discriminant ? D’autres critères servent-ils à déterminer l’efficacité des larmes ? À quelle époque l’exhibition de la douleur change-t-elle de visée ?

Pleurs des hommes, pleurs des femmes

  • 10 L’étude des scènes figurées de lamentation et des épitaphes ne semble pas permettre ici d’analyse (...)
  • 11 Cf. supra n. 1. Voir aussi Scheid 1984. Sur les survivances des pratiques anciennes du deuil dans (...)
  • 12 Par exemple Liv. 8, 10, 1 ; 10, 29, 19 ; 25, 26, 10. Cf. Šterbenc Erker 2011. Voir aussi Freyburg (...)
  • 13 C’est-à-dire dans un contexte malheureux. La dernière supplicatio de ce genre est attestée en 64 (...)

6À Rome, on l’a dit, les pleurs concernent les hommes autant que (voire plus que) les femmes. Nous sommes confrontés à un « effet de source » : les textes10 donnent la part belle aux hommes, qui apparaissent donc comme de grands pleureurs. Certes, les femmes et leurs larmes jouent un rôle important dans les funérailles11. Tout comme dans les supplicationes12 : au cours de ces cérémonies, les Romaines intercèdent auprès des dieux pour obtenir par avance leur bonne grâce ou les remercier au lendemain de succès militaires. La mécanique d’un tel rituel connaît des variantes, mais peut impliquer, sur son versant « expiatoire »13, l’agenouillement, les bras levés au ciel et les lamentations de circonstance.

  • 14 Sur l’auctor en rhétorique et la place de la miseratio dans certains procès tardo-républicains, v (...)
  • 15 Plut., Tib. Gracc., 16.
  • 16 Plut., C. Gracc., 16.
  • 17 Plut., Sert., 20.

7En dehors de ce domaine religieux, les effusions de larmes surviennent dans des contextes politiques tendus. Ici, les pleurs sont nettement des affaires d’hommes, qui cherchent à émouvoir leurs auditeurs. Le procédé porte en rhétorique le nom de miseratio14 : les larmes viennent accompagner les discours pathétiques. Les ficelles peuvent paraître grossières, mais elles agissent sur les masses. Tiberius Gracchus serait l’un des propagateurs de ces larmes de commande destinées à toucher le peuple15. Puis, le fils de Fulvius, porteur d’un caducée, est envoyé en pleurs à la curie, constituant une sorte d’appât sentimental16. Plus tard, usant du subterfuge de la biche blanche, Sertorius a des larmes de crocodile qui emportent la conviction naïve des Espagnols17.

  • 18 Plut., Cam., 46. Le grand écart chronologique qui sépare les événements du contexte d’écriture co (...)
  • 19 Liv., 32, 37, 2-3.
  • 20 Plut., Syll., 23.
  • 21 Liv., 42, 23, 8.
  • 22 Liv., 39, 44, 5.

8Les larmes masculines soutiennent les démarches de négociation : les ambassades sont ainsi propices aux larmes. Au début du ive siècle av. J.-C., la délégation des Sutriens n’agit pas autrement pour gagner la faveur de Camille et celle des Romains en présence : tous sont profondément touchés par le récit de la chute de Sutrium, raconte Plutarque18. Deux siècles plus tard, en 197, après avoir écouté l’exposé des ambassadeurs grecs, les sénateurs sont émus aux larmes19. Un autre Grec, Archélaos, mandaté par Mithridate, parvient par ses pleurs à obtenir la pitié de Sylla, malgré sa réputation d’intransigeance20. Mais si la « transmigration » des larmes échoue, l’ambassade n’obtient pas gain de cause : il en est ainsi des Carthaginois, qui, bien que pleurant et s’allongeant par terre en plein Sénat, laissent les Romains de marbre21. Et lorsqu’il est question de négociation « interne », les pleurs sont encore de la partie : sous la censure de Caton et Flaccus par exemple, c’est en pleurant que les publicains, menacés par une nouvelle adjudication de la ferme des impôts, convainquent les sénateurs de réviser leurs décisions22

  • 23 Apul., Met., 3, 8 : une parodie de supplicatio : « Une femme éplorée (lacrimosa) traversa le théâ (...)
  • 24 Tac., Ann., 6, 49, 1-2 : « Sex. Papinius, d’une famille consulaire, choisit un trépas soudain et (...)
  • 25 Ibid.

9Quant aux larmes versées dans le cadre judiciaire (ou para-judiciaire), elles laissent davantage apparaître la différence entre les sexes. Là, les supplications et les pleurs qui s’y joignent forment un argument décrié, notamment lorsque les impétrants sont des femmes. Leurs gémissements d’accablement, doublés parfois d’un appel à la vengeance, doivent provoquer la pitié de celui qu’on implore. Les pleurs féminins paraissent, dans la majorité des procès, particulièrement artificiels, tout prêts à être parodiés, et Apulée ne s’en privera pas23. Comme si l’hypocrisie des larmes était surtout à rechercher du côté des femmes. Sous Tibère, la mère de Sex. Papinius, accusée d’inceste, et dont le fils vient de se suicider, échoue à émouvoir ses juges24, d’autant que les larmes lui viennent sans mal. La « faiblesse propre aux femmes dans une telle épreuve »25 se donne trop facilement en spectacle. On attribue en somme aux femmes une passivité dans les larmes comme dans la plupart des postures sociales.

10Mais les Romaines ne sont pas les seules à être dénigrées pour leurs larmes. Certains individus peuvent aussi, par des pleurs démesurés ou mal à propos, tomber en discrédit. Ainsi, chez Tacite, le légionnaire Vibulenus, fomenteur de troubles parmi les légions de Pannonie, utilise son corps ému pour défendre sa cause :

  • 26 Tac., Ann., 1, 23, 1 : Incendebat haec fletu et pectus atque os manibus uerberans. Mox, disiectis (...)

À ces paroles incendiaires, il ajoutait des pleurs en se frappant la poitrine et le visage. Puis, ayant écarté ceux qui le portaient sur leurs épaules, il se jeta par terre et se roula aux pieds de chacun26.

11Ce personnage, qui ne sait pas ménager ses effets, trahit la bassesse de sa condition et son échec politique en choisissant une stratégie défensive facile, éculée. Quelques années plus tard, en 69, Tampius Flavianus, pris dans la tourmente, se retrouve compromis par ses liens de sang avec Vitellius et transporte de même dans les armées l’« imagerie » du tribunal :

  • 27 Tac., Hist., 3, 10, 4 : « La colère des soldats tomba sur Tampius Flavianus, sans qu’on eût aucun (...)

Nul moyen pour lui de se défendre, bien qu’il tendît des mains suppliantes, qu’il se jetât par terre à plusieurs reprises, les vêtements déchirés, la poitrine et le visage secoués de sanglots27.

12Ces gesticulations ne lui sont d’aucune utilité et il est finalement sauvé de justesse par l’intervention de M. Antonius Primus.

  • 28 Dio., 51, 12, 1-3 : « Elle avait donc préparé un appartement splendide et une couche somptueuse ; (...)

13Le choix des larmes n’est donc pas toujours payant. C’est aussi, en remontant dans le temps, la morale des dernières heures de Cléopâtre28. Au dire de Dion Cassius, les pleurs de la reine, qui a revêtu ses habits de deuil (Antoine s’est déjà suicidé), n’attendrissent pas Octave. Ce n’est qu’une partition bien jouée, une mise en scène trop évidente. La manœuvre est flagrante : les portraits de César sont trop soigneusement alignés, tout est trop bien réglé pour que la reine puisse amadouer son vainqueur. Mais Cléopâtre a le malheur d’être à la fois femme, étrangère et ennemie politique.

  • 29 Liv., 45, 4, 2-3.
  • 30 Liv., Per. 112.
  • 31 Plut., Marcel., 2.
  • 32 Plut., Flam., 22.
  • 33 Plut., Luc., 19.
  • 34 Plut., Brut., 35.

14À l’inverse des simples soldats et des femmes, les hommes puissants, eux, peuvent pleurer sans qu’on leur jette l’opprobre. Leurs pleurs les honorent plus qu’ils ne les disqualifient. C’est ainsi qu’il faut comprendre, dans l’historiographie, le tableau récurrent du général qui, le temps d’une crise de larmes, baisse les armes. Paul Émile pleure quand Persée se soumet29. César s’émeut aux larmes devant la tête coupée de Pompée30. La supériorité du grand chef se lit dans l’objet de ses pleurs : souvent ses regrets ne se limitent pas à la perte d’une personne connue, mais, magnanime, de toute une ville ou de tout un peuple : lui sait que le désastre qui accable l’ennemi peut un jour se retourner contre Rome. Aussi, Camille est consterné par le sort de Véies et, devant Syracuse, Marcellus se lamente sur la vetusta gloria urbis31. Flamininus, lui, ne se contient plus face au désespoir des Grecs32 ; Lucullus a des larmes d’impuissance quand survient le sac de Tigranocerte33, et Brutus ne reste pas insensible aux dernières heures de Xanthos34.

  • 35 Liv., 30, 20, 1.
  • 36 Plut., Luc., 43.
  • 37 Liv., 38, 14, 14.

15D’ailleurs, les Romains « de souche » n’ont pas l’apanage des larmes : quelques hautes figures qui appartiennent au camp ennemi sont volontiers montrées dans leur moment d’humanité. Évidemment, le lecteur romain trouve son compte dans ces images de rivaux qui, presque malgré eux, ont porté atteinte à Rome, avant de s’avouer justement vaincus. Les larmes sont comme l’expression de la némésis qui les atteint à leur tour. Hannibal pleure sur le déclin de Carthage et la trahison des siens35, tandis que Mithridate et Tigrane se retrouvent affligés par « le malheur commun »36. Mais ces pleurs extra-romains sont frappés au coin du soupçon (tout comme l’étaient ceux de Cléopâtre) : Moagétès, tyran de Cybira, n’use-t-il pas de simulatis lacrimis37 ? Non contents de séparer les genres entre eux, les pleurs distinguent aussi les Romains des autres nations.

  • 38 Les pleurs couronnent des moments de consensus politique. Dans les siècles lointains de l’histoir (...)
  • 39 Suet., Aug., 58, 1 : « Le surnom de ‘Père de la Patrie’ lui fut décerné par tous, d’un soudain et (...)
  • 40 Suet., Calig., 15 : « [Caligula] enflammait aussi les cœurs par toutes sortes de gestes agréables (...)
  • 41 Suet., Claude, 36 : « Certains complots lui ayant été dénoncés à la légère, il fut tellement effr (...)
  • 42 Suet., Néron, 43, 2.
  • 43 Ibid., 49, 1.
  • 44 Ibid., 49, 2-3.

16Sous l’Empire, ils servent de surcroît à différencier bons et mauvais empereurs38. Quand Auguste, devenu Pater Patriae39, fond en larmes, personne ne met en doute cette réaction émotive, car elle sanctionne un moment de concorde avec l’ordre sénatorial, incarné par Valerius Messala Corvinus. En revanche, des règnes jugés moins brillants que celui d’Auguste se caractérisent par des pleurs exagérés. Lorsque Tibère meurt, l’éloge funèbre prononcé par Caligula est parsemé de trop de larmes pour être honnête. C’est une démonstration factice « pour mieux faire ressortir sa piété filiale »40. Lorsque Claude crie et pleure devant le Sénat convoqué par ses soins41, il frise le ridicule. Plus tard, la révolte des Gaules bouleverse Néron42, là où on aurait espéré de sa part plus de fermeté. Le même pleure à l’avance sur sa propre fin, prouvant ainsi son manque de courage43. Son agonie est même le contraire d’une mort philosophique et stoïque44.

Un usage raisonné des larmes

  • 45 Vöhler & Seidensticker 2007.

17À Rome, il faut précisément attendre les stoïciens pour que soit évoqué le souci de contrôler ses émotions. En règle générale, la philosophie, notamment dans la tradition platonicienne, s’est méfiée des larmes et de toutes les expressions immodérées du corps. Une marge étroite est laissée aux sentiments et seul le vrai φιλόσοφος [philosophos] domine ses affects. Faisant figure d’exception, Aristote autorisait déjà les larmes et les autres marques d’empathie tant qu’elles obéissaient à des objectifs poétiques bien précis : c’était la fonction de la catharsis, correspondant somme toute à un encadrement des émotions dans l’espace étroit du théâtre45. La veine stoïcienne, elle, tente de poser une éthique, spécialement masculine, de la contenance. C’est l’objet du decus : ne jamais sortir de la convenance et du convenable.

  • 46 Cic., Tusc., 2, 55 : « Mais c’est tout particulièrement dans la souffrance qu’il faut veiller à n (...)
  • 47 Plut., Cat., 54.

18Ainsi, dans les Tusculanes, Cicéron recommande à son lecteur de maîtriser son désarroi lorsqu’il est endeuillé46. Mais le drame des guerres civiles pousse aux larmes. Caton, pourtant adepte d’une philosophie contraignante, ne peut s’empêcher de pleurer sur la fin prochaine de la République47. Au siècle suivant, Sénèque propose de réguler les pleurs qui, dit-il, sont des preuves d’irréflexion et vont contre l’instinct même :

  • 48 Sen., Consolation à Marcia, 7, 3 : nec ulli animali longum fetus sui desiderium est nisi homini, (...)

Aucun animal ne regrette longtemps sa progéniture, sauf l’homme, qui se fait le complice de sa douleur et ne s’afflige pas en proportion de ce qu’il ressent, mais dans la mesure où il se l’est fixé. Veux-tu des preuves que la nature n’exige pas qu’on s’épuise de regret ? D’abord, le même deuil affecte une femme plus qu’un homme, un Barbare plus qu’une personne civilisée, un ignorant plus qu’une personne instruite48.

  • 49 Plut., Consolation à Apollonios, 22 : « Le législateur des Lyciens, à ce qu’on raconte, avait pre (...)

19Ce partage sexué, ethnique et sociologique de la douleur réapparaît d’ailleurs, presque mot pour mot dans la Consolation à Apollonios de Plutarque49

  • 50 Sen., Consolation à Marcia, 10.
  • 51 Sen., Lettres à Lucilius, 99, 18 : « [Le public] voit-il celui-ci porter bravement son deuil ? Il (...)
  • 52 Ibid., 22 : « d’inutiles pleurs tombent de nos yeux ».
  • 53 Id., Consolation à Helvia, 16, 1 : « Ne cherche pas à t’excuser sur la faiblesse de ton sexe. C’e (...)
  • 54 Id., La Tranquillité de l’âme, 15, 2 : il faut « nous appliquer à ne pas trouver haïssables, mais (...)

20Sénèque pense donc le féminin comme « impatient dans l’affliction »50, mais sa tentative d’une assignation sexuée tranchée des larmes achoppe51. Le philosophe insiste alors, dans ses diverses Consolationes, sur l’inutilité52 et l’inconvenance des larmes, masculines ou féminines, synonymes de faiblesse53. Par leur fréquence, les pleurs sont galvaudés. Ils finissent même par ne rien signifier : la vie humaine n’est-elle pas la promesse d’innombrables souffrances ? Le topos d’un Démocrite riant vaut finalement mieux qu’un Héraclite en pleurs54.

  • 55 Lucrèce, De la nature, 3, v. 955 [954] (à un vieillard qui pleure devant sa mort prochaine) : « E (...)

21Du côté des épicuriens, les sensations ont toute légitimité du moment qu’elles sont positives. Il convient donc, autant que possible, de se refuser aux larmes. Les pleurs sont, chez l’homme, des reliquats d’ignorance : la dureté de la condition humaine ne doit provoquer aucun abattement, nul besoin de se lamenter sur la mort inéluctable. L’âme elle-même n’est pas immortelle et attendre des dieux un quelconque soulagement provoque d’inévitables déceptions. Bref, il faut en bonne logique balayer les larmes : Aufer abhinc lacrimas […] et compesce querellas55.

  • 56 Tac., Germ., 27 (trad. J. Perret).
  • 57 Sen., La Tranquillité de l’âme, 15 : Plerique enim lacrimas fundunt ut ostendant, et totiens sicc (...)

22Peu à peu, beaucoup d’auteurs semblent s’accorder sur une base commune : on doit prendre garde à limiter ses pleurs et même tendre à la contenance absolue. Le pire étant de surjouer sa tristesse. Par touches successives, la réflexion sur la maîtrise des sentiments et l’apprentissage de l’inhibition font peser un sérieux doute sur la sincérité de certaines manifestations corporelles. Tacite trouve de la sorte parmi les Germains une sobriété dans le deuil qu’il voudrait ériger en modèle pour les Romains : « Ils quittent bientôt les lamentations et les larmes, mais non pas les regrets et la peine : aux femmes convient le deuil, aux hommes le souvenir »56. Pourtant, cette aspiration à mettre le corps sous la coupe de la volonté reste longtemps sans objet. L’important n’est pas de se retrouver en accord avec soi-même, de garder la mesure, mais de paraître terrassé par les larmes : « Que de gens ne versent de larmes que pour qu’on les voie couler et ont les yeux secs aussitôt que personne ne les regarde plus »57.

Corps politique, corps sensible

  • 58 Si la loi des XII Tables cherchait à réglementer, dans les cortèges funèbres, les larmes et autre (...)

23Les prescriptions des philosophes ont une portée limitée. Les plaintes de certains grands hommes ou, plus largement, du peuple se poursuivent et passent pour des messages politiques58 : ce sont notamment les scènes de pleurs collectifs, où la spontanéité n’est pas en question. Les hommes et les femmes y sont mêlés. Dans la Rome antique, les attroupements de population ou les grandes réunions politiques ne produisent pas le même son qu’aujourd’hui et les larmes semblent y avoir la valeur de nos huées. On signifie en groupe, bruyamment et dramatiquement, sa peine ou sa colère.

  • 59 Granius Licinianus, 36, 27 : matronaeque eum toto anno luxerunt (éd. Teubner, 1981) : « et les ma (...)
  • 60 Dio., 56, 43, 1.
  • 61 Dans et hors de Rome : Tac., Ann., 2, 72, 2.
  • 62 Tac., Ann., 3, 3, 1.

24De grandes pertes « nationales » émeuvent ainsi toute la population, masculine et féminine, qui oscille de la révolte à la détresse. Déjà, à la disparition de Sylla, des matrones pleurent le dictateur comme un des leurs59. En 14, quand meurt Auguste, des foules participent au deuil, rapporte Dion Cassius60, selon une logique d’entrée du chef de l’État dans la famille de chaque citoyen. La plainte des masses se fait surtout entendre au décès de Germanicus, en 19 ap. J.-C.61. Il est alors question de « gémissement universel »62. La grande popularité de ce personnage mort dans des conditions obscures suffit à déclencher des scènes d’« hystérie » collective : on pleure, on supplie les dieux, on jette des pierres sur les temples, on ferme les maisons et les tribunaux. Une unanimité se crée alors dans les larmes :

  • 63 Tac., Ann., 3, 2, 3.

Les consuls M. Valerius et M. Aurelius, qui avaient déjà pris possession de leur charge, le sénat et une partie du peuple, se répandirent en foule sur la route. Ils marchaient sans ordre et chacun pleurait à son gré63.

  • 64 Tac., Ann., 3, 3, 1 : « Tibère et Augusta s’abstinrent de paraître en public, soit qu’ils crussen (...)
  • 65 Tac., Ann., 6, 1 : « il fallait maintenant ramener les cœurs à la fermeté, comme jadis le divin J (...)

25Pendant que se répandent les « pleurs du forum », l’empereur ne sait quel visage adopter64, avant de dresser une forme de généalogie lacrymale qui justifie sa propre froideur65.

  • 66 Tacite est le maître des mises en scène sonores : par exemple dans Ann., 11, 35, 1.
  • 67 Tac., Ann., 1, 24, 3 : « À l’approche de Drusus, les légions, comme pour lui rendre hommage, se p (...)
  • 68 Liv., 25, 8.
  • 69 Tac., Hist., 2, 29, 1.
  • 70 Tac., Hist., 4, 46, 5.
  • 71 Plut., Othon, 14.

26Dans les armées, autre lieu du politique, les soldats n’ont cure d’incarner une quelconque virilité, qui ferait de la contenance un point d’honneur. Les bruits des soldats (la bronca, le clamor, le barditus66), et notamment leurs larmes, accompagnent les réclamations et les manifestations de mécontentement67. Quand Hasdrubal franchit l’Èbre, les soldats romains sont plongés dans un état de désolation qui permet un retournement de situation in extremis68. Lorsque les auxiliaires bataves de l’armée de Valens se révoltent, Alfenus Varus trouve une parade qui désamorce le mécontentement des soldats. Il les contraint à l’inaction ; puis tout se résout, une nouvelle fois, par un échange de larmes : aux pleurs des troupes répondent ceux de Valens, dans une démonstration d’humilité qui conquiert les cœurs69. Lors de ces mêmes turbulences de 69 ap. J.-C., les cohortes de Mucien retrouvent l’armée de Cerialis et pleurent de concert70. À la mort d’Othon, ses hommes rendent à grands pleurs un ultime hommage à celui qui, précisément, s’était montré devant eux la larme à l’œil71.

27En somme, à l’époque impériale, les pleurs sont réglementés dans les cérémonies de deuil, mais ils ne sont pas encore proscrits dans la vie quotidienne, et inondent même les débats publics : hommes et femmes peuvent pleurer sans limite pour défendre leur cause. Mais dès les premiers textes chrétiens des iie et iiie siècles ap. J.-C., les larmes se voient revêtues d’un sens nouveau. Une certaine idée du corps se fait alors jour, parée d’un discours « dacryologique » adéquat. On pleurait jusque-là pour implorer la pitié d’un plus puissant que soi, pour apporter la démonstration de sa clémence politique, pour montrer sa pleine conscience des effets de la destinée. Mais, progressivement, le christianisme espère le détournement de tous ces pleurs vers une ascèse corporelle, dans laquelle la souffrance n’est pas seulement acceptée, mais valorisée.

Le christianisme : tous égaux en larmes ?

  • 72 Quelques exemples parmi de nombreux autres : Gn 27, 38 ; Jg 21, 2 ; Rt 1, 9 et 1, 14 ; Sm 24, 17.
  • 73 Jn, 11, 35.
  • 74 Lc, 8, 52.
  • 75 Mt, 26, 38-39. Origène, PG 12, 1741-1742.

28L’Ancien Testament contient nombre de scènes comparables aux grandes douleurs romaines : on pleure à tout-va, on gémit, on exhibe ses souffrances72. Tout comme les Évangiles, qui n’échappent pas davantage aux larmes : si celui de Jean rapporte les pleurs du Christ sur le corps de Lazare, c’est pour souligner la corporéité de Jésus, son incarnation au sens propre73. Lors de la résurrection de la fille de Jaïre, les pleureuses sont chassées par l’auteur du miracle74. Et les larmes de Jésus dans le jardin de Gethsémani n’ont pas la signification émotive que l’on pense75.

  • 76 Hors la prédication, bien entendu.
  • 77 Ambr., Les Devoirs, 18, 68 et 41, 202.
  • 78 Tertul., Traité de la prescription contre les hérétiques, 41, 5 : « Chez les femmes hérétiques, q (...)
  • 79 Ambr., Les Devoirs, 18, 75 : « Il existe aussi une démarche louable où résident un air d’autorité (...)
  • 80 Min. Felix, Octavius, 21 et 36.

29Les apologistes continuent de jouer sur cet entre-deux des larmes, tantôt autorisées, tantôt disciplinées. Les pleurs, ingrédients de persuasion, étaient joints, dans les siècles païens, à des paroles choisies, dont on espérait l’efficacité et qui étaient prononcées en public. Or, contre tous les discours76, les chrétiens valorisent le silence, « où se trouve – dit Ambroise – le repos de toutes les autres vertus »77 et, la plupart du temps, ils déconseillent aux femmes les prises de parole, quelles qu’elles soient78. Les codes issus de l’ancienne rhétorique sont peu à peu révisés : autorité, gravité et tranquillité chrétiennes s’accommodent mal de comportements excessifs79. Les pleurs publics deviennent l’objet d’une suspicion. Ainsi, l’Octavius de Minucius Felix reproche aux païens de se laisser abuser par les larmes, celles prescrites dans les cérémonies isiaques tout comme celles des comédiens80. Les pleurs du paganisme se produisent dans un décor de faux-semblants. Les plaintes chrétiennes leur sont évidemment supérieures, d’après les défenseurs de la foi nouvelle.

  • 81 Tertul., La Pudicité, X, 2 (trad. C. Munier).
  • 82 Tertul., La Toilette des femmes, 1, 1.

30Le rituel du procès, où l’accusé pleure à toute force, est désormais détourné. Le juge est à présent le Christ : « La pénitence n’a de raison d’être que là où la faute a été commise consciemment et délibérément, quand on a le sens de la faute et du pardon. Celui-là seul verse des larmes (lugere) et se roule à terre, qui sait et ce qu’il a perdu et ce qu’il recouvrera », écrit Tertullien81. Dans les christiana tempora, le droit émane de Dieu et la femme est en bonne place pour faire amende honorable de ses péchés, c’est l’« Ève pleurante et repentante »82 (Euam lugentem et paenitentem).

  • 83 Ramelli 2009 : 393.
  • 84 Aug., Conf., IV, V, 10. Il veut aussi « pleurer avec ceux qui pleurent » (Ep. 99, 1).
  • 85 Jér., Ep., 39, 2.
  • 86 Un exemple : Jérôme, obsédé par les atours féminins et leur effet pernicieux, considère les larme (...)
  • 87 Jér., À Eustochium, 22, 7 : « Privé de toute aide, je gisais donc aux pieds de Jésus, je les arro (...)

31Pour une partie de l’apologétique, les larmes elles-mêmes disparaîtront quand le monde sera devenu chrétien83. En attendant la fin des temps, toute la littérature chrétienne se laisse submerger par les sanglots. Augustin, qui relate les larmes de sa mère Monique en prière ou ses propres larmes de conversion dans le jardin de Milan84, est de ceux qui recommandent de se lamenter sur l’omniprésence du mal. Le contemporain d’Augustin, Jérôme, est, lui aussi, un prosélyte lacrymal (il dit d’ailleurs « parler » et « écrire »85 en larmes86). Son goût de la pénitence lui permet même un curieux transfert de « genre », puisqu’il s’imagine en Madeleine lavant de ses larmes et ses cheveux les pieds du Christ87.

  • 88 Cypr., Sur la mort, 20.
  • 89 Jean Chrys., Homélies sur Matthieu, PG, 57, 374.
  • 90 Grég. de Nysse, Vie de sainte Macrine, 17, 17-22 : « dans la suite de notre entretien fut évoqué (...)

32Les larmes de deuil prennent elles aussi une autre tournure. Cyprien interdit de pleurer les morts, le décès signifiant en termes chrétiens une libération88. Jean Chrysostome s’élève de même contre les larmes et les funérailles qui suscitent des réactions outrancières, notamment féminines89. Et chez Grégoire de Nysse, les pleurs qui jaillissent à l’évocation des défunts sont rapidement asséchés : sainte Macrine refrène son frère et lui explique que toutes les peines sont voulues par la providence90.

33Si, finalement, le christianisme accepte de mettre les hommes et les femmes sur un pied d’égalité face aux larmes, c’est pour subvertir les rites issus des siècles païens et imposer de nouveaux comportements sociaux, où prime l’intériorité. Il s’agit peut-être d’une première étape vers la « privatisation » des pleurs.

  • 91 Tac., Hist., 4, 81, 1.
  • 92 Tac., Ann., 1, 4, 6.
  • 93 Ibid., 1, 34, 1.

34À Rome, les larmes – ressource ultime ou marques d’approbation, signes d’un deuil symbolique ou effectif – coulent pour être vues. Longtemps, les règles édictées par une partie de la philosophie antique et par le christianisme ne semblent pas contrevenir à cette propension, largement partagée, à pleurer. Pour comprendre ce grand usage des larmes, il faut certainement réévaluer la fonction du corps et de ses expressions dans la société romaine. À Rome, le dialogue politique prend des formes inattendues : le contact corporel ou sensoriel entre citoyens y atteint des proportions qui nous paraissent aujourd’hui indécentes. La thaumaturgie a, par exemple, son versant romain91, et beaucoup de requêtes adressées aux puissants reposent sur un support physique. Ainsi, en implorant la grâce impériale, Q. Haterius, auteur d’une phrase malheureuse, se jette précipitamment aux pieds de Tibère, au point de provoquer sa chute92, tandis qu’un vétéran saisit la main de Germanicus, puis le force à toucher sa bouche édentée pour lui faire comprendre son grand âge93

35Dans ce contexte où la vie publique demande un engagement de tout le corps, les larmes peuvent donner un surplus d’autorité aux hommes, surtout s’ils bénéficient d’une situation sociale et politique enviable : les pleurs semblent leur venir à bon escient, le dérèglement de leurs émotions est d’autant plus marquant qu’il est rare. Au contraire, quand une femme pleure, l’accusation de duplicité n’est jamais loin. Si les plaintes féminines n’étonnent pas, les pleurs des grands hommes sont, eux, censés surprendre, d’où leur plus grande portée symbolique : ce qui fait la grandeur de leurs larmes, et l’autorité qu’elles dégagent, ce sont alors les circonstances (l’heure est grave, le danger militaire imminent). Le statut social du pleureur – tout comme son identité ethnique – compte donc beaucoup, mais la valeur performative des larmes est aussi affaire de genre. En définitive, seul un homme très digne et très romain a le droit de pleurer.

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Annexe

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Notes

1 Lateiner 2009 : 128 : « In the Lives δακρυ-terms appear 134 times, 79 for Romans and 55 for Greeks ». Chez Plutarque justement, les larmes romaines sont parfois inspirées par les larmes grecques. Cf. Plut., Brut., 23, 4 : Porcia doit abandonner Brutus à Élée, elle pleure devant un tableau représentant les adieux d’Hector et d’Andromaque. Voir aussi le passage d’Appien (Pun., 132) montrant Scipion Émilien qui pleure sur Carthage détruite et se remémore le vers d’adieu d’Hector. Cf. Guelfucci 2005.

2 En vérité, les hommes ne se sont pas retenus de pleurer jusqu’au xixe siècle, malgré le contrôle de soi promu par le protestantisme, ce qui a déjà inspiré une remarque de Norbert Elias : « Au xviie siècle, les hommes pouvaient pleurer en public, aujourd’hui la chose est devenue plus difficile et plus rare. Les femmes conservent seules ce droit. Pour combien de temps encore ? » in Elias 1981 : 41.

3 Sur cette question des larmes et de leur « sexe », même constat chez Suter 2009 : 59. Dans la tragédie, les hommes – Thésée, Philoctète, Créon, Agamemnon, et même Héraklès – pleurent abondamment. Du côté grec, voir aussi : Monsacré 1984. À compléter par Arnould 1990. L’ouvrage, dirigé par T. Fögen et auquel a contribué Lateiner, étudie tour à tour, selon une approche très littéraire, les pleurs dans la tragédie, puis chez Platon et Aristote, puis dans l’historiographie grecque, etc. Aucune conclusion ne fournit la synthèse de ces différentes analyses… L’histoire du deuil a, elle aussi, conduit naturellement aux larmes : Šterbenc Erker 2004 et Hollenburger-Rusch 2001. Sur les lamentations, voir par exemple Corbeill 2004 (surtout le chap. 3 : « Blood, milk and tears. The gesture of mourning women »).

4 C’était déjà la remarque de R. Barthes : « Depuis quand les hommes (et non les femmes) ne pleurent-ils plus ? », dans Barthes 1977 : 214.

5 Cf. infra.

6 Liv., 3, 48, 8.

7 Marcellus entre autres : cf. Liv., 25, 24, 11.

8 Dans la veine de l’étude ancienne de Mauss 1921 qui se fondait sur une matière ethnographique océanienne.

9 D. Ambaglio a trouvé chez Hérodote (VII, 45-46) l’archétype de ces portraits de grands hommes en pleurs. Cf. Ambaglio 1985.

10 L’étude des scènes figurées de lamentation et des épitaphes ne semble pas permettre ici d’analyse fine. Certes la rhétorique des larmes s’invite à l’occasion dans certaines épitaphes ; lugere, flere, lacrimae figurent dans les inscriptions funéraires les plus « littéraires », celles qui appartiennent au type du carmen. Mais de prime abord, la lecture de ces inscriptions ne nous paraît pas apporter de vraies conclusions sur le « genre » des déplorations funèbres. Il faudrait néanmoins mener l’enquête de manière exhaustive et approfondie. Quelques exemples où hommes et femmes pleurent séparément, ou côte à côte : CIL X, 4022 (Capoue) ; AE 1903, 377 (Aquilée) ; AE 1905, 103 (Rome) ; CIL VI, 37965 (Rome) ; AE 1972, 41 (Rome) ; AE 1995, 393 (Iuuanum) ; AE 1999, 732 (Brescia) ; CIL VI, 12652 (Rome).

11 Cf. supra n. 1. Voir aussi Scheid 1984. Sur les survivances des pratiques anciennes du deuil dans l’Italie méridionale du xxe siècle : De Martino 2000 [1975].

12 Par exemple Liv. 8, 10, 1 ; 10, 29, 19 ; 25, 26, 10. Cf. Šterbenc Erker 2011. Voir aussi Freyburger 1988.

13 C’est-à-dire dans un contexte malheureux. La dernière supplicatio de ce genre est attestée en 64 ap. J.-C., après l’incendie de Rome (Tac., Ann., 15, 44).

14 Sur l’auctor en rhétorique et la place de la miseratio dans certains procès tardo-républicains, voir David 1992 : 72-74, 426-427 et 620.

15 Plut., Tib. Gracc., 16.

16 Plut., C. Gracc., 16.

17 Plut., Sert., 20.

18 Plut., Cam., 46. Le grand écart chronologique qui sépare les événements du contexte d’écriture conduit à s’interroger sur la véracité de cette note de Plutarque, comme sur toutes les précisions lacrymales concernant des personnages des premiers siècles de Rome. En l’absence d’informations « émotives » (les annalistes républicains, que l’auteur n’ignore pas, devaient en être avares), le souci d’orner le récit n’a-t-il pas primé ? La remarque vaut aussi pour Tite-Live.

19 Liv., 32, 37, 2-3.

20 Plut., Syll., 23.

21 Liv., 42, 23, 8.

22 Liv., 39, 44, 5.

23 Apul., Met., 3, 8 : une parodie de supplicatio : « Une femme éplorée (lacrimosa) traversa le théâtre en courant. Tout en larmes et vêtue de noir, elle portait un petit enfant en son sein. Une autre la suivait, une vieille, couverte d’affreux haillons, pareillement navrée et comme elle pleurant. L’une et l’autre agitaient des rameaux d’olivier. Se plaçant aux côtés du lit où gisaient sous des voiles les cadavres des victimes, elles se mirent à pousser des lamentations et des hurlements lugubres : ‘Par la pitié publique’, disaient-elles, ‘et le droit commun de l’humanité, ayez compassion de ces jeunes hommes indignement massacrés, et consolez en les vengeant notre abandon et notre solitude. Secourez au moins l’infortune de ce petit être laissé sans protection dès ses premiers ans ; offrez le sang de ce brigand en expiation à vos lois et à l’ordre public’ » (trad. P. Vallette).

24 Tac., Ann., 6, 49, 1-2 : « Sex. Papinius, d’une famille consulaire, choisit un trépas soudain et affreux : il se précipita dans le vide. La cause en était imputée à sa mère, qui, depuis longtemps répudiée, avait, en flattant son goût du luxe, poussé le jeune homme à des actes auxquels il ne pouvait échapper que par la mort. Aussi, accusée devant le sénat, eut-elle beau se rouler aux pieds des sénateurs, invoquer le chagrin commun à tous et la faiblesse propre des femmes dans une telle épreuve, épuiser, pour faire croire à sa douleur, tous les procédés de tristesse et de compassion, elle n’en fut pas moins bannie de la Ville pour dix ans, en attendant que son fils cadet eût dépassé les écueils de la jeunesse » (trad. P. Wuilleumier).

25 Ibid.

26 Tac., Ann., 1, 23, 1 : Incendebat haec fletu et pectus atque os manibus uerberans. Mox, disiectis quorum per umeros sustinebatur, praeceps et singulorum pedibus aduolutu.

27 Tac., Hist., 3, 10, 4 : « La colère des soldats tomba sur Tampius Flavianus, sans qu’on eût aucune preuve de sa culpabilité ; mais comme il était haï depuis longtemps, une sorte d’ouragan populaire exigeait sa mort : mille cris se faisaient entendre : ‘C’est un parent de Vitellius, il a trahi Othon, volé l’argent du donativum’. Nul moyen pour lui de se défendre, bien qu’il tendît des mains suppliantes, qu’il se jetât par terre à plusieurs reprises, les vêtements déchirés, la poitrine et le visage secoués de sanglots (pectus atque ora singultu quatiens). C’est cela justement qui excitait les agresseurs, parce qu’ils prenaient cet excès de frayeur pour l’aveu de sa faute » (trad. H. Le Bonniec).

28 Dio., 51, 12, 1-3 : « Elle avait donc préparé un appartement splendide et une couche somptueuse ; elle s’était en outre parée avec une certaine négligence – ses vêtements de deuil rehaussaient son éclat –, était assise sur le lit, avait placé devant elle de nombreux portraits du père d’Octavien et pris sur son sein toutes les lettres qu’il lui avait envoyées. Ensuite, lorsqu’Octave entra, elle s’avança dans un élan gracieux et lui dit : ‘Je te salue, maître ! Un dieu t’a donné ce titre et me l’a ôté. Tu vois toi-même ton père tel qu’il est venu souvent auprès de moi, tu sais comment il m’a honorée, notamment en me faisant reine d’Égypte. Pour que tu sois renseigné par lui-même sur moi, prends et lis les lettres qu’il m’a envoyées, écrites de sa propre main’. Tout en disant cela, elle lisait beaucoup de mots d’amour de César. Tantôt elle pleurait et baisait tendrement les lettres, tantôt elle tombait et se prosternait devant les portraits (Καὶ τοτὲ μὲν ἔκλαε καὶ τὰς ἐπιστολὰς κατεφίλει, τοτὲ δὲ πρὸς τὰς εἰκόνας αὐτοῦ προσέπιπτε καὶ ἐκείνας προσεκύνει) » (trad. M.-L. Freyburger et J.-M. Roddaz).

29 Liv., 45, 4, 2-3.

30 Liv., Per. 112.

31 Plut., Marcel., 2.

32 Plut., Flam., 22.

33 Plut., Luc., 19.

34 Plut., Brut., 35.

35 Liv., 30, 20, 1.

36 Plut., Luc., 43.

37 Liv., 38, 14, 14.

38 Les pleurs couronnent des moments de consensus politique. Dans les siècles lointains de l’histoire romaine, c’est déjà ce que résume l’épisode de Coriolan : les larmes finales marquent le retour du héros sur le droit chemin, c’est-à-dire sa réintégration dans le giron romain. Cf. Liv., 2, 40 et Denys d’H., Ant. Rom., 8, 53. Voir en outre Loraux 1990 : 50. Sur le motif de l’empereur (en l’occurrence Constantin) pleurant et sachant ainsi se rendre accessible : Hostein 2006.

39 Suet., Aug., 58, 1 : « Le surnom de ‘Père de la Patrie’ lui fut décerné par tous, d’un soudain et parfait accord : ce fut d’abord la plèbe qui le lui offrit, en lui envoyant une délégation à Antium ; puis, comme il refusait, une foule considérable et couronnée de laurier, quand il entra au spectacle à Rome ; enfin, le sénat, dans la curie, non point sous forme de décret, ni par acclamation, mais par la bouche de Valerius Messala, qui lui dit, au nom de tous : ‘Que mes paroles soient un présage de bonheur pour vous et pour votre famille, César Auguste ! Nous croyons, en effet, qu’elles assureront à l’État une éternelle prospérité tout en faisant sa joie : le sénat, d’accord avec le peuple romain, vous salue Père de la Patrie’. Alors Auguste, versant des larmes, lui répondit en ces termes – je les cite textuellement comme ceux de Messala – : ‘Ayant obtenu la réalisation de mes vœux, sénateurs, que puis-je désormais demander aux dieux immortels, sinon de voir cet accord se maintenir entre vous jusqu’au dernier jour de ma vie ?’ » (trad. H. Ailloud).

40 Suet., Calig., 15 : « [Caligula] enflammait aussi les cœurs par toutes sortes de gestes agréables au peuple. Aussitôt qu’il eut prononcé devant l’assemblée, en versant des larmes abondantes, l’éloge de Tibère, auquel il fit des obsèques magnifiques, il s’empressa d’aller à Pandataria et à Ponties chercher les cendres de sa mère et de son frère, cela par un temps affreux, pour mieux faire ressortir sa piété filiale, puis, s’en étant approché avec respect, il les enferma lui-même dans des urnes » (trad. H. Ailloud). 

41 Suet., Claude, 36 : « Certains complots lui ayant été dénoncés à la légère, il fut tellement effrayé qu’il voulut abdiquer l’empire. Lorsqu’on eut arrêté, comme je l’ai signalé plus haut, un individu qui rôdait autour de lui avec un poignard pendant qu’il sacrifiait, il s’empressa de convoquer le sénat par la voix des crieurs, puis, en pleurant et en poussant des cris, il se lamenta sur son malheureux sort, qui ne lui laissait de sécurité nulle part, et pendant longtemps il s’abstint de paraître en public » (trad. H. Ailloud).

42 Suet., Néron, 43, 2.

43 Ibid., 49, 1.

44 Ibid., 49, 2-3.

45 Vöhler & Seidensticker 2007.

46 Cic., Tusc., 2, 55 : « Mais c’est tout particulièrement dans la souffrance qu’il faut veiller à ne rien faire de bas, de craintif, de lâche, rien qui soit d’un esclave ou d’une femme, et avant tout il faut condamner et proscrire les cris d’un Philoctète. Un soupir isolé peut échapper à un homme, mais les lamentations sont refusées même aux femmes, et c’est sans doute ce qu’on entendait par le lessus dont les Douze Tables ont interdit l’usage dans les funérailles » (trad. J. Humbert).

47 Plut., Cat., 54.

48 Sen., Consolation à Marcia, 7, 3 : nec ulli animali longum fetus sui desiderium est nisi homini, qui adest dolori suo nec tantum, quantum sentit, sed quantum constituit, adficitur. Ut scias autem non esse hoc naturale, luctibus frangi, primum magis feminas quam viros, magis barbaros quam placidae eruditaeque gentis homines, magis indoctos quam doctos eadem orbitas vulnerat (trad. R. Waltz et P. Veyne).

49 Plut., Consolation à Apollonios, 22 : « Le législateur des Lyciens, à ce qu’on raconte, avait prescrit à ces concitoyens, lorsqu’ils mèneraient le deuil, de s’envelopper dans des vêtements de femme pour le faire : il voulait montrer par-là que les marques de tristesse sont l’affaire des femmes et ne conviennent point à des êtres virils dont la vie est bien réglée et qui prétendent avoir reçu une éducation d’homme libre. C’est vraiment le signe d’un caractère efféminé, faible et sans noblesse, que de s’abandonner au deuil ; les femmes y sont plus portées que les hommes, les Barbares plus que les Grecs, les hommes vulgaires plus que les hommes supérieurs ; et, parmi les Barbares, ce ne sont pas les plus nobles, Celtes et Galates, et tous que la nature a dotés d’un caractère plus viril, mais plutôt, si ce qu’on dit est bien vrai, les Égyptiens, les Syriens, les Lydiens et tous ceux qui leur ressemblent » (trad. J. Defradas, J. Hani, R. Klaerr).

50 Sen., Consolation à Marcia, 10.

51 Sen., Lettres à Lucilius, 99, 18 : « [Le public] voit-il celui-ci porter bravement son deuil ? Il l’appelle cœur sec et dénaturé. Voit-il tel autre affaissé, prostré près d’un cadavre ? Femmelette (effeminatum), déclare-t-il, âme sans ressort […] Selon moi, il est des larmes que le sage répand de son propre aveu ; d’autres se déversent mécaniquement » (trad. H. Noblot).

52 Ibid., 22 : « d’inutiles pleurs tombent de nos yeux ».

53 Id., Consolation à Helvia, 16, 1 : « Ne cherche pas à t’excuser sur la faiblesse de ton sexe. C’est presque un droit qu’on lui accorde de pleurer avec excès ; ce droit a pourtant des limites, et, si nos pères ont donné neuf mois aux veuves pour porter le deuil de leurs époux, c’est afin de composer, par une règle officielle, avec l’obstination de la douleur des femmes : ils n’ont pas interdit le chagrin, mais ils l’ont borné » (trad. R. Waltz).

54 Id., La Tranquillité de l’âme, 15, 2 : il faut « nous appliquer à ne pas trouver haïssables, mais risibles, les vices des humains, et à imiter Démocrite plutôt qu’Héraclite : celui-ci ne pouvait paraître en public sans pleurer, l’autre sans rire » (trad. R. Waltz).

55 Lucrèce, De la nature, 3, v. 955 [954] (à un vieillard qui pleure devant sa mort prochaine) : « Essuie ces larmes […] et fais taire ces plaintes » (trad. A. Ernout).

56 Tac., Germ., 27 (trad. J. Perret).

57 Sen., La Tranquillité de l’âme, 15 : Plerique enim lacrimas fundunt ut ostendant, et totiens siccos oculos habent quotiens spectator defuit (trad. R. Waltz).

58 Si la loi des XII Tables cherchait à réglementer, dans les cortèges funèbres, les larmes et autres cris de désespoir, c’était déjà pour un motif d’ordre public : il fallait restreindre les rivalités entre les grandes gentes, éviter tout excès en matière de démonstration de deuil.

59 Granius Licinianus, 36, 27 : matronaeque eum toto anno luxerunt (éd. Teubner, 1981) : « et les matrones le pleurèrent toute une année ».

60 Dio., 56, 43, 1.

61 Dans et hors de Rome : Tac., Ann., 2, 72, 2.

62 Tac., Ann., 3, 3, 1.

63 Tac., Ann., 3, 2, 3.

64 Tac., Ann., 3, 3, 1 : « Tibère et Augusta s’abstinrent de paraître en public, soit qu’ils crussent au-dessous de la majesté de gémir devant tout le monde, soit peut-être pour éviter que tant de regards scrutant leur visage n’y lussent l’hypocrisie » (trad. P. Wuilleumier).

65 Tac., Ann., 6, 1 : « il fallait maintenant ramener les cœurs à la fermeté, comme jadis le divin Jules, après la perte de sa fille unique, et le divin Auguste, après la mort de ses petits-fils, avaient chassé la tristesse » (trad. P. Wuilleumier).

66 Tacite est le maître des mises en scène sonores : par exemple dans Ann., 11, 35, 1.

67 Tac., Ann., 1, 24, 3 : « À l’approche de Drusus, les légions, comme pour lui rendre hommage, se portèrent à sa rencontre, mais sans l’allégresse habituelle, sans l’éclat des ornements, dans une tenue négligée et avec des visages qui, en affectant la tristesse, reflétaient plutôt la révolte » (trad. P. Wuilleumier).

68 Liv., 25, 8.

69 Tac., Hist., 2, 29, 1.

70 Tac., Hist., 4, 46, 5.

71 Plut., Othon, 14.

72 Quelques exemples parmi de nombreux autres : Gn 27, 38 ; Jg 21, 2 ; Rt 1, 9 et 1, 14 ; Sm 24, 17.

73 Jn, 11, 35.

74 Lc, 8, 52.

75 Mt, 26, 38-39. Origène, PG 12, 1741-1742.

76 Hors la prédication, bien entendu.

77 Ambr., Les Devoirs, 18, 68 et 41, 202.

78 Tertul., Traité de la prescription contre les hérétiques, 41, 5 : « Chez les femmes hérétiques, quelle impudence ! N’osent-elles pas enseigner, disputer » (trad. P. de Labriolle).

79 Ambr., Les Devoirs, 18, 75 : « Il existe aussi une démarche louable où résident un air d’autorité, l’assurance de la gravité, l’empreinte de la tranquillité, à condition toutefois que soient absentes l’application et la recherche, mais que le mouvement soit net et simple ; en effet, rien d’affecté ne plaît. Que la nature commande le mouvement » (trad. M. Testard).

80 Min. Felix, Octavius, 21 et 36.

81 Tertul., La Pudicité, X, 2 (trad. C. Munier).

82 Tertul., La Toilette des femmes, 1, 1.

83 Ramelli 2009 : 393.

84 Aug., Conf., IV, V, 10. Il veut aussi « pleurer avec ceux qui pleurent » (Ep. 99, 1).

85 Jér., Ep., 39, 2.

86 Un exemple : Jérôme, obsédé par les atours féminins et leur effet pernicieux, considère les larmes comme le meilleur des démaquillants. Cf. par exemple la lettre 54, 7 (à Furia).

87 Jér., À Eustochium, 22, 7 : « Privé de toute aide, je gisais donc aux pieds de Jésus, je les arrosais de mes larmes (rigabam lacrimis), je les essuyais de mes cheveux » (trad. J. Labourt).

88 Cypr., Sur la mort, 20.

89 Jean Chrys., Homélies sur Matthieu, PG, 57, 374.

90 Grég. de Nysse, Vie de sainte Macrine, 17, 17-22 : « dans la suite de notre entretien fut évoqué le souvenir du grand Basile ; mon âme alors perdit courage et, dans ma tristesse, j’inclinai à terre mon visage, cependant que les larmes jaillissaient de mes yeux. Mais elle, loin de se laisser aller à partager notre douleur, fit de cette mention du saint le point de départ d’une plus haute philosophie » (trad. P. Maraval).

91 Tac., Hist., 4, 81, 1.

92 Tac., Ann., 1, 4, 6.

93 Ibid., 1, 34, 1.

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Pour citer cet article

Référence papier

Sarah Rey, « Les larmes romaines et leur portée : une question de genre ? »Clio, 41 | 2015, 243-263.

Référence électronique

Sarah Rey, « Les larmes romaines et leur portée : une question de genre ? »Clio [En ligne], 41 | 2015, mis en ligne le 17 juin 2017, consulté le 12 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/12447 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.12447

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Auteur

Sarah Rey

Agrégée d’histoire, docteure en sciences de l’Antiquité, maîtresse de conférences en histoire ancienne à l’Université de Valenciennes. Elle s’intéresse à l’écriture de l’histoire et aux questions de société dans la Rome antique. sarah-rey@hotmail.fr

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