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Dossier

Interpréter et transformer ? La « question des femmes » et la « question sexuelle » dans les sciences sociales soviétiques

Interpreting the world or changing it? The “woman question” and the “sexual question” in Soviet social science
Mona Claro
p. 41-64

Résumés

En Russie, après 1917, « la question des femmes » et la « la question sexuelle » ont fait l’objet de politiques publiques qui se voulaient éclairées par les sciences sociales. Après avoir été décrétées résolues sous Staline, ces questions ont pu être partiellement réouvertes avec le Dégel. Cet article explique comment, sur le temps long, ces sciences sociales supposées « socialistes » se sont distinguées des sciences « bourgeoises » moins par leur épistémologie que par la priorisation ou l’exclusion de certaines problématiques, au gré des évolutions politiques du régime. Ainsi, les recherches sur la sexualité et le contrôle des naissances, avant-gardistes dans les années 1920, sont devenues relativement illégitimes après le dégel. Dans les années 1960-1980, c’était surtout la baisse de la natalité et le « double fardeau » – domestique et professionnel – des femmes qui faisaient problème. Les comportements familiaux semblaient étrangers à la logique de la planification, et les sciences sociales étaient travaillées par la perspective d’un art de gouverner d’orientation plus libérale. Il s’est alors formé un clivage qui est toujours d’actualité, entre une conceptualisation du changement social en termes de « modernisation » – démographique, sexuelle... – à accompagner, ou de « crise » à enrayer.

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Texte intégral

Je remercie Juliette Rennes, Arthur Clech, ainsi que le Centre d’études franco-russe de Moscou, en particulier Alain Blum, Laurent Coumel, Hélène Mélat et Masha Cerovic, pour leur aide dans la préparation de cet article.

  • 2 Kollontai 1979 [1909].

1Conformément à la philosophie marxiste, les sciences sociales soviétiques avaient pour mission non seulement « d’interpréter le monde », mais aussi de le « transformer ». L’une des composantes cruciale de ce projet d’ingénierie sociale révolutionnaire était « l’émancipation des femmes », censée concourir à un « assainissement des rapports entre les sexes »2 : les bolcheviques promettaient l’égalité et l’harmonie entre hommes et femmes. Quel peut être l’intérêt d’étudier, plus de vingt ans après l’effondrement de l’URSS, les recherches soviétiques en sciences sociales ayant trait aux questions de genre et de sexualité ? Comment lire aujourd’hui ce corpus de travaux ?

  • 3 Gorbachev 1988 [1987].

2 À l’époque de la Guerre froide, les soviétologues occidentaux nourrissaient une attitude équivoque vis-à-vis des sciences sociales soviétiques : tout en étant tributaires de ces sources de connaissance en raison d’un accès limité au terrain, ils les utilisaient avec la plus grande prudence. Ces sciences pouvaient apparaître comme censurées et instrumentalisées. Avec la perestroïka, ce fut au tour de Gorbachev lui-même de s’indigner que « la pensée créative ait été bannie des sciences sociales » en URSS, et qu’« il se soit formé un décalage entre les mots et les faits »3. Après 1991, se pencher sur ces recherches discréditées pouvait apparaître d’autant moins essentiel que l’accès aux archives s’ouvrait, et que de nouvelles enquêtes pouvaient être menées librement. Dans le domaine des recherches touchant au genre et à la sexualité, tout se passait comme si l’isolement et le retard scientifiques soviétiques devaient laisser place à l’importation de problématiques occidentales. Mais les sociologues russes Anna Temkina et Elena Zdravomyslova ont souligné en 2003 l’ambivalence de ce tournant :

  • 4 Zdravomyslova & Temkina 2003 [trad. par mes soins].

Les termes “gender” et “gender studies” indiquaient une démarcation par rapport à la tradition soviétique de recherches sur les rôles sexués. […] La “théorie occidentale” a été introduite en tant “qu’autorité” par laquelle légitimer le champ. Malgré tout, il y aussi une continuité avec les traditions de la sociologie soviétique qui a été préservée4.

  • 5 Buckley 1986.
  • 6 Zakharova, Posadskaia & Rimashevskaia 1990.
  • 7 Voir par exemple : Rimashevskaia 2001 ; Golod 2005.

3 En fait, il ne faut pas oublier qu’à partir des années 1960, en URSS, les recherches sur les femmes et la famille étaient parmi celles qui offraient les plus grandes marges de manœuvre, comme l’ont analysé des chercheuses anglo-saxonnes comme Gail Lapidus, Mary Buckley5 ou Lynne Attwood, dans les années 1980. L’émergence des gender studies russes s’est paradoxalement inscrite dans une histoire encore soviétique, avec, dès 1989, la fondation d’un centre d’études de genre [gendernye issledovaniia] au sein de l’Académie des sciences6. Les travaux d’avant la perestroïka ne sont pas complètement tombés dans l’oubli, et ont pu voir leurs résultats empiriques réutilisés avec de nouveaux cadres d’analyses7. Une des manières de lire ces travaux aujourd’hui consiste à laisser de côté leurs aspects perçus comme idéologiques pour n’en retenir que des données quantitatives. D’autres approches sont cependant possibles, ainsi que l’a formulé, par exemple, l’historienne Maya Haber :

  • 8 Haber 2014 [trad. par mes soins].

Plutôt que de débattre de la valeur de vérité de la connaissance soviétique en sciences sociales, les historiens devraient conceptualiser le travail de ces chercheurs dans les termes de ces derniers. […] Leur but n’était pas la description objective. Ils se percevaient plutôt comme des ingénieurs du social ayant pour mission de transformer leur objet de recherche8.

  • 9 C’est notamment l’approche adoptée, à l’époque, dans Histoire des femmes en Occident, cf. Navailh 2 (...)
  • 10 Chatterjee 1999 : 16.

4C’est l’approche qui nous intéresse dans le présent article, et qui consiste à ne pas dissocier l’histoire des sciences de l’histoire des pratiques de gouvernement. Elle peut nous permettre par ailleurs de complexifier une problématique qui a longtemps prévalu dans les recherches occidentales sur le genre en URSS, à savoir la problématique de l’écart entre « propagande » et « réalité » : Les communistes disaient-ils vrai à propos de « l’émancipation des femmes » en Russie ? Ont-ils transformé la famille aussi radicalement qu’ils le prétendaient9 ? L’historienne Choi Chatterjee propose plutôt d’analyser la résolution de la « question des femmes » comme une « fiction autour de laquelle s’organise » le discours soviétique, une « idéologie [d’essence] performative plutôt que descriptive »10.

  • 11 Dans l’entre-deux-guerres, l’URSS a développé « d’importants points communs (et beaucoup de différe (...)
  • 12 Healey 2014.
  • 13 Mespoulet 2008.
  • 14 Foucault 2004a : 93-95.

5La question n’est peut-être pas tant de savoir si le socialisme réel correspond au socialisme des textes, mais plutôt de comprendre « la rationalité gouvernementale » à l’œuvre en URSS. Cet article se base ainsi sur une intuition formulée par Michel Foucault, et confirmée depuis par les travaux d’un certain nombre d’historiens comme Stephen Kotkin11, Dan Healey12 ou Martine Mespoulet13 : l’URSS n’a pas inventé de « savoirs-pouvoirs » radicalement différents de ceux du monde capitaliste, « il n’y a pas de gouvernementalité socialiste autonome »14.

  • 15 J’emprunte cette expression à Schor 2013.
  • 16 J’emprunte cette expression à Seriot 1995.

6 Cet article n’a pas l’ambition de retracer de façon exhaustive l’histoire des recherches soviétiques sur le genre et la sexualité, mais vise plutôt à proposer des pistes de réflexion autour de ce corpus. Nous tenterons de montrer, à partir d’exemples significatifs, comment les sciences sociales soviétiques, vouées à se distinguer des « sciences bourgeoises », ont entretenu avec elles un « dialogue contrarié »15 et ont proposé des manières alternatives mais « étrangement familières »16 d’interpréter et de transformer les rôles sexués. Cet article peut également être lu comme un état des lieux des différentes lectures occidentales et post-soviétiques qui ont été faites de ces recherches, lectures qui contribuent notamment à une histoire des pratiques de gouvernement en URSS.

7 Dans une première partie, nous montrerons comment le projet d’un gouvernement du genre et de la sexualité éclairé par les sciences sociales s’est déployé dans les années 1920, avant d’être évacué sous Staline, quand la « question des femmes » [zhenskii vopros] et la « question sexuelle » [polovoi vopros] ont été décrétées résolues. La deuxième partie de l’article sera consacrée aux périodes dites du « dégel » et de la « stagnation », qui remettent à l’ordre du jour les recherches sur les femmes et la famille, ainsi que les espoirs des scientifiques de participer à l’élaboration de politiques publiques adaptées et efficaces.

Résoudre la « question sexuelle » et la « question des femmes » ?

Projets de modernisation prérévolutionnaires

8Il est éclairant de ne pas faire débuter en 1917 l’histoire de l’enrôlement des sciences sociales dans le projet révolutionnaire socialiste, mais de l’analyser dans la continuité de l’engagement modernisateur des élites de la Russie tsariste. C’est dès le xixe siècle qu’on voit se développer un discours travaillé par l’idée de progrès sur la responsabilité d’une minorité éclairée et européanisée envers les masses paysannes. Si l’idée est de remédier à « l’arriération » de la Russie, l’Occident n’apparaît pas pour autant comme un modèle univoque. Les intenses circulations culturelles Est-Ouest se traduisent par des importations sélectives, des réappropriations. Comme l’a souligné l’historien Peter Holquist, parmi les élites, beaucoup « soutenaient que la Russie pourrait éviter les écueils qu’avaient connus les sociétés qui avaient déjà fait l’expérience de l’industrialisation, ce que Trotsky a plus tard appelé ‘le privilège de l’arriération historique’« . Par ailleurs, selon Holquist :

  • 17 Holquist 2001.

Beaucoup […] ont soutenu l’État soviétique moins par adhésion au bolchevisme que dans l’espoir que l’État applique leurs programmes progressistes. […] L’étatisme bolchevique, l’accent mis sur l’État comme outil essentiel pour accomplir la mission première d’éclairer les masses ignorantes de Russie, s’inscrivaient dans un large courant de la culture politique russe. Ce courant qui préexistait parmi les élites éduquées de Russie explique en grande partie l’importante participation d’experts non bolcheviques […] aux projets de l’État soviétique17.

  • 18 Engelstein 1992.

9 Dans les décennies qui suivent l’abolition du servage (1861), un capitalisme industriel embryonnaire entraîne la naissance d’un prolétariat urbain, les normes de la communauté et de la famille rurale apparaissent comme profondément déstabilisées par les migrations – l’autorité des hommes sur les femmes, ainsi que la nécessité d’une fécondité élevée, semblent de moins en moins aller de soi. C’est surtout après la révolution de 1905 que se développent des angoisses autour des mœurs familiales et sexuelles de classes laborieuses potentiellement dangereuses : médecins et juristes, notamment, se penchent sur les naissances hors-mariage, les abandons d’enfants, l’infanticide, l’avortement, la prostitution, les maladies vénériennes, dont ils observent un accroissement dans les villes18.

  • 19 Engel 2004 : 84.

10 Toutes ces inquiétudes vont donner forme à une « question sexuelle » [polovoi vopros], fondamentalement indissociable d’une « question des femmes » [zhenskii vopros] – l’une et l’autre s’inscrivant dans le cadre plus large de la « question sociale », sur un mode comparable à ce qu’on observe dans les sociétés occidentales à la même époque. Mais il semblerait que la Russie se soit distinguée de l’Europe de l’Ouest par l’absence d’une bourgeoisie hégémonique où aurait pu s’ancrer la doctrine des sphères séparées – à l’homme la sphère publique, à la femme la sphère privée. Selon l’historienne Barbara Alpern Engel, « l’opinion progressiste encourageait les femmes à contribuer, avec leur énergie spécifique, à la régénération de la société dans son ensemble »19 : sans qu’il ne s’agisse de remettre fondamentalement en question les normes de genre, l’idée était que leurs qualités « féminines » pouvaient, voire devaient s’exprimer en dehors du foyer. Selon l’historienne Laura Engelstein :

  • 20 Engelstein 1992 : 4 [trad. par mes soins].

[…] de la même manière que la critique du capitalisme a précédé l’apparition effective du capitalisme sur la scène russe, les notions victoriennes de respectabilité et de danger sexuels ont été remises en question avant d’avoir l’occasion de s’enraciner20.

Théoriser une organisation sociale non patriarcale

  • 21 Engels 2012 [1884].
  • 22 Bebel 1891 [1879].

11Le corpus du socialisme utopique et scientifique européen sur lequel se fondent les discours révolutionnaires russes, s’il fournit justement une critique approfondie des normes de genre et de sexualité sous le capitalisme, ne donne pas de réponse univoque à la question de leurs évolutions dans un futur socialiste. Les débats qui se développent à ce sujet, au début du xxe siècle, investissent donc la zone d’indétermi-nation offerte, en particulier, par les textes de Karl Marx, Friedrich Engel21 et Auguste Bebel22 – qui resteront, pendant l’ensemble de la période soviétique, les références incontournables de tout travail scientifique sur les femmes et la famille. La seule prémisse fondamentalement consensuelle est que la Révolution devra saper les bases de la famille capitaliste et de sa morale sexuelle hypocrite – mariage fondé sur la dépendance financière des femmes d’une part, prostitution d’autre part, étant analysés comme les deux faces d’une même médaille.

  • 23 Kollontai 1979 [1909].
  • 24 Zetkin 1926 [1925].

12 Chez les bolcheviques, la dénonciation de l’exploitation économique et sexuelle des femmes va avoir tendance à se confondre avec une rhétorique de la purification du corps social – de « l’assainissement des rapports entre les sexes »23, selon une formulation révélatrice d’Alexandra Kollontai (ministre de la Santé en 1917-1918) – mais sans que ne soit mobilisée une théorie de la sexualité explicite et cohérente. La méfiance de Lénine envers la scientia sexualis bourgeoise en général, et la théorie freudienne en particulier, sa réticence à accorder de l’importance à la « question sexuelle »24, ne vont pas sans ambivalences. En effet, sa conception de la sexualité en termes « d’économies des énergies » et de gaspillage de forces – qu’il s’agirait plutôt d’investir dans l’édification du socialisme – s’inscrit en fait implicitement dans toute une tradition européenne de pathologisation de la sexualité, dans la lignée du célèbre traité de Samuel Tissot sur la masturbation.

  • 25 Naiman 1997.
  • 26 Tamagne 2005.

13 Ainsi, dans la deuxième moitié des années 1920, de nombreux experts soviétiques en « hygiène sexuelle » se référaient aux propos de Lénine pour prôner auprès des jeunes un juste milieu entre, d’une part, une abstinence compensée par le sport et le travail, et, d’autre part, une activité sexuelle responsable, fondée sur l’amour et tournée vers la procréation. Parmi eux, le psychiatre Aron Zalkind cherchait à faire la synthèse de Pavlov et de Freud, et à proposer une resignification socialiste du concept de « sublimation »25. On peut cependant noter que c’est à une tout autre sexologie, valorisant plutôt l’épanouissement dans une sexualité non procréative, qu’adhérait Kollontai, membre de la « Ligue mondiale pour la réforme sexuelle sur une base scientifique » à partir de 192826. Si elle était déjà à l’époque complètement marginalisée de la vie politique soviétique, son positionnement témoigne de l’étendue d’un champ des possibles.

  • 27 Kollontai 1971 [1909].

14 Il semblerait que les sciences sociales soviétiques n’étaient pas non plus fondées sur une théorie originale de la différence des sexes. Il s’agissait de « [laisser] les scientifiques bourgeois s’absorber dans le débat sur la question de la supériorité d’un sexe sur l’autre, ou dans […] la comparaison des structures psychologiques des hommes et des femmes » parce que « des facteurs économiques spécifiques étaient à la base de la subordination des femmes ; les qualités naturelles ont été un facteur secondaire », comme l’avait formulé en 1909 une Kollontai encore légitime27. Ainsi, sur le temps long de la période soviétique, la distinction entre nécessité biologique et contingence sociale dans la définition du féminin a pu fluctuer et faire l’objet de plus ou moins d’attention, mais la problématique fondamentale est restée la recherche d’une organisation sociale permettant un épanouissement optimal de potentialités « naturelles », c’est-à-dire naturalisées par le discours des sciences sociales. Celles-ci ont donc été amenées à développer une critique sociale avant-gardiste faisant écho au « féminisme de la première vague », mais elles n’avaient pas pour ambition d’opérer une rupture épistémologique sur la question de l’inné et de l’acquis telle qu’elle était posée sous le capitalisme.

Élaborer un art de gouverner

  • 28 Kotkin 1995 : 6, 18.
  • 29 Strumilin 1964. Cité par Markiewicz-Lagneau 1969.
  • 30 Blum & Mespoulet 2003 ; Mespoulet 2008.
  • 31 Mespoulet 2008 : 219-220.
  • 32 Solomon 1990.

15Après la Révolution, la question se posait de comment faire advenir la saine égalité entre les sexes promise par les textes fondateurs. Selon l’historien Stephen Kotkin, il est opérant de ne pas « exotiser » la recherche d’un art de gouverner socialiste dans la Russie révolutionnaire, en la resituant dans la continuité historique des Lumières et de la Révolution française, caractérisée par la « quête d’un ordre social rationnel », le projet « d’utiliser la science pour perfectionner la société »28. Ainsi, les années 1920 vont apparaître comme un « âge d’or » des sciences sociales : « Aucune décision politique ou économique ne doit être prise sans étude préalable »29, proclame alors l’économiste soviétique Stanislas Strumilin. Ainsi que l’ont montré notamment les travaux d’histoire d’Alain Blum et de Martine Mespoulet30, au-delà de la grille de lecture marxiste, la continuité avec l’époque prérévolutionnaire était très forte dans les méthodologies scientifiques. La sociologie, si elle est officiellement bannie de l’Université en 1922 en tant que science bourgeoise, va en fait « irriguer » toute la « statistique sociale »31, ainsi que la santé publique (« hygiène sociale »)32.

  • 33 Avdeev, Blum & Troitskaia 1993.

16 Le cas des recherches sur les « causes sociales » de l’avortement, étudié par Alain Blum, Alexandre Avdeev et Irina Troitskaia33, est particulièrement révélateur. Dès le congrès de la société Pirogov de 1913, à une époque où on n’observait pas encore de baisse significative de la natalité, les médecins russes avaient pris position pour la décriminalisation de l’avortement, au nom de la santé des femmes. S’inscrivant dans cette continuité, les autorités soviétiques organisèrent un accès à l’avortement gratuit dans les hôpitaux publics (sur la base du décret de 1920). En s’appuyant sur une exégèse de la critique par Marx de Malthus, les bolcheviques postulaient que l’avortement, mal intrinsèque au capitalisme, deviendrait obsolète une fois l’égalité des sexes instaurée, à mesure de l’amélioration des conditions de vie. La théorie de l’accroissement naturel continu de la population sous le socialisme s’imposa en tant que version inversée des théories sur « la dégénérescence de la race ».

17 Or, la collecte et l’analyse de statistiques détaillées sur les femmes recourant à l’avortement devait mettre à mal cette doctrine :

  • 34 Ibid.

Les femmes de milieux aisés pratiquent plus l’avortement que les femmes de milieux défavorisés. Deux théories s’affrontent. L’une, fondée sur la tradition des congrès de la société Pirogov, réclame une extension de la contraception pour résoudre la question de l’avortement. L’autre, plus éloignée des observations, continue de postuler une relation directe entre fécondité et amélioration du niveau de vie34.

  • 35 Hoffmann 2003 : 99.

18 Selon l’historien David Hoffmann, experts et décideurs furent finalement « gagnés par la même obsession pour le déclin du taux de natalité que leurs homologues d’Europe de l’Ouest »35. En 1927, le statisticien soviétique Sergei Tomilin affirme ainsi :

  • 36 Tomilin 1927. Cité par Avdeev, Blum & Troitskaia 1993.

La législation de l’avortement est un compromis temporaire, sur lequel il faudra bientôt revenir. […] [Le danger est que] la majorité des familles [satisfasse] leurs instincts parentaux avec une ou deux naissances […]. On ne peut guider une réflexion sur le futur de la race à partir du comportement d’individus séparés, qui sont essentiellement intéressés dans le confort de leur propre vie36.

  • 37 Voir dans ce même numéro l’article de Martine Mespoulet.

19 Les enquêtes statistiques, dans les années 1920 n’annoncent donc pas l’éradication à court terme des « anomalies » liées au capitalisme que sont l’avortement, l’infanticide, la prostitution, etc. De plus, elles donnent à voir l’ampleur du défi constitué par les inégalités de genre, notamment à travers d’ambitieuses enquêtes sur la division sexuée du travail productif et domestique37.

Évacuer la question du social ?

  • 38 Ploshko & Eliseeva 1990 : 222. Cité par Blum 1994 : 39.

20Pour faire fonctionner le récit de l’achèvement de la construction des bases du socialisme à l’heure du premier plan quinquennal (1928-1933), le rôle politique des sciences sociales fit l’objet d’un recadrage, et des purges touchèrent de nombreux champs de recherche. En 1932, la rupture s’incarne dans « la théorie du dépérissement de la statistique au profit de la comptabilité nationale » : « la statistique est nécessaire là où existent des fluctuations, c’est-à-dire en régime capitaliste ; là où il n’y a pas de fluctuations, la statistique n’est plus utile ; et c’est l’un des résultats du socialisme »38. Le plan apparaît déjà comme une description de la réalité, et l’observation sociale doit se confondre avec la proclamation des réussites du régime.

  • 39 Engelstein 1992 : 248-252 ; Fitzpatrick 1978 ; Dalla Zuanna & Denissenko 1999.
  • 40 Foucault 1998 [1976] ; Engelstein 1992 ; Bernstein 2007.

21 Les paradoxes du scientisme soviétique sont particulièrement manifestes en ce qui concerne le destin des recherches sur la sexualité. Dans les années 1900 avaient été menées des enquêtes « d’hygiène sociale » par questionnaire sur la vie sexuelle des étudiants, absolument inédites dans le monde à l’époque, et cette dynamique s’était prolongée et intensifiée dans les années 1920 : des médecins interrogeaient des hommes et des femmes de différentes catégories sociales sur leurs pratiques et leurs représentations, analysaient par exemple le déclin de la tradition d’initiation sexuelle des hommes auprès des prostituées, la diffusion du concubinage et de la contraception, ou encore s’inquiétaient des aveux de masturbation, et du préjugé selon lequel l’abstinence serait petite bourgeoise et nocive pour la santé39. Cependant, alors même que la Russie avait pu s’avérer pionnière dans l’étude des dangers liés à la sexualité, la « question sexuelle » ne devait pas, finalement, y avoir la même fonction disciplinaire et la même importance que celles analysées par Foucault en Occident40.

22 En effet, si la scientia sexualis avait pu apparaître un tant soit peu pertinente pour traiter les maux du capitalisme, elle n’a plus sa place sous le socialisme, où la sexualité doit cesser de faire problème. Au tournant des années 1930, de la même manière que les classes sociales sont censées avoir été liquidées, la « question des femmes » et la « question sexuelle » sont officiellement décrétées résolues : protégée de toute contamination capitaliste et patriarcale, refondée sur de nouvelles bases, la famille soviétique se doit désormais d’être stable et fertile. Le social ne peut plus être expliqué par le social car cela signifierait que le régime n’a pas tenu ses promesses : les « problèmes sociaux » doivent donc être abordés comme des déviances individuelles. C’est le sens de la loi de 1936 qui interdit l’avortement et alourdit considérablement la procédure de divorce, à rebours de la législation révolutionnaire. La recherche en sciences sociales est entrée dans une période creuse.

Gérer les « contradictions » entre production et reproduction

Idéologie et marges de manœuvres

  • 41 Field 2007.

23C’est la déstalinisation qui permet une renaissance des sciences sociales : le projet d’un art de gouverner sociologiquement éclairé semble revenir à l’ordre du jour, dans un contexte où il devient possible d’admettre que la « question des femmes » n’a pas été entièrement résolue. Des recherches démographiques et « d’hygiène sociale » permettant de démontrer que la criminalisation de l’avortement est contre-productive, censurées mais poursuivies discrètement sous Staline, peuvent porter leurs fruits dès 1954 : l’IVG est une nouvelle fois dépénalisée, sous le signe du retour au pragmatisme. Au fil des années 1960, la procédure de divorce est considérablement assouplie, notamment sur les recommandations de juristes41.

  • 42 Firsov 2012.

24 Il n’en reste pas moins que le sociologue soviétique Boris Firsov caractérise aujourd’hui sa génération de chercheurs aussi bien par une éthique professionnelle qui permettait de « travailler sous n’importe quel régime » que par le « goût amer de l’inutilité »42. Si le Parti leur laissait d’étroites marges de manœuvre, pour beaucoup, le problème n’était pas tant la censure que l’insuffisante prise en compte de leurs travaux par les décideurs politiques. Donner l’apparence de s’inscrire dans le cadre idéologique officiel, parfois jusqu’à réduire la référence au marxisme-léninisme à une « révérence » vide de sens, pouvait être une stratégie. De même, la « critique des théories bourgeoises » prenait parfois la forme du tri sélectif, avec l’idée d’importer la méthode sans l’idéologie.

25 On voit se développer un champ de recherche sur les femmes et la famille, au croisement de la sociologie, de la démographie et de l’économie. En effet, les inquiétudes au sujet du déclin du taux de natalité dans les régions les plus européennes de l’URSS prennent à l’époque une importance de premier plan, et sont reliées aux questions de la stabilité des familles et du cumul par les femmes du rôle de mère et de travailleuse. Les recherches scientifiques sur ces thèmes sont popularisées dans la presse et donnent lieu à de vifs débats. Tout en performant de façon routinisée la conformité avec la ligne du Parti, les sciences sociales vont proposer une certaine diversité d’exégèses des textes fondateurs, d’analyses des données empiriques, et de recommandations pratiques. Il est difficile d’identifier un moment précis de rupture à partir duquel la limitation volontaire des naissances et le divorce, par exemple, n’apparaissent plus de façon univoque comme des dysfonctionnements dus à des « vestiges » [perezhitki] du passé ou à l’influence de l’Ouest, dont il faudrait faciliter la disparition. Cependant, il est certain que cette fiction qui organise le discours des sciences sociales est petit à petit considérablement altérée, voire minée de l’intérieur.

Influencer les décisions reproductives

  • 43 Foucault 2004b : 39.

26L’exemple de l’étude de la fécondité révèle bien les tensions inhérentes au rôle que les sciences sociales sont censées jouer dans l’élaboration des politiques publiques. En 1927, Sergei Tomilin avait légitimé l’interdiction de l’avortement qui se préparait en affirmant qu’il ne fallait pas élaborer une politique « à partir du comportement d’individus séparés, […] essentiellement intéressés dans le confort de leur propre vie ». Or, après le dégel, « octroyer à la femme la possibilité de décider la question de la maternité elle-même » (décret légalisant l’avortement en 1955) peut logiquement conduire à imaginer au contraire « une régulation qui se fait à partir de, et en fonction du cours des choses elles-mêmes », « un dispositif qui se branche donc sur la réalité en quelque sorte reconnue, acceptée, ni valorisée ni dévalorisée, reconnue simplement comme nature »43, c’est-à-dire précisément le type de régulation qui est le propre de la gouvernementalité occidentale moderne telle que l’a analysée Foucault. Les sciences sociales soviétiques sont donc travaillées par cette tension.

  • 44 Sadvokasova 1969.
  • 45 Avdeev, Blum & Troitskaia 1993.

27 À la fin des années 1950, la grande enquête dirigée par Elizaveta Sadvokasova devait permettre d’évaluer les possibilités d’éradiquer les causes de l’avortement, mais seul un tiers des femmes pointait du doigt des facteurs matériels « sans aucun doute éliminables », la plupart s’étant borné à répondre qu’elles « ne [voulaient] pas d’un enfant »44. Ce sont en fait les seules données sur les avortements représentatives sur une grande échelle dont on disposera jusqu’à la perestroïka, le problème étant considéré comme trop sensible – en effet, il s’avère que la Russie présente les taux d’avortements les plus élevés au monde. Ainsi, même après la déstalinisation, les autorités peuvent obstruer les expertises gênantes, et garder pendant plus de deux décennies une position ambiguë et attentiste sur la contraception – ni interdite ni encouragée –, au mépris des recommandations d’un certain nombre de démographes45.

  • 46 Urlanis 1972.
  • 47 Belova & Darskii 1972.
  • 48 Antonov 1980.
  • 49 Le Bourgeois 2010.

28 Parallèlement, en 1972, le démographe Boris Urlanis, dans le prolongement d’un discours nataliste déjà relativement institutionnalisé, proclame dans la presse grand public que chaque famille devrait avoir 2,65 enfants en moyenne pour assurer le renouvellement des générations46. Or, il se trouve que c’est à peu près la « fécondité souhaitée » moyenne indiquée par les femmes dans les enquêtes, mais que la fécondité réelle est comprise entre un et deux enfants par femme. Ce décalage va susciter des conceptualisations concurrentes des décisions reproductives, et des travaux vont discréditer le projet de faire remonter la natalité en aidant les femmes à renoncer à l’avortement. Les démographes Valentina Belova et Leonid Darskii, empruntant à la littérature anglo-saxonne la méthodologie « Knowledgde, Attitudes, Practices (KAP) », envisageaient la volonté de leurs enquêtées de réguler leur fécondité comme une donnée inéluctable. Selon eux, si l’on voulait faire redresser la natalité, il n’était pas logique de chercher à influer sur la décision d’avorter ; on ne pouvait agir que sur les facteurs façonnant les intentions reproductives « fondamentales et authentiques », différentes des intentions reproductives déclarées parce que socialement approuvées47. Ce défi semble avoir stimulé l’inventivité méthodologique au point que le démographe Anatolii Antonov a cherché à élucider les décisions reproductives des femmes à partir du « différentiel sémantique »48, une méthode empirique inventée aux États-Unis dans les années 1950 qui vise à mesurer l’impact émotionnel de certains termes, et qui a connu des applications variées, allant du « manuel de Guerre psychologique de l’armée américaine »49 au marketing.

Favoriser la conciliation travail-maternité

  • 50 Gordon & Klopov 1972. Voir dans ce même numéro l’article de Martine Mespoulet.

29C’est dans ce contexte que le cumul par les femmes des rôles de mère et de travailleuse se retrouva au centre de l’attention de chercheurs qui analysaient la tension entre le rôle économique et le rôle démographique des femmes en termes de « contradictions non antagonistes de la société soviétique ». Si « l’émancipation des femmes » apparaît à la fois comme une doctrine et comme un acquis du socialisme, elle est de plus en plus questionnée. Des enquêtes sur les emplois du temps montrent que les femmes sont toujours défavorisées du point du vue des heures qu’elles peuvent dédier aux « loisirs » et à « l’augmentation de leur qualification » (formation continue)50.

  • 51 Pravda, 22/03/1977, p. 1. Cité par Lapidus 1978 : 276.
  • 52 Lapidus 1978 : 290-334.

30 En 1977, Brejnev réaffirme en ces termes l’actualité de la « question des femmes » : « Nous les hommes […] sommes loin d’avoir encore fait tout notre possible pour faciliter le double fardeau que [les femmes] portent à la fois à la maison et dans la production »51. Mais au-delà de cette problématique, selon la chercheuse états-unienne Gail Lapidus, à cette époque, « on peut distinguer trois orientations distinctes dans les publications soviétiques [en sciences sociales] ». La première, la moins innovante, « tente de concilier la nécessité d’un niveau élevé de participation des femmes à la main d’œuvre avec le souhait d’un taux de natalité plus élevé » en améliorant le soutien de l’État dans le domaine du travail domestique et maternel. La deuxième met l’accent non seulement sur l’approfondissement de l’égalité hommes-femmes dans la sphère professionnelle, mais aussi sur le partage des tâches domestiques au sein du couple. Enfin, la troisième se caractérise au contraire par la priorité qu’elle accorde aux objectifs démographiques, et le projet de mettre l’accent sur le rôle de mère plus que sur le rôle de travailleuse52.

  • 53 Desfosses 1981 : 31.
  • 54 Kuleshova & Mamontova 1979 cité par Lapidus 1982.
  • 55 Holland 1980.
  • 56 Lapidus 1978 : 327.

31 Dans les années 1970, l’URSS se caractérise plutôt par un « pro-natalisme hésitant »53 . En effet, les mesures natalistes, au-delà des déclarations emphatiques, ne vont pas de soi, parce qu’elles posent des problèmes d’une part de réallocation des ressources – il faudrait augmenter la part des dépenses publiques dédiée au welfare au détriment du complexe militaro-industriel – et d’autre part d’arbitrage entre besoin de main d’œuvre féminine à court terme, et de renouvellement de la main d’œuvre à plus long terme. En 1977, une enquête commandée par les autorités vise à cerner précisément les besoins des femmes en temps partiels, qui seront largement plébiscités54, mais finalement peu diffusés. En revanche, au début des années 1980, dans le prolongement des coopérations scientifiques entres pays socialistes encouragées par le Parti, des démographes sont parvenus à convaincre les autorités de s’inspirer notamment du modèle hongrois pour proposer aux femmes des congés maternité de très longue durée. La plupart d’entre elles vont se saisir de cette opportunité, mais dans le même temps, quand, dans des enquêtes, « on a demandé aux femmes si elles préféreraient rester à la maison avec les enfants si leurs maris gagnaient l’équivalent de leurs deux revenus combinés actuels, l’immense majorité a répondu non »55. Quoi qu’il en soit, plutôt que d’être perçue comme un retour en arrière, la réduction relative de l’activité professionnelle des femmes va pouvoir être présentée comme un luxe que la société soviétique peut désormais se permettre56.

Crise ou modernisation ?

  • 57 Attwood 1990 : 8.

32Finalement, les discours des sciences sociales sur le genre, la famille et la sexualité se sont largement diversifiés au cours du « dégel » et de la « stagnation ». D’un côté, on voit émerger un discours abondamment médiatisé sur la « crise » des rôles de genre (« masculinisation des femmes » et « féminisation des hommes »), qui s’accommode sans peine du cadre d’analyse marxiste – il suffit d’invoquer les difficultés d’ajustement de la superstructure sociale par rapport à l’infrastructure économique (« otstavanie soznaniia ot bytiia »). De même, à partir des années 1960, de nombreux pédagogues et psychologues, parfois des sociologues et des démographes, recyclent le même stratagème discursif pour légitimer un discours normatif sur la complémentarité hiérarchique entre les sexes : il s’agit d’une « obscure » citation de Marx « exhumée » d’un questionnaire ludique que lui avait fait remplir sa fille, où il répondait que sa « qualité préférée chez un homme » était « la force », et « chez une femme », « la faiblesse »57.

  • 58 Zdravomyslova & Temkina 2012.
  • 59 Kharchev 1979 [1964] : 230.
  • 60 Urlanis 1978.

33 Cependant, de ces discours il apparaît que les femmes, malgré leur surmenage unanimement déploré et leur virilisation parfois stigmatisée, font preuve d’une polyvalence socialement valorisée, tandis que les hommes vont plutôt être présentés comme déstabilisés par la disparition du patriarcat et la perte du statut de principal pourvoyeur financier au sein du ménage, comme mis à l’écart d’une vie familiale où la femme assume déjà tous les rôles. Les sociologues Elena Zdravomyslova et Anna Temkina analysent aujourd’hui le développement de ce discours sur la « crise de la masculinité » et de « victimisation de l’homme soviétique »58. Des sociologues soviétiques comme Anatolii Kharchev expliquaient par exemple que la majorité des divorces étaient de l’initiative des femmes, et que la première justification invoquée par celles-ci était « l’alcoolisme de leurs maris », qui « stimulait [chez eux] […] l’adultère » mais aussi « l’impuissance »59. Le démographe Boris Urlanis multipliait les tribunes alarmistes sur la santé des hommes et leur faible espérance de vie, et préconisait – en vain – de ne pas réserver aux corps des femmes la sollicitude et le contrôle de l’État, en créant des « consultations masculines » comme pendant des « consultations féminines » (centres médicaux spécialisés en gynécologie-obstétrique)60. Pour la première fois dans l’histoire soviétique, on voit émerger une « question des hommes ».

  • 61 Attwood 1990 : 83.
  • 62 Voir par exemple : Iankova 1978.

34 En 1984 sont introduits à l’école des « cours d’éthique et de psychologie de la vie familiale » visant à façonner des filles « féminines » et des garçons « masculins », à dissuader des relations prémaritales, à stimuler la naissance d’au moins deux ou trois enfants par famille, à freiner la propension au divorce – leur mot d’ordre est qu’« égalité ne signifie pas similitude, et tout ce qui est traditionnel n’est pas obsolète »61. En effet, des recherches menées depuis les années 1960, notamment par questionnaire, ont révélé une relative érosion des stéréotypes de genre62, et le projet a germé, chez certains psychologues et pédagogues, d’organiser activement l’inculcation de rôles de genre jugés plus conformes aux intérêts des familles et de la société, sur la base d’une « tradition » (ré)inventée.

35Mais c’est également en 1984 que le sociologue Sergei Golod affirme :

  • 63 Golod 1984 [trad. par mes soins]. Cet ouvrage peut frapper par sa proximité avec, par exemple, la S (...)

Il apparaît de plus en plus évident que [les phénomènes liés à l’autonomisation des sphères de la conjugalité, de la procréation et de la sexualité] mis au jour dans les années 1960-70, ne peuvent plus être interprétés de façon univoque, en tant qu’écart par rapport aux normes, mais doivent être envisagés comme les signes d’évolutions essentielles au sein même de l’institution de la famille […] [, qui] peuvent être qualifiés de révolutionnaires63.

  • 64 Vishnevskii 1973.
  • 65 Rivkin-Fish 2003.
  • 66 Kon 2010 [1997]. Les travaux en sciences sociales se limiteront cependant aux pratiques hétérosexue (...)

36 En effet, il s’est développé tout un discours académique alternatif visant à relativiser l’idée de « crise de la famille » et de « crise démographique ». Anatolii Vishnevski acte une rupture importante en publiant en 1973 un article intitulé « La révolution démographique »64 légitimant pour la première fois en URSS la théorie de la « transition démographique » et qui « permettait de réinterpréter une fécondité basse non plus comme un symptôme de la faiblesse de la Russie, mais comme un signe de son développement progressif », comme l’analyse aujourd’hui l’anthropologue Michele Rivkin-Fish65. Cette proposition de changement de paradigme va venir rejoindre et renforcer celle qui est dessinée prudemment, au fil des années 1960 et 1970, par la sociologie de la sexualité d’Igor Kon et de Sergei Golod. Ces chercheurs sont en effet parvenus à contourner l’hostilité des autorités pour cet objet censé être réservé à la discipline médicale de la « sexopathologie » – après sa disparition dans les années 1930, elle connaissait un développement modéré depuis la déstalinisation, et était supposée ne se préoccuper que de déviances et de dysfonctionnements66. Kon et Golod vont se situer dans la double filiation des enquêtes russes sur la sexualité du début du xxe siècle – fournissant une base comparative empirique – et de la sexologie américaine des années 1950-1960 – légitimant l’étude du plaisir sexuel en tant qu’élément de bien-être individuel et conjugal. Ainsi, ils s’efforcent de transmettre au monde académique et au grand public un aperçu des travaux d’Alfred Kinsey ou de William Masters et Virginia Johnson, confinés dans les « réserves spéciales » [spetskhran] des bibliothèques, à l’accès strictement contrôlé par le Parti.

37Dans les années 1920, puis de nouveau dans les années 1960-1980, les sciences sociales soviétiques ont donc produit un discours sur le genre et la sexualité qui n’était pas idéologiquement monolithique. Par moments précurseur, il s’est souvent nourri de circulations et de réappropriations plus ou moins assumées des sciences de l’Ouest – sorte de miroir déformant, que ce soit sur le mode du destin commun ou celui du contre-modèle. Les sciences sociales soviétiques s’en distinguaient néanmoins sur certains aspects essentiels : d’une part, les modalités de sélection de leurs objets de recherche, qui étaient priorisés ou au contraire exclus, au gré des évolutions politiques ; d’autre part, des orientations méthodologiques persistantes sur le temps long, notamment la prégnance du quantitatif qui va de pair avec le monopole du marxisme – cadre théorique cependant mobilisé de façons particulièrement diversifiées et contradictoires dans le champ de recherches qui nous intéresse. Au final, il est difficile de parler d’une science socialiste du genre et de la sexualité, au sens où il n’y a pas de « théorie, [de] concepts [ni d’]outils spécifiques », mais plutôt « un ensemble d’usages de ceux-ci », pour reprendre les termes de Martine Mespoulet.

  • 67 Foucault 2004b : 39.

38 Concernant les dispositifs de gouvernement, les sciences sociales soviétiques, dans le domaine qui nous intéresse, n’ont jamais cessé d’être hantées par la perspective d’une biopolitique ressemblant finalement à celle des sociétés occidentales, c’est-à-dire la perspective d’« une régulation qui se fait à partir de, et en fonction du cours des choses elles-mêmes », en fonction d’une « réalité » sociale « ni valorisée ni dévalorisée », « reconnue » comme inéluctable67. Après avoir fait partie du champ des possibles dans les années 1920, ce modèle de gouvernementalité est disqualifié sous Staline, mais redevient à l’ordre du jour à partir du dégel. Les comportements sexuels, reproductifs et familiaux semblent alors constituer l’un des domaines de la vie sociale dans lequel la logique de la planification est mise à l’épreuve de façon plus flagrante.

39Dans les années 1970-1980, certains chercheurs analysent la baisse de la fécondité et la relative dissociation entre sexualité, conjugalité et procréation comme une « révolution » (démographique, sexuelle) inévitable, procédant d’une « modernisation » comparable à celle qui se produit en Occident. D’autres chercheurs, au contraire, parlent d’une « crise » démographique, de la famille, des rôles de genre.

  • 68 Gorbachev 1988 : 16, 117, 125.
  • 69 Cirstocea 2010.
  • 70 Rivkin-Fish 2003.
  • 71 Avec notamment la ratification des programmes d’action de la Conférence mondiale sur la population (...)
  • 72 Décret du Président de la Fédération de Russie n°1351 du 09/10/2007 « Sur l’adoption de la Concepti (...)

40 C’est dans ce contexte que Gorbachev appellera les sciences sociales à débattre « sur la question de savoir comment rendre pleinement à la femme son authentique prédestination féminine, c’est-à-dire ses rôles de mère et d’épouse »68. La perestroïka, en même temps qu’elle semble consacrer ce nouveau discours dominant, autorise largement sa critique, et permet l’émergence d’un « féminisme académique »69. Dans le domaine des recherches sur le genre et la famille, un clivage persiste jusqu’à aujourd’hui en Russie, entre d’une part une sociologie de la « modernisation » et du retard par rapport à l’Ouest, d’autre part une sociologie de la « crise » et de la spécificité russe70. La sociologie de la « modernisation » avait pu sembler triomphante dans les années 1990, caractérisées par des projets de politiques d’égalité de genre (« gender mainstreaming ») et de diffusion du planning familial soutenus par les organisations internationales71. Mais c’est la sociologie de la « crise » qui informe la politique nataliste orientée vers la « famille traditionnelle » des années 2000-2010, et les objectifs d’accroissement du taux de fécondité fixés par décret présidentiel72 ravivent des débats scientifiques hérités de l’époque soviétique.

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Notes

2 Kollontai 1979 [1909].

3 Gorbachev 1988 [1987].

4 Zdravomyslova & Temkina 2003 [trad. par mes soins].

5 Buckley 1986.

6 Zakharova, Posadskaia & Rimashevskaia 1990.

7 Voir par exemple : Rimashevskaia 2001 ; Golod 2005.

8 Haber 2014 [trad. par mes soins].

9 C’est notamment l’approche adoptée, à l’époque, dans Histoire des femmes en Occident, cf. Navailh 2002 [1992].

10 Chatterjee 1999 : 16.

11 Dans l’entre-deux-guerres, l’URSS a développé « d’importants points communs (et beaucoup de différences importantes) aussi bien avec des projets de modernité libéraux – tels que les États-Unis, la Grande Bretagne et la France – qu’avec d’autres formes de modernité anti-libérale – tels que l’Allemagne nazie, l’Italie fasciste et le Japon impérial », cf. Kotkin 2001.

12 Healey 2014.

13 Mespoulet 2008.

14 Foucault 2004a : 93-95.

15 J’emprunte cette expression à Schor 2013.

16 J’emprunte cette expression à Seriot 1995.

17 Holquist 2001.

18 Engelstein 1992.

19 Engel 2004 : 84.

20 Engelstein 1992 : 4 [trad. par mes soins].

21 Engels 2012 [1884].

22 Bebel 1891 [1879].

23 Kollontai 1979 [1909].

24 Zetkin 1926 [1925].

25 Naiman 1997.

26 Tamagne 2005.

27 Kollontai 1971 [1909].

28 Kotkin 1995 : 6, 18.

29 Strumilin 1964. Cité par Markiewicz-Lagneau 1969.

30 Blum & Mespoulet 2003 ; Mespoulet 2008.

31 Mespoulet 2008 : 219-220.

32 Solomon 1990.

33 Avdeev, Blum & Troitskaia 1993.

34 Ibid.

35 Hoffmann 2003 : 99.

36 Tomilin 1927. Cité par Avdeev, Blum & Troitskaia 1993.

37 Voir dans ce même numéro l’article de Martine Mespoulet.

38 Ploshko & Eliseeva 1990 : 222. Cité par Blum 1994 : 39.

39 Engelstein 1992 : 248-252 ; Fitzpatrick 1978 ; Dalla Zuanna & Denissenko 1999.

40 Foucault 1998 [1976] ; Engelstein 1992 ; Bernstein 2007.

41 Field 2007.

42 Firsov 2012.

43 Foucault 2004b : 39.

44 Sadvokasova 1969.

45 Avdeev, Blum & Troitskaia 1993.

46 Urlanis 1972.

47 Belova & Darskii 1972.

48 Antonov 1980.

49 Le Bourgeois 2010.

50 Gordon & Klopov 1972. Voir dans ce même numéro l’article de Martine Mespoulet.

51 Pravda, 22/03/1977, p. 1. Cité par Lapidus 1978 : 276.

52 Lapidus 1978 : 290-334.

53 Desfosses 1981 : 31.

54 Kuleshova & Mamontova 1979 cité par Lapidus 1982.

55 Holland 1980.

56 Lapidus 1978 : 327.

57 Attwood 1990 : 8.

58 Zdravomyslova & Temkina 2012.

59 Kharchev 1979 [1964] : 230.

60 Urlanis 1978.

61 Attwood 1990 : 83.

62 Voir par exemple : Iankova 1978.

63 Golod 1984 [trad. par mes soins]. Cet ouvrage peut frapper par sa proximité avec, par exemple, la Sociologie de la famille de la sociologue française Martine Segalen (1981).

64 Vishnevskii 1973.

65 Rivkin-Fish 2003.

66 Kon 2010 [1997]. Les travaux en sciences sociales se limiteront cependant aux pratiques hétérosexuelles. Les relations entre hommes, après avoir été dépénalisées après la Révolution, ont été re-criminalisées sous Staline, tandis que les relations entre femmes sont ignorées ou traitées uniquement sur le mode de la pathologie.

67 Foucault 2004b : 39.

68 Gorbachev 1988 : 16, 117, 125.

69 Cirstocea 2010.

70 Rivkin-Fish 2003.

71 Avec notamment la ratification des programmes d’action de la Conférence mondiale sur la population et le développement en 1994 au Caire, et de la Conférence mondiale de l’ONU sur les femmes en 1995 à Pékin.

72 Décret du Président de la Fédération de Russie n°1351 du 09/10/2007 « Sur l’adoption de la Conception de la politique démographique de la Fédération de Russie jusqu’en 2025 ».

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Pour citer cet article

Référence papier

Mona Claro, « Interpréter et transformer ? La « question des femmes » et la « question sexuelle » dans les sciences sociales soviétiques »Clio, 41 | 2015, 41-64.

Référence électronique

Mona Claro, « Interpréter et transformer ? La « question des femmes » et la « question sexuelle » dans les sciences sociales soviétiques »Clio [En ligne], 41 | 2015, mis en ligne le 17 juin 2017, consulté le 06 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/12347 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.12347

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Auteur

Mona Claro

Doctorante en sociologie à l’EHESS (Paris), et bénéficie d’un accueil scientifique à l’Institut national d’études démographiques (INED). Elle est membre de l’Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (IRIS). Ses recherches bénéficient du soutien de l’Institut Émilie du Châtelet (IEC), ainsi que du Centre d’études franco-russe (CEFR) de Moscou. Sa thèse, en cours, vise à proposer une approche genrée et générationnelle des transformations sociales en Russie postsoviétique, en s’intéressant aux normes d’entrée dans la sexualité, dans la conjugalité et dans la parentalité. mona.claro@ehess.fr

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