Jean-Louis Guereña (dir.), La sexualidad en la España contemporánea (1800-1950) / Idem, Un infierno español. Un ensayo de bibliografía de publicaciones eróticas españolas clandestinas (1812-1939)
Jean-Louis Guereña (dir.), La sexualidad en la España contemporánea (1800-1950), Cadiz, UCA, 2011, 273 p. ; Idem, Un infierno español. Un ensayo de bibliografía de publicaciones eróticas españolas clandestinas (1812-1939), Madrid, Libris, 2011.
Texte intégral
1Jean-Louis Guereña, spécialiste de l’histoire culturelle et sociale de l’Espagne contemporaine, est le maître d’œuvre de l’ouvrage collectif La sexualidad en la España contemporánea (1800-1950) qui évoque l’histoire de la sexualité dans l’Espagne du début du xixe siècle à la première moitié du xxe siècle. Dans son introduction, l’historien revient sur l’idée que l’activité sexuelle est au cœur de toute activité humaine et que, de ce fait, la sexualité est un objet d’histoire (p. 11). Son insistance sur le sérieux de cet objet d’étude suggère que dans l’Espagne actuelle il n’est toujours pas évident de travailler sur ce sujet, alors qu’il est légitime de le faire dans le monde anglo-américain depuis plusieurs décennies et qu’il existe également une bibliographie française conséquente. Invoquant le poids du franquisme sur l’historiographie espagnole, Jean-Louis Guereña rappelle cependant l’existence d’un article pionnier paru dans la revue Hispania en 1971 – mais en français ! Dans les deux dernières décennies, plusieurs travaux ont été publiés notamment ceux de Francisco Vásquez García sur la prostitution ou sur l’homosexualité masculine. Toutefois, de vastes champs de l’histoire de la sexualité méritent encore d’être explorés grâce aux nombreuses sources disponibles en Espagne. On note par exemple l’abondante production clandestine érotique et/ou pornographique classifiée par Jean-Louis Guereña dans un autre ouvrage intitulé Un infierno español. Un ensayo de bibliografía de publicaciones eróticas españolas clandestinas (1812-1939). Grâce à une recherche « quasi-archéologique » (p. 19), l’historien a reconstitué un « enfer » qui n’a jamais existé dans les bibliothèques espagnoles (au contraire de la BNF). Il souhaite y mettre à la disposition des chercheuses et chercheurs des sources répertoriées, décrites, illustrées et présentées de manière rigoureuse.
2Les contributions de La sexualidad en la España contemporánea s’efforcent de combler les vides de l’historiographie espagnole sur la sexualité en abordant des thèmes aussi variés que la sexualité infantile, la masturbation, les maladies vénériennes, la contraception, la sexologie et l’homosexualité. Certains articles offrent des synthèses sur l’ensemble du territoire espagnol et sur de longues périodes, permettant une comparaison avec d’autres pays européens, en particulier avec la France. Francisco Vásquez García et José Benito Seoane Cegarra montrent que la vaste campagne médicale européenne contre la masturbation au xixe siècle a aussi eu lieu en Espagne, où elle est surtout le fait des hygiénistes, pédagogues et théologiens. De même, Jean-Louis Guereña indique une diffusion croissante du préservatif en Espagne depuis la deuxième moitié du xviiie siècle. Comme ailleurs, l’usage du préservatif participe à la lutte contre les maladies vénériennes dans le cadre de la prostitution, mais il n’est jamais préconisé comme moyen de contraception et reste peu utilisé par les couples espagnols. Le vocable « condón » (connu aussi en français et en anglais) apparaît souvent en castillan avec d’autres appellations populaires comme « calcetín de viaje » (chaussette de voyage ), « gomas higiénicas » (caoutchoucs hygiéniques) ou encore « capote inglés » (utilisé également en français alors que les Anglais nous retournent la politesse en parlant de « french letter »). Cela dit, la réception de la campagne anti-masturbation fut plus tardive en Espagne que dans le reste de l’Europe de l’Ouest (le célèbre livre de Tissot datant de 1759 est traduit et publié en espagnol en 1807 seulement, tandis qu’aucun médecin espagnol n’a consacré de monographie à ce sujet avant 1912). Par ailleurs, de nombreux traités d’hygiène publiés en Espagne sont souvent traduits du français. Dans ce pays très catholique où la sécularisation progresse peu au xixe siècle, le discours hygiéniste n’est pas encore autonome par rapport à la morale catholique et les élites urbaines susceptibles d’être touchées par les nouvelles théories hygiénistes restent minoritaires.
3Si l’Espagne comprend des spécificités par rapport aux autres pays européens, il ne faut pas non plus la voir comme un espace homogène. L’étude de cas menée par Rafael Alcaide Gonzalez indique que la réglementation sur la prostitution varie énormément d’une ville à l’autre. Ainsi, avec le docteur Carlos Ronquillo y Morer à la présidence de la « section d’hygiène spéciale » de Barcelone entre 1881 et 1889, une attention plus grande est accordée aux prostituées. Celles-ci ne sont pas seulement contrôlées et soignées, mais aidées socialement à retrouver leur dignité (p. 119) – approche tout à fait originale dans l’Espagne de la fin du xixe siècle.
4Les articles de La sexualidad en la España contemporánea font la part belle aux années 1920 et 1930, période de grands bouleversements dans la morale sexuelle espagnole, notamment à partir de la mise en place de la Seconde République en 1931. Les publications et les débats sur la sexualité connaissent alors une forte augmentation. Se multiplie notamment une littérature sur le sexe, qui, bien que signée par des auteurs se qualifiant eux-mêmes de médecins, s’apparente à bien des égards à la pornographie. Raquel Álvarez Peláez explique que ces livres répondent à un énorme besoin d’acquérir des connaissances sexuelles de la part des Espagnols des classes populaires (p. 162). Alors que les ouvrages médicaux dits « sérieux » destinés aux classes moyennes et supérieures ne parlent que très peu de sexualité et toujours dans le cadre du mariage, ces livres proposent des illustrations et des discours directs sur le sexe avec parfois des théories avant-gardistes (le droit au divorce, le droit des femmes au plaisir). Dans son étude de l’œuvre sexologique du Dr Ángel Martín de Lucenay (une collection intitulée « Thèmes sexuels »), Richard Cleminson montre que le volume n°31, publié en 1933 et titré « Homosexualité », mélange allègrement des idées parfois contradictoires sur le sujet. La sexologie étant une science en construction dans l’Espagne des années 1930, les distinctions conceptuelles du sexologue espagnol sont bien moins fines que dans le New-York étudié par l’historien américain George Chauncey. Le Dr Ángel Martín de Lucenay opère par exemple une différence entre « l’homosexualité congénitale » (ou « vraie ») qui doit être acceptée et « l’homosexualité acquise » (ou « fausse ») à réprimer. À la même époque se développe un discours « sexo-pédagogique » s’inspirant de la psychanalyse et prônant franchise et tolérance dans l’éducation sexuelle des enfants, mais il reste peu diffusé comme le signalent Mercedes del Cura et Rafael Huertas. Enfin, l’étude de Ramón Castejón Bolea concernant les débats sur la prévention individuelle des maladies vénériennes montre que l’insistance des médecins espagnols sur la capacité des hommes à adopter l’abstinence pourrait induire une reconstruction des identités de genre en termes de responsabilité sexuelle (p. 143). Mais, comme en France, les conseils sur les moyens de protection réels contre la contamination restent vagues de peur qu’ils ne conduisent à une augmentation de l’activité sexuelle.
5En effet, l’opposition de la droite catholique espagnole demeure vive. Marie-Aline Barrachina, qui étudie les deux volumes des actes des Première journées eugéniques espagnoles publiés à Madrid en 1934, explique qu’il n’y eut qu’une demi-douzaine de conférences prononcées en 1928 car la dictature de Primo de Rivera refusait tout débat public sur la planification familiale et la santé publique. Une deuxième série de journées consacrée à ces thèmes en 1933, au début de la Seconde République, rencontre au contraire un succès éclatant. Toutefois, si les conférenciers (majoritairement de gauche) osent évoquer publiquement la sexualité féminine, ils ne parviennent pas à séparer l’identité et la sexualité féminines de la maternité (p. 219). Seule une jeune docteure en philosophie, Juana Capdevielle, milite ouvertement pour le droit des femmes à mener une vie amoureuse indépendamment des règles sociales traditionnelles. Elle estime cependant que la société espagnole n’est pas prête à l’accepter. Dans les premiers mois de la guerre civile, son cadavre, mutilé et abandonné dans un fossé, rappellera de manière terrible à quel point cette intellectuelle avait raison (p. 227).
6Une seule contribution, celle d’Anne-Gaëlle Regueillet, a trait aux premières années du franquisme. Celles-ci sont généralement considérées comme une période de « répression sexuelle », mais l’historienne postule que le discours franquiste sur la sexualité est plutôt traditionnaliste que répressif, traduisant une volonté de revenir à la morale traditionnelle mise à mal par la Seconde République (p. 245). La sexualité est vue comme une « nécessité biologique » dans le cadre du mariage (p. 231). L’union religieuse est obligatoire pour les catholiques à partir de 1941 ; l’adultère est puni par la loi dès 1944. Selon le discours officiel, l’étape des fiançailles (« el noviazgo ») constitue une période d’apprentissage afin de mieux connaître l’autre, mais seuls sont autorisés (et de manière exceptionnelle) les baisers sur le visage et les mains. La société espagnole des années 1940 n’est pas vraiment perméable à ce discours puisque le baiser sur la bouche, y compris profond, se pratique beaucoup entre « novios » et les caresses plus ou moins intimes sont également acceptées. Toute relation sexuelle reste cependant proscrite durant les fiançailles, aussi bien par la morale officielle que par le bon sens populaire. Enfin, il ne faut pas oublier que durant les années 1940, les vainqueurs de la guerre civile continuent de détruire les vaincus à travers la voie politique : une personne ayant un comportement amoureux « anormal » est facilement accusée d’être républicaine et donc ennemie du régime. À ce titre, conclut Anne-Gaëlle Regueillet, on pourrait parler de « répression sexuelle » (p. 245). Après lecture de cet article, on se dit qu’il serait passionnant de mener une étude comparative entre le premier franquisme espagnol et le gouvernement de Vichy tant les similitudes sont grandes en matière de volonté de contrôle sexuel.
7Plus généralement, La sexualidad en la España contemporánea peut inciter des historiennes et historiens français à sortir des études « franco-françaises » pour découvrir les avancées de l’histoire contemporaine espagnole sur la sexualité et, pourquoi pas, se lancer dans des histoires comparées.
Pour citer cet article
Référence papier
Anne-Claire Rebreyend, « Jean-Louis Guereña (dir.), La sexualidad en la España contemporánea (1800-1950) / Idem, Un infierno español. Un ensayo de bibliografía de publicaciones eróticas españolas clandestinas (1812-1939) », Clio, 40 | 2014, 314a à 314a.
Référence électronique
Anne-Claire Rebreyend, « Jean-Louis Guereña (dir.), La sexualidad en la España contemporánea (1800-1950) / Idem, Un infierno español. Un ensayo de bibliografía de publicaciones eróticas españolas clandestinas (1812-1939) », Clio [En ligne], 40 | 2014, mis en ligne le 15 janvier 2015, consulté le 07 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/12257 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.12257
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