Anne-Marie VÉRILHAC, Claude VIAL, Le mariage grec du vie siècle avant J.-C. à l'époque d'Auguste, Paris, De Boccard, 1998, 412 p. + 5 p. de planches (École française d'Athènes. Bulletin de Correspondance Hellénique. Suppléments, 32).
Texte intégral
1Acte essentiellement privé, le mariage grec a pour traits constants, aux époques classique et hellénistique, la dation de la mariée au marié par son père (ekdosis), ainsi que le versement d'une dot directe (proïx ou phernè) par le père ou son substitut. La riche monographie que lui consacrent A.-M. Vérilhac et Cl. Vial, à l'issue d'une collaboration de plus de dix ans, leur permet d'en étudier les différentes dimensions (sociale, économique, juridique, rituelle…) et d'en souligner ainsi toute l'importance dans le fonctionnement des sociétés grecques. L'intérêt de l'ouvrage est d'autant plus évident que l'étude du mariage donne l'occasion d'aborder un grand nombre de questions essentielles telles que la définition de la communauté civique, les relations entre familles, la transmission des biens et des statuts ou bien encore la légitimité des enfants.
2Comblant un vide éditorial flagrant, cette synthèse apparaît donc désormais indispensable pour les chercheurs comme pour les étudiants, lesquels tireront plus particulièrement profit des premières pages qui précisent les problèmes méthodologiques posés par une documentation fragmentaire et disparate. De ce point de vue d'ailleurs, l'un des mérites de l'ouvrage est la volonté manifestée de varier les sources utilisées et d'étendre les investigations à l'ensemble du monde grec, comme l'index des toponymes (pp. 394-396) permet de le vérifier.
3Nous ne pouvons dans ce bref compte-rendu passer en revue la totalité des apports de l'ouvrage, mais il convient cependant de signaler que certaines des thèses qui y sont défendues nous paraissent contestables ou demanderaient à être davantage argumentées.
4Dans le chapitre consacré aux aspects juridiques du mariage grec, par exemple, l'analyse des occurrences attiques réalisée par A.-M. Vérilhac et Cl. Vial montre que l'engyé est un terme technique pour désigner le mariage légal (p. 243) et que l'ekdosis et l'engyé ne sont en fait qu'un seul et même acte, la « dation » de l'épousée. Reste dès lors le problème posé par le testament du père de Démosthène : faut-il suivre nos deux auteurs, lorsqu'elles affirment que l'engyé de l'épouse et de la fille encore enfant n'a pas été concrétisée par des mariages parce que la procédure était « paralégale » (p. 247) ? Qu'elle soit impubère ou non, sa fille relève bien de sa kyreia, et nous connaissons d'autres cas de dation d'épouse par l'époux et non par un consanguin. La solution proposée n'est-elle pas dès lors insuffisante ?
5Dans le cas de la définition de l'inceste en Grèce ancienne (pp. 91-101), A.-M. Vérilhac et Cl. Vial, reprenant les analyses de F. Héritier, montrent tout à la fois la faible extension des prohibitions dans la consanguinité, et l'importance de ce qu'il est convenu d'appeler maintenant l'inceste du deuxième type (« la mise en contact d'identiques par l'intermédiaire d'un partenaire commun »). Cette situation n'est-elle pas paradoxale et ne demande-t-elle pas quelques explications supplémentaires ? Par ailleurs, le problème posé aux théories anthropologiques par la plus faible extension des prohibitions du côté paternel (il était permis à Athènes d'épouser sa demi-sœur de même père, mais non de même mère, alors que les relations paternelles sont valorisées dans les représentations de la procréation et ont une reconnaissance sociale plus affirmée), ne reçoit pas l'attention qui conviendrait (voir pp. 95-96).
6Le chapitre le plus polémique est cependant incontestablement celui consacré aux pratiques endogames (pp. 41-124). La thèse principale des auteurs est de montrer la complémentarité de l'endogamie civique et de l'exogamie familiale : en interdisant le mariage avec les étrangers comme en favorisant l'alliance entre différentes familles, la cité se donne pour objectif de renforcer sa cohésion. Paradoxalement, l'épiclérat, dans sa forme de mariage prescrit avec un parent, reçoit la même interprétation : « La polis veut par ce biais préserver son équilibre interne et la concorde entre les siens en empêchant une concentration des fortunes entre un petit nombre de mains. En règle générale l'union de la communauté civique est favorisée par l'exogamie familiale ; dans le cas particulier de la fille héritière c'est au contraire l'endogamie familiale qui la sert le mieux. » (p. 374). Le problème est que la « famille » dont il est question n'est jamais véritablement définie avec précision dans l'ouvrage, et qu'elle ne peut de toutes façons être considérée comme un groupe exogame puisque les prohibitions matrimoniales étaient très réduites. Les mariages entre proches sont une réalité des sociétés grecques antiques, et la recherche de leurs finalités supposées doit s'accompagner d'une analyse précise des représentations qui les sous-tendent et des rapports de parenté dans lesquels ils s'inscrivent. Dans cette optique, il est dommage qu'A.-M. Vérilhac et Cl. Vial n'aient pas tenu compte des articles de Claude Lévi-Strauss consacrés aux « sociétés à maisons » et au « mariage dans un degré rapproché », ou bien encore des études récentes de P. Bonte, S. Humphreys, C. Cox et V. Hunter, travaux qui dans leur ensemble constituent une antithèse intéressante aux analyses développées dans cette monographie.
Pour citer cet article
Référence papier
Jérôme WILGAUX, « Anne-Marie VÉRILHAC, Claude VIAL, Le mariage grec du vie siècle avant J.-C. à l'époque d'Auguste, Paris, De Boccard, 1998, 412 p. + 5 p. de planches (École française d'Athènes. Bulletin de Correspondance Hellénique. Suppléments, 32). », Clio, 14 | 2001, 245-246.
Référence électronique
Jérôme WILGAUX, « Anne-Marie VÉRILHAC, Claude VIAL, Le mariage grec du vie siècle avant J.-C. à l'époque d'Auguste, Paris, De Boccard, 1998, 412 p. + 5 p. de planches (École française d'Athènes. Bulletin de Correspondance Hellénique. Suppléments, 32). », Clio [En ligne], 14 | 2001, mis en ligne le 19 mars 2003, consulté le 05 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/121 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.121
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