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Elizabeth D. Heineman (dir.), Sexual Violence in Conflict Zones. From the Ancient World to the Era of Human Rights

Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2011
Fabrice Virgili
p. 271-273
Bibliographical reference

Elizabeth D. Heineman (dir.), Sexual Violence in Conflict Zones. From the Ancient World to the Era of Human Rights, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2011, 352 p.

Full text

1L’ouvrage dirigé par Elizabeth D. Heineman est le prolongement d’une conférence organisée en 2006 à l’université d’Iowa sous le titre « Conférence sur les droits de l’homme pour combattre la violence sexuelle dans les zones de conflit ». En réunissant des chercheuses et chercheurs, essentiellement d’universités états-uniennes, qui tous étaient confrontés à la violence sexuelle dans le champ qui était le leur, l’ambition n’était pas celle de l’exhaustivité mais bien d’inscrire ces violences dans leur contexte historique. De la Grèce classique à la guerre d’indépendance du Bengla Desh, quatorze contributions sont réunies pour souligner les facteurs de différenciation, autant dans le déroulement de ces violences que dans leurs conséquences à long terme. Afin également de se prémunir contre un autre risque d’indifférenciation engendré par une sous-estimation des autres facteurs de domination que la domination masculine, qu’ils soient sociaux ou coloniaux. À juste titre, l’auteure réfute l’idée d’une inéluctabilité du viol comme expression systématique de la domination masculine.

2 Selon les mots d’Elizabeth Heineman, l’approche historique offre des outils trop souvent absents des analyses actuelles de ces violences, celles-ci restant trop souvent focalisées sur la double question du soin et du jugement. Un des intérêts majeurs de cet ouvrage est de souligner combien la fonction de la violence sexuelle peut être variable selon les contextes : revanche soviétique dans le IIIe Reich vaincu de 1945, contrôle sanitaire et maintien du moral de l’Armée impériale japonaise, capture des femmes comme domestiques et reproductrices dans le système colonial en Afrique de l’Est, viol comme moyen de rétablir des normes sociales affectées par la guerre au Bengladesh, assassinat des femmes non-voilées dans l’Ouzbékistan des années 1920, punition des femmes politisées en Europe centrale au lendemain de la Première Guerre mondiale.

3 L’ouvrage aborde successivement trois grandes questions. En premier lieu (chapitres 1 à 5) l’articulation entre violence sexuelle en temps de paix ou de guerre. À travers les exemples de conflits à dimension coloniale (conquête espagnole de la Californie, Guerre d’indépendance américaine, colonisation de la Tanzanie, soviétisation de l’Ouzbékistan) les différents auteurs soulignent la récurrence de la violence sexuelle comme expression d’une domination au sein d’une société dite « pacifiée » ; sans oublier les avantages économiques en terme de production et de reproduction aussi bien dans la Grèce classique qu’en société coloniale.

4 Le deuxième élément (chapitres 6 à 9) porte sur les récits de la violence sexuelle et leurs usages par les sociétés concernées. Nicoletta F. Gullace revient sur le cas connu des « atrocités allemandes », mais pour souligner combien, après avoir fait grand bruit pendant la guerre – Remember Belgium titrait une célèbre affiche –, leur dénonciation n’a plus guère de crédit dans les années 1920 : de criminelle, la violence sexuelle était devenue un simple excès de la propagande alliée. Mais ce n’est pas seulement dans l’après-guerre que l’analyse des discours éclaire les violences sexuelles. Dans ce travail sur la longue durée, Atina Grossmann souligne combien la désacralisation de la sexualité pendant la République de Weimar puis l’approche nazie de la sexualité expliquent le détachement avec lequel les femmes allemandes vécurent les viols de l’armée Rouge : les Berlinoises étant perçues non seulement comme victimes mais aussi comme des Fräulein à la moralité douteuse.

5 Enfin, une troisième interrogation porte sur la dimension légale de ces violences (chapitres 10 à 14). Comme l’ont aussi avancé d’autres travaux, il n’y a pas de coupure entre les interdits médiévaux ou des débuts de l’époque moderne et ceux considérés comme les débuts du droit humanitaire avec le Lieber Code en 1863. Anne Curry précise la sécularisation progressive de l’interdiction du viol dans l’Occident médiéval. Quant aux guerres civiles dans l’Angleterre du xviie, Barbara Donagan montre combien la vulnérabilité des femmes face aux violences sexuelles ne doit pas masquer une tendance générale au contrôle accru de la troupe et au rejet progressif de telles pratiques. Pendant la guerre de Sécession, la répression des viols était pensée comme la démonstration de la part de l’armée de l’Union de sa supériorité morale sur les Confédérés (E. Susan Barber & Charles F. Ritter).

6 Les deux dernières contributions du volume s’arrêtent sur la façon dont, depuis la Seconde Guerre mondiale, juridictions internationales et droits humains constituent désormais le cadre général de prise en compte des violences sexuelles en temps de conflit. Yuma Totani revient sur la longue et complexe histoire de la très imparfaite condamnation des violences sexuelles commises par l’armée impériale japonaise. Histoire d’ailleurs inachevée, puisque l’actualité des relations sino-nippo-coréenne montrent combien cette question demeure sensible.

7 La juriste Rhonda Copelon, fondatrice de IWHR (Law School’s International Women’s Human Rights Clinic) et décédée en 2010, souligne à la fois les avancées obtenues depuis les années 1990 sans oublier le risque de ne percevoir désormais que les violences sexuelles qui prennent un caractère massif, voire systématique comme en Bosnie, et sont alors considérées uniformément comme « arme de guerre ». Juriste et militante, Rhonda Copelon précise les efforts à poursuivre dans la prise en compte et la dénonciation des violences sexuelles : rendre la justice plus dissuasive, favoriser l’autonomisation des femmes et leur prise de parole, travailler davantage sur la prévention de la violence sexuelle, y compris quand ce sont des hommes qui en sont victimes, travailler sur les conséquences du viol pour les victimes en brisant la dichotomie entre « victime innocente » / « victime consentante », envisager enfin davantage les réparations à ces violences comme des garanties de non-répétition.

  • 1 R. Branche & F. Virgili (dir.), Viols en temps de guerre, Paris, Payot, 2011, compte rendu dans ce (...)

8 Comme Viols en temps de guerre1, l’ouvrage Sexual Violence in Conflict Zones insiste sur la nécessité d’envisager le viol et les autres formes de violences sexuelles comme objet d’histoire. Les deux ouvrages proposent des études complémentaires et tout aussi variées autant d’un point de vue chronologique que géographique ou que dans la nature des conflits envisagés. Ils militent l’un et l’autre pour une approche scientifique du sujet, démontrant la complexité des situations. Ils se soucient également de l’analyse des formes de narration et d’action afin de combattre ces violences. Contrairement à d’autres recherches, ces travaux visent à croiser les expériences de terrain, qu’elles soient militantes, humanitaires ou juridiques, avec la recherche historique. La connaissance des violences sexuelles dans les conflits passés est un des éléments de leur reconnaissance dans les conflits contemporains. Les travaux réunis dans ce volume offrent de nombreuses pistes à prolonger.

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Notes

1 R. Branche & F. Virgili (dir.), Viols en temps de guerre, Paris, Payot, 2011, compte rendu dans ce volume.

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References

Bibliographical reference

Fabrice Virgili, Elizabeth D. Heineman (dir.), Sexual Violence in Conflict Zones. From the Ancient World to the Era of Human RightsClio, 39 | 2014, 271-273.

Electronic reference

Fabrice Virgili, Elizabeth D. Heineman (dir.), Sexual Violence in Conflict Zones. From the Ancient World to the Era of Human RightsClio [Online], 39 | 2014, Online since 01 June 2014, connection on 07 October 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/11950; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.11950

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Fabrice Virgili

IRICE-CNRS
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

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